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1841. (1902) Les œuvres et les hommes. Le roman contemporain. XVIII « Émile Zola »

Il ne fallait ni tant de beauté, ni tant de poésie… Son abbé Mouret n’eût plus ôté alors ce petit prêtre nerveux, ce chétif enfant qu’il fallait montrer imbécillisé par le séminaire, halluciné par l’oraison, et préparé à la faute de l’amour d’une femme par l’amour de la Vierge divine trop contemplée sur son autel… Il fallait que sa faute, à lui, fût facile et rapidement faite, pour humilier davantage la grandeur surnaturelle du sacerdoce devant les réclamations animales de la chair et les tyrannies de la nature Il fallait enfin que le prêtre, malade hier, et guéri aujourd’hui, s’enivrât assez à la première vue des cheveux et de la peau d’une fillette pour glisser dans ses bras, tout naturellement, un jour de sa convalescence… Est-ce assez misérable, tout cela ? […] La poésie ! […] En effet, voyez ce qui passe devant nous en ces photographies : des concubinages et des accointances plus ou moins infâmes, des noces d’ouvriers grotesques auxquels l’auteur ôte toute poésie, toute naïveté, toute honnêteté vraie ; des noces gourmandes et bêtes chez le traiteur, — ô Paul de Kock ! 

1842. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « Ernest Feydeau » pp. 106-143

c’est la poésie ! […] Il fallait peindre le paradis de l’adultère, ce paradis qui est un enfer ; et, pour qu’on en comprît mieux la secrète horreur, les transes et les ignominies, il fallait choisir des créatures d’élection, l’une comme force et l’autre comme pureté, et les rouler dans cet enfer jusqu’à perte de conscience humaine, afin que ceux qui rêvent à la poésie des amours illégitimes et des intimités qui tremblent sussent une fois pour toutes ce qui en est !! […] L’auteur de Fanny avait été accusé naguère d’appartenir au réalisme, non pas au réalisme du fond de la tonne, mais de la surface et des bords, et probablement humilié (et on le conçoit) d’être la fleur d’un pareil panier, il a voulu montrer comment il entendait l’idéalisme dans la forme et la poésie dans la prose.

1843. (1884) L’art de la mise en scène. Essai d’esthétique théâtrale

C’est bien dans ce cas l’esprit seul qui en goûte la poésie, sans que nos yeux soient dupes des séductions de la mise en scène. […] Ils se proposent, pour fin unique : la poésie, le plaisir de l’esprit ; la peinture, celui des yeux et la musique celui de l’oreille. […] La poésie dramatique, que sa nature même placerait dans une sphère inférieure à la poésie épique et à la poésie lyrique, reprend cependant sa place élevée lorsque, dans la lecture, par exemple, rien ne vient distraire notre esprit du plaisir idéal qu’elle nous procure, et que notre imagination seule fait tous les frais de la mise en scène. […] Aux uns, c’est la poésie qui procure seule cette sensation du beau ; aux autres, c’est la peinture, à ceux-ci c’est la musique, à ceux-là c’est la nature. […] Seule la poésie pouvait créer de toutes pièces ces êtres dont la nature avait éparpillé tous les traits sur des milliers d’exemplaires humains.

1844. (1888) Revue wagnérienne. Tome III « VII »

Ces gens n’entendent rien, ni à la poésie, ni à la musique… et ils ont fait leurs traductions à peu près comme on traduit ces articles de journaux et des réclames de fabricants. […] Et lorsque, dans les crises de grandes passions, il lui faut les exclamations les plus violentes, les plus pathétiques, il prend toujours les mêmes trois ou quatre mois : « selig, brunstig, heilig »… les termes génériques dans leur plus simple expression, parce que ceux-ci seuls siéent aux héros de son poème. « L’homme vivant et vrai, dit Wagner, ne décrit pas ce qu’il veut et ce qu’il aime : il aime et il veut… La poésie ne faisait plus que décrire… elle vous donnait le catalogue d’une galerie de peintures, mais pas les tableaux… elle était forcée de devenir platement prolixe… J’ai dû éliminer tout ce qui était superflu, fortuit, indécis, retrancher tout ce qui dénature les vrais sentiments des hommes… je n’ai gardé que le noyau… et je l’ai exprimé dans une langue concise, eu serrant autant que possible les accents de la phrase… » La langue est donc très forte, très concise, abrupte, « quintessenciée ». […] Cette phrase suffirait à nous induire profondément dans l’essence mémo de cette vie musicale qui désormais nous initiera à la vie dramatique plus intimement encore que la poésie et la mimique. […] Wagner attaque violemment la rime, qu’il présente dans un texte provocateur et, il faut bien le dire, peu subtil, comme le «  postérieur » de la poésie, «  aride », « flasque » et « blafard », et qu’il oppose au beau visage du verbe (Opéra et Drame, Œuvres en prose, t. 

1845. (1891) Journal des Goncourt. Tome V (1872-1877) « Année 1872 » pp. 3-70

Il y a déjà chez lui un mourant qui ne se réveille un peu et ne s’échappe de son triste et concentré lui-même, que quand il entend parler vers et poésie. […] Il raconte longuement cette histoire, la semant de détails bizarres de cette archéologie moyenâgeuse, qu’il aime, et dont il fait si souvent emploi dans sa prose et dans sa poésie. […] Les voyages, c’est la mise en style des choses mortes, des murailles, des morceaux de nature… Il est bien avéré, encore une fois, que l’homme qui écrit cela, n’a pas d’idées… Oui, oui, c’est une tactique, je la connais, avec cet éloge, ils font de moi, un larbin descriptif. » Et comme nous lui disons, qu’il serait bon pour lui de se reposer, de se défatiguer dans la fabrication de la poésie qu’il aime… dans la composition de sonnets : « Oh ! […] Je trouve que la poésie doit être fabriquée, à l’époque où l’on est heureux.

1846. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Maucroix, l’ami de La Fontaine. Ses Œuvres diverses publiées par M. Louis Paris. » pp. 217-234

Il était de ceux qui, par nature et par goût, n’ont rien de plus cher que les douceurs d’une vie particulière et obscure, d’un loisir animé par l’amitié, embelli par les lettres, égayé d’un peu de poésie, et le plus souvent rempli par la paresse. […] J’ai un jour proposé que, dans une édition des poésies de Malherbe, on ajoutât quatre ou cinq pièces de Racan et de Maynard comme étant des productions, si l’on peut dire, de la même Flore lyrique : ces stances de Maucroix mériteraient d’y avoir place à côté de Racan.

1847. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Agrippa d’Aubigné. — I. » pp. 312-329

D’Aubigné n’avait pas vingt ans qu’il fut saisi du démon de la poésie, de cette poésie française qui était alors en vogue, et qui régnait par Ronsard et ses amis.

1848. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Henri IV écrivain. par M. Eugène Jung, ancien élève de l’École normale, docteur es lettres. — II » pp. 369-387

Ses proclamations ont créé un genre d’éloquence militaire et impériale ; ses histoires, et je parle surtout de sa relation de la campagne d’Égypte, offrent des modèles de descriptions, de narrations, où pas un mot n’est à ajouter ou à retrancher, et que traversent de brusques éclairs de poésie. […] [NdA] J’ai besoin d’expliquer ce quoique ; car bon sens et haute poésie, selon moi, vont très bien ensemble.

1849. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Madame Bovary par M. Gustave Flaubert. » pp. 346-363

Léon Dupuis, qui à table se prend particulièrement de conversation avec Mme Bovary, et à l’instant, dans un dialogue très bien mené, très naturel, et foncièrement ironique, l’auteur nous les montre allant au-devant l’un de l’autre par leurs côtés faux, leur goût de poésie vague, de romanesque, de romantique, tout cela servant de prétexte à la diablerie cachée ; ce n’est qu’un commencement, mais il y a de quoi déconcerter ceux qui croient à la poésie du cœur et qui ont pratiqué l’élégie sentimentale ; évidemment leurs procédés sont connus et imités et parodiés : c’est à dégoûter des dialogues d’amour pris au sérieux.

1850. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « M. Ernest Renan »

Considérez notre littérature depuis le Moyen-Age, rappelez-vous l’esprit et la licence des fabliaux, l’audace satirique et cynique du Roman de Renart, du Roman de la Rose dans sa seconde partie, la poésie si mêlée de cet enfant des ruisseaux de Paris, Villon, la farce friponne de Patelin, les gausseries de Louis XI, les saletés splendides de Rabelais, les aveux effrontément naïfs de Régnier ; écoutez dans le déshabillé Henri IV, ce roi si français (et vous aurez bientôt un Journal de médecin domestique, qui vous le rendra tout entier, ce diable à quatre, dans son libertinage habituel) ; lisez La Fontaine dans une moitié de son œuvre ; à tout cela je dis qu’il a fallu pour pendant et contrepoids, pour former au complet la langue, le génie et la littérature que nous savons, l’héroïsme trop tôt perdu de certains grands poëmes chevaleresques, Villehardouin, le premier historien épique, la veine et l’orgueil du sang français qui court et se transmet en vaillants récits de Roland à Du Guesclin, la grandeur de cœur qui a inspiré le Combat des Trente ; il a fallu bien plus tard que Malherbe contrebalançât par la noblesse et la fierté de ses odes sa propre gaudriole à lui-même et le grivois de ses propos journaliers, que Corneille nous apprît la magnanimité romaine et l’emphase espagnole et les naturalisât dans son siècle, que Bossuet nous donnât dans son œuvre épiscopale majestueuse, et pourtant si française, la contrepartie de La Fontaine ; et si nous descendons le fleuve au siècle suivant, le même parallélisme, le même antagonisme nécessaire s’y dessine dans toute la longueur de son cours : nous opposons, nous avons besoin d’opposer à Chaulieu Montesquieu, à Piron Buffon, à Voltaire Jean-Jacques ; si nous osions fouiller jusque dans la Terreur, nous aurions en face de Camille Desmoulins, qui badine et gambade jusque sous la lanterne et sous le couteau, Saint-Just, lui, qui ne rit jamais ; nous avons contre Béranger Lamartine et Royer-Collard, deux contre un ; et croyez que ce n’est pas trop, à tout instant, de tous ces contrepoids pour corriger en France et pour tempérer l’esprit gaulois dont tout le monde est si aisément complice ; sans quoi nous verserions, nous abonderions dans un seul sens, nous nous abandonnerions à cœur-joie, nous nous gaudirions ; nous serions, selon les temps et les moments, selon les degrés et les qualités des esprits (car il y a des degrés), nous serions tour à tour — et ne l’avons-nous pas été en effet ? […] À la fin de la préface d’un de ses recueils à propos d’un travail sur la Poésie des races celtiques, qu’il y a inséré, il se plaît à revenir en arrière, à repasser sur les souvenirs, les piétés et même les mystiques superstitions de ses pères ; il se met tout à coup à regretter que les humbles marins, ses aïeux, n’aient pas tourné leur gouvernail, n’aient pas laissé dériver leur barque vers d’autres rivages ; il se suppose un moment enfant attardé, fidèle, de la pauvre et poétique Irlande ; écoutez !

1851. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Des lectures publiques du soir, de ce qu’elles sont et de ce qu’elles pourraient être. » pp. 275-293

Souvestre sur l’effet des diverses lectures : Poésies de Casimir Delavigne. — Goûtées. […] …” Cet enfant, le jour de la ruine de sa patrie, écrivit ces vers sous les yeux du vainqueur, et le fier Romain ne put retenir une larme. » On leur dirait : « Les Grecs aimaient tant la poésie, qu’elle adoucissait même les guerres, chez eux si cruelles.

1852. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Lettres inédites de l’abbé de Chaulieu, précédées d’une notice par M. le marquis de Bérenger. (1850.) » pp. 453-472

Comme poète, il compte peu ; il se mit tard à la poésie. […] Tout cela peut paraître agréable un moment en poésie ; dans le fait et en réalité, ce fut moins beau, et, on l’a vu, d’une très triste conséquence.

1853. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « De la retraite de MM. Villemain et Cousin. » pp. 146-164

Ce dernier volume, qui va paraître, contient : 1º un morceau étendu, De l’état de la poésie en France avant Corneille ; 2º une étude développée sur Corneille lui-même ; 3º trois biographies d’auteurs du temps, Rotrou, Chapelain et Scarron. […] Quand il parle de poésie proprement dite, il lui manque, je le crains, quelque chose : « Celui qui veut comprendre le poète, a dit Goethe, doit aller dans le pays du poète. » M. 

1854. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « La reine Marguerite. Ses mémoires et ses lettres. » pp. 182-200

Sa langue est volontiers métaphorique et s’égaie de poésie. […] Elle empruntait à la fausse poésie du jour tous ses oripeaux, pour se persuader que son caprice du moment était un culte éternel.

1855. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « L’abbé Gerbet. » pp. 378-396

En poésie, Lamartine avait donné le signal du renouvellement ; d’autres le donnaient dans l’ordre de l’histoire, d’autres dans l’ordre de la philosophie : c’était par toute la jeunesse une émulation unanime et comme un recommencement universel. […] Cousin, la religion par l’organe de M. de Montalembert, la poésie par la bouche de M. de Lamartine, ne me démentiraient pas3.

1856. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Franklin. — III. Franklin à Passy. (Fin.) » pp. 167-185

Plus d’une fois il s’élève ; le sentiment de la réalité et la vivacité de son affection humaine lui suggèrent une sorte de poésie : Je dois bientôt quitter celle scène, écrivait-il à Washington (5 mars 1780) ; mais vous pouvez vivre assez pour voir notre pays fleurir, comme il ne manquera pas de le faire d’une manière étonnante et rapide lorsqu’une fois la guerre sera finie : semblable à un champ de jeune blé de Turquie qu’un beau temps trop prolongé et trop de soleil avaient desséché et décoloré, et qui dans ce faible état, assailli d’un ouragan tout chargé de pluie, de grêle et de tonnerre, semblait menacé d’une entière destruction ; cependant, l’orage venant à passer, il recouvre sa fraîche verdure, se relève avec une vigueur nouvelle, et réjouit les yeux, non seulement de son possesseur, mais de tout voyageur qui le regarde en passant. […] Si j’étais ce que je ne suis réellement pas, suffisamment habile en votre excellente langue pour être un juge compétent de la poésie, l’idée que j’en suis le sujet devrait m’empêcher d’exprimer aucune opinion sur ce vers ; je me contenterai de dire qu’il m’attribue beaucoup trop, particulièrement en ce qui concerne les tyrans ; la Révolution a été l’œuvre de quantité d’hommes braves et capables, et c’est bien assez d’honneur pour moi si l’on m’y accorde une petite part.

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