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48. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 2, de l’attrait des spectacles propres à exciter en nous une grande émotion. Des gladiateurs » pp. 12-24

Plus les tours qu’un voltigeur temeraire fait sur la corde sont perilleux, plus le commun des spectateurs s’y rend attentif. […] Ce n’étoit point au hazard qu’on avoit armé le gladiateur retiaire d’une façon et le mirmillon d’une autre ; on avoit cherché entre les armes offensives et les armes défensives de ces quadrilles une proportion qui rendît leurs combats plus longs et plus remplis d’évenemens. […] Quand les deux Brutus donnerent aux romains le premier combat de gladiateurs qu’ils eussent vû dans leur ville, les romains étoient déja civilisez : mais loin que l’humanité et la politesse des siecles suivans aïent dégoûté les romains des spectacles barbares de l’amphithéatre, au contraire elles les en rendirent plus épris. […] Il a même rendu capables de se tuer ceux des animaux à qui la nature a voulu refuser des armes qui pussent faire des blessures mortelles à leurs semblables, il leur fournit avec industrie des armes artificielles qui blessent facilement à mort. […] Les hommes riches et ruinez par le jeu passent en nombre les gens robustes que les medecins ont rendus infirmes.

49. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Seconde partie — Section 1, du génie en general » pp. 1-13

Si cet enthousiasme divin, qui rend les peintres poëtes, et les poëtes peintres, manque à nos artisans, s’ils n’ont pas, comme le dit Monsieur Perrault, ce feu, cette divine flâme, l’esprit de notre esprit, et l’ame de notre ame. […] Quelqu’esprit qu’ait un homme, quand il est de sang froid, il ne sçauroit être un bon general, si l’aspect de l’ennemi le rend, ou fougueux ou timide. […] Voilà pourquoi tant de gens vont à la guerre toute leur vie sans se rendre capables d’y commander. […] La nature a voulu répartir ses talens entre les hommes, afin de les rendre nécessaires les uns aux autres, parce que les besoins des hommes sont le premier lien de la societé. […] Il semble même que la providence n’ait voulu rendre certains talens et certaines inclinations plus communes parmi un certain peuple que parmi d’autres peuples, qu’afin de mettre entre les nations la dépendance réciproque qu’elle a pris tant de soin d’établir entre les particuliers.

50. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Seconde partie — Section 27, qu’on doit plus d’égard aux jugemens des peintres qu’à ceux des poëtes. De l’art de reconnoître la main des peintres » pp. 382-388

Nous avons même vû que les beautez de l’exécution pouvoient seules rendre un tableau précieux. Or ces beautez se rendent bien sensibles aux hommes qui n’ont pas l’intelligence de la mécanique de la peinture, mais ils ne sont point capables pour cela de juger du mérite du peintre. […] On verra d’ailleurs par ceque je vais dire concernant l’infaillibilité de l’art de discerner la main des grands maîtres, quelles bornes on doit donner à la prévention qui nous est naturelle en faveur de tous les jugemens rendus par ceux qui font profession de cet art, et qui décident avec autant de confiance qu’un jeune médecin ordonne des remedes. […] On ne connoît pas de même si des coups de pinceau sont étudiez, et l’on ne démêle pas si aisément si le copiste n’a pas retouché et raccommodé son trait pour le rendre plus semblable au trait naturel d’un autre peintre. On est maître en peignant de repasser à plusieurs fois sur son trait afin de le rendre tel qu’on prétend le former : on en est autant le maître, que les anciens l’étoient de reformer leur caractere lorsqu’ils écrivoient sur des tablettes de cire.

51. (1889) Histoire de la littérature française. Tome IV (16e éd.) « Chapitre cinquième »

Cette part nouvelle faite à l’action et au spectacle rendait nécessaire une double réforme du théâtre. […] L’action qui l’emporte le rend indifférent aux discours qui veulent le ramener sur lui-même, en mêlant de la réflexion à son plaisir. […] Laissons-nous aller, et puisque les deux pièces marchent et intéressent, qu’importe que ce soit au prix de quelques convenances qui, pour rendre l’effet plus légitime, l’auraient rendu moins puissant ? […] N’oublions pas, après tout, que tel d’entre eux a rendu populaire plus d’une vérité utile. […] Népomucène Lemercier essaya de retremper la tragédie dans l’étude de l’art grec, et de la rendre plus forte en la rendant plus savante et plus littéraire.

52. (1824) Ébauches d’une poétique dramatique « De la tragédie chez les Anciens. » pp. 2-20

De là, dit Plutarque, il arriva que la tragédie fut détournée de son but, et passa des honneurs rendus à Bacchus, à des fables et à des représentations passionnées. […] comment le rendre sensible autant qu’il doit l’être ? […] En effet, puisque le poème épique fait un corps accompli avec ses justes dimensions, et que par là il est conforme à la nature, il a fallu faire couler cet ordre et cet heureux arrangement dans le spectacle tragique, pour le rendre agréable. […] Cependant c’est le fonds où il faut puiser pour se rendre croyable. […] Il me semble que la plus grande utilité du théâtre est de rendre la vertu aimable aux hommes, de les accoutumer à s’intéresser pour elle, de donner ce pli à leur cœur, de leur proposer de grands malheurs, de fortifier et d’élever leurs sentiments.

53. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XXXVII. Des éloges en Italie, en Espagne, en Angleterre, en Allemagne, en Russie. »

Au reste, de toutes les nations modernes, les Italiens sont peut-être ceux qui ont rendu le plus d’hommage à leurs hommes illustres. […] Tels furent ceux qu’on rendit à la mémoire de Michel-Ange, et qui peignent à la fois l’enthousiasme de son siècle et de sa patrie pour les arts. […] On ne l’aurait pas rendu ; il fallut l’enlever. […] Et, ce qui est un hommage rendu à notre langue, ces éloges se prononcent en français. […] Par un hasard singulier, l’orateur se nommait Platon, et l’on dit que son éloquence ne le rendait pas indigne de porter ce nom célèbre.

54. (1867) Cours familier de littérature. XXIV « CXLIIIe entretien. Littérature cosmopolite. Les voyageurs »

Ce fleuve se jette sous terre entre Ispahan et la ville de Kirman, où il reparaît, et d’où il va se rendre dans la mer des Indes14. […] Le supplice de Saroutaki l’ayant rendu incapable de débauche, il s’attacha aux affaires, et, en dix ans de temps, il se rendit si habile dans les finances, qu’on le fit contrôleur général du vizir ou intendant de Mazenderan, qui est l’Hyreanie, lequel étant venu à mourir, Saroutaki fut mis à sa place. […] Les chambres ont toutes leurs portes, quoique assez faibles, mais elles n’ont point de fenêtres, recevant le jour par la porte et non autrement, ce qui rend le logement incommode. […] Celui dont je viens de faire la description rend seize mille livres par an au propriétaire, qui était, de mon temps, une cousine du feu roi. […] L’un et l’autre s’y rendirent, et ils résolurent d’élever sur le trône le plus jeune des enfants du feu roi au préjudice de l’aîné.

55. (1889) Histoire de la littérature française. Tome II (16e éd.) « Chapitre quatrième »

Tous les deux ne veulent pas moins rendre le faux impossible que le vrai évident. […] De tels combats ne se rendent que là où la résistance est sérieuse. […] Quant à la science, même celle qui a pour objet de rendre la vie meilleure, de quel fruit est-elle, par exemple, pour les pauvres, pour les malades atteints à mort ? […] S’il n’existe pas de vérités intermédiaires qui m’en rapprochent et me les rendent plus présentes, que puis-je faire de cette inaccessible philosophie ? […] Quel péril à ne pas rendre ces vérités assez évidentes ?

56. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre VIII. De l’invasion des peuples du Nord, de l’établissement de la religion chrétienne, et de la renaissance des lettres » pp. 188-214

Cette disposition les rendait courageux pour eux-mêmes, mais cruels pour les autres. […] Ils les aimaient, ils leur étaient fidèles, ils leur rendaient un culte ; ils pouvaient éprouver quelque sensibilité par l’amour. […] Le dogme de la fatalité, qui rend invincible à la guerre, abrutissait pendant la paix. […] Le paganisme n’avait rien dans ses bases et dans ses principes qui pût le rendre maître de tels hommes. […] Mais le genre d’esprit qui rend propre à l’étude des sciences, se formait par les disputes sur les dogmes, quoique leur objet fût aussi puéril qu’absurde.

57. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Académie française — Réception de M. Biot » pp. 306-310

En commençant, il a rendu au premier empereur une justice à quelques égards éclatante, et il est impossible de ne pas remarquer combien cette grande figure de Napoléon gagne chaque jour dans la perspective : ceux qui l’on combattu à l’origine n’ont plus, même quand ils le jugent, que le langage magnifique de l’histoire. […] Une réflexion toutefois qu’on ne pouvait s’empêcher de faire en assistant aujourd’hui à cette fête de l’esprit, c’est que si pareil intérêt est excité par une réunion académique, si des hommes qui autrefois se sont combattus dans l’arène parlementaire, et qui n’ont certes pas été exempts d’injustices les uns envers les autres, étaient assis là sur le même banc, tout prêts à écouter et à applaudir une parole élevée, à jouir d’un noble talent ; si bien des préventions, des colères ont complètement disparu, et si les esprits, délivrés des craintes et comme désintéressés de leurs propres passions, s’étaient donné là rendez-vous dans un concours d’admiration et de bienveillance, on le devait à quelqu’un et à quelque chose. […] Ne disons donc pas, éternels ingrats, qu’il est inutile ou indifférent au développement de l’esprit, cet ordre stable et ce gouvernement qui seul rend possibles ce que j’appelais tout à l’heure les fêtes de l’esprit ; car je n’y vois et n’y veux voir que cela. […] Lacretelle qui traitent des différentes époques de la Révolution ont l’intérêt de mémoires ; elles rendent les impressions d’un honnête homme, sympathique, mobile, toujours sincère, et dont la plume conserve la vivacité et le coulant de la parole. […] Dans le respect que nous avons pour de nobles pensées rendues avec énergie, il nous sera permis toutefois de faire remarquer que si c’est une politique positive qui doit sortir de telles études et de telles méditations, il importe fort de ne la point puiser trop haut.

58. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « Les fondateurs de l’astronomie moderne, par M. Joseph Bertrand de l’académie des sciences. »

Aujourd’hui il a essayé dans une suite de notices claires, aisées, agréables, de nous rendre présentes et vivantes les figures des pères et fondateurs de l’astronomie moderne, Copernic, Képler, Galilée, Newton, et de nous donner idée de leurs travaux. […] Reportons-nous par la pensée au moment même où l’ouvrage parut, cet ouvrage si neuf, tout rempli et comme émaillé de vues philosophiques et scientifiques élevées, rendues avec piquant, avec imprévu, et se faisant accepter en faisant sourire. […] Ainsi Fontenelle, sous cette forme frivole, a rendu, à un moment donné, un notable service à la raison. Mais, ce service une fois rendu, il ne faudrait pas essayer de lui emprunter cette forme qui n’est plus de saison et qui, chez d’autres que lui, ne serait que minauderie et grimace. […] Il est le premier en France qui ait rendu les résultats de la science clairs, intelligibles, et, qui plus est, aimables, trop aimables même ; car il y a là, je le répète, un certain désaccord de goût.

59. (1892) Boileau « Chapitre II. La poésie de Boileau » pp. 44-72

Mais il rend ce qu’il a perçu de la nature, comme il l’a perçu. […] Et entendons bien ce que veut dire ici le mot de réaliste : Boileau sait voir et rendre. Mais pour rendre, il faut qu’il ait vu, effectivement, réellement. […] C’est là qu’il a tâché de rendre la nature qu’il avait vue, telle qu’il l’avait vue. […] Cela est purement pittoresque ; ce n’est que la réalité fortement, fidèlement, sérieusement rendue.

60. (1895) Histoire de la littérature française « Quatrième partie. Le dix-septième siècle — Livre III. Les grands artistes classiques — Chapitre II. Boileau Despréaux »

Ce bourgeois positif et raisonnable a des sens et des sensations d’artiste : il s’intéresse aux choses extérieures, il a le don de les voir, et le don de les rendre. […] Et il a une précision, une vigueur, parfois une finesse de rendu qui sont d’un maître. […] Mais les battus n’étaient pas contents, et rendirent coup pour coup. […] Ils sont grands, parce qu’ils sont vrais : ils ont su voir, ils ont su rendre la nature. […] Ainsi ils peuvent nous enseigner à voir et à rendre.

61. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 35, de la mécanique de la poësie qui ne regarde les mots que comme de simples sons. Avantages des poetes qui ont composé en latin sur ceux qui composent en françois » pp. 296-339

Pour rendre amatus fui, il faut que nous disions, j’ai été aimé. […] Le traducteur est donc réduit à se servir de periphrase, et à ne pouvoir rendre qu’en plusieurs mots ce que l’écrivain françois a pu dire par un seul mot. […] Or rien ne sert plus à rendre une phrase énergique, que sa brieveté. […] L’observation de ces regles ne rend pas les vers ni nombreux ni mélodieux. […] Mais revenons à l’usage de mettre en oeuvre la combinaison des syllabes bréves et des syllabes longues pour rendre les phrases nombreuses et cadencées.

62. (1861) Cours familier de littérature. XI « LXIIIe entretien. Cicéron (2e partie) » pp. 161-256

Il s’éleva aux causes politiques, les seules qui rendent historique le nom d’un orateur. […] le moment où je les ai vus naître m’a causé moins de joie qu’aujourd’hui qu’ils me sont rendus. […] Vous me l’avez rendu, après qu’il m’a donné des preuves admirables de sa tendresse pour moi. […] Les dieux immortels m’ont accordé des enfants : vous me les avez rendus. […] « Qu’on ne me rende point de funèbres hommages, dit-il encore.

63. (1824) Notes sur les fables de La Fontaine « Livre premier. »

Il est plaisant de mettre la morale dans la bouche de celui qui profite de la sottise : c’est le renard qui donne la leçon à celui qu’il a dupé, ce qui rend cette petite scène, en quelque sorte, théâtrale et comique. […] Si Phèdre a voulu faire voir qu’une association avec plus fort que soi est souvent dangereuse ; il y avait une grande quantité d’images ou d’allégories qui auraient rendu cette vérité sensible. […] À proprement parler, cette pièce n’est pas exactement une fable, c’est un récit allégorique ; mais il est si joli et rend si sensible la vérité morale dont il s’agit, qu’il ne faut pas se rendre difficile. […] Le roseau, dans sa réponse, rend d’abord justice à la bonté du cœur que le chêne a montrée. En effet, il n’a pas été trop impertinent, et il a rendu aimable le sentiment de sa supériorité.

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