/ 2496
483. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Lettre sur l’orthographe » pp. 427-431

Mon cher monsieur, Vous me faites l’honneur de me demander mon avis au sujet de ce petit Vocabulaire français qui va se trouver si à propos sous la main de quiconque aura une lettre à écrire : en voulant bien m’adresser pareille question, vous vous êtes souvenu sans doute que je ne suis pas seulement un académicien, mais que je suis aussi un membre de la Commission du dictionnaire. […] Combien d’auteurs, même de nos jours, combien de critiques et de juges ou qui se donnent pour tels auraient besoin de se souvenir que l’orthographe est le commencement de la littérature !

484. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « Nouvelle correspondance inédite de M. de Tocqueville (suite et fin.) »

Le journal le Commerce qu’il essaya de patronner un moment, en 1844, n’a laissé aucune trace ni aucun souvenir. […] Je n’ai pu encore me remettre dans le courant d’idées et de souvenirs qui peuvent me donner du goût pour ce travail ; et, en attendant que l’inspiration revienne, je me suis borné à rêvasser à ce qui pourrait être pour moi le sujet d’un nouveau livre, car je n’ai pas besoin de te dire que les Souvenirs de 1848 ne peuvent point paraître devant le public. […] Il me semble que ma vraie valeur est surtout dans ces travaux de l’esprit ; que je vaux mieux dans la pensée que dans l’action ; et que, s’il reste jamais quelque chose de moi dans ce monde, ce sera bien plus la trace de ce que j’ai écrit que le souvenir de ce que j’aurai fait. […] — Et quant au singulier personnage (si l’on s’en souvient) dont je demandais le nom à M. de Beaumont, celui-là même dont Tocqueville avait décrit la visite et la conversation en des termes faits pour piquer la curiosité (t.

485. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Béranger — Béranger en 1832 »

mes dernières années ont été bien assez tumultueuses et envahies ; laissez-moi çà et là quelque coin intact de souvenir, où je puisse me retrouver seul ou à peu près seul avec mes pensées d’autrefois !  […] Ces coins obscurs dont vous vous réservez l’enceinte, ces bosquets mystérieux dans le champ du souvenir, où vous nous avez introduit une fois et d’où vous ne sortez vous-même chaque soir que les yeux humides de pleurs, nous vous les laisserons, ô poëte ! […] Présent au 14 juillet, il en a célébré le palpitant souvenir en 1829, sous les barreaux de la Force, après quarante années. […] Un jour, au printemps de 1827, autant qu’il m’en souvient, Victor Hugo aperçut dans le jardin du Luxembourg M. de Chateaubriand, alors retiré des affaires. […] Les Bohémiens et les Souvenirs du Peuple, publiés en 1828, ont manifesté chez Béranger un progrès encore imprévu de grandeur et de pathétique dans la simplicité, et aussi de poésie impartiale, généralisée, s’inspirant de mœurs franches, se prenant aux instincts natifs du prolétaire, et d’une portée non plus politique, mais sociale. 

486. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « M. DE BALZAC (La Recherche de l’Absolu.) » pp. 327-357

Quoi qu’il en soit, ce que M. de Balzac confesse à l’article du souvenir de Lambert est vrai en général de tous les heureux souvenirs dont se nourrit et s’empare son imagination d’aujourd’hui : il lui fallut arriver à plus de trente ans pour découvrir, pour exploiter la mine fertile que son esprit enfermait à son insu, ses impressions d’enfance en Touraine, ses originaux de province, ses chanoines célibataires, son malin teinturier de Vouvray dans Gaudissart ; tout cela dormait je ne sais où auparavant. […] Quel homme n’a pas plusieurs de ces vierges souvenirs qui, plus tard, se réveillent, toujours plus gracieux, apportant l’image d’un bonheur parfait ; souvenirs semblables à ces enfants perdus à la fleur de l’âge, et dont les parents n’ont connu que les sourires ?  […] L’alchimiste, possesseur du merveilleux secret, vit de peu, répand les bienfaits sans bruit et se souvient de ses malheurs.

487. (1868) Cours familier de littérature. XXV « CXLIXe entretien. De la monarchie littéraire & artistique ou les Médicis (suite) »

XI Il y avait alors à Florence un jeune homme de la famille des Médicis nommé Lorenzino, en souvenir de Laurent. […] Maintenant que nous n’avons plus celui qui fut le premier auteur d’un travail d’érudit, mon ardeur à écrire s’éteint, et je n’ai presque plus ce grand bonheur que me donnait l’étude des anciens ; cependant, si vous avez un si vif désir de connaître mon malheur, et comment s’est montré ce grand homme dans les derniers actes de sa vie, bien que je sois empêché par mes larmes, et que mon esprit recule même devant un souvenir qui doit renouveler ma douleur, je cède cependant à vos si vives et si honnêtes instances ; et je ne veux pas manquer à l’amitié qui nous unit. […] Je ne crains pas non plus que ton autorité soit inférieure à celle que j’ai eue jusqu’à ce jour : mais parce qu’une cité entière est un corps à plusieurs têtes, comme l’on dit, et qu’on ne peut pas être au gré d’un chacun, souviens-toi, au milieu de cette diversité, de suivre toujours le dessein que tu jugeras le plus honnête, et d’avoir égard à l’intérêt de tous plutôt qu’à l’intérêt d’un seul. » Il donna ensuite des ordres pour ses funérailles, pour qu’elles se fissent à l’instar de celles de son aïeul Côme, dans la mesure enfin qui convient à un simple particulier. […] Nous n’avons pas souvenir qu’il y ait jamais eu un tel concours de mortels de tous les rangs, de toutes les classes. […] Si je l’ai prolongé, c’est d’abord par le désir de vous être agréable et de vous obéir, à vous si excellent, si savant, si sage, si bien mon ami, dont le zèle pour tout ce qui tient à ce grand homme se serait difficilement contenté, si j’avais été plus court ; enfin, poussé par une certaine douceur amère et, le dirai-je, par une foule de démangeaisons, à faire un retour sur le souvenir de ce grand homme et à m’y complaire.

488. (1917) Les diverses familles spirituelles de la France « Chapitre vi »

En juillet 1914, quand la question serbe s’est posée, on est parti du vote de la fédération parisienne, où l’on a voté à la quasi-unanimité la grève générale en cas de guerre, et quelques jours après, fin juillet, à Lyon, Jaurès lançait la fameuse phrase que si la guerre arrivait tout de même, la France se souviendrait non point de son alliance avec l’empire russe, mais de son contrat avec l’humanité.‌ […] Un souvenir de Jaurès planait sur l’ensemble du parti et faisait barrage à cette manœuvre. […] Pour le moment, j’attends dans une jolie petite ville de Bourgogne l’ordre de partir faire bravement mon devoir de Français et de bon citoyen, ordre qui ne tardera guère… Si je n’en reviens pas, conservez le souvenir de votre instituteur qui vous a bien aimés et qui vous embrasse tous en vous invitant à crier ; « Vivent les Républiques et les Peuples libres !  […] Ses amis se souviennent de lui, aussi loin qu’ils regardent, comme d’un homme fait. […] » Pour ma part, j’ai pris, pendant cette lutte, plus d’une colère dont j’ai gardé le souvenir, mais qu’ont bien désarmée la belle tenue, le courage patriotique pendant la guerre, de ces agités, hier encore ennemis de toute discipline et pacifistes à l’excès.‌

489. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Première partie. — Chapitre XI. »

Je le révèle ce bain homicide. » À cette vision de mort se mêle tout à coup un retour de poésie, un ravissant souvenir de Troie, dans la bouche de Cassandre : « Ô noces de Pâris, fatales à ses amis ! […] Quoi qu’il en soit, un autre souvenir rapide, jeté par Plutarque, nous laisse un regret. […] tu es venu vers le magnifique haras de cette terre féconde en coursiers, vers cette, Colone à la blancheur argentée, où le rossignol soupire ses mélodieux accents sous le vert feuillage. » Mais, si les juges voulurent écouter encore avant d’absoudre Sophocle, jamais ode plus charmante n’avait célébré le ciel, la terre, les souvenirs d’Athènes : « Cette contrée où Bacchus, toujours en fête, se promène entouré du cortège de ses divines nourrices, où, sous une céleste rosée, le narcisse verdoyant se pare chaque jour de gracieuses guirlandes, le narcisse, antique couronne des déesses, et le safran aux fruits dorés, les inépuisables sources du Céphise ne se lassent pas d’y répandre leurs ondes. […] Pourquoi ces discours d’un gouverneur de prince, au lieu du souvenir de cette invisible et divine maîtresse, dont l’innocent Hippolyte croit entendre la voix dans le silence des forêts ? […] Il suffit de quelques souvenirs, pour en rappeler la puissance.

490. (1876) Romanciers contemporains

Pour la plupart d’entre eux, on se souviendra de la lutte, comme on se rappelle longtemps une singulière gageure. Qui gardera le souvenir des coups qu’ils ont portés ? […] Il avait enfoui depuis longtemps dans son souvenir le cadre de son principal roman. […] Pour faire un roman, il lui suffit d’évoquer de lointaines images et de feuilleter dans ses souvenirs. […] je m’en souviendrai de cette dernière classe !

491. (1928) Quelques témoignages : hommes et idées. Tome I

Mais qu’est-ce qu’apprendre, sinon d’abord se souvenir ? […] Ils se doivent du moins de respecter, vis-à-vis l’un de l’autre, leurs communs souvenirs. […] Vous vous souvenez ? […] Mais ces souvenirs intimes sont trop amers à évoquer devant une tombe si soudainement ouverte. […] Neuf fois sur dix, son récit diffère par quelque détail du souvenir que vous gardez.

492. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « M. RODOLPHE TÖPFFER » pp. 211-255

Il faudrait, s’il est de Genève, par exemple, qu’il fît comme s’il n’en était pas, comme s’il n’était que d’une simple province ; il faudrait qu’il fût tout bonnement de la langue de Paris, en ne puisant autour de lui, et comme dans des souvenirs, que ce qu’il y trouverait de couleur locale. […] Mais, au milieu de toutes ces richesses, sur un seul point, si l’on consulte l’histoire littéraire de Genève, il y a presque disette, et dans les listes de Senebier, et dans les souvenirs qui les complètent, on ne rencontre pas, Jean-Jacques à part, un seul romancier célèbre, pas un seul poëte illustre. […] Töpffer répand en ses autographies, et que nous retrouverons littéralement, à dose plus ménagée, dans plus d’un chapitre de ses ouvrages ; j’ai essayé de déguster en souvenir plus d’un fromage épais et fin des hautes vallées, pour me demander si ce n’était pas cela. […] Ce sont, on le voit, comme chez Nodier, des souvenirs romancés de jeunesse, mais moins romancés et avec moins d’habileté. […] Est-il besoin, pour la confirmer, de dire que le fond de ce naturel tableau procède de souvenirs qui appartiennent à la première enfance de l’auteur ?

493. (1862) Portraits littéraires. Tome II (nouv. éd.) « M. de Fontanes »

Mais, à l’époque où naquit le poëte, ce n’étaient plus là que des souvenirs. […] « Souvenez-vous que tous les hommes demandent des places. […] Pour ceux qui s’en souviendraient trop, ne fermons pas sans rompre. […] La tromper en lui retraçant des souvenirs, c’est lui préparer des erreurs pour l’avenir. […] Il a parlé de lui, un peu du bout des lèvres, mais avec convenance, dans ses Souvenirs d’un Sexagénaire, tome I, pages 291-292.

494. (1908) Jean Racine pp. 1-325

Souvenez-vous qu’alors une lettre était quelque chose de bien plus important qu’aujourd’hui. […] Vous vous demanderez : « Pourquoi, plus tard, ne s’en est-il pas souvenu davantage ? […] Tant d’États, tant de mers qui vont nous désunir M’effaceront bientôt de votre souvenir. […] Il se souvient aussi — encore un peu — des leçons de Sénèque, des déclamations d’école sur le juste et l’honnête. […] Voltaire affirme qu’Henriette, en indiquant à Racine le sujet de Bérénice, se souvenait de sa propre aventure avec le roi, et désirait que Racine s’en souvînt.

495. (1896) Journal des Goncourt. Tome IX (1892-1895 et index général) « Année 1892 » pp. 3-94

Elle évoque chez moi le souvenir du pastel de la Rosalba représentant cette svelte et mignonne femme de la Régence, un singe sur le bras. […] Je le revoyais encore… non, j’ai beau chercher, je ne revois plus sa tête, en ce jour… je me souviens seulement sur un drap, d’une main encore vivante, à la maigreur indicible, qu’on m’a fait baiser. […] De cet appartement, où j’ai vu, pour la première fois, ma tante, il ne me reste qu’un souvenir, le souvenir d’un cabinet de toilette, à la garniture d’innombrables flacons en cristal taillé, et, où la lumière du matin mettait des lueurs de saphirs, d’améthyste, de rubis, et qui donnaient à ma jeune imagination, au sortir de la lecture d’Aladin ou la Lampe merveilleuse, comme la sensation du transport de mon être, dans le jardin aux fruits de pierre précieuse. […] Je me souviens qu’elle disait un jour, à propos de je ne sais quel livre : L’auteur a touché le tuf, et cette phrase demeura longtemps dans ma jeune cervelle, l’occupant, la faisant travailler. […] Tout cela s’envole avec la dernière aspiration, et il n’en reste pas un souvenir assez net dans la mémoire, pour se jeter à une table, et fixer, sur le papier, quelque chose de cette fiévreuse inspiration de la cervelle.

496. (1853) Portraits littéraires. Tome II (3e éd.) pp. 59-300

Certes un pareil spectacle, comparé au souvenir touchant de Bianca, a de quoi émouvoir les âmes les plus indifférentes. […] Pourquoi faut-il qu’il ait méconnu sa nullité philosophique et réveillé malencontreusement le souvenir de ses préfaces lourdes et diffuses ? […] Cependant celui qui invente sans se souvenir a par lui-même une plus grande valeur que celui qui se souvient sans inventer. […] Non seulement en transcrivant leurs souvenirs, ils n’ont pas fait une œuvre poétique ; mais il est arrivé, ce qui était facile à prévoir, qu’ils sont demeurés fort au-dessous de leur modèle. […] Dans tout ce que je raconte, l’imagination ne joue pas le plus petit rôle ; je me souviens et j’écris sous la dictée de ma mémoire.

497. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Académie française — Réception de M. de Falloux » pp. 311-316

Au reste, ce début si brillant de la vie politique du comte Molé n’aura pas et ne peut avoir d’autre historien que lui-même ; il a laissé des Mémoires dont les commencements au moins, pour tout ce qui est de cette époque, doivent être achevés, et il aura su joindre, en écrivant ce qu’il racontait si bien, la perfection de son bon goût à la netteté de ses souvenirs. […] Tournez et retournez vos souvenirs comme il vous plaira, c’était un naufrage, et le plus humiliant des naufrages ; la France entière était sur un radeau ; elle avait besoin, après trois années d’expédients et de misères, de se retrouver voguant à pleines voiles sous le plus noble pavillon.

498. (1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « LXXVII » pp. 306-312

Des lecteurs plus fidèles aux souvenirs libéraux et moins désabusés sur le compte de ces doctrines auraient droit de s’étonner pourtant de la facilité avec laquelle l’historien absout le héros. […] Sa Clytemnestre, moins pompeuse, laissera plus de souvenir ; elle a marqué un moment dans les fastes dramatiques de la Restauration.

/ 2496