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41. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Discours préliminaire » pp. 25-70

Il y a quelques rapports entre l’impression qu’elle produit sur nous et le sentiment que fait éprouver tout ce qui est sublime, soit dans les beaux-arts, soit dans la nature physique. […] quelle puissance vengeresse de tous les sentiments généreux ! […] L’éclat de quelques actions pourrait frapper ; mais il faut une progression dans les sentiments pour arriver au plus sublime de tous, à l’admiration. […] Elle n’a plus d’intérêt commun avec leurs succès ; ils ne lui font éprouver que le sentiment de l’envie. […] Que deviendrai-t-on dans un monde où l’on n’entendrait jamais parler la langue des sentiments bons et généreux ?

42. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Deuxième partie. Ce qui peut être objet d’étude scientifique dans une œuvre littéraire — Chapitre II. L’analyse interne d’une œuvre littéraire » pp. 32-46

Mais, pour être littéraire} il faut qu’une œuvre, quelle qu’elle soit, provoque ce genre de plaisir particulier qu’on a nommé le plaisir esthétique ; il faut qu’elle éveille, de façon forte ou légère, un sentiment qui a mille formes et mille degrés, le sentiment du beau. […] § 2. ― L’analyse des sentiments exprimés par l’écrivain est plus riche encore en résultats. […] A considérer leur nature, ces sentiments sont tous des variétés de l’amour ou de la haine. […] Il arrive souvent que la peinture d’un sentiment prédomine dans une œuvre. […] Mais il est rare qu’un écrivain se borne à retracer une seule espèce de sentiments.

43. (1868) Les philosophes classiques du XIXe siècle en France « Chapitre premier : M. Laromiguière »

L’idée de Dieu sera à l’épreuve de toutes les attaques, si elle s’appuie sur le sentiment. […] du sentiment de ce qu’il fait lui-même quand il dispose ses actions pour les conduire vers un but, à l’idée d’une intelligence infinie ? […] Vous lisez un beau roman, vous avez le sentiment de votre attention. […] Vous voyez un hêtre et un charme, vous avez le sentiment de leur ressemblance. […] Vous écoutez un homme qui ment, vous avez le sentiment de sa coquinerie.

44. (1893) Les œuvres et les hommes. Littérature épistolaire. XIII « Le roi Stanislas Poniatowski et Madame Geoffrin »

, et il ajoute, pour l’excuser, cette atténuation à la Sainte-Beuve : « On poussait alors à l’extrême l’expression des sentiments. » Inconcevable disposition d’esprit ! […] Je crois qu’il y avait un sentiment d’une autre nature, lequel y passe à travers les formes de son langage et en les embrasant, et que ce sentiment ne compromet pas trop aux yeux de la postérité cette femme raisonnable, dont le cœur peut-être n’avait jamais battu avant de rencontrer Poniatowski. Pour moi, il m’est impossible de ne pas reconnaître ce sentiment sous les respects adressés au Roi et les tendresses maternelles de la femme âgée à l’homme moins âgé qu’elle, et j’estime même que, tout redouté qu’il soit de M. de Mouy, c’est là un sentiment qui l’honore, cette femme, bien loin de la déconsidérer ! […] Cet amour était digne de l’un et de l’autre… Je ne suis pas aussi sûr du sentiment de Poniatowski que de celui de Madame Geoffrin. Le jet de jeunesse et l’autocratique fantaisie de Catherine II pour Stanislas-Auguste avaient été pour lui un sentiment dont il porta sur son beau et noble front, jusqu’au tombeau, la mélancolie !

45. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome second — Livre cinquième. Principales idées-forces, leur genèse et leur influence — Chapitre deuxième. L’idée de l’espace. Son origine et son action »

Sentiment primordial de la vie incorporée et étendue. — II. […] Rôle du sentiment de la pesanteur. — III. […] Enfin l’extensivité est inhérente au sentiment de la vie corporelle. […] Le sentiment d’extensivité inhérent à la cœnesthésie, quoique distinct du sentiment d’intensité, est tout aussi psychique que ce dernier sentiment. […] Un élément important, quoique trop négligé, dans la genèse de la notion d’étendue, c’est le sentiment de la pesanteur, avec le sentiment de l’équilibre corporel qui en est inséparable.

46. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome premier — Livre troisième. Le souvenir. Son rapport à l’appétit et au mouvement. — Chapitre deuxième. La force d’association des idées »

Ce qui domine l’association des sentiments, ce sont les lois d’analogie et de contraste. Nous venons de voir que les sentiments analogues, par exemple les sentiments tendres, les sentiments douloureux, s’évoquent mutuellement : l’espérance excite la joie, elle rend bienveillant, elle porte à aimer ; l’inquiétude, la tristesse, l’humeur chagrine, la misanthropie vont de pair. L’association des sentiments par similarité s’étend même d’un groupe à l’autre, notamment des sentiments sensoriels aux sentiments esthétiques et moraux, ou invicem. […] Les associations par simple contiguïté sont ici extrinsèques et superficielles : elles sont plutôt des associations de sentiments avec les perceptions concomitantes que des associations de sentiments avec d’autres sentiments ; la vraie loi primordiale est intrinsèque, inhérente à la nature de l’activité mentale et à celle de l’activité nerveuse qui en est la condition. […] Un sentiment ou désir dominateur trouve alors des voies par où il se répand et suscite les représentations adaptées.

47. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Seconde partie — Section 24, objection contre la solidité des jugemens du public, et réponse à cette objection » pp. 354-365

Les hommes ne naissent pas avec la connoissance de l’astronomie et de la physique, comme ils naissent avec le sentiment. […] S’il est des arts dont les productions tombent sous le sentiment, c’est la peinture, c’est la poësie. […] Toute l’exception qu’on puisse alléguer, c’est de dire qu’il est des tableaux et des poëmes dont tout le mérite ne tombe pas sous le sentiment. […] Le sentiment seul ne suffit point pour connoître si l’auteur d’un poëme de philosophie raisonne avec justesse, et s’il prouve bien son systême. […] Toute cette portion du mérite de Lucrece tombe sous le sentiment.

48. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Deuxième partie. Invention — Chapitre premier. De l’invention dans les sujets particuliers »

L’essentiel est de démêler les idées et les sentiments qui constituent le sujet et y sont renfermés comme en bloc. […] Si vous avez l’esprit suffisamment meublé, au premier contact de cette idée générale, des idées, des sentiments qui ont de l’affinité avec elle, s’éveilleront en vous. […] La question particulière d’histoire romaine a fait place à une question générale, qui de nouveau a reçu une forme particulière des idées et des sentiments personnels du poète. […] Et c’est ce sentiment monarchique, si peu romain, si peu conforme à la vérité historique, qui, dans la tragédie, commence à relever Auguste aux yeux du spectateur, et à faire oublier Octave. Éclairé par l’idée générale, on sait dans quelle catégorie d’idées et de sentiments il faut chercher le développement.

49. (1824) Ébauches d’une poétique dramatique « Conduite de l’action dramatique. » pp. 110-232

quelle finesse de sentiment et quel style ! […] Il faut que le sentiment dominant se montre sous des formes toujours nouvelles. […] Le style de sentiment est celui qui tire sa force et sa beauté, de la force même et de la beauté des sentiments et des pensées qu’il exprime. […] Il n’y a pas dix vers qui ne soient en sentiments ou en images. […] N’est-ce pas refroidir l’auditeur, et détruire l’impression du sentiment ?

50. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome premier — Livre deuxième. L’émotion, dans son rapport à l’appétit et au mouvement — Chapitre premier. Causes physiologiques et psychologiques du plaisir et de la douleur »

C’est donc à la physiologie et à la psychologie qu’il faut demander la raison primitive d’où résulte la connexion du sentiment avec la vie. […] Pourquoi les ténèbres sont-elles liées à un sentiment de tristesse ? […] Pourquoi le sentiment du sublime est-il, comme l’a montré Kant, un mélange de joie et de tristesse ? […] Nous avons ainsi à la fois le sentiment d’une infériorité physique qui nous affaisse et le sentiment d’une supériorité morale qui nous relève ; nous mourons pour ainsi dire dans le monde sensible et renaissons aussitôt dans le monde intelligible, c’est comme le sentiment d’une résurrection sous forme d’éternité : sub specie æterni. […] Comme Spinoza, Kant et Schopenhauer, Schneider a étendu cette loi platonicienne d’essentielle et mutuelle relativité à tous les sentiments, même aux sentiments supérieurs.

51. (1889) Écrivains francisés. Dickens, Heine, Tourguénef, Poe, Dostoïewski, Tolstoï « Conclusions »

Ils font appel de la sorte au sentiment de répulsion, d’horreur, de désespoir que cause cette image de dégradation, mais aussi au sentiment de profonde sympathie, de pitié que cause la vue de cette humanité qui peine et se châtie. […] La peur et la pitié sont assurément les deux sentiments que satisfait la religion, et l’exagération religieuse, qui est le mysticisme, provient probablement aussi d’une exagération de ces deux sentiments, unie à la perversion de la perception dont cette exagération résulte. […] Ce sentiment était encore tel qu’il devait forcément déterminer la conduite de Tolstoï lui-même, aussi bien que toutes ses idées. Les sentiments, nous avons eu l’occasion de le dire à plusieurs reprises, sont l’état de conscience le plus énergique qui soit, parce qu’ils sont nos peines et nos joies. […] Ailleurs ces analogies de sentiment sont troublées par le parisianisme, la subtilité artificieuse de l’auteur.

52. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Première partie. Préparation générale — Chapitre II. De la sensibilité considérée comme source du développement littéraire »

Il arrive qu’un sentiment violent, agitant toute l’âme, ébranlant à la fois tous les ressorts de l’intelligence et du cœur, arrache à un homme un cri sublime, qui fait l’admiration des âges et justifie le célèbre dicton. […] Que de fois est-il arrivé qu’un sentiment généreux, même héroïque, n’a trouvé qu’une locution triviale, une grossière injure pour s’exprimer ! […] Surtout quand on veut séparer l’esprit du cœur et ne pas faire appel à son intelligence pour traduire ses sentiments, on est vite à court, et très embarrassé de parler ou d’écrire. […] Une fois le mot écrit, qui est la notation exacte du sentiment, le cœur qui déborde ne trouve plus rien à dire. […] Si une passion est contrariée, mille idées, regrets du passé, espérances et craintes de l’avenir, délibérations et projets, viennent le soutenir et comme donner un corps au sentiment vague et flottant de sa nature.

53. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome second — Livre sixième. La volonté — Chapitre premier. Existence de la volonté »

Le sentiment de l’effort. […] Si j’entends la même symphonie de Beethoven, elle n’éveille pas en moi la même symphonie de sentiments. […] Nous avons encore le sentiment de la transition même ou du changement. […] Par-là, ils méconnaissent le sentiment de la transition et rendent impossible la conception du temps. […] D’où provient donc le sentiment d’effort ?

54. (1895) Histoire de la littérature française « Cinquième partie. Le dix-huitième siècle — Livre II. Les formes d’art — Chapitre III. Comédie et drame »

Il a découvert et décrit tout ce réseau subtil de sentiments entre-croisés qui forme l’unité apparente du sentiment ; il a noté toutes ces petites nuances, ces imperceptibles mouvements qui en indiquent les états passagers et les degrés successifs. […] Destouches est le témoin d’une modification-profonde qui s’est produite dans le sentiment du public. […] On appelle de ce nom au xviiie  siècle la réflexion de l’intelligence sur les émotions, réelles ou possibles, de la sensibilité : c’est moins le sentiment que la conscience et surtout la notion du sentiment. […] Mais, en même temps, dans cette société le sentiment est rare ; il n’en devient que plus précieux, et transfère sa valeur à l’idée du sentiment, qui est son substitut ordinaire. […] La Chaussée eut un immense succès : les femmes surtout, plus avides de sentiment, se déclarèrent pour lui.

55. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre V. Les contemporains. — Chapitre IV. La philosophie et l’histoire. Carlyle. »

. —  Le sentiment du réel et le sentiment du sublime. […] Le sentiment des choses intérieures (insight) est dans la race, et ce sentiment est une sorte de divination philosophique. […] » Ce sentiment est le fonds même de l’homme. […] Une révolution n’est que la naissance d’un grand sentiment. […] Il y a là un grand sentiment. —  Suis-je un homme juste ?

56. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre X. De la littérature italienne et espagnole » pp. 228-255

Les souvenirs d’une grandeur passée, sans aucun sentiment de grandeur présente, produisent le gigantesque. […] Ils sont esclaves des femmes, et néanmoins étrangers aux sentiments profonds et durables du cœur. […] Dans les comédies de Calderon, de Lopès de Vega, à travers des défauts sans nombre, on trouve toujours de l’élévation dans les sentiments. […] L’italien n’a pas assez de concision pour les idées ; il n’a rien d’assez sombre pour la mélancolie des sentiments. […] La mélancolie, ce sentiment fécond en ouvrages de génie, semble appartenir presque exclusivement aux climats du Nord.

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