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1921. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « Le duc de Rohan — II » pp. 316-336

Quelques hommes qui avaient assez de sagesse et de fermeté de raison pour l’entendre et en devancer de loin les solutions, parlaient à des sourds, et quand ils essayaient, comme L’Hôpital, d’introduire publiquement la modération par des édits, ils ne faisaient que prêter des armes immédiates aux passions. […] Gardons-nous d’oublier que ceux qui n’ont pas réussi ont contre eux bien des apparences et des commencements équivoques qui auraient un tout autre air moyennant une autre issue : un rayon de soleil tombant à propos change bien les aspects. « Mais pour ce que les histoires, dit quelque part Rohan, ne se font que par les victorieux, nous ne voyons ordinairement d’estimes que les enfants de la fortune. » Tout cela est vrai ; et toutefois c’est bien Richelieu qui dans cette lutte a raison, et qui a la conscience de la grande cause qu’il sert, de la noble monarchie qu’il continue, et de la France incomparable qu’il achève. […] Son mauvais goût a quelque chose de celui de Chateaubriand ; c’est un mauvais goût qui séduit et qui, par moments, enlève plus que la raison froide ; il sent l’oriflamme.

1922. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « Œuvres de Frédéric-le-Grand Correspondance avec le prince Henri — II » pp. 375-394

Il réitère à ce propos, comme en mainte autre occasion, sa profession de foi en ces matières spéculatives : « Vous avez grande raison de dire, mon cher frère, qu’on ne fera pas de grands progrès dans la métaphysique ; c’est une région où il faudrait voler, et nous manquons d’ailes. » Frédéric ne se laisse pas enlever volontiers jusqu’à la région des étoiles : il craint trop les nuages. […] La raison nous fait voir la nécessité du mal et l’inutilité du remède. […] Malgré ces résistances et ces raisons qui nous font l’effet d’être assez maussades, le prince Henri se décide, et il a le commandement d’une armée en Saxe contre Loudon.

1923. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Histoire de l’Académie française, par Pellisson et d’Olivet, avec introduction et notes, par Ch.-L. Livet. » pp. 195-217

Les raisons qui furent données dans cette occasion, et celles, en général, qui se produisirent dans d’autres discussions particulières, Pellisson nous les déduit d’ordinaire en de petits discours indirects imités de ceux de Tite-Live, et qui n’en semblent pas moins à leur place. […] Voilà les termes de Chapelain se moquant de Voiture avec raison, et cette fois, il en devient presque léger. […] Il est même arrivé quelque chose de mémorable dans l’Académie à cette occasion : c’est que n’y ayant dans cette compagnie que les trois officiers, le directeur, le chancelier, et le secrétaire, qui eussent des fauteuils, les cardinaux, à qui l’on n’en voulait pas accorder, à moins qu’ils ne fussent dans l’une des trois charges, refusaient par cette raison d’assister aux assemblées.

1924. (1866) Nouveaux lundis. Tome V « Mémoires de l’abbé Legendre, chanoine de Notre-Dame secrétaire de M. de Harlay, archevêque de Paris. (suite et fin). »

Sa maxime était « de tourner les choses de manière qu’en donnant gain de cause à celui qui avait raison, son adversaire eût cependant lieu, par quelques endroits, de se consoler d’être vaincu. » Aux difficultés qu’il rencontrait en cette tâche ingrate d’arbitre et de pacificateur des couvents, il lui arriva cependant de dire plus d’une fois qu’il était moins aisé de remettre la paix parmi les religieux et les réguliers que de ramener au devoir les prêtres séculiers. […] Il appréhendait que « ces discours qui avaient charmé dans sa bouche n’eussent pas le même succès quand ils seraient sur le papier. » Legendre, qui avait eu l’idée de les rédiger, est forcé de convenir que le prélat avait raison : « J’ai de lui des sermons qui avaient charmé quand il les avait prononcés et qui réellement ne m’ont paru, en les lisant, que des pièces assez ordinaires. » Les fameuses Conférences restèrent donc à l’état de pure renommée et de souvenir ; si glorieuses qu’elles fussent pour le prélat, elles avaient cessé du jour où il avait pensé que l’effet était produit et son nom remis suffisamment en honneur. […] Dans un grand nombre d’affaires qu’on traita dans cette Assemblée, quoiqu’il parlât et dît son sentiment après tous les autres, il trouvait toujours de si fortes et nouvelles raisons, qu’il était bien difficile de ne pas se rendre à ses décisions. » Tel était, dans l’entière vérité du portrait, l’homme dont on n’a pas à dissimuler les faibles, mais dont il faut reconnaître, avec tous les contemporains éclairés, la supériorité et l’espèce de génie53.

1925. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Catinat (suite.). Guerre des Barbets. — Horreurs. — Iniquités. — Impuissance. »

Le duc de Savoie ne se portait pas de gaieté de cœur à une telle guerre ; bien des fois la Cour de Turin avait essayé d’avoir raison de ces petites tribus croyantes et n’y avait pas réussi. […] Les premières instructions qui lui furent données étaient restreintes et conditionnelles : détruire les Barbets d’abord, traverser le Piémont, porter la contribution dans le Milanais en assurant par l’occupation des postes nécessaires ses communications avec Pignerol ; puis, par de secondes instructions plus circonstanciées, on lui recommandait d’avoir raison à Turin des tergiversations du duc que l’ambassadeur du roi, M. de Rébenac, ne serrait point d’assez près ; de forcer ce prince à donner satisfaction au roi sur les points en litige, tels que l’envoi des régiments Piémontais en France, et la remise immédiate de deux places fortes, Verrue et surtout la citadelle de Turin, le menaçant de toute la sévérité du roi s’il n’obtempérait. […] Aucun sentiment étranger à la pure raison et à l’amour de son art ne perce dans ces critiques du précurseur de Saint-Cyr et de Jomini.

1926. (1869) Nouveaux lundis. Tome XI « Mémoires de Malouet (suite.) »

Necker, au contraire, par toutes sortes de raisons plausibles, s’en tint à la non-intervention des ministres dans les préliminaires des États généraux : il crut par là faire d’autant mieux apprécier la pureté des intentions du roi. […] Necker, « il ne disait rien et regardait le plafond, suivant son habitude » ; et l’on a cru remarquer en effet que d’ordinaire l’horizontalité de son front était en raison directe de l’incertitude de son esprit90. […] Si l’incompréhensibilité des mystères révélés épouvantait ma raison, les merveilles de la nature me démontraient évidemment son auteur et l’existence d’un ordre moral à côté de l’ordre physique.

1927. (1870) Nouveaux lundis. Tome XII « Essai sur Talleyrand (suite.) »

Avait-il raison, au contraire, comme le soutient sir Henry Bulwer, de saisir avec habileté le joint et de ne pas manquer l’occasion de diviser tes grandes puissances ? […] S’engager ou du moins persister dans une lutte où tout le monde se croit intéressé, c’est une faute, et aujourd’hui toutes les fautes politiques sont dangereuses. » Le bon sens de M. de Talleyrand, ces jours-là, s’élevait à toute sa hauteur et égalait, même en gravité, la raison d’un Royer-Collard. […] Voici une strophe que j’ai placée dans ma mémoire. — Je la trouve très belle : vous direz si j’ai tort ou raison ; je vous croirai.

1928. (1872) Nouveaux lundis. Tome XIII « Le général Jomini. [III] »

Sa santé, qui ne fut jamais robuste, avait souffert dans cette campagne d’hiver, et le 8 mars 1807, du quartier général d’Osterode, Berthier avisait le ministre directeur de l’administration de la guerre « d’un congé de quatre mois pour raison de santé, accordé par l’Empereur au colonel Jomini, attaché à l’état-major impérial. » Le 9 avril, il était dans son pays natal, à Payerne, hésitant entre les eaux de Baden et celles de Schinznach. […] Aussi, dès que Jomini eut allégué au nom du maréchal, pour raison de sa conduite, la prévision d’une entreprise possible de la part de Wellington : « Voilà bien comme sont les tacticiens ! […] vous aviez raison : les Anglais sont sortis du Portugal, et, qui pis est, c’est qu’ils ont battu ce maladroit de Jourdan !

1929. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « M. de Sénancour — M. de Sénancour, en 1832 »

Si l’on cherche la raison de cet oubli bizarre, de cette inadvertance ironique de la renommée, on la trouvera en partie dans le caractère des débuts de M. de Sénancour, dans cette pensée trop continue à celle du xviiie siècle, quand tout poussait à une brusque réaction, dans ce style trop franc, trop réel, d’un pittoresque simple et prématuré, à une époque encore académique de descriptions et de périphrases ; de sorte que, pour le fond comme pour la forme, la mode et lui ne se rencontrèrent jamais ; — on la trouvera dans la censure impériale qui étouffa dès lors sa parole indépendante et suspecte d’idéologie, dans l’absence d’un public jeune, viril, enthousiaste ; ce public était occupé sur les champs de bataille, et, en fait de jeunesse, il n’y avait que les valétudinaires réformés, ou les fils de famille à quatre remplaçants, qui vécussent de régime littéraire. […] Mais jugeant que la raison et la foi sont chez l’homme inconciliables et sans rapport réel, lisant dans l’histoire que la tradition révélée anathématise le reste, il oppose d’ordinaire une aversion un peu rancuneuse à la foi et à la tradition. […] Notre contemporain a raison de se donner après eux comme un nouvel interprète des maximes de la loi perpétuelle : les vérités, en passant par sa bouche, empruntent une autorité bien persuasive ; on apprécie mieux la suavité de ce baume, connaissant les amertumes anciennes d’où il l’a su tirer ; le solitaire des Rêveries, m’élevant avec lui vers Dieu, me transporte plus puissamment que Necker n’y réussirait tout d’abord.

1930. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « M. ALFRED DE MUSSET. » pp. 177-201

M. de Musset a cavalièrement raison contre eux tous dans la stance suivante : J’aime surtout les vers, cette langue immortelle. […] Mais, indépendamment de ces talents établis qui poursuivent leur œuvre, en la modifiant la plupart, et avec raison, selon une pensée sociale, voilà qu’il s’élève et se dresse une troisième génération de poëtes, dont on peut déjà saisir la physionomie distincte et payer l’effort généreux. […] Rotrou fit de même devant Corneille. — A plus forte raison la critique le doit-elle faire à l’égard des œuvres de prix qui se succèdent.

1931. (1861) La Fontaine et ses fables « Troisième partie — Chapitre II. De l’expression »

. ; et tout cela a sa raison. […] Par la même raison, il évite les inversions poëtiques. […] Il a aimé le rythme vrai, comme tout à l’heure le style vrai ; il a été artiste jusqu’au fond, dans la versification, comme dans le dictionnaire ; il n’a songé qu’à rendre son idée sensible, et il a eu raison, car c’est la meilleure moitié de l’art.

1932. (1887) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Troisième série «  Paul Bourget  »

Paul Bourget appelle lui-même son dernier roman, André Cornélis, une « planche d’anatomie morale », et il n’a que trop raison. […] Bourget s’est étudié à rendre Claudius le moins odieux qu’il se pouvait et, d’autre part, à accumuler autour d’Hamlet toutes les circonstances propres à le paralyser et à ne lui rendre l’action possible que par un miracle d’énergie… Pour toutes ces raisons, André Cornélis ne m’intéresse guère que comme une belle composition de « psychologie appliquée » sur un sujet donné. […] Pour ces raisons ou pour d’autres, il semble qu’un attendrissement de l’âme humaine soit en train de se produire dans cette fin de siècle et que nous devions bientôt assister, qui sait ?

1933. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Deuxième partie. Ce qui peut être objet d’étude scientifique dans une œuvre littéraire — Chapitre VIII. La question de gout ce qui reste en dehors de la science » pp. 84-103

Comme on l’a dit30 : « A la longue et par un effet à peu près certain de justice distributive, les rangs se rétablissent, les suprématies usurpées se perdent, l’ombre et la lumière se répartissent avec une sorte d’équité finale entre les auteurs ; le temps, aidé de la raison qui n’abdique jamais complètement, remet chaque chose et chacun à sa place. » Il est certains procès qui sont pour la postérité définitivement vidés. […] Des principes identiques s’appliquent à l’examen des œuvres qui nous emportent au-delà du monde sensible, qui nous donnent la vision de choses surhumaines, qui nous font explorer sur l’aile du rêve des régions inaccessibles à la raison et à la science. […] Mais Guyau a raison en partie, et c’est pourquoi il ne faut jamais oublier ce mot d’Augustin Thierry : ― « La sympathie est l’âme de l’histoire.  » ― Oui, l’historien de la littérature comme le critique devrait avoir un cœur assez sensible pour vibrer sous le choc de toutes les variétés du beau.

1934. (1881) La psychologie anglaise contemporaine « M. Herbert Spencer — Chapitre I : La loi d’évolution »

Est-ce là une raison suffisante pour rejeter l’hypothèse ? […] Puisque la science, par son processus d’évolution, sort de la connaissance commune, de celle que nous donnent la raison et les sens réduits à eux-mêmes ; et que la connaissance commune sort elle-même des simples perceptions, la genèse de la science devrait, à rigoureusement parler, prendre pour point de départ l’origine même de la connaissance. […] L’auteur la transportera sans doute quelque jour dans les questions de morale, où il eût été intéressant de le suivre : car l’hypothèse du progrès peut seule mettre d’accord ceux qui soutiennent, contre toute évidence, que la morale ne varie point et ceux qui soutiennent, contre toute raison, qu’elle n’a rien que de mobile et d’arbitraire.

1935. (1889) Le théâtre contemporain. Émile Augier, Alexandre Dumas fils « Alexandre Dumas fils — Chapitre XII »

Les prétendus passent et s’éloignent : ils se plaignent avec raison que la mariée est trop belle. […] L’invraisemblance excessive des situations où l’auteur le place, son intrusion fantastique dans la vie intime de tous et de toutes, ce droit de visite, aussi outrageant que le droit de jambage des temps féodaux, qu’il s’arroge sur le cœur des autres, font de lui un être de raison, sans réalité, sans modèle, créé ou plutôt forgé pour les besoins de la pièce. […] Cette objection mise à part, quelle garantie de bonheur mutuel offrirait un mariage de raison si déraisonnable ?

1936. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Monsieur Bazin. » pp. 464-485

Il remarque que nulle part il ne se rencontre plus de cordialité, plus de facilité de commerce et d’égalité véritable qu’entre avocats : « Nulle part, dit-il, la réputation, l’âge, le talent, ne font moins sentir leur supériorité et n’exigent moins de déférence que dans cette corporation singulière où les relations sont presque toujours hostiles. » Pourtant, avec tous les mérites solides et fins qu’il allait posséder, et en partie à cause de ces mérites mêmes, il manquait de ce qui procure le succès au barreau ; quand il avait donné les bonnes raisons en bons termes, il ne savait pas se répéter et au besoin en trouver d’autres : Le juge y compte, dit-il malicieusement ; et peut-être l’avocat qui serait le plus disposé à s’en corriger, est-il obligé de reproduire une seconde série des mêmes raisonnements, quand il voit que le tribunal n’a pas écouté la première. […] Il y a longtemps déjà que Pline, dans une lettre adressée à Tacite, a très bien exposé comment il importe grandement, selon lui, à l’avocat de plaider avec diffusion et surabondance, s’il veut réussir : tel qui ne prend pas d’abord à la bonne raison qu’on allègue, sera pris à une autre qui l’est moins. […] Conclusion : même quand nous croyons avoir le plus raison, soyons modeste.

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