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268. (1906) Les œuvres et les hommes. Poésie et poètes. XXIII « Alfred de Vigny »

Et pour ne parler que de notre pays, Lamartine, Victor Hugo, Alfred de Musset, Sainte-Beuve, Théophile Gautier, sont des prosateurs presque identiques en valeur à ce qu’ils sont comme poètes ; et Alfred de Vigny, qui est de cette constellation poétique éclose dans le ciel de feu de 1830, doit être nommé, non après eux, mais avec eux… Seulement, comme quelques-uns d’entre eux, Vigny n’a pas eu tout à coup le double génie et n’a pas trouvé dans son âme les deux aptitudes entrelacées comme deux sœurs dans le même berceau. […] Moi, je crois qu’on n’acquiert pas grand’chose dans l’ordre de l’intelligence et qu’on naît même ce qu’on doit devenir ; mais il n’en est pas moins vrai que Vigny, qui avait le génie poétique à fleur et à fond d’âme, n’avait qu’à fond d’âme le génie de la prose. […] L’idéal est, en effet, toujours nécessaire à un poète tel que Vigny, même quand il condescend à la prose et qu’il a quitté le sommet de l’invention poétique pour le plain-pied de cette vie chétive et de l’histoire. […] Cette création d’Éloa, qui, dans l’avenir, sera l’étoile centrale de la couronne poétique de Vigny, je l’ai dit déjà, c’est l’âme même qui l’a créée et qui se mire en cette image ! […] L’attitude poétique cache quelquefois l’homme.

269. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Première partie. — Chapitre XVII. »

Loin de ce tumulte impur des fêtes de Néron, si l’âme poétique palpitait encore, c’était dans quelques vers obscurs et mélancoliques de Perse, mort à trente ans, ou dans quelques indiscrets élans de Lucain, tué, plus jeune encore, par la tyrannie qu’il avait cru pouvoir impunément flatter. […] De là, quelques paroles d’une tristesse vraiment poétique, dans la tragédie de Thyeste : « Est roi celui qui ne craint pas, est roi celui qui ne forme pas de désir. […] Il n’est pas sans intérêt cependant de le voir jeter encore quelque éclat poétique, quand il se reprend aux grands souvenirs qui avaient autrefois fait battre de nobles cœurs.

270. (1836) Portraits littéraires. Tome II pp. 1-523

Dumas y prenne garde, le style seul fait la durée des œuvres poétiques. […] Chacun sait à quoi s’en tenir sur la révolution poétique de 1829 ; mais M.  […] Or, à quelle condition cette loi poétique peut-elle s’accomplir ? […] Il n’y a pas d’amour vrai, c’est-à-dire poétique, sans jalousie. […] Cette erreur, si d’aventure elle était réelle, ne pourrait entamer la gloire poétique de M. 

271. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre quatrième. Du Merveilleux, ou de la Poésie dans ses rapports avec les êtres surnaturels. — Chapitre X. Machines poétiques. — Vénus dans les bois de Carthage, Raphaël au berceau d’Éden. »

Machines poétiques. — Vénus dans les bois de Carthage, Raphaël au berceau d’Éden. Venons aux exemples des machines poétiques.

272. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « Préface »

Cependant, pour les esprits réfléchis ou chercheurs, il y aura peut-être toute une poétique à dégager de ce premier volume sur les Poètes du xixe  siècle. Mais qu’on m’entende bien, une poétique n’est un traité de la poésie qu’en littérature.

273. (1856) Cours familier de littérature. II « VIIIe entretien » pp. 87-159

Ce n’est pas la faute de sa poésie, c’est la conséquence de sa Bible, plus poétique et plus merveilleuse que ses poèmes. […] Il fait de la langue poétique de la France une musique où le sens, l’image et l’harmonie confondus donnent au mot la magie du son, au son le sentiment du mot. […] En diction poétique, après lui on peut descendre, mais on ne peut plus remonter, à moins de monter plus haut que nature. […] Il en est ainsi du génie poétique et religieux de Racine ; il n’est pas contenu dans Athalie, mais il y est manifesté dans son originalité, dans sa majesté et dans sa puissance. […] C’est le plus mélodieux des échos de l’antiquité poétique.

274. (1892) Boileau « Chapitre I. L’homme » pp. 5-43

N’oublions pas cette origine et cette parenté : Despréaux, noble homme, ayant des armes, ne payait pas la taille, et il pouvait lui importer d’être reconnu par d’Hozier ; mais notre Despréaux, celui qui a fait les Satires et l’Art poétique, est tout bourgeois de race et d’âme, bourgeois comme les auteurs de la Ménippée, bourgeois comme La Bruyère et comme M. de Voltaire. […] Au temps même de l’Art poétique, en 1671, dans la pleine maturité de son admirable raison, Boileau, qui approche de ses trente-cinq ans, fréquente chez la Champmeslé et chez Ninon de Lenclos. […] L’Art poétique et le Lutrin excitent une vive curiosité ; et les lectures se multiplient : lecture du Lutrin au Luxembourg, chez Segrais ; lectures de l’Art poétique chez Gourville, chez Pomponne, chez le cardinal de Retz, chez Mme de Montespan. […] La Fontaine, à qui l’Art poétique ne s’était pas ouvert, trouve place dans la Chambre du Sublime. […] Pour Mme de Montespan, son estime pour l’auteur des Satires et de l’Art poétique nous mène à faire une observation intéressante.

275. (1839) Considérations sur Werther et en général sur la poésie de notre époque pp. 430-451

Quand on est très jeune, la dégradation de l’être n’ayant en rien commencé, le tombeau ne semble qu’une image poétique, qu’un sommeil environné de figures à genoux qui nous pleurent. […] En face de cette école, fille directe de la philosophie du Dix-Huitième Siècle, est venue se placer une autre famille poétique. dont Lamartine et Hugo sont les représentants et les chefs en France ; école qui, au fond, est aussi sceptique, aussi incrédule, aussi dépourvue de religion que l’école Byronienne, mais qui, adoptant le monde du passé, ciel, terre et enfer, comme un datum, une convention, un axiome poétique, a pu paraître aussi religieuse que la poésie de Byron paraissait impie, s’est faite ange par opposition à l’autre qu’elle a traitée de démon, et cependant a fait route de conserve avec elle pendant plus de quinze ans, à tel point que l’on a vu les mêmes poètes passer alternativement de l’une à l’autre, sans même se rendre compte de leurs variations, tantôt incrédules et sataniques comme Byron, tantôt chrétiens résignés comme l’auteur de l’Imitation. » Quand nous écrivions cela, une femme de génie n’avait pas encore ajouté toute une galerie nouvelle à la galerie de Byron. […] La Révolution interrompit pendant trente ans la marche de l’esprit poétique ; la rêverie ne put pas avoir cours au milieu d’une action si terrible et si merveilleuse. […] Ce que Goethe avait senti vers 1770, d’autres commencèrent à l’éprouver vers 1800 ; et alors de nouveaux Werther et de nouveaux Faust renouèrent la tradition poétique. […] La phrase de Goethe, même lorsqu’elle est très poétique, est aussi claire que celle de Voltaire.

276. (1895) Histoire de la littérature française « Quatrième partie. Le dix-septième siècle — Livre IV. La fin de l’âge classique — Chapitre II. La Bruyère et Fénelon »

Maximes et portraits sont une sensible manifestation du goût du siècle pour l’exacte vérité : ce sont deux genres faits pour la notation précise de la réalité, d’où l’invention romanesque, dramatique, poétique est exclue, où l’art littéraire s’approche autant qu’il est possible de l’expression scientifique. […] Le développement manque ; l’encadrement d’une action fictive est absent : ce sont des fragments, des motifs de roman vrai, où le document humain, comme on dit aujourd’hui, serait seul donné dans sa plus simple formule et sans « extension » poétique. […] Il propose à l’Académie de faire une grammaire, une rhétorique, une poétique, des traités sur la tragédie, la comédie, l’histoire ; et à ce propos il dit ses idées, ses impressions, son goût sur les genres et sur les œuvres. […] Cette Lettre à l’Académie est, après l’Art poétique, le plus important ouvrage que la critique nous présente ; avec elle, nous sommes à la fois tout près et très loin de Boileau : les résultats sont identiques, mais la méthode et l’esprit différent. […] C’est un roman pédagogique que Fénelon a composé pour donner au duc de Bourgogne un enseignement moral approprié à ses besoins, tout en lui faisant repasser la mythologie et l’histoire poétique de l’antiquité grecque.

277. (1889) Les œuvres et les hommes. Les poètes (deuxième série). XI « M. Jean Richepin »

Il faut convenir que cette idée ne pouvait venir qu’à une tête poétique, et je dirai plus : — à une âme profonde. […] Les pauvres des champs, quels que soient leur bassesse, leurs passions, leurs vices mêmes, sont autrement poétiques que les atroces voyous de Paris, ces excréments de capitale et de civilisation, qui souillent l’aumône en la recevant… Et, d’ailleurs, ils sont placés plus loin de nous, dans une perspective qui est une poésie de plus. […] Quelles que soient les taches de ce livre, qui a ses taches, comme le soleil, je dis qu’il n’en est pas moins la production d’un génie poétique qui, dans le poète, peut un de ces soirs s’éclipser ou disparaître, mais qui, dans ce livre-là, a immobilisé un rayon qu’on n’éteindra pas. […] VIII Le livre de ce Satan poétique, qui a été dix ans couvé, comme l’œuf du Chaos dans la Nuit, est un ensemble d’une beauté si vaste et si pleine, malgré ses formes détachées, qu’il ne peut pas être déchiqueté par les analyses de la Critique et qu’elle est forcée à faire de la synthèse, ce qu’elle ne fait jamais. […] moi, chrétien, j’aurais pu, à propos de ce livre des Blasphèmes, pétrir de la morale et de l’esthétique l’une dans l’autre et confondre l’œuvre morale, que je trouve criminelle, avec l’œuvre poétique qui est belle.

278. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « De la poésie en 1865. (suite.) »

C’est surtout dans son second recueil intitulé : Station poétique à l’abbaye de Haute-Combe, dont deux seules livraisons parurent de son vivant et qui ne fut publié en entier qu’après sa mort (1847), c’est dans cette suite de journées et de veilles funèbres que se déroule tout l’orage intérieur, l’abîme et la profondeur des souffrances et des agonies auxquelles il était en proie. […] Veyrat est une imagination poétique qui se monte. […] Modelon, un de ses neveux du côté maternel, qui a dit très bien de lui : La France a ses Gilbert, il est de leur famille ; et qui se propose, un jour ou l’autre, de faire de ses œuvres une réédition plus complète, précédée d’une étude où tous les détails de sa vie morale intime seront exposés avec fidélité et affection : il est bien, il est convenable de ne laisser aucune ombre sur cette figure poétique la plus caractérisée et la plus intéressante que la Savoie ait produite dans ces derniers temps. […] Gaston Paris, contre les désespoirs ou les fantaisies de la génération précédente ou présente, et à ce propos il nous donne une idée de l’art poétique rajeuni qui est le sien, et dont il voudrait faire la loi de ses jeunes contemporains : A défaut des vieillards, les jeunes le diront, Ils chercheront du moins ; leur fierté répudie Du doute irréfléchi le désespoir aisé.

279. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Béranger — Note »

. — Il se prépare ici une saison assez littéraire, assez poétique même : nous allons avoir dans une quinzaine un volume lyrique de Hugo ; il y aura des vers d’amour ; malgré toutes les hésitations, il se décide à son coup de tête, et bien que ce soit une unité de plus qu’il brise dans sa vie poétique (l’unité domestiqueaprès à politique et la religieuse), peu importe à nous autres frondeurs des unités et au public qui ne s’en soucie plus guère : les beaux vers, comme seront les siens, je n’en doute pas, couvriront et glorifieront le péché. […] Il me  faudrait deux ou trois mois pour mettre à fin des pièces commencées ou projetées qui, avec ce que j’ai déjà, seraient un troisième volume à ajouter à Joseph Delorme et aux Consolations, volume que je ne publierai pas quand il sera achevé, mais qui alors me laissera libre pour quelque autre essai poétique.

280. (1920) La mêlée symboliste. I. 1870-1890 « Les poètes maudits » pp. 101-114

Déjà Horace avait dit : « Ut pictura poesis », et Rimbaud semblait convaincu que l’Image seule est poétique. […] Il est incontestable que l’Image a plus d’activité poétique que l’Idée, mais elle manque de sanction. […] Tel est l’enseignement qui se dégage de la première série de cette plaquette des Poètes maudits, dont la gloire fut de susciter, en France, avec la sonnerie des beaux vers, le réveil du sentiment poétique endormi sous de pernicieuses influences.

281. (1920) La mêlée symboliste. II. 1890-1900 « Conclusions » pp. 169-178

Les Parnassiens, qui n’acceptent pas leur défaite, relèvent la tête en 1900 et lui notifient par la voix de Mendès que « sa poétique est déjà surannée et vieillissante35 » Mais le coup le plus droit porté à son influence sera le triomphe de Cyrano de Bergerac où Rostand se gausse des petits esthètes du « Mercure françois ». […] Qu’on ne m’objecte pas, à l’encontre de cette indifférence, l’exemple d’Edmond Rostand, Son admirable Cyrano n’ouvrait pas plus une renaissance poétique qu’il ne prouvait un retour du public à la Poésie. […] Ce qui valut à Mendès la protestation suivante de Gustave Kahn, parue dans la Plume (15 mai 1900) : « Souffrez qu’à votre accusation de mauvaise santé poétique, j’oppose un petit catalogue.

282. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « M. de Gères. Le Roitelet, verselets. »

IV Nous avons cité une des pièces qui feront connaître le mieux aux instincts poétiques le genre de talent de M. de Gères quand il est essuyé de tout souvenir. […] La manière dont il se sert de la langue poétique nous montre aussi qu’il a lutté avec elle et qu’un début devant le public n’est pas un début dans l’emploi de ses facultés. […] Le roitelet, je crois, puisque c’est le cimier de ses armes poétiques comme le sansonnet l’est de celles de Sterne, le roitelet est un oiseau solitaire.

283. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « M. Victor de Laprade. Idylles héroïques. »

Mais, comme vous le voyez, ce n’est pas du tout par la tournure de sa pensée le génie mi-parti de pasteur et de guerrier qu’il faudrait ici, avec un pareil titre, l’espèce de Guillaume Tell poétique dont le vers serait la flèche, vibrante de rapidité, de fierté et d’indépendance ! […] Il nous a donné sa poétique, qui n’est pas d’une complication bien difficile, mais qui consiste à nous prouver à l’aide de Beethoven et de Claude Lorrain, et de la musique, et des paysages et du dernier progrès des arts, que le poète n’a plus, pour toute ressource d’invention, qu’à faire parler les arbres, les fleurs, tous les objets de la nature, ce que M.  […] Or, M. de Laprade n’est qu’un montagnard avec son crochet, un bon guide pour une de ces poétiques ascensions qui donnent envie de redescendre, voilà tout.

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