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416. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Duclos. — I. » pp. 204-223

Ceux qui méconnaissent personnellement prétendent que je suis supérieur à mes ouvrages. […] Celle-ci a bien des défauts sans doute ; elle a aussi ses grossièretés, ses restes de détails matériels, ses affectations de sentiment ; on y voit l’échafaudage ; mais l’élévation y est, mais on entre décidément dans un ordre supérieur et habituel de pensées attachantes et de nobles désirsi : laissez-en la première partie, ne prenez que la seconde : un souffle d’immortalité y a passé. […] [1re éd.] un ordre supérieur et habituel de pensées et de nobles désirs

417. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « M. de Stendhal. Ses Œuvres complètes. — II. (Fin.) » pp. 322-341

Son Octave, jeune homme riche, blasé, ennuyé, d’un esprit supérieur, nous dit-on, mais capricieux, inapplicable et ne sachant que faire souffrir ceux dont il s’est fait aimer, ne réussit qu’à être odieux et impatientant pour le lecteur. […] Il arrive que ce petit Julien, être sensible, passionné, nerveux, ambitieux, ayant tous les vices d’esprit d’un Jean-Jacques enfant, nourrissant l’envie du pauvre contre le riche et du protégé contre le puissant, s’insinue, se fait aimer de la mère, ne s’attache en rien aux enfants, et ne vise bientôt qu’à une seule chose, faire acte de force et de vengeance par vanité et par orgueil en tourmentant cette pauvre femme qu’il séduit et qu’il n’aime pas, et en déshonorant ce mari qu’il a en haine comme son supérieur. […] La prompte introduction de ce jeune homme timide et honteux dans ce monde pour lequel il n’avait pas été élevé, mais qu’il convoitait de loin ; ce tour de vanité qui fausse en lui tous les sentiments, et qui lui fait voir, jusque dans la tendresse touchante d’une faible femme, bien moins cette tendresse même qu’une occasion offerte pour la prise de possession des élégances et des jouissances d’une caste supérieure ; cette tyrannie méprisante à laquelle il arrive si vite envers celle qu’il devrait servir et honorer ; l’illusion prolongée de cette fragile et intéressante victime, Mme de Rênal : tout cela est bien rendu ou du moins le serait, si l’auteur avait un peu moins d’inquiétude et d’épigramme dans la manière de raconter.

418. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « La Margrave de Bareith Sa correspondance avec Frédéric — I » pp. 395-413

Ici la margrave a affaire à une tout autre matière qu’elle attaque avec moins de façon : on ne se fait aucune idée, quand on ne l’a pas lue, de la grossièreté gothique et ostrogothique qu’elle nous démasque dans son entourage, et, si supérieure qu’elle soit à son sujet, elle en a quelque chose dans sa manière ; il en rejaillit par moments sur elle et sur son ton des teintes désagréables : cette jeune femme qui écrit (car elle commença d’écrire ses mémoires à vingt-cinq ans) a des crudités de Saint-Simon quand il dévisage les gens, et, faute d’occasion sans doute, et de savoir où la placer, elle ne dédommage jamais par de la grâce. […] Après les heures qu’elle employait auprès de son estimable gouvernante Mme de Sonsfeld, personne de mérite qu’un coup du ciel lui donna pour remplacer l’abominable Leti, ses meilleurs moments, ses seuls bons moments étaient ceux qu’elle passait avec son frère, et si la raillerie, la satire, le rire aux dépens du prochain les occupaient trop souvent, il faut bien penser que c’était une revanche très permise à des natures supérieures entourées d’êtres grossiers, abjects ou méchants qui les opprimaient. […] Et toute cette familiarité du « vieux frère » (comme il s’appelle) se relève d’une constante admiration pour cette sœur qu’il estime évidemment supérieure à lui par les talents et la beauté de l’intelligence, par le génie, il articule le mot : « S’il y a un être créé digne d’avoir une âme immortelle, c’est vous, sans contredit ; s’il y a un argument capable de me faire pencher vers cette opinion, c’est votre génie64. » Il est prodigue envers elle d’attentions, de petits présents ; il entre dans ses peines, il tremble pour sa vie ; il nous la fait voir avec « un je ne sais quoi de gracieux, un air de dignité tempérée par l’affabilité », que les mémoires de la margrave ne nous indiqueraient pas ; il nous intéresse, en un mot, par l’affection respectueuse qu’elle lui inspire, à cette frêle créature d’élite, à « ce corps si faible et cette santé délicate à laquelle est jointe une si belle âme ».

419. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Souvenirs de soixante années, par M. Étienne-Jean Delécluze, (suite et fin) »

Et M. de Rémusat, mûr dès la jeunesse, et Ampère, mobile d’humeur,« changeant comme avril » et Albert Stapfer, l’élève de Guizot, passé plus tard à Carrel ; et Sautelet au visage jeune, au front dépouillé qui attendait la balle mortelle ; et Duvergier de Hauranne, esprit net, perçant, ardent alors à toute question littéraire (je suis toujours tenté de lui demander grâce en politique au nom des amitiés de ce temps-là) ; et Artaud, jeune professeur destitué et promettant un littérateur ; et Guizard plus intelligent et plus discutant que disert, et Vitet dont le nom dit tout, et l’ironique et bon Dittmer, le demi-auteur des Soirées de Neuilly, si supérieur à Cavé ; et Dubois, du Globe si excité, si excitant, qui a commencé tant d’idées et qui, en causant, n’a jamais su finir une phrase ; et Paul-Louis Courier, aux cheveux négligés, qui apparaissait par instants comme un Grec sauvage et un chevrier de l’Attique, — large rire, rictus de satyre, et qui avait du miel aux lèvres ; — et Mérimée, dont M.  […] Ses livres, en un mot, ne sont pas de nature à donner de lui une idée supérieure à celle qu’imprimait sa personne présente. […] Viollet-le-Duc était devenue, les vendredis soirs, un lieu de réunion et de conversation douce, agréable, instructive, mais sans rien des vivacités et des orages que l’étage supérieur assemblait le dimanche.

420. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « M. Émile de Girardin. »

Il y a trois classes dans la société : la classe supérieure et privilégiée, la classe moyenne et bourgeoise, la classe laborieuse et besogneuse. […] Une pensée généreuse de progrès et d’amélioration sociale qu’il ne perdait jamais de vue le lui disait non moins nettement : car cet homme, qui parut de bonne heure si mêlé et si plongé dans les affaires, avait son but, sa visée supérieure et constante. […] Il fallut à M. de Girardin, pour tenir tête à ces attaques réitérées et qui se renouvelaient sous toutes les formes depuis celle de l’insulte directe jusqu’à celle de la légalité la plus chicanière et la plus inquisitive, un sang-froid, un calme, une intrépidité bien supérieure encore à ce qu’il lui en avait fallu dans la rencontre funeste.

421. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Catinat. »

Les officiers généraux sont les supérieurs du major général ; mais il devient en effet leur supérieur lorsqu’il est l’ami du général. […] Le duc de Mantoue désirait, en cédant la citadelle de Casal, non la ville ni le château, que l’on crût qu’il avait la main forcée, et à cette fin, pour lui servir d’excuse envers ses voisins, Espagnols ou Italiens, il était nécessaire qu’on fît montre de rassembler en Dauphiné un corps de troupes fort supérieur à celui qu’on réunissait effectivement.

422. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « Les fondateurs de l’astronomie moderne, par M. Joseph Bertrand de l’académie des sciences. »

Tout en lisant le présent ouvrage où l’ancien élève de l’Observatoire de Paris a réuni, comme en se jouant, toutes les découvertes de la science la plus avancée et les a combinées avec d’autres idées moins précises à l’appui de ses hypothèses, je me suis pris pourtant à rouvrir Fontenelle dans son ingénieux livre de la Pluralité des Mondes, publié en 1686, une année avant que Newton donnât le livre immortel des Principes, et j’ai de nouveau rendu justice à ce philosophe supérieur qui avait sans doute quelques défauts de manière, mais qui voyait si juste et si loin quant à ce qui est du fond des choses. […] Nous occupons une sorte de juste milieu, qui nous laisse voir de plus petits que nous, mais qui nous en montre aussi de bien plus grands, supérieurs sans doute à plus d’un autre titre encore que le poids et le volume. […] « En effet, dit-il, Dieu intervient partout par ses Messies, ses précurseurs, ses prophètes, ses missionnaires, incarnés ou spirituels, dans les mondes supérieurs aussi bien que dans les intermédiaires et les inférieurs. » M. 

423. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « Saint-Simon considéré comme historien de Louis XIV, par M. A. Chéruel »

Saint-Simon n’était fait, à aucun degré, pour être ni ministre, ni général, ni homme de finance et de budget ; il est, pour un homme d’esprit, singulièrement court, j’allais dire inepte, sur tous ces divers objets qui font les branches principales du gouvernement des États ; il n’est pas, même dans l’ordre philosophique, un esprit supérieur ; il reste soumis et astreint aux croyances les plus étroites de son temps ; s’il lui arrive de varier en religion, c’est pour passer par les préventions des sectes et des opinions particulières, plus porté dans le principe qu’il ne l’a dit pour les Jésuites et leurs adhérents, puis tournant plus tard et avec une sorte d’âpreté au Jansénisme et à l’anti-Constitutionnalisme. […] Pour de petits talents, passe ; mais quand le talent s’élève, quand il est cette puissance supérieure et magique qui sait voir et qui sait rendre, qui devine, qui ressuscite, qui crée de nouveau tout un passé évanoui, qui agrandit du même coup les horizons de la mémoire historique et ceux de la science morale, il mérite aussi quelque respect. […] Étant peu militaire et peu propre à discerner le côté supérieur de ce petit-fils d’Henri IV, son coup d’œil d’homme de guerre, sa décision, sa vigueur, une fois l’action engagée, il s’est attaché à le peindre sous ses pires côtés les plus apparents, dans toute la laideur ou la splendeur de ses débordements et de son cynisme : il y est magnifique d’images, d’expressions, mais c’est incomplet.

424. (1895) Histoire de la littérature française « Seconde partie. Du moyen âge à la Renaissance — Livre II. Littérature dramatique — Chapitre I. Le théâtre avant le quinzième siècle »

Même de toute façon, pour la conduite de l’action, pour le sens dramatique ou poétique, ce vieux drame est supérieur à la Passion du xve  siècle, comme au mystère du Vieux Testament, partout où on les peut comparer. […] Jean Bodel a mis tout cela dans un drame bizarre, bien supérieur à son insipide et romanesque Chanson des Saxons : la nécessité d’aller au cœur de son public, la nouveauté d’un genre encore dénué de traditions ont maintenu le poète dans la simple sincérité, et comme dans le plein courant, de la vie. […] Le Miracle de Théophile, avec sa tenue édifiante et un peu compassée, avec sa forme travaillée, et parfois trop littéraire, avec l’artifice de ses développements et de ses rythmes qui marquent la maigreur de la pensée, n’est pas une œuvre supérieure.

425. (1904) Prostitués. Études critiques sur les gens de lettres d’aujourd’hui « Chapitre X. Les sociales »

Mais le geste était supérieur à Zola, dépassait Zola, comme ce mot qu’il dit inattentif à la cour d’assises : « Je ne connais pas la loi. » Le prétendu révolutionnaire ferma les yeux, terrifié par la belle lumière antisociale que la Parole venait de faire en lui et autour de lui ; il s’excusa, tremblant comme un enfant dont la main a tourné, machinale, un bouton quelconque et qui voit les ténèbres soudain s’éclairer. […] Même la religion de l’innocent, innocent toi-même, te paraît singulièrement supérieure, car celle de Jésus fut longue à prendre, mit « quatre siècles à se formuler ». […] Je l’approuve aussi, malgré toutes les foudres de Tailhade, peut-être par un reste de romantisme, plutôt, je crois, par mépris pour les gens qui fréquentent les casinos : de quel droit ces grecs et ces mondains repoussent-ils leur sœur la courtisane, et quelle étrange présomption peut bien leur persuader qu’ils lui sont, en quoi que ce soit, supérieurs ?

426. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Pensées, essais, maximes, et correspondance de M. Joubert. (2 vol.) » pp. 159-178

Les seconds, délicats surtout, et qui sentent leur idée supérieure à leur exécution, leur intelligence plus grande encore que leur talent, même quand celui-ci est très réel. […] Naturellement, la conversation de ces hommes est encore supérieure à ce qu’ils laissent par écrit, et qui n’offre que la moindre partie d’eux-mêmes. […] Ce qu’il faudra faire alors pour maintenir les justes droits de sa renommée, ce sera, en bonne critique comme en bonne guerre, d’abandonner sans difficulté toutes les parties de ce vaste domaine qui ne sont pas vraiment belles ni susceptibles d’être sérieusement défendues, et de se retrancher dans les portions tout à fait supérieures et durables.

427. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Le père Lacordaire orateur. » pp. 221-240

Lacordaire s’était fait le raisonnement que voici : La société, à mes yeux, est nécessaire ; de plus, le christianisme est nécessaire à la société ; il est seul propre à la maintenir, à la perfectionner : donc le christianisme est vrai, non pas d’une vérité politique et relative, comme l’admettent bien des gens, mais d’une vérité supérieure et divine : toute autre vérité secondaire serait un compromis et une sorte de malentendu indigne et de la confiance de l’homme et de la franchise de Dieu. […] S’il s’affranchit de la rhétorique, c’est en vertu d’un principe supérieur de rhétorique ; et, pour suivre sa comparaison, il ne parle pas le grec plus mal que ses devanciers, il le parle autrement. […] La seconde oraison funèbre, celle de M. de Janson, est fort supérieure, elle est simple et vraie.

428. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Mémoires d’outre-tombe, par M. de Chateaubriand. » pp. 432-452

Nous l’écoutions avec ce plaisir respectueux qu’on sent à entendre un homme de lettres supérieur. […] Ainsi un autre talent supérieur a évité mon nom dans un ouvrage sur la littérature. Grâce à Dieu, m’estimant à ma juste valeur, je n’ai jamais prétendu à l’empire… Ce talent supérieur, c’est Mme de Staël qui se trouve traduite ici comme coupable (le croirait-on ?)

429. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Frédéric le Grand littérateur. » pp. 185-205

On aime à rencontrer, au milieu des fadeurs et des exagérations parfois ridicules de ce début de correspondance, plus d’un de ces endroits où perce déjà le roi futur, l’homme supérieur qui, bien qu’il ait la fureur de rimer et de produire ses premiers ouvrages, saura en triompher par une passion plus haute, et qui ne sera jamais un rhéteur sur le trône. […] D’ailleurs, le Frédéric primitif et juvénilement enthousiaste a disparu ; il a fait place au philosophe, à l’homme supérieur expérimenté qui ne tâtonne plus en rien. […] D’Alembert avait déjà vu Frédéric plusieurs années auparavant ; en le revoyant, il est frappé de le retrouver supérieur à sa gloire même.

430. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Armand Carrel. — I. » pp. 84-104

Mais les générations venues depuis sa mort ne savent plus bien ce qu’était ce personnage intrépide et inachevé, si souvent invoqué comme chef dans les luttes politiques, cet écrivain dont il ne reste que peu d’ouvrages et un souvenir si supérieur à ce qu’on lit de lui. […] Mais il y a un autre point de vue, plus vrai, plus naturel et plus humain, qui, tout en laissant subsister les parties supérieures et de première trempe, permet de voir les défauts, d’entrevoir les motifs, de noter les altérations, et qui, sans rien violer du respect qu’on doit à une noble mémoire, restitue à l’observation morale tous ses droits. […] Mme Courier aurait bien désiré que le passage où se trouvait le mot d’équipée fût modifié et adouci, et elle visita Carrel : « Je vis là pour la première fois Mme Courier, me dit un témoin fidèle, et je n’oublierai jamais ni l’esprit avec lequel elle défendit sa thèse, ni la grâce parfaite de Carrel, maintenant son dire et son jugement. » Nous avançons lentement avec Carrel ; c’est que ce n’est pas un talent littéraire tout simple ni de première venue : c’est un esprit éminent, un caractère supérieur qui s’est tourné par la force des choses aux lettres, à la politique, qui s’y est appliqué avec énergie, avec adresse, et finalement avec triomphe, mais qui était plus fait primitivement, je le crois, pour devenir d’emblée un des généraux remarquables de la République et de l’Empire.

431. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — L — Lefèvre, André (1834-1904) »

La Lyre intime vaut la Flûte de Pan, si même elle ne lui est supérieure, et les cordes répondent aussi bien aux doigts du poète que les roseaux joints avec de la cire résonnaient harmonieusement sous ses lèvres.

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