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544. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Montesquieu. — II. (Fin.) » pp. 63-82

Ce mot, consternaient, est pris ici dans l’acception propre, ce que Montesquieu fait volontiers. […] Et encore : « Des rois qui vivaient dans le faste et dans les délices n’osaient jeter des regards fixes sur le peuple romain. » Je pourrais multiplier ces remarques et montrer comment Montesquieu affecte de rendre leur sens exact et propre à quantité de mots (ajuster, engourdir, etc.), et comment il double leur effet en les appliquant nettement à de grandes choses. […] Gardons-nous de cette méthode qui tire à soi un grand esprit et qui le détourne de sa large et propre voie. […] Montesquieu accorde trop non seulement en dehors, mais en secret et dans sa propre pensée, au décorum de la nature humaine. […] Admirable explicateur et ordonnateur du passé et de ces choses accomplies qui ne tirent plus à conséquence, il est propre à induire en erreur ceux qui le prendraient au mot pour l’avenir.

545. (1872) Les problèmes du XIXe siècle. La politique, la littérature, la science, la philosophie, la religion « Livre II : La littérature — Chapitre II : La littérature du xviie  siècle »

Il faut alors abandonner Descartes, car il représente précisément le principe contraire, le principe de la liberté, du sens propre, de la raison individuelle. […] Son ambition, il le dit lui-même, était de réformer ses propres pensées, « et de bâtir dans un fonds qui fût tout à lui ». […] Descartes est donc un écrivain du sens propre. […] En un mot, si Bossuet est l’idéal du vrai, il faut que Descartes soit l’idéal du faux, car l’un est le contraire de l’autre : l’un représente le sens propre, l’autre le sens commun ; l’un la liberté, l’autre l’autorité ; l’un les droits, l’autre les limites de la pensée. […] Ici l’une de ses deux théories est mise en échec par l’autre : son goût naturel, si sûr et si droit, s’est affranchi du joug de ses propres principes, ou du moins de l’un d’entre eux.

546. (1772) Bibliothèque d’un homme de goût, ou Avis sur le choix des meilleurs livres écrits en notre langue sur tous les genres de sciences et de littérature. Tome I « Bibliotheque d’un homme de goût. — Chapitre VI. Des Livres qui traitent de la Rhétorique. » pp. 294-329

L Es Modernes ont écrit sur la Rhétorique comme les Anciens ; ils ont suivi leurs préceptes, mais ils les ont quelquefois approfondis de façon à se les rendre propres. […] Bouhours, ce sont des retours sur lui-même trop marqués ; & une trop grande attention à faire connoître ses propres qualités dans la peinture avantageuse qu’il fait de ses interlocuteurs ; (car son livre est en forme d’entretien.) […] L’auteur regarde tous les traités des anciens sur la Rhétorique, plûtôt comme des ouvrages propres à occuper agréablement l’esprit, qu’à donner cette sensibilité qui fait l’homme éloquent. […] Gaillard, a toutes les graces propres au beau sexe, sans exclure la solidité qui est le partage du nôtre. […] Mais si l’on reconnoît des Orateurs, formés par l’étude ou par l’exercice, il faut reconnoître des regles, & dès-lors, la Rhétorique est un art utile, puisqu’elle rend à faciliter l’énonciation, ou l’usage de parler de la maniere la plus propre à persuader, à convaincre, ou à se faire écouter agréablement.”

547. (1868) Les philosophes classiques du XIXe siècle en France « Chapitre XI : M. Jouffroy moraliste »

« Dès que nous avons conçu que tout être a une fin, nous recueillons de l’expérience cette seconde vérité, que cette fin varie de l’un à l’autre, et que chacun a la sienne qui lui est spéciale85. » Ces deux vérités nous en découvrent une troisième, à savoir que « si chaque être a une fin qui lui est propre, chaque être a dû recevoir une organisation adaptée à cette fin, et qui le rendît propre à l’atteindre : il y aurait contradiction à ce qu’une fin fût imposée à un être, si sa nature ne contenait le moyen de la réaliser. » Puisque la nature des êtres est appropriée à leur fin, on pourra, en étudiant la nature d’un être, connaître sa fin, de même qu’en étudiant la structure d’un édifice on peut conclure sa destination. […] « Tout être a une fin ou destinée. » Rien de plus vrai ; il y a toujours dans un être un ou plusieurs faits qui lui sont propres. […] Ce que nous appelons un être, c’est un groupe distinct de faits associés, et il est clair que ce groupe renferme des faits qui lui sont propres. […] « Si chaque être a une fin qui lui est propre, il a dû recevoir une nature et une organisation adaptées à cette fin. » Fort bien encore.

548. (1875) Premiers lundis. Tome III « Du point de départ et des origines de la langue et de la littérature française »

Le propre de la langue rustique, vulgaire, populaire, est de se pratiquer sans s’écrire. […] Le xviie  siècle littéraire, qui s’inaugurait sous les auspices de Malherbe et de Balzac, avait trop à faire, trop à songer à ses propres œuvres, à sa propre gloire pour revenir ainsi en arrière ; il avait sa langue immortelle à épurer, à fixer : il eût craint de se gâter l’élocution et le goût en retournant à de vieux jargons. […] Il inventa réellement l’idéal d’une langue romane intermédiaire, la même et commune chez tous les peuples de langues néo-latines, chez les Français, les Provençaux, les Italiens, les Espagnols, les Portugais, et qui se serait interposée, à l’origine, entre le latin et la langue propre à chacun de ces peuples. […] Ampère pour avoir tenté de reconnaître et d’établir des règles de syntaxe qui eussent tiré la vieille langue de cette condition irrégulière propre aux patois. […] Burguy, en y joignant ses propres vues et remarques.

549. (1926) L’esprit contre la raison

» ; mais c’est surtout son propre réquisitoire dans le procès Barrès que Crevel, alors absent des rangs pré-surréalistes, est en train de livrer : il lui faut désormais prendre sa place encore vide au tribunal. […] En vérité, sous le masque de fer-blanc de la Walkyriem domestiquée, sous le nickel de sa cuirasse, nul de ses dévots qui n’adorât son propre visage ou l’informe nombril de son ventre mou. […] L’être qui déguisait les apparences et sa propre médiocrité sous les noms flatteurs de conscience, de réalité, espérant vivre parmi prétextes et mensonges aussi tranquille que le rat dans son classique fromage et, comme ce rat, décidé à en vivre, d’un cœur léger renonçait à toute justice suprême, à toute grandeur. […] Déjà condamné à ne point aller jusqu’au noyau dangereux, c’est comme dans un coin de sa propre mauvaise odeur qu’il respirait de ses narines parcheminées les miasmes des marais occidentaux. […] Nous savons que l’esprit attentif aux contours, docile aux objets, soumis à leur apparence ordinaire, comme on lui a si longtemps conseillé d’être, n’aurait pas de vie propre et même, à vrai dire, n’existerait pas.

550. (1861) Les œuvres et les hommes. Les historiens politiques et littéraires. II. « XVIII. J.-M. Audin. Œuvres complètes : Vies de Luther, de Calvin, de Léon X, d’Henri VIII, etc. » pp. 369-425

En 1816, il ouvrit sur le quai des Augustins, 25, un humble magasin de libraire, dont les cases furent d’abord garnies des livres de sa propre bibliothèque. […] L’énergie, la vivacité, l’involontaire spontanéité de son talent, le sauvèrent et du conseil et de sa propre volonté. […] Alexandre Martin, ayant publié le Thomas Morus de Stappleton, Audin y introduisit aussi le lecteur par quelques pages animées de cette sorte de vitalité qui lui est propre et après lesquelles l’auteur anglais-latin paraît singulièrement froid. […] Pour conserver leur pureté, il faut leur bâtir des maisons blanches et propres comme celles que l’on bâtit aux paons ; tandis que l’homme, quand il a l’âme pure, peut vivre impunément partout, même dans la cage aux canards !  […] Il savait s’effacer et garder l’incognito de sa propre supériorité, — comme les hommes qui observent les autres plus qu’ils ne se contemplent eux-mêmes.

551. (1903) La renaissance classique pp. -

Ce sont les mêmes gens qui aujourd’hui voudraient imposer leur propre morale à nos ouvriers, que dis-je ? […] Nous sommes avant tout, nous sommes uniquement des littérateurs et des artistes ; et si le savant a sa faculté propre, qui est l’analyse, nous avons la nôtre, qui est l’imagination poétique. […] Elles parviendront jusqu’à nous comme un ouï-dire populaire qu’il s’agit de transformer en notre vérité et notre beauté propres. […] Diderot s’emportait avec raison contre la peinture et la sculpture de son temps, qui versaient dans les rébus allégoriques et ne savaient plus parler leur langue propre. […] L’âme vide et le corps malade, n’apportant rien de son propre fonds, il n’aura rien à dire que sa pauvreté et sa souffrance.

552. (1901) Des réputations littéraires. Essais de morale et d’histoire. Deuxième série

Vos Essais sont inutiles, de votre propre aveu. […] Y a-t-il une idée plus fantastique que celle d’une société, ayant ses lois propres, sa vie, son âme comme un corps organisé, indépendamment des membres qui la composent ? […] Mais cette réserve ingénieuse, qui paraît d’abord propre à concilier les choses, cessera de sembler juste après un court examen. […] Non, je ne conviens pas, écrivain mon ami, que tu te contentes de ton propre suffrage, ni de celui de ton vieux maître, ni de celui de Dieu. […] Les artistes, du moins, ont l’orgueilleuse franchise de leur propre inutilité.

553. (1860) Cours familier de littérature. IX « Le entretien. Les salons littéraires. Souvenirs de madame Récamier (2e partie) » pp. 81-159

Il se retourna contre ses propres actes, et, ne pouvant supporter ses remords, il tomba aux pieds d’un prêtre et demanda au Dieu de son enfance l’absolution des erreurs de sa jeunesse : âme tendre et meurtrie, il se fit panser par cette piété charitable qui adoucit ses douleurs, corrigea ses légèretés et transforma ses repentirs en vertus. […] Tout conspirait en faveur du prince Auguste ; les lieux eux-mêmes, ces belles rives du lac de Genève, toutes peuplées de fantômes romanesques, étaient bien propres à égarer la raison. […] Dubois, philosophe politique de courage et de talent qui semait, dans la revue le Globe, le germe d’une liberté propre à élargir les idées sans préparer des révolutions ; David, le sculpteur, adorateur de la beauté et du génie, qui prenait ses sensations pour des opinions, mais dont toute la supériorité était dans la main et dans le caractère ; M.  […] Ballanche n’était là que pour en amortir les coups et pour en panser les blessures ; mais quelle touchante figure dans le tableau que ce philosophe amoureux sans récompense, et qui se nourrit de sa propre tendresse pourvu qu’on lui permette d’assister à la vie de celle qu’il aime ! […] Que ces larmes durent être douces à son esprit transfiguré sur son propre cercueil de la chapelle de l’Abbaye-aux-Bois !

554. (1890) L’avenir de la science « X » pp. 225-238

Combien notre manière sèche et abstraite de traiter la psychologie est peu propre à mettre en lumière ces nuances différentielles des sentiments de l’humanité ! […] La Chine m’offre l’exemple le plus propre à éclaircir ce que je viens de dire. […] L’étude des littératures anciennes de l’Orient a-t-elle du moins une valeur propre et indépendante de l’histoire de l’esprit humain ? […] Les œuvres les plus sublimes sont celles que l’humanité a faites collectivement, et sans qu’aucun nom propre puisse s’y attacher. […] On croit avoir tout dit en opposant quelques noms propres.

555. (1870) De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés « De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés — Chapitre XII : Distribution géographique (suite) »

Il en résulte presque nécessairement que de semblables espèces sont plus propres que d’autres à une dispersion lointaine et rapide. […] Leur distribution me jeta d’abord dans une grande perplexité, car leurs œufs ne semblent guère propres à être transportés par des oiseaux, et, comme les adultes, ils sont immédiatement tués par l’eau de mer. […] Si l’on compare d’un côté le nombre des coquilles terrestres propres à l’île de Madère, où les oiseaux tout particuliers de l’archipel des Galapagos, avec le nombre d’espèces appartenant à ces mêmes classes qui sont spéciales à un continent quelconque, et si d’autre côté on compare l’étendue de ce continent à l’étendue de ces îles, on voit ressortir la vérité de cette assertion. […] Ainsi, les îles Galapagos sont habitées par vingt-six espèces d’oiseaux terrestres, dont vingt et une, ou peut-être même vingt-trois, sont particulières à ces îles ; tandis que parmi les onze espèces marines on n’en compte que deux qui soient propres à l’Archipel. […] Une fois établie dans leur nouvelle station, chaque espèce aura été maintenue par les autres dans ses propres limites et dans ses anciennes habitudes, et, conséquemment, n’aura pas dû subir beaucoup de modifications.

556. (1848) Études sur la littérature française au XIXe siècle. Tome III. Sainte-Beuve, Edgar Quinet, Michelet, etc.

Rudler a vu le manuscrit de la propre main du petit Constant à la Bibliothèque de Genève (M.  […] Mais quant à l’autre, honteux d’en entretenir si longtemps et son jeune lecteur et sa propre mémoire, il se dit : Où en suis-je moi-même ? […] De la substance propre du christianisme. […] L’âme est avertie de donner plus d’attention à ce qui se passe en elle, et, le trouvant si conforme aux données de l’immense voix, elle en est plus frappée qu’elle ne l’eût été de set propres conceptions. […] et encore une fois, pourquoi induire en erreur, par l’emploi de ce nom propre d’une doctrine toute spéciale, sur la généralité de la religion qu’on propose à l’humanité ?

557. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Ramond, le peintre des Pyrénées — II. (Suite.) » pp. 463-478

On ne peut s’empêcher de regretter ici que Ramond n’ait pas écrit ses mémoires ; qu’il n’ait pas, un jour ou l’autre, raconté, et s’il le fallait, confessé toute la vérité sur cet épisode intéressant et mystérieux de sa vie, Toute part faite à la déférence, à l’obéissance qu’il devait aux ordres du cardinal, on se demande quelle était en ceci cette autre part, fort peu aisée à déterminer, mais assez active, ce semble, qui lui était personnelle et propre. […] Les premiers paysages qu’il retrace, et qui sont les plus cités dans les cours de littérature, sont ceux de la vallée de Campan et des rives de l’Adour : Je ne peindrai point cette belle vallée qui voit naître (l’Adour), cette vallée si connue, si célébrée, si digne de l’être ; ces maisons si jolies et si propres, chacune entourée de sa prairie, accompagnée de son jardin, ombragée de sa touffe d’arbres ; les méandres de l’Adour, plus vifs qu’impétueux, impatient de ses rives, mais en respectant la verdure ; les molles inflexions du sol, ondé comme des vagues qui se balancent sous un vent doux et léger : la gaieté des troupeaux et la richesse du berger ; ces bourgs opulents formés, comme fortuitement, là où les habitations répandues dans la vallée ont redoublé de proximité… Il finit cette description riante par des présages menaçants qui font contraste, et qui furent trop réalisés l’année suivante (1788) par l’affreux débordement qui dévasta ces beaux lieux. […] Mais, en fait de critique, osons procéder comme Ramond ; il n’a pas hésité plus d’une fois à faire ses propres sentiers ; il a, le premier, monté à plus d’une cime. […] Il ne disait pas assez en parlant ainsi ; il ne disait pas que dans ses propres écrits comme dans ceux d’un bien petit nombre de savants exacts, il était entré quelque chose de la beauté de l’art et de la magie du talent, et qu’il y aurait à citer des disciples de premier ordre dans la postérité de Buffon : lui-même, fût-il le seul, en serait la preuve.

558. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Chateaubriand, jugé par un ami intime en 1803, (suite et fin) » pp. 16-34

Je suppose donc quelqu’un qui ait ce genre de talent et de facilité pour entendre les groupes, les familles littéraires (puisqu’il s’agit dans ce moment de littérature) ; qui les distingue presque à première vue ; qui en saisisse l’esprit et la vie ; dont ce soit véritablement la vocation ; quelqu’un de propre à être un bon naturaliste dans ce champ si vaste des esprits. […] Cela est très-délicat et demanderait à être éclairci par des noms propres, par quantité de faits particuliers ; j’en indiquerai quelques-uns. […] Il est des genres modérés auxquels la vieillesse est surtout propre, les mémoires, les souvenirs, la critique, une poésie qui côtoie la prose ; si la vieillesse est sage, elle s’y tiendra. […] Les disciples qui imitent le genre et le goût de leur modèle en écrivant sont très-curieux à suivre et des plus propres, à leur tour, à jeter sur lui de la lumière.

559. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « Mémoires de madame de Staal-Delaunay publiés par M. Barrière »

Mme de Staal méritait à bon droit d’ouvrir la série, car c’est avec elle que commencent véritablement le genre et le ton propres aux femmes du xviiie  siècle. […] Enfin j’avois acquis, quoique infiniment petite, tous les défauts des grands : cela m’a servi depuis à les excuser en eux. » Ainsi élevée, ainsi traitée jusqu’à l’âge de vingt-six ans sur le pied d’une perfection et d’une merveille, lorsqu’elle tomba plus tard en servitude, ce fut comme une petite Reine déchue, et elle en garda les sentiments, « persuadée qu’il n’y a que nos propres actions qui puissent nous dégrader », dit-elle ; aucun fait de sa vie n’a démenti cette généreuse parole. […] Je sentois cependant que chaque instant l’éloignoit de moi, et ma peine prenoit le même accroissement que la distance qui nous séparait. » Nous surprenons ici le défaut ; cette peine qui croît en raison directe de la distance, c’est plus que du philosophe, c’est bien du géomètre ; et nous concevons que M. de Silly ait pu dire à sa jeune amie dans une lettre qu’elle nous transcrit : « Servez-vous, je vous « prie, des expressions les plus simples, et surtout ne faites « aucun usage de celles qui sont propres aux sciences. » En homme du monde, et plein de tact, il avait mis d’abord le doigt sur le léger travers. […] Or, c’est le propre du vrai de vivre, quand il est revêtu surtout d’un cachet si net et si défini.

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