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433. (1896) Le livre des masques

Maeterlinck aperçoit cette aurore, parce qu’il regarde en lui-même et qu’il est lui-même une aurore, mais s’il regardait l’humanité extérieure, il ne verrait que l’immonde appétit socialiste des auges et des étables. […] Ceux-là qui ne portent pas en eux l’âme de tout ce que le monde peut leur montrer, auront beau le regarder : ils ne le reconnaîtront pas, toute chose n’étant belle que selon la pensée de celui qui la regarde et la réfléchit en lui-même. […] Il regarde, il écoute, il flaire, il chasse l’oiseau, le vent, la fleur, l’image. […] Ces arbres m’adopteront peu à peu, et pour le mériter, j’apprends ce qu’il faut savoir : « Je sais déjà regarder les nuages qui passent. […] Maintenant, fatigué d’avoir regardé les visages hypocrites des hommes, il regarde des pierres, préparant un livre suprême sur « La Cathédrale ».

434. (1900) La vie et les livres. Cinquième série pp. 1-352

Cet oiseau était perché sur une corniche et le regardait fixement. […] Un petit frisson m’a passé et j’ai regardé M.  […] Regardons de près les philtres de ce dangereux sorcier. […] Il est dangereux de regarder trop longtemps couler un fleuve. […] Pierre Nozière, dans son coin, regarde cette comédie.

435. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Marivaux. — I. » pp. 342-363

Sort-il du spectacle un jour de première représentation, il s’amuse à regarder passer le monde, les jolies femmes qui font les coquettes, les laides qui n’ont pas moins de prétention et qui trouvent moyen de faire concurrence aux jolies, les jeunes gens aussi, qui font les beaux ; il s’amuse à interpréter ce que signifient toutes ces mines qu’il voit à ces visages, ces grands airs et ces maintiens complaisants ; il leur fait tenir de petits discours intérieurs bien précieux, bien vaniteux, qu’il déduit par le menu : Ce petit discours que je fais tenir à nos jeunes gens, on le regardera, dit-il, comme une plaisanterie de ma part. […] C’est ici que commence, à proprement parler, le roman : chaque événement va y être détaillé, analysé dans ses moindres circonstances, et la quintessence morale s’ensuivra : « Je ne sais point philosopher, dit Marianne, et je ne m’en soucie guère, car je crois que cela n’apprend rien qu’à discourir. » En attendant et en faisant l’ignorante et la simple, elle va discourir pertinemment sur toutes choses, se regarder de côté tout en agissant et en marchant, avoir des clins d’œil sur elle-même et comme un aparté continuel, dans lequel sa finesse et, si j’ose dire, sa pédanterie couleur de rose lorgnera et décrira avec complaisance son ingénuité. […] C’est le propre encore de chaque personnage de Marivaux d’être ainsi doublé d’un second lui-même qui le regarde et qui l’analyse : J’étais alors assise, dit-elle, la tête penchée, laissant aller mes bras qui retombaient sur moi, et si absorbée dans mes pensées, que j’en oubliais en quel lieu je me trouvais.

436. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « Entretiens sur l’architecture par M. Viollet-Le-Duc (suite et fin.) »

Longtemps on s’est plu à regarder la cathédrale de Cologne, qui est une imitation de celles d’Amiens et de Beauvais, et qui leur est postérieure de près de cinquante ans, « comme le prototype de l’art gothique ». […] Là, montre-moi ce miroir ; regarde derrière, et moi devant. […] » — « Madame, j’ai beau regarder, je ne vois plus rien à retoucher. […] Or cela est tout à fait inexact en ce qui regarde M. 

437. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « LE COMTE XAVIER DE MAISTRE. » pp. 33-63

comme tous les modèles, sourit à la fois à chacun de ceux qui regardent et a l’air de ne sourire qu’à un seul : pauvre amant qui se croit uniquement regardé ! […] xxxv), cherchée, cueillie autrefois si fraîche dans la serre un jour de carnaval, avec tant d’émotion, offerte à Mme Hautcastel à l’heure du bal, et qu’elle ne regarde même pas ! […] Le plus ancien de ces pieux cadets dont nous parlons est assurément Ménélas, le bon Ménélas, duquel Agamemnon disait : « Par moments il s’arrête et ne veut pas agir, non qu’il cède à la paresse ou à l’imprudence, mais il me regarde et il attend : » ’Аλλ’ ἑρἑ τ’ ɛισορóωу xαὶ ἕμην πϲτιδέγμενος óρμýν.

438. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre XXXVII et dernier » pp. 442-475

La liaison du roi avec madame de Maintenon inquiétait plus madame de Montespan que celle de madame de Fontanges, qu’elle regardait comme une fantaisie, et dont elle ignorait toujours l’importante conséquence. […] Les Bossuet, les Fléchier, les Fénelon la regardaient comme l’élite de leurs troupeaux : elle regardait ces prélats comme les consécrateurs de la morale qu’elle pratiquait, comme les missionnaires chargés de lui donner la sanction religieuse. […] J’écris pour les historiens, et je me crois plus obligé à une exactitude scrupuleuse que si j’étais historien moi-même ; or il est de fait que je n’ai trouvé aucun document historique sur le personnel de madame de Maintenon à l’âge de quarante-cinq ans ; mais comme j’aime autant qu’un autre à me la figurer agréable, j’emprunterai ici la peinture que madame de Genlis en a faite : j’aimerais à la croire vraie, quoique je sois eu droit de la regarder comme un ouvrage d’imagination.

439. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « La Grande Mademoiselle. » pp. 503-525

Pendant que j’y étais et que le prince était à mes pieds, mon cœur le regardait du haut en bas aussi bien que mes yeux ; j’avais alors dans l’esprit d’épouser l’empereur… Je ne regardais plus le prince de Galles que comme un objet de pitié. […]  » Quand elle alla trouver ce lâche père pour savoir s’il avait ordre en effet de quitter le Luxembourg, et ce qu’elle avait à faire elle-même, il lui dit qu’il ne se mêlait point de ce qui la regardait, et il désavoua tout ce qu’elle avait fait en son nom : Ne croyez-vous pas, Mademoiselle, reprit-il avec cette ironie méprisante et couarde qui lui était familière, que l’affaire de Saint-Antoine ne vous ait pas nui à la Cour ? […] Lorsque je lui fis mon compliment, raconte-t-elle, il me dit qu’il était bien persuadé de l’honneur que je lui faisais de prendre part aux bontés que le roi avait pour lui. » Ce simple mot la transporte : « Je commençais dans ce temps-là à le regarder comme un homme extraordinaire, très agréable en conversation, et je cherchais très volontiers les occasions de lui parler. » Elle commençait à s’ennuyer vaguement dès qu’elle ne le voyait plus : « Cet hiver, dit-elle (1669), sans savoir quasi pourquoi, je ne pouvais souffrir Paris ni sortir de Saint-Germain. » Chaque jour elle lui trouvait plus d’esprit et d’agrément quand elle parvenait à l’entretenir dans quelque embrasure de croisée, ce qui n’était pas toujours facile à cause de l’étiquette et du rang.

440. (1889) L’art au point de vue sociologique « Introduction »

— A y regarder de plus près, la métaphysique n’est point aussi subjective, aussi formelle, aussi individualiste qu’elle le semblait d’abord, car ce qu’elle cherche dans le sujet pensant lui-même, c’est l’explication de l’univers, c’est le lien qui relie l’existence de l’individu au tout. […] Les sensations et les sentiments sont, au premier abord, ce qui divise le plus les hommes ; si on ne « discute » pas des goûts et des couleurs, c’est qu’on les regarde comme personnels, et cependant, il y a un moyen de les socialiser en quelque sorte, de les rendre en grande partie identiques d’individu à individu : c’est l’art. […] Il y a de la poésie dans la rue par laquelle je passe tous les jours et dont j’ai, pour ainsi dire, compté chaque pavé, mais il est beaucoup plus difficile de me la faire sentir que celle d’une petite rue italienne ou espagnole, de quelque coin de pays exotique. » Il s’agit de rendre de la fraîcheur à des sensations fanées, « de trouver du nouveau dans ce qui est vieux comme la vie de tous les jours, de faire sortir l’imprévu de l’habituel ;  » et pour cela le seul vrai moyen est d’approfondir le réel, d’aller par-delà les surfaces auxquelles s’arrêtent d’habitude nos regards, d’apercevoir quelque chose de nouveau là où tous avaient regardé auparavant. « La vie réelle et commune, c’est le rocher d’Aaron, rocher aride, qui fatigue le regard ; il y a pourtant un point où l’on peut, en frappant, faire jaillir une source fraîche, douce à la vue et aux membres, espoir de tout un peuple : il faut frapper à ce point, et non à côté ; il faut sentir le frisson de l’eau vive à travers la pierre dure et ingrate. » Guyau passe en revue et analyse finement les divers moyens d’échapper air trivial, d’embellir pour nous la réalité sans la fausser ; et ces moyens constituent « une sorte d’idéalisme à la disposition du naturalisme même ». […] Au fond, il demeure convaincu que tout ce qui, dans les choses et les êtres, nous laisse indifférents, ou même nous irrite, est simplement incompris, et qu’il suffirait de trouver la vraie raison des choses pour les regarder d’un œil affectueux ou indulgent.

441. (1868) Curiosités esthétiques « VII. Quelques caricaturistes français » pp. 389-419

Il s’est servi d’un procédé simple et modeste : il a regardé, il a écouté, puis il a raconté. […] sans regarder le nom. […] On regarde, on a compris. […] Un échantillon entre mille : vous rappelez-vous cette grande et belle fille qui regarde avec une moue dédaigneuse un jeune homme joignant devant elle les mains dans une attitude suppliante ?

442. (1896) Le IIe livre des masques. Portraits symbolistes, gloses et documents sur les écrivains d’hier et d’aujourd’hui, les masques…

Mauclair regarde et songe. […] Ainsi, il élève à côté de l’église des dogmes une chapelle sans dôme, d’où on voit le ciel sans regarder à travers des nuages d’encens. […] L’œil de celui qui regarde est au niveau de la douleur humaine, un peu plus haut : alors, tout s’exalte et les mots pleurent avec sérénité. […] que j’te regarde… ah ! […] Zola regardait la lune se jouer sur l’onde azurée du ruisseau bordé de saules où Ninon, chantant une barcarolle, prend un bain sentimental.

443. (1895) Les mercredis d’un critique, 1894 pp. 3-382

BRESSOL. — Que tu regardes ? […] dira-t-on, tout cela ne le regarde point.” […] « Sans ouvrir la bouche, je le regardais ! […] Les travaux furent suspendus et l’on se regarda avec incertitude. […] Regarde-les, tes bleues prunelles !

444. (1924) Critiques et romanciers

Regardez leur allure : ce ne sont plus des gens qui baguenaudent. […] Mais regardons-y à deux fois. […] Si je regarde en l’air, le soleil brûle mes yeux. […] » On le regardait, avec décence. […] Regarde cette cendre, dans le loyer.

445. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « Études sur Blaise Pascal par M. A. Vinet. »

Vinet consiste à montrer qu’en mettant à part la qualité si incomparable du talent, tout homme a dans Pascal un semblable et un miroir, s’il sait bien s’y regarder. […] Oui, je désire être lu, et je vous remercie de m’avoir aidé à l’être ; il ne m’est pas permis d’être modeste aux dépens de la cause que je sers ; d’ailleurs on verra bientôt, si l’on y regarde, que ces doctrines, qui font la vraie valeur de mon livre, ne sont pas à moi.

446. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Première partie. Préparation générale — Chapitre VII. Éducation de la sensibilité »

Mais il faudrait pousser la réflexion à un degré où elle va rarement, et peu d’hommes ont souffert de cette double vie morale, où l’on s’empêche d’agir à force de se regarder faire. […] Il était impossible de lire distraitement même un roman, de tourner les pages avec une langueur somnolente, en sautant tout ce qui prend l’air sérieux : dans ces formidables romans en dix tomes, diffus, interminables, bourrés de conversations et de dissertations, débordant de distinctions et d’analyses, l’histoire, les faits étaient peu de chose, et s’ils offraient à la curiosité frivole l’attrait de l’actualité et des allusions, c’était par les caractères finement dessinés, dont il fallait regarder de près les ressemblances.

447. (1765) Essais sur la peinture pour faire suite au salon de 1765 « Tout ce que j’ai compris de ma vie du clair-obscur » pp. 26-33

Et réciproquement, s’il arrive que le peintre nous répète le même enchantement sur la toile, il semble que nous regardions l’effet de l’art comme celui de la nature. […] Regardez attentivement les limites et même la masse de l’ombre d’un corps blanc, et vous y discernerez une infinité de points noirs et blancs interposés.

448. (1860) Ceci n’est pas un livre « Les arrière-petits-fils. Sotie parisienne — Premier tableau » pp. 180-195

Regarde. « On vient de découvrir… Droits à percevoir… » Et plus bas : « Hier, une foule innombrable… Légataire universel… Au théâtre de l’Odéon… » […] Cascaret, Poupardot, Nichot, Bidault, se regardent.)

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