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966. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « La Margrave de Bareith Sa correspondance avec Frédéric — II » pp. 414-431

Sa sœur la présageait et la craignait dès 1755, en observant les lointaines escarmouches entre l’Angleterre et la France au sujet des limites du Canada, et les hostilités maritimes qui en furent la suite : Vous me marquez vos craintes pour la guerre, lui écrivait-il (21 septembre 1755) ; mais, ma chère sœur, il y a bien loin de la rivière d’Ohio à la Sprée, et du fort de Beau-Séjour à Berlin. […] des souverains qui font observer ces mêmes lois dans leurs États donnent des exemples aussi odieux à leurs sujets ! […] J’espère que notre correspondance ne sera pas aussi maigre que nos deux individus, et que vous me donnerez souvent sujet de vous répondre. » Continuant plume en main les plaisanteries des petits soupers, elle se disait la sœur Wilhelmine ou la sœur Guillemette, de la même abbaye que frère Voltaire. […] » Voltaire qui n’était pas précisément épicurien, mais que le sujet invitait à l’être, fit donc une ode plus agitée qu’émue, dans laquelle il s’évertuait de son mieux ; il s’écriait : Ô Bareith !

967. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « La princesse des Ursins. Ses Lettres inédites, recueillies et publiées par M. A Geffrot ; Essai sur sa vie et son caractère politique, par M. François Combes » pp. 260-278

Combes a fait de la princesse des Ursins le sujet d’une de ces thèses consciencieuses de la Faculté des lettres qui deviennent si aisément des livres : la princesse, après avoir été discutée et débattue en Sorbonne, a reparu devant le public dans un tableau solide et étendu. […] Combes, repasser sur les différentes phases de la carrière politique de Mme des Ursins pendant ses treize années d’influence ou de domination en Espagne : il a très bien distingué les temps, démêlé les intrigues selon l’esprit de chaque moment, montré Mme des Ursins représentant dès l’abord le parti français, mais le parti français modéré qui tendait à la fusion avec l’Espagne, et combattant le parti ultra-français représenté par les d’Estrées : — ce fut sa première époque : — puis, après un court intervalle de disgrâce et un rappel en France, revenue triomphante et autorisée par Louis XIV, elle dut pourtant, malgré ses premiers ménagements pour l’esprit espagnol, s’appliquer à briser l’opposition des grands et travailler à niveler l’Espagne dans un sens tout monarchique, antiféodal ; c’était encore pratiquer la politique française, le système d’unité dans le gouvernement, et le transporter au-delà des Pyrénées : — ce fut la seconde partie de sa tâche. — Mais quand Louis XIV, effrayé et découragé par les premiers désastres de cette funeste guerre de la succession, paraît disposé à abandonner l’Espagne et à lâcher son petit-fils, Mme des Ursins, dévouée avant tout aux intérêts de Philippe V et du royaume qu’elle a épousé, devient tout Espagnole pour le salut et l’intégrité de la couronne, rompt au-dedans avec le parti français, conjure au dehors la défection de Versailles, écrit à Mme de Maintenon des lettres à feu et à sang, s’appuie en attendant sur la nation, et, s’aidant d’une noble reine, jette résolument le roi dans les bras de ses sujets. […] Les lettres précédentes à la maréchale sont toutes remplies de détails domestiques, de calculs et de chiffres, tendant à faire augmenter sa pension, qu’elle juge insuffisante « pour la première princesse de Rome, née sujette d’un grand roi comme le nôtre. » Elle est gueuse, dit-elle, mais elle est fière ; ce qui ne l’empêche pas de demander bien souvent. […] Le côté femme (car il faut bien qu’il se retrouve toujours) paraît avoir été dans une certaine vanité de pompe, dans cette chimère de la souveraineté (ayant été si longtemps sujette, et glorieuse de cesser de l’être), et dans des illusions sur son âge.

968. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Mémoires de Mme Elliot sur la Révolution française, traduits de l’anglais par M. le comte de Baillon » pp. 190-206

Ce marquis de Champcenetz, frère aîné de l’aimable mauvais sujet, fait dans tout ce récit, on en conviendra, une assez triste figure. […] Je voudrais pouvoir être à la Convention, ôter mes souliers et les jeter à la tête du président et de Santerre, qui n’auront pas honte d’insulter leur maître et leur souverain. » Je m’emportai sur ce sujet, et le duc d’Orléans paraissait de fort mauvaise humeur. […] Je suis l’esclave d’une faction plus que personne en France ; mais laissons ce sujet ; les choses sont au pire. » Il croyait en détournant les yeux du danger, l’ajourner un peu, et il allait, en marchandant le plus qu’il pouvait, et le front de plus en plus bas, à sa perte prévue et certaine. […] Il y a même à ce sujet deux ou trois particularités qui seraient piquantes, mais qui n’ont d’autorité pour elles que celle de l’éditeur anglais qui a continué le récit : nous aurions besoin, pour nous y arrêter, que Mme Elliott nous l’eût dit elle-même.

969. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Les Caractères de La Bruyère. Par M. Adrien Destailleur. »

On a tiré grand parti, dans ces derniers temps, de quelques billets de M. de Pontchartrain, desquels il résulterait que La Bruyère était sujet à des accès de gaieté extravagante. […] Il entre et débute en plein sujet par une suite de chapitres dont on ne voit pas très bien d’abord le lien et l’enchaînement : Des Ouvrages de l’Esprit, Du Mérite personnel, Des Femmes, Du Cœur, De la Société et de la Conversation. […] Le chapitre de la Chaire, l’avant-dernier du livre, bien qu’essentiellement littéraire et relevant surtout de la rhétorique, achemine pourtant, par la nature même du sujet, au dernier chapitre tout religieux, intitulé des Esprits forts ; et celui-ci, trop poussé et trop développé certainement pour devoir être considéré comme une simple précaution, termine l’œuvre par une espèce de traité à peu près complet de philosophie spiritualiste et religieuse. […] On sent que l’auteur possède son sujet, et qu’il en est maître sans en être plein.

970. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Correspondance de Béranger, recueillie par M. Paul Boiteau. »

Ernest Renan, dans le Journal des Débats (17 décembre 1859), en s’en prenant à Béranger, dont il déclara n’avoir lu les chansons que fort tard et comme document historique, faisait le procès à l’esprit français lui-même, et s’attaquait à un coin radical de cet esprit, la goguette, la gaudriole, la malice narquoise et gauloise, se glissant en tout sujet et se gaussant des choses les plus graves. […] Je reviens à la Correspondance, d’où je ne sors plus, et qui est mon véritable sujet. […] Il passa en un instant de la position de tirailleur à celle de spectateur, d’avocat politique consultant (il se lassa vite de ce dernier rôle), de causeur avisé, curieux de tous sujets, et qui avait son franc parler sur chacun au coin du feu. […] Nous serions, en vérité, la plus légère et la plus ingrate des nations, si Béranger était un sujet qu’il ne fallût désormais aborder qu’en hésitant, et pour lequel on eût à demander grâce.

971. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « Madame de Staël. Coppet et Weimar, par l’auteur des Souvenirs de Mme Récamier (suite et fin.) »

s’écriait-elle à ce sujet, quand je les vis, ces princes, en Angleterre, ils écoutaient la vérité ; je leur peignais l’état de la France, ce qu’elle demandait, ce qu’il était si facile de lui donner. […] Depuis lors, j’en ai reçu d’autres, mais au sujet desquelles je n’ai pas cru utile d’importuner Votre Seigneurie, parce qu’à peu de chose près, elles disaient ce que contenaient les précédentes, parlant de la crainte qu’inspirent les Jacobins, leur nombre et leur influence ; du danger, s’ils l’emportent, de voir se renouveler les scènes révolutionnaires à l’intérieur, et leurs efforts employés à exciter des commotions au dehors. […] Pour moi, cette lettre lue, et avant toute question à son sujet, je ne puis m’empêcher de m’écrier : « Bien, très bien ! […] Thiers, qui cherche avant tout la vérité, mais qui la cherche sans froideur, avec vivacité, avec prédilection, s’est posé la question au sujet du Napoléon des Cent-Jours, et il a singulièrement animé la conclusion qui lui a paru la plus probable.

972. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Entretiens de Gœthe et d’Eckermann (suite) »

Entre son fils, sa belle-fille, ses deux petits-enfants qui jouent avec lui, il cause sur les sujets les plus élevés. […] À propos du Tasse, il prétend avoir fait de grandes recherches, et que l’histoire se rapproche beaucoup de la manière dont il a traité son sujet. […] Gœthe prit sujet de là pour discourir de Paris et des avantages de cette civilisation active et condensée où tout mûrit vite, et où l’on se forme en si peu de temps : « Vous, disait-il à Eckermann, dans votre pays, vous n’avez rien acquis si facilement, et nous aussi, dans notre Allemagne centrale, il a fallu que nous achetions assez cher notre petite sagesse. […] Les jeunes poëtes m’ont occupé déjà toute cette semaine, et les fraîches impressions que je reçois de leurs œuvres me donnent comme une nouvelle vie. » — « On voyait », ajoute Eckermann, « que cet hommage de jeunes poëtes de France remplissait Gœthe de la joie la plus profonde. » Tout l’entretien à ce sujet, dans la soirée du 14 mars, est pour nous d’un extrême intérêt.

973. (1866) Nouveaux lundis. Tome VI « Œuvres de M. P. Lebrun, de l’Académie française. »

Il y a, à ce sujet, toute une histoire ou historiette assez amusante et qu’on sait en détail. […] Ce qu’il y avait de plus irritant, c’est que le président du Sénat, François de Neufchâteau, plus candide que fin, lui avait fait à ce sujet de grands compliments et lui avait sans doute dit la phrase consacrée : « Vous n’avez jamais rien fait de mieux. » Aussi resta-t-il implacable dans sa rancune, et il laissa sans réponse la lettre, toute pleine de déférence et d’admiration, que le jeune débutant lui avait adressée en lui envoyant son ode. […] Mais, de toutes ces poésies, celle qui unit le mieux les tons divers me paraît être l’ode qui a pour titre et pour sujet les Catacombes de Paris, et qui date de 1812. […] Dans les pièces écrites en Italie, je recommande les jolies stances fort spirituelles et fort gaies sur la République de Saint-Marin, adressées avec à-propos à Béranger, le sujet faisant un pendant exact à son Roi d’Yvetot.

974. (1889) Histoire de la littérature française. Tome IV (16e éd.) « Chapitre dixième »

« Plus j’ai pénétré dans le sein de la nature, dit Buffon, plus j’ai admiré et profondément respecté son auteur97. » C’est bien froid, et ces mots de la civilité humaine, admiré, respecté profondément, appartiennent à peine à la langue du sujet. […] « Quand vous avez un sujet à traiter, dit-il, n’ouvrez aucun livre, tirez tout de votre tête. » Descartes n’eût pas conseillé autre chose, ni Pascal, si ravi de trouver un homme où il croyait rencontrer un auteur. […] Quand il remarque que, faute d’avoir assez réfléchi sur son sujet, un homme d’esprit se trouve embarrassé et ne sait par où commencer à écrire, le conseil n’est-il pas aussi bon pour les actions que pour les écrits ? […] Je doute que le petit pavillon du jardin de Montbard où, jusqu’en ces derniers temps, le jardinier faisait sécher ses graines, ait vu le naturaliste écrire, tel qu’on l’a représenté, en manchettes et poudré, l’épée de gentilhomme au côté ; mais si on l’a dit, la faute en est à cette faiblesse de l’anobli pour le noble, nulle part plus messéante que dans des écrits dont le sujet est la nature, où il n’y a pas d’ordres privilégiés et où tout est simple.

975. (1886) De la littérature comparée

Marc Monnier a signalé — après les avoir résolues — les difficultés d’un enseignement aussi vaste que celui de la littérature comparée : « Mener toutes les littératures de front, a-t-il dit ; montrer à chaque pas l’action des unes sur les autres ; suivre ainsi, non plus seulement en deçà ou au-delà de telle frontière, mais partout à la fois, les mouvements de la pensée et de l’art, cela paraît ambitieux et difficile... » Il a pu ajouter : « On y arrive cependant, à force de vivre dans son sujet qui petit à petit se débrouille, s’allège, s’égaie... » Mais ce qu’il n’a pas dit, ce sont les rares qualités d’esprit qui lui ont permis d’accomplir un tel travail et de le perfectionner d’année en année : une érudition qui s’élargissait sans cesse ; un sens critique habile à choisir entre la masse des documents les plus propres à marquer la physionomie d’un homme ou d’une époque, ou à dégager les caractères essentiels d’une œuvre ; une intelligence si enjouée qu’elle a pu, pour conserver son expression, « égayer » cette grave étude de l’histoire littéraire, si alerte, que d’heureuses échappées dans tous les domaines, elle a su rapporter des œuvres également distinguées. […] Mais c’est en touchant à un tel sujet qu’on se rend compte de la relativité des mots, de l’indécision de leur sens ! […] Mais leurs grandes œuvres, c’est dans la vie moderne même qu’ils les ont puisées, et pour traiter dans toute leur ampleur des sujets comme Hamlet et Faust, ils ont dû inventer de nouvelles formes d’art, des moules plus vastes que tous ceux connus avant eux. […] Je ne puis vous apporter l’expérience que je n’ai pas, mais j’ai l’amour des grands sujets que nous allons aborder, le désir de vous les faire aimer, la volonté de travailler avec vous en vous encourageant et en vous guidant dans les limites de mes forces, et surtout, vous pouvez y compter, une sympathie toute acquise à tous vos efforts personnels.

976. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Monsieur Droz. » pp. 165-184

Au sujet des divers écrits que composa M.  […] Droz avait composé des ouvrages dignes d’estime ; « mais les sujets qu’il avait traités ne lui avaient pas donné l’occasion de nous montrer des études aussi profondes, des vues si élevées, un jugement si ferme, un sens politique si exquis et si juste ». […] Durant trente ans il médita donc ce sujet, historique, le plus fécond en réflexions morales ; il lut tout ce qui s’imprimait là-dessus, il interrogea les contemporains les mieux informés ; il dut à la confiance qu’inspirait son caractère d’obtenir communication de mémoires inédits : en un mot, il ne négligea aucune recherche, aucune enquête, pour arriver à la vérité. […] Dans ses autres écrits, et quand il créait en partie ses sujets, il abondait trop dans son propre sens, s’il est permis de le dire ; il avait de l’onction, mais l’ironie d’un Socrate ou d’un Franklin, il ne l’avait pas.

977. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Histoire de la Restauration, par M. de Lamartine. (Les deux premiers volumes. — Pagnerre.) » pp. 389-408

les deux volumes intéressent, et le sujet, à bien des égards, convient à M. de Lamartine. […] Or, la seule application d’un talent de cet ordre et de cette qualité à un tel sujet, à ces natures hideuses et à ces tableaux livides de la Révolution, était déjà une première cause d’illusion et de séduction insensible, un premier mensonge. […] Lainé, il est sujet, sans s’en apercevoir, à projeter un peu de sa propre figure dans la leur, à se profiler légèrement en eux pour ainsi dire. […] Dans ce tableau rapide, où il fait preuve de générosité et de bienveillance comme toujours, et où il a introduit aussi plus d’une spirituelle finesse, M. de Lamartine a commis quelques petites confusions et quelques mélanges qui montrent que l’esprit critique, chez lui, a encore des progrès à faire, même sur les sujets qui, ce semble, lui devraient être le plus connus.

978. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Portalis. Discours et rapports sur le Code civil, — sur le Concordat de 1801, — publiés par son petit-fils — II. » pp. 460-478

Les rhéteurs de l’Antiquité ont ainsi conseillé aux orateurs d’avoir toujours en réserve, dans le trésor de la mémoire, des portions entières de discours ; et, si cet artifice est permis, c’est assurément dans l’ordre des matières stables, telles que la jurisprudence, la morale sociale, qui ne permettent ni aux idées ni même à l’expression de varier, quand les mêmes sujets se rencontrent. […] Mais le sujet était trop vivant et trop pathétique, il tenait de trop près aux sentiments qui se réveillaient alors dans tous les cœurs ; pour qu’un orateur comme Portalis n’en fît pas un texte de morale humaine et réconciliatrice. […] Mais il est loin de penser qu’il suffise de présenter un roi et de laisser faire : Le choix d’un roi ne me paraît pas devoir être un objet de délibération, à moins qu’on n’en veuille faire un sujet de guerre civile. […] Dans les autres pièces publiées qui concernent son administration des Cultes (par exemple, au sujet des refus, alors nombreux, de sépulture ecclésiastique), on sent partout, chez Portalis, cette délicatesse de conscience qui lui permettait de peser avec autorité dans la même balance les intérêts de l’ordre civil et les scrupules du sanctuaire.

979. (1872) Les problèmes du XIXe siècle. La politique, la littérature, la science, la philosophie, la religion « Livre II : La littérature — Chapitre III : La littérature du xviiie et du xixe  siècle »

Que Bossuet, par son beau chapitre sur les Romains, puisse être comparé avec Montesquieu sur le même sujet, je le veux bien ; mais l’Esprit des Lois, à quoi le comparez-vous ? […] Pour le xviie  siècle, cette sorte de morale consiste à être un sujet obéissant, et cette morale de sujet avait fini par porter atteinte à la morale privée elle-même. […] On y apprendra comment l’amour de l’égalité devient la ruine de l’égalité même, s’il ne sait pas se renfermer dans ses vraies limites, si, non contents d’être égaux comme citoyens, nous voulons l’être comme fils et comme pères, comme jeunes et comme vieux, comme sujets et comme magistrats ; on apprendra encore combien l’obéissance à la loi est nécessaire dans un pays où la loi est faite par les citoyens eux-mêmes, comment la modération est le salut de tous les gouvernements, mais surtout des gouvernements populaires, enfin combien la probité est indispensable aux magistrats dans ces sortes de gouvernement.

980. (1912) L’art de lire « Chapitre VIII. Les ennemis de la lecture »

Comment voulez-vous que Corneille puisse trouver bon Racine, qui goûte les sujets que Corneille a toujours évités et les manières de traiter les sujets que Corneille très visiblement n’aime point, et qui se donne tout entier à la peinture de l’amour, sentiment que Corneille a toujours considéré comme trop chargé de faiblesse pour pouvoir soutenir une tragédie ? […] La Bruyère a très bien indiqué pourquoi l’on a honte de pleurer au théâtre, tandis que l’on n’a point honte d’y rire : « Est-ce une peine que l’on sent à laisser voir que l’on est tendre, et à marquer quelque faiblesse surtout en un sujet faux et dont il semble que l’on soit là dupe ? » Assurément c’est cela, tandis que, pour ce qui est de rire, on s’y laisse aller plus facilement parce qu’on est moins dupe et l’on fait moins figure de dupe en riant qu’en pleurant, le rire vous laissant toute liberté d’esprit et les pleurs marquant qu’on l’a perdue, et qu’on est pénétré jusqu’au fond et possédé par le sujet et par l’auteur.

981. (1778) De la littérature et des littérateurs suivi d’un Nouvel examen sur la tragédie françoise pp. -158

Le sujet qu’on examine est important, puisqu’il tient de si près à l’instruction publique & à l’art de former les mœurs. […] Corneille, dans l’examen de son Œdipe, se félicite de l’heureux Episode de Thésée & de Dircé ; c’est-à-dire d’avoir gâté son sujet à l’aide d’une profonde méditation. […] En empruntant de Guillen de Castro le sujet du Cid, Corneille n’a point senti qu’en voulant assujettir aux règles un évènement trop vaste, il lui ótoit toute vraisemblance. […] Il faut que le Poète, pour faire valoit toutes les beautés de son sujet, soit absolument libre dans la forme qu’il voudra lui imprimer. […] La Pièce ne peut manquer d’être fort étrangère au sujet : qu’importe ?

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