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187. (1897) Le monde où l’on imprime « Chapitre XII. Mort d’Edmond de Goncourt » pp. 157-163

Dès qu’on apprend la mort d’un artiste, ou d’un personnage considérable, et même insignifiant, immédiatement se modifie le jugement latent qu’on en portait. […] Un don indispensable est ici qualité maîtresse : c’est l’œil, la faculté de voir intensément ses personnages, de les suivre sans brouillard dans leurs mouvements. […] Il y apparaissait comme il avait lui-même appelé un personnage de Renée Mauperin : un « mélancolique tintamaresque ».

188. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Troisième partie — Section 11, les romains partageoient souvent la déclamation théatrale entre deux acteurs, dont l’un prononçoit tandis que l’autre faisoit des gestes » pp. 174-184

Les cantiques ou monologues sont les endroits d’une piece dans lesquels un acteur parle étant seul, ou dans lesquels, supposé qu’il y ait un second acteur sur la scéne, le second personnage ne dialogue point avec le premier, et cela de maniere que si ce second personnage dit quelque chose, il ne le dise qu’en forme d’ aparté, c’est-à-dire, sans adresser la parole au premier. […] Lucien dans l’écrit qu’il a composé sur l’art de la danse, tel que l’avoient les anciens, dit en parlant des personnages tragiques, qu’on leur entend prononcer de temps en temps quelques vers iambes, et qu’en les prononçant ils n’ont attention qu’à bien faire sortir leur voix, car les artisans ou les poëtes qui ont mis les pieces au théatre ont pourvû au reste.

189. (1860) Ceci n’est pas un livre « Une conspiration sous Abdul-Théo. Vaudeville turc en trois journées, mêlé d’orientales — set » p. 212

Personnages : Abdul-Théo Gautier , commandeur des croyants. […] Ali Sarcey , tellack, personnage muet.

190. (1861) Cours familier de littérature. XII « LXXIIe entretien. Critique de l’Histoire des Girondins (3e partie) » pp. 369-430

C’est l’abondance et la minutieuse exactitude des portraits de mes personnages historiques. […] Or les portraits physiques et biographiques des personnages me charment et m’instruisent dans Thucydide, dans Tacite, dans Machiavel, dans Saint-Simon, dans tous les grands historiens anciens ou modernes. […] C’est évidemment d’appeler et de fixer l’attention et l’intérêt sur la figure d’un personnage que l’on va voir entrer en scène et agir sous vos yeux. […] C’est donc avant le rôle et non après la mort du personnage qu’il faut, selon moi, le portrait ; ce n’est pas quand il est mort ou retiré pour jamais de la scène. […] On suit le personnage, on le pressent, on le devine, on se passionne pour ou contre lui, selon qu’on participe soi-même par l’admiration ou par l’horreur à l’héroïsme, au fanatisme, au crime ou à la vertu de l’homme historique ; on vit de sa vie ou l’on meurt de sa mort par l’imagination émue pour ou contre lui ; il disparaît, et l’historien alors reparaît lui ; et, semblable au chœur antique, cet historien prend la parole, prononce un jugement moral, court, nerveux, impartial, favorable ou implacable sur le personnage qu’il vient de représenter à vos yeux.

191. (1922) Durée et simultanéité : à propos de la théorie d’Einstein « Appendices de, la deuxième édition »

Mes personnages distants sont bien réels, mais, en tant que réels, ils conservent leur grandeur : c’est comme nains qu’ils sont fantasmatiques. […] « 2° Si l’on se place en dehors de la théorie de la Relativité, on conçoit très bien un personnage Pierre absolument immobile au point A, à côté d’un canon absolument immobile ; on conçoit aussi un personnage Paul, intérieur à un boulet qui est lancé loin de Pierre, se mouvant en ligne droite d’un mouvement uniforme absolu vers le point B et revenant ensuite, en ligne droite et d’un mouvement uniforme absolu encore, au point A. […] Le Paul qui sort du boulet au retour du voyage, et qui fait de nouveau partie alors du système de Pierre, est quelque chose comme un personnage qui sortirait, en chair et en os, de la toile où il était représenté en peinture : c’était à la peinture et non pas au personnage, c’était à Paul référé et non pas à Paul référant, que s’appliquaient les raisonnements et les calculs de Pierre pendant que Paul était en voyage. Le personnage succède à la peinture, Paul référé redevient Paul référant ou capable de référer, dès qu’il passe du mouvement à l’immobilité. […] Et puisqu’il tient uniquement, comme nous l’avons montré (p. 127 et suiv.), à l’allongement de la « ligne de lumière » pour le personnage, extérieur au système, qui se représente la « figure de lumière » déformée par l’effet du mouvement.

192. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « George Sand — George Sand, Indiana (1832) »

Mais dès qu’en ouvrant le livre on s’est vu introduit dans un monde vrai, vivant, nôtre, à cent lieues des scènes historiques et des lambeaux de moyen âge, dont tant de faiseurs nous ont repus jusqu’à satiété ; quand on a trouvé des mœurs, des personnages comme il en existe autour de nous, un langage naturel, des scènes d’un encadrement familier, des passions violentes, non communes, mais sincèrement éprouvées ou observées, telles qu’il s’en développe encore dans bien des cœurs sous l’uniformité apparente et la régularité frivole de notre vie ; quand Indiana, Noun, Raymon de Ramière, la mère de Raymon, M. […] Les personnages restent vrais, les scènes sont vraisemblables dans leur complication : sir Ralph seul touche un peu, par moments, à la caricature, mais nous ne le remarquerions pas, n’était le rôle final, le volte-face miraculeux auquel il est destiné. […] Mais le sir Ralph de la quatrième partie ne ressemble plus à celui-ci, que nous croyons apprécier et comprendre ; le sir Ralph qui démasque, après des années de silence, son amour pour Indiana épuisée, qui prête à cet amour le langage fortuné des amants adolescents et des plus harmonieux poètes, le sir Ralph dont la langue se délie, dont l’enveloppe se subtilise et s’illumine ; le sir Ralph de la traversée, celui de la cataracte, celui de la chaumière de Bernica, peut bien être le sir Ralph de notre connaissance, transporté et comme transfiguré dans une existence supérieure à l’homme, de même que l’Indiana, de plus en plus fraîche et rajeunie, à mesure qu’on avance, peut bien être notre Indiana retournée parmi les anges ; mais à coup sûr ce ne sont pas les mêmes et identiques personnages humains, tels qu’on peut les rencontrer sur cette terre, après ce qu’ils ont souffert et dévoré.  […] Dans le monde, le visage de ces hommes se compose et sourit invariablement par habitude, par artifice : dans la solitude, dans les moments de réflexion, en robe de chambre et en pantoufles, surprenez-les, ils sont sourcilleux, sombres ; ils se font, à la longue, un visage dur, mécontent et mauvais. — J’aurais autant aimé, de plus, qu’en accordant à Raymon de Ramière de grands talents et un rôle politique remarquable, on insistât moins sur son génie et sur l’influence de ses brochures : car, en vérité, comme les hommes de génie ou de talent qui écrivent des brochures en France, qui en écrivaient vers le temps du ministère Martignac ou peu auparavant, dans le cercle sacré de la monarchie selon la Charte, ne sont pas innombrables, je n’en puis voir qu’un seul à qui cette partie du signalement de Raymon convienne à merveille ; le nom de l’honorable écrivain connu vient donc inévitablement à l’esprit, et cette confrontation passagère, qui lui fait injure, ne fait pas moins tort à Raymon : il ne faut jamais supposer aux simples personnages de roman une part d’existence trop publique qui prête flanc à la notoriété et qu’il soit aisé de contrôler au grand jour et de démentir.

193. (1905) Les œuvres et les hommes. De l’histoire. XX. « La Révolution d’Angleterre »

Et, pour moi, Guizot l’a si bien compris ainsi, son expérience d’homme d’État et de philosophe l’ont si bien convaincu qu’en Histoire la plus forte des influences n’était ni les choses, ni les idées, ni les missions providentielles, comme disent les confidents indiscrets de la Providence avec d’inexprimables fatuités, ni toutes ces forces chimériques inventées lâchement pour sauver l’homme du danger de sa responsabilité, — espèce de laurier à électricité négative qu’on lui plante sur la tête pour repousser la foudre de Dieu et la condamnation des siècles, — que, dans les biographies récemment publiées, l’illustre historien n’a pas même pris la vie des hommes éclatants, des personnages décisifs de la Révolution d’Angleterre. […] Il a écarté le personnage. […] En effet, excepté ce grand comte de Clarendon, qui occupe dans l’histoire de son pays — dit Guizot — une place presque aussi large que Cromwell, tous les personnages que l’illustre historien évoque aux regards de notre esprit dans ses études biographiques sont des hommes morts à jamais dans le souvenir de ceux qui, comme la postérité prise en masse, ne voient et ne peuvent se soucier que des résultats généraux et des hommes qui les représentent. […] Il faut être un philosophe en quête de savoir avec quels atomes imperceptibles se font les plus grandes choses, pour se préoccuper au xixe  siècle de personnages aussi oubliés, malgré l’aristocratie de leur race ou l’éclat momentané de leur nom, que le sont aujourd’hui lord Hollis, sir Philippe Warwick, sir Thomas Herbert, sir John Reresby, Sheffield, duc de Buckingham, Thomas May, John Lilburne, Edmond Ludlow, etc.

194. (1887) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Troisième série « Octave Feuillet »

Les personnages qu’elle construit se ressemblent presque tous, n’ont point cette variété et cette abondance de traits individuels et précis que recherche une autre poésie et que fournit seule l’observation de la réalité. […] Ou plutôt non, ce n’est point la vraie raison de notre énervement, car j’admets très bien qu’il se joue entre des personnages excessivement select des drames d’une brutalité hardie. […] De « magnifiques éclairs » et « les jeux de la foudre sur l’Océan » accompagnent les cascades de Mme d’Hermany, Et le style est « distingué » à l’égal des personnages et du décor. […] Notre revanche, c’est que vos personnages, ne frayant pas avec nous, nous passionnent parfois médiocrement. […] Et c’est fort heureux pour lui qu’il ne prouve pas sa thèse : ses personnages ne la démentent, en effet, que parce qu’ils sont encore très suffisamment vrais et vivants.

195. (1888) Préfaces et manifestes littéraires « Histoire » pp. 179-240

Les siècles qui ont précédé notre siècle ne demandaient à l’historien que le personnage de l’homme, et le portrait de son génie. […] Nous voulons seulement ajouter aux recherches connues, aux documents publiés, l’inconnu et l’inédit, nous réservant de raconter d’un bout à l’autre, de peindre en pied, les personnages oubliés ou dédaignés par l’histoire. […] Et lors même que cette histoire prendra pour cadre la biographie des personnages historiques, l’unité de son sujet ne lui ôtera rien de son caractère et ne diminuera rien de sa tâche. […] Elle associera à cette vie, qui dominera le siècle ou le subira, la vie complexe de ce siècle ; et elle fera mouvoir, derrière le personnage qui portera l’action et l’intérêt du récit, le chœur des idées et des passions contemporaines. […] Nota. — Cet ouvrage sera précédé d’une Correspondance de divers particuliers de distinction avec Bélanger, puis d’un Discours sur l’architecture et sur les arts en général par Bélanger, et de différentes lettres du même à divers personnages.

196. (1767) Salon de 1767 « Peintures — Vien » pp. 74-89

Le reste du corps de ce personnage est dérobé par un enfant vu par le dos et appartenant à l’une des deux grandes femmes qui sont debout. […] Au centre du tableau, sur le fond, dans le lointain, une fabrique de pierre, fort élevée, avec différents personnages, hommes et femmes, appuiés sur le parapet et regardant ce qui se passe sur le devant. […] Ces deux personnages qui conversent sur le fond sont d’une couleur sale, mesquins de caractère, pauvres de draperie ; du reste, assez bien ensemble. […] Je prétends qu’il faut d’autant moins de mouvement dans une composition, tout étant égal d’ailleurs, que les personnages sont plus graves, plus grands, d’un module plus exagéré, d’une proportion plus forte ou prise plus au-delà de la nature commune. […] Un grave personnage sémillant est ridicule ; un petit personnage grave ne l’est pas moins.

197. (1894) Textes critiques

Moins bien ses personnages : il faut rentrer dans une salle plus loin pour la femme-fleur surgie des herbes… de Pissarro. […] L’acteur « se fait la tête », et devrait tout le corps, du personnage. […] L’acteur devra substituer à sa tête, au moyen d’un masque l’enfermant, l’effigie du personnage, laquelle n’aura pas, comme à l’antique, caractère de pleurs ou de rire (ce qui n’est pas un caractère), mais caractère du personnage : l’Avare, l’Hésitant, l’Avide entassant les crimes… ‌ Et si le caractère éternel du personnage est inclus au masque, il y a un moyen simple, parallèle au kaléidoscope et surtout au gyroscope, de mettre en lumière, un à un ou plusieurs ensemble, les moments, accidentels. ‌ […] Je pense qu’il ne s’agit plus de savoir s’il doit y avoir trois unités ou la seule unité d’action, laquelle est suffisamment observée si tout gravite autour d’un personnage un. […] Naïfs, ils s’imaginent que ce personnage, fauteur de rhapsodies romantico-hébraïques, adore la jeune littérature.

198. (1854) Nouveaux portraits littéraires. Tome I pp. 1-402

M. de Lamartine, croyant agrandir le personnage, n’a réussi qu’à le dénaturer. […] S’il y a quelque part un tel personnage, il est certain du moins qu’un tel personnage n’a rien de dramatique. […] Hugo, car un tel personnage est absolument impossible. […] Hugo, pour qu’un tel personnage lui ait paru digne de la poésie dramatique. […] Si les personnages ne vivent pas, ils parlent une langue pleine de grandeur et d’énergie.

199. (1920) Essais de psychologie contemporaine. Tome I

Renan se représente un personnage de l’histoire ancienne ou moderne, il aperçoit, par-delà les documents écrits ou recueillis sur place, les états de la sensibilité morale de ce personnage. […] Ses personnages sont des associations d’idées qui marchent. […] Au lieu de constituer leurs personnages par une double série de petits faits, ils ont presque uniquement peint ces personnages comme des êtres d’imagination physique. […] Ç’a été l’histoire de bien des personnages célèbres de tous les temps. […] Le personnage qu’il considère ne lui est qu’un prétexte à démonstration.

200. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Sur le Louis XVI de M. Amédée Renée » pp. 339-344

Le bien, pour être autre chose qu’un rêve, a besoin d’être organisé, et cette organisation réclame aussitôt une tête, ministre ou souverain, un grand personnage social. Ce personnage existât-il dans la nation, il faudrait encore qu’il fût connu, employé, ou déjà tout porté au premier rang, ou en passe d’y atteindre et en mesure de s’y maintenir. […] Les personnages, même les meilleurs, qu’il voulut d’abord se donner pour auxiliaires et collaborateurs dans son sincère amour du peuple, étaient imbus des principes, des lumières sans doute, mais aussi, à un haut degré, des préjugés du siècle, dont le fond était une excessive confiance dans la nature humaine.

201. (1856) Mémoires du duc de Saint-Simon pp. 5-63

Plusieurs passages, et des plus curieux, manquaient, entre autres les portraits de tous les grands personnages du conseil d’Espagne. […] Tout le monde sait que le défaut de nos poètes classiques est de mettre en scène non des hommes, mais des idées générales ; leurs personnages sont des passions abstraites qui marchent et dissertent. […] Il n’est point de personnage qu’il ne fasse vivre, ni de lecteur qu’il ne fasse penser. […] Ici cinq ou six personnages sont tracés à la volée, chacun par un trait unique. […] Le duc de Béthune bavardait des misères, et le duc d’Estrées grommelait en grimaçant sans qu’il en sortît rien. » Ailleurs, les mots entassés et l’harmonie imitative impriment dans le lecteur la sensation du personnage.

202. (1889) Le théâtre contemporain. Émile Augier, Alexandre Dumas fils « Alexandre Dumas fils — Chapitre XI »

Rien de moins pathétique, en somme, que la destinée de son personnage. […] Aussi bien le personnage n’est point tendre, pas plus que la thèse qu’il incarne et dont on entend crier les arguments, secs comme des rouages, sous la figure qui l’enveloppe. […] Nous apprenons, à l’acte suivant, que Clara Vignot doit ses cinq cent mille francs, et la terre de Boisceny, dont son fils porte le nom, à ce personnage élégiaque. […] Le premier acte pose, de pied en cap, le brillant et séduisant personnage de ce père prodigue. […] Les personnages, en dehors du comte, ne brillent pas par la sympathie.

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