Oui, mon cher Consolateur, voilà le rêve que je réaliserai, sous peu d’années. […] Le Rêve, où l’esprit parvient au plein éveil de cette conscience intérieure, peut donner l’idée de ce qu’est la musique. […] Au terme, seulement, de sa complète évolution, nous pouvons apercevoir en quelle manière sa nature l’a poussé à la pleine contemplation intérieure de lui-même, à cette claire voyance du Rêve Universel le plus profond. […] Erda — Mon Sommeil est rêve, — mon rêve pensée, — ma pensée possession de la Science. — Mais, lorsque je sommeille, — les Nornes veillent : — elles tissent le Câble, — et trament, pieuses, ce que je sais ; — pourquoi n’interroges-tu pas les Nornes ? […] Le Voyageur Tu n’es pas — ce que tu te rêves… — La Sagesse de la Première-Mère — va vers-la Fin : — ta Science s’incline — devant ma Volonté. — Sais-tu ce que Wotan veut ?
… Je me souviens que, dès les premières mesures, je subis une de ces impressions heureuses que presque tous les hommes imaginatifs ont connues, par le rêve, dans le sommeil. […] L’Univers où nous vivons est Un Rêve, un Rêve que, volontairement, nous rêvons. […] Nous avons nommé la musique une Révélation du rêve rêvant l’essence du monde ; et Shakespeare nous semble, maintenant, vivre, dans la Veille, le Rêve de Beethoven. […] Wagner expose la Théorie du Rêve ; il compare Shakespeare au Voyeur de Fantômes : mais Beethoven au Somnambule clairvoyant, qui, perçoit, sous les fantômes, le fond réel les produisant. […] Nous assistons à un véritable réveil, dans cette évolution de la musique instrumentale à la musique vocale, dans ce fait si mémorable, si précieux pour la théorie générale esthétique, et dont l’explication, au propos de la Neuvième symphonie de Beethoven, nous a conduit jusque cette recherche Ce que cette évolution nous signifie, maintenant, c’est une certaine surabondance, une tendance nécessaire et impérieuse pour s’épandre au dehors, comparable, entièrement, à l’effort pour s’éveiller d’un rêve angoissant et cruel : et la signification suprême pour le génie artistique de l’Humanité est que cet effort appelle, ici, une nouvelle forme d’activité artistique, donnant à ce génie une puissance nouvelle, l’aptitude à réaliser l’œuvre d’art dernière.
Bien entendu, le rêve éveillé, pour devenir le phénomène artistique, doit passer par différents stades, devenir ordonné et conscient. […] L’idée de communiquer ce rêve et l’émotion qui en résulte à ses semblables, ne vient qu’en seconde ligne. […] Il rêve, il écoute le chant des oiseaux, et veut les imiter ; de son glaive, il coupe un jonc et en fait une flûte. […] C’est dans l’état de rêve que se présentaient à l’artiste grec les nobles formes des dieux : en rêve le sculpteur voyait se dresser devant lui la séduisante harmonie des corps divins ; en rêve le poète voyait se dégager les nombreux mondes possibles que le monde réel enferme en lui-même. […] Quel est celui d’entre nous qui, plongé dans son rêve, et tout en s’avouant que ce n’est qu’un rêve, ne souhaite pas qu’il continue et ne préfère cette vision à la réalité ?
Il rêve la fin des haines comme tous les grands esprits l’ont rêvée. […] C’est d’abord le banquet mystique de Lyon, la ville du travail et du rêve. […] Ce rêve splendide d’un poète est-il destiné à se transformer en réalité grandiose ? […] Alors, sans expédient socialiste, sans utopie niveleuse, le rêve de Michelet se sera accompli. […] On se figurait chez nous l’Allemagne perdue dans le rêve et le piétisme.
. — Les Trois Chansons : La Chanson qui rit, la Chanson qui pleure, la Chanson qui rêve (1886). — Zo’har, roman contemporain (1886). — Le Châtiment, drame en une scène, en vers (1887). — L’Homme tout nu, roman (1887). — Pour lire au couvent, contes (1887) […] Solitude qu’un rêve crée ! […] Poète en ses drames que gonfle un souffle énorme (l’épopée ; poète en ses études de critique, où il dit l’âme et le prodigieux génie de Wagner ; poète en ses fantaisies légères d’au jour le jour, harmonieuses et composées ainsi que des sonnets, en ses contes galants où, sous les fleurs de perversité et les voluptés féeriques et précieuses des boudoirs, percent parfois le piquant d’une ironie et l’amer d’un désenchantement ; poète en ses romans, surtout avec Zohar, aux baisers maudits ; même avec la Première maîtresse, et qui ne craint pas de descendre jusque dans le sombre enfer contemporain de nos avilissements d’amour, tout arrive à son cerveau en sensations, en visions de poète ; tout, sous sa plume ; se transforme en images de poète, exorbitées et glorieuses, la nature, l’homme, aussi bien que la légende et que le rêve. […] Autant que la Faute de l’abbé Mouret ou la Joie de vivre, le Roi vierge fit saisir aux mains actives l’inanité charmante des chapeaux de rêve. […] Faire du rêve une réalité par le succès, c’est mieux encore ; et je ne cache pas la joie que j’éprouve à entendre applaudir un drame qui ne cherche pas à réussir en offrant à la foule incertaine et qu’il faut chercher à ramener vers les sommets, l’appât de quelque curiosité vulgaire.
De loin, on rêve je ne sais quoi qui doit vous arriver, un inattendu quelconque, qu’on trouvera chez soi en descendant de fiacre. […] » Mercredi 27 août Ces jours-ci, Edmond a eu une esquinancie, pendant laquelle, lorsqu’il fermait les yeux, et sans qu’il dormît, se dessinaient sur sa rétine des visions de rêves. […] Dans sa poche, il remue les clefs de tout cela, nerveusement, et il nous montre les titres de propriété pour se les remontrer, et se refaire la certitude que ce n’est point un rêve : cette certitude qu’il semble à tout moment avoir besoin de raffermir, avec la vue du testament, de l’envoi en possession. […] Oui, dans ces images, on dirait ressuscitée un peu de l’âme de la vieille cité : c’est comme une magique réminiscence d’anciens quartiers sombrant parfois dans le rêve trouble de la cervelle du voyant perspectif, du poète-artiste, ayant assises à son établi la Démence et la Misère. […] Novembre Je rêvais (un rêve tout éveillé) que le bon Dieu descendait sur la terre, qu’il m’écrivait ma pièce (Les Hommes de lettres), qu’il la signait de son nom, qu’il la portait au Gymnase où le portier voulait bien le laisser monter chez M. de Montigny, qu’il obtenait une lecture, une réception, — et qu’enfin à la représentation, il se faisait claqueur.
Comme il y a une cité idéale de la religion, il y a aussi une cité idéale de l’art ; mais la première est, pour le croyant, l’objet d’une affirmation et d’une volonté, la seconde est un simple objet, de contemplation et de rêve. […] Shakespeare a exprimé avec une mélancolie profonde cette analogie finale de la réalité et du rêve, de la nature et de l’art, de la vie et de l’illusion universelle : « Nos divertissements sont maintenant finis. […] Nous sommes faits de la même étoffe que les rêves, et notre pauvre petite vie est environnée de sommeil. […] Même lorsque le cours de nos idées semble entièrement livré au hasard, lorsque nous nous laissons aller aux rêveries involontaires de la fantaisie, l’action décisive de nos sentiments secrets ou de nos prédispositions se fait sentir tout différemment à une heure qu’à une autre, et l’association des idées s’en ressent toujours21. » Dans l’art le plus primitif, l’invention se distingue à peine du jeu spontané des images s’attirant et se suivant l’une l’autre, dans un désordre à peine moins grand que celui du rêve. […] Hugo, en est aussi le plus subjectif, le plus « impressionniste », celui qui nous offre les sentiments les plus raffinés, les plus délicats, des désirs mêlés à du rêve, des gaîtés qui se fondent en tris-fesses, des tristesses qui s’achèvent en sourires.
Alors, en la voyant rouverte encore de ses fleurs préférées, mais de fleurs mourantes, dormant d’un sommeil sans rêves et dans un repos aussi profond que l’oubli, il me vint, je ne sais pourquoi, une pensée amère, et je dis à Vandell : “N’est-ce pas mauvais signe, quand les fleurs se fanent vite au corsage des femmes ?” […] C’est l’énumération des détails, qui procède évidemment d’un effort de l’esprit ; ou bien c’est le rêve qui s’étend et qui ouvre son aile. […] Et, à la fin du volume, rappelez-vous l’homme désillusionné, tombé de son rêve et à jamais meurtri. […] Voyez-le, quand il veut exprimer le double caractère et comme la double personnalité d’un de ces Flamands qui avaient étudié en Italie, d’un de ces romanistes, comme on disait, qui allaient apprendre la peinture à Rome, à Florence, à Venise, et puis, de retour au pays natal, ressaisis par le génie si profond et si particulier de la race, finissaient par triompher de leurs maîtres latins, et par plier leur éducation méridionale aux rêves d’un idéal qui n’avait pas changé. […] Tous les sels irritants de la mer ont exaspéré ce que l’air saisit, avivé le sang, injecté la peau, gonflé les veines, couperosé la chair blanche, et les ont, en un mot, barbouillés de cinabre. » Et puis, quelquefois, les deux manières se fondent, l’ancienne et la nouvelle, et nous avons des tableaux à la fois doux et puissants, fouillés avec des coins d’incertitude par où s’échappe le rêve, mélange de critique technique et de poésie, qui comptent parmi les plus belles pages de la littérature française.
Ils ont rêvé de faire de la mer du Nord une mer romaine, et ce rêve est peut-être antérieur à celui d’une conquête de la Germanie. […] Mais tout apparaîtra peu à peu dans une lumière de rêve ; les nuages se joindront pour se prêter une mutuelle force et les idées vont naître avec elle dans une tremblante clarté. […] Elle nous apparaît un peu comme en un rêve éthéré, à travers la transparence d’une buée d’or. […] J’aime particulièrement le poème du « Passeur d’eau », allégorie de l’effort vers un rêve dont la réalisation, sans cesse, échappe. […] Mockel (Albert). — L’Essor du rêve (plaquette), 1887.
Le devoir fait, la tâche remplie, l’enfant continuait de vaquer à ses rêves ; il est évident, à lire ces pages de description détaillée et comme attendrie, que l’enfance de Dominique n’est pas une fiction de l’auteur, et qu’il y a là-dessous une réalité vive et sensible, prise sur le fait et étudiée d’après nature ; on y sent l’observation de quelqu’un qui a vécu au sein de la campagne, qui a vu passer bien des fois et repasser sur sa tête le tour des saisons, qui en sait les harmonies et les moindres mystères : « Chaque saison nous ramenait ses hôtes, et chacun d’eux choisissait aussitôt ses logements, les oiseaux de printemps dans les arbres à fleurs, ceux d’automne un peu plus haut, ceux d’hiver dans les broussailles, les buissons persistants et les lauriers. […] Je sentis, à la vive et fraternelle étreinte de ses deux petites mains cordialement posées dans les miennes, que la réalité de mon rêve était revenue ; puis, s’emparant avec une familiarité de sœur aînée du bras d’Olivier et du mien, s’appuyant également sur l’un et sur l’autre, et versant sur tous les deux, comme, un rayon de vrai soleil, la limpide lumière de son regard direct et franc, comme une personne un peu lasse, elle monta les escaliers du salon. » Est-il besoin de remarquer que Dominique, le narrateur qui est ici le peintre, n’a fait entrer dans son tableau que ce qu’il a eu réellement motif de voir, d’entendre, de retenir, ce qui est en rapport avec son sentiment, — le son des grelots qui lui annonçait l’approche désirée, — le voile bleu qui tout d’abord a frappé son regard ? […] Aussi finira-t-il, tous rêves évanouis, toutes douleurs épuisées, par se faire propriétaire rural, non pas médiocre, comme il le dit lui-même (il ne faut jamais prendre au mot ces faiseurs de confessions), mais modéré, distingué et assez tristement heureux. […] Je ne suis plus tout à fait juge ; il faut être jeune pour se bien mettre au point de vue de tels livres, quand ils sont, comme celui-ci, tout de sentiment : chaque lecteur alors ajoute, retranche, rêve à son gré, et devient proprement collaborateur dans sa lecture.
En l’impuissance de leur rêve Et languides sous la langueur De leur ciel morne et sans couleur, Elles regarderont sans trêve Les brebis des tentations S’éloigner lentes, une à une, En l’immobile clair de lune Mes immobiles passions. […] Que ton vers soit la chose envolée… On souffre lorsqu’après des images grandes ou fluides apparaissent des mots prosaïques ressortissant du vocabulaire de la philosophie ou empruntés à la terminologie de la Science ; l’esprit qui croyait planer avec le rêve se retrouve soudain à terre. […] M. de Régnier symbolise encore d’une plus subtile manière : ses œuvres éclairent souvent de vastes décors, en cohésion parfaite avec ce qu’ils contiennent et, comme dans les rêves les personnages des tentures descendus auprès de nous, de grandes figures paraissent s’en détacher à peine, et s’y mouvoir selon une tranquille noblesse qui porte en soi toute l’harmonie. […] Car tu sauras des rêves vastes Si tu sais l’unique loi : Il n’est pas de nuit sous les astres Et toute l’ombre est en toi.
Il raisonnait ainsi : « Quand un rêve, quand une hallucination nous avertit qu’un parent est mort ou mourant, ou c’est vrai ou c’est faux, ou la personne meurt ou elle ne meurt pas. […] Un fou, atteint du délire de la persécution, pourra encore raisonner logiquement ; mais il raisonne à côté de la réalité, en dehors de la réalité, comme nous raisonnons en rêve. […] Or, si certains souvenirs inutiles, ou souvenirs « de rêve », réussissent à se glisser à l’intérieur de la conscience, profitant d’un moment d’inattention à la vie, ne pourrait-il pas y avoir, autour de notre perception normale, une frange de perceptions le plus souvent inconscientes, mais toutes prêtes à entrer dans la conscience, et s’y introduisant en effet dans certains cas exceptionnels ou chez certains sujets prédisposés ? […] Mais quand je fais ce rêve, bien vite je l’interromps et je me dis — Non !
Joseph Delorme en était ; il en avait les désirs, les rêves, les passions refoulées, le besoin d’arriver, l’impuissance d’atteindre, l’orgueil intérieur et le découragement amer ; il fut de ceux que les protections d’alors n’apprivoisèrent pas, et qui aimèrent mieux se ronger que s’attiédir. […] Pour Joseph, il n’avait pas ainsi toutes ses aises pour rêver, ni toutes ses ressources pour peindre ; il avait fait pour tout voyage celui d’Amiens à Paris, et peut-être encore quelque excursion à Rouen pendant les vacances de l’École de médecine ; il vivait dans un faubourg, ne connaissait d’arbres que ceux de son boulevard, de fleurs que celles qui poussaient dans les fentes des pavés de sa cour, de femmes que les fantômes de ses rêves ou les héroïnes des romans qu’il avait lus.
Cette élite n’aura pas de femmes ; la femme restera la récompense des humbles, pour qu’ils aient un motif de vivre… Mais ce délicieux rêve oligarchique réalisé, les sages ne pourront bientôt plus supporter leur propre sagesse, leur propre toute-puissance, ni leur solitude. […] Il rêve et murmure à mi-voix : Dieu n’était pas : il est tout près d’être… Mais, qui sait si la vérité n’est pas triste ?
Mais on souffre ; et, par la porte de la souffrance, entrent la réflexion, la curiosité, l’inquiétude et l’appréhension de l’inconnu et, sous une forme ou sous une autre, l’idéalisme, et le rêve, et des besoins d’expliquer ce qui échappe aux sens… À partir d’un certain moment, cela est visible, Maupassant s’attendrit. […] Bref, c’est l’humanité supérieure qui fait sa rentrée dans l’œuvre de Maupassant ; et l’humanité supérieure est faite, en somme, de tout l’idéalisme du passé et de ses plus nobles rêves ; et les décrire ainsi et de ce ton, ce n’est peut-être pas y croire, mais ce n’est plus les répudier.
Et pour traduire le frémissement intime du rêve, au lieu de la vulgaire élocution banale, il se réserva le droit de refondre, en un alliage neuf, inouï, absolu, les vieux vocables discrédités. […] Mallarmé assemble des gemmes colorées par son rêve et dont notre soin n’arrive pas toujours à deviner l’éclat.