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1729. (1824) Ébauches d’une poétique dramatique « Division dramatique. » pp. 64-109

Le pathétique manque une partie de son effet ; et l’on peut dire que, dès qu’il en manque une partie, il le perd tout entier. […] et dans Andromaque,                        Perfide, je le voi ; Tu comptes les momens que tu perds avec moi. […] Elle avait un fils, elle l’a perdu, elle l’attend ; ce sentiment seul l’intéresse.

1730. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Notes et éclaircissements. [Œuvres complètes, tome XIII] »

Et maintenant, plus abandonné et plus tremblant que les derniers des malheureux, que les plus vils esclaves, que les prisonniers enfermés dans de noirs cachots, n’ayant devant les yeux que les épées préparées contre lui, que les tourments et les bourreaux, privé de la lumière du jour au milieu du jour même, il attend à chaque moment la mort, et ne la perd point de vue. […] S’ils font une chute, c’est pour avoir perdu le centre de gravité. […] Ces dernières furent perfectionnées chez vous par nos réfugiés, et nous avons perdu ce que vous avez acquis.

1731. (1861) Les œuvres et les hommes. Les historiens politiques et littéraires. II. « VII. M. Ferrari » pp. 157-193

Ferrari ; mais nous croyons que ce sera là une peine perdue. […] Ferrari y ait échappé dans son intelligence et n’y ait pas entièrement perdu son talent ! […] Grand exemple qui sera probablement perdu !

1732. (1889) Les œuvres et les hommes. Les poètes (deuxième série). XI « Victor Hugo »

Puisque Victor Hugo est le poète imprécatoire et maudissant du Moyen Age, on peut s’étonner qu’il ait perdu une occasion de maudire et qu’il n’ait pas fait sortir de la cendre de l’Histoire et de leur bûcher ces Templiers, par exemple, — calomniés peut-être, mais la Calomnie fait des légendes aussi bien que la Vérité ! […] Il s’abandonne à elle et elle le perd. […] Victor Hugo entasse des montagnes de grosses choses, d’énormités et de pathos, sur ce fil de la Vierge étincelant et flottant, et ce fil ne se rompt jamais et ne perd pas un seul instant de sa mollesse et de sa grâce.

1733. (1902) Les œuvres et les hommes. Le roman contemporain. XVIII « Émile Zola »

Zola, qui croyait à une fresque monumentale, n’est arrivé qu’à une énorme photographie coloriée, qui s’amenuise et se perd dans la fatigue et l’infinité des détails. […] Zola, pour le dégrader davantage encore, le fait reprendre par l’Église aussi aisément qu’elle l’avait perdu. […] Il avait une langue autrefois, chargée, convenons-en, de trop d’énumérations, d’une houle de trop de mots, mais, en fin de compte, touffue et puissante ; et il l’a dégradée et perdue dans les argots les plus ignominieux des cabarets !

1734. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « Ernest Feydeau » pp. 106-143

Si Fanny et son amant sont ce qu’ils paraissent, s’ils n’ont encore senti, avant l’arrivée du mari, aucun remords, aucune tristesse, aucun trouble, leurs douleurs et leurs jalousies, après l’arrivée du mari dans le drame, ne sont plus que vanité ou jalousies grossières, et le livre perd le caractère que l’auteur a voulu lui donner. […] Il est une règle dans l’observation du cœur humain et de l’art qui l’exprime ; il est une règle qu’il ne faut jamais perdre de vue. […] Feydeau, qui n’a pas, en écrivant Catherine d’Overmeire, produit un livre meilleur que Fanny comme exécution, et qui en a produit un très-inférieur comme vue et portée, a pourtant regagné du terrain, le terrain qu’il avait perdu quand il écrivait Daniel.

1735. (1901) Figures et caractères

Combien se seraient perdus à travers ce dédale, prisonniers de leur curiosité, accaparés par ce détail immense ! […] Elle avait perdu à des coquetteries le sens de la beauté. […] La langue y retrouva une ampleur perdue ; des couleurs effacées depuis longtemps réapparurent. […] On n’y trouve pas de matière perdue. […] La statue est perdue et les parterres sont effacés.

1736. (1907) Jean-Jacques Rousseau pp. 1-357

Je le fis et dès cet instant je fus perdu. […] L’argent qui circule entre les mains des riches et des artisans pour fournir à leurs superfluités est perdu pour la subsistance du laboureur, et celui-ci n’a point d’habit parce qu’il faut du galon aux autres. […] Julie tombe malade, rappelle secrètement Saint-Preux, et « elle perd son innocence ». […] il va se perdre. — Voisin, ne voyez-vous pas que c’est un petit libertin qu’on a chassé de la maison de son père, etc. » C’est le gouverneur lui-même qui a préparé cette comédie… (Que d’artifices, Seigneur ! […] A peine est-elle jolie au premier aspect ; mais plus on la voit, et plus elle s’embellit ; elle gagne où d’autres perdent ; et ce qu’elle gagne elle ne le perd plus… Sans éblouir elle intéresse, elle charme, et l’on ne saurait dire pourquoi… Sophie aime la parure et s’y connaît… mais elle hait les riches habillements… Sophie a des talents naturels… Sophie est extrêmement propre.

1737. (1914) En lisant Molière. L’homme et son temps, l’écrivain et son œuvre pp. 1-315

Il a inséré ces fragments dans ses comédies, d’abord parce que l’on n’aime pas à rien perdre, ensuite parce qu’il prenait à cela un malin plaisir, en disant : « Je leur ferai applaudir ce Don Garcie qu’ils ont dédaigné ». […] Du reste il n’est pas probable ; mais le rapprochement s’impose à un professeur de littérature et qui ne le ferait perdrait son titre de professeur d’histoire littéraire. […] Il ne faut pas être avare : incontestablement ; mais il ne faut pas avoir l’air de donner raison au fils et à la fille d’un avare qui, parce qu’il est avare, ont perdu tout respect pour leur père. […] Elle a vécu isolée dans cette maison d’Orgon, ayant perdu sa mère peut-être de bonne heure, n’ayant peut-être pas grande sympathie pour cette brillante Elmire qui s’en va vêtue ainsi qu’une princesse. […] C’est un bourgeois riche et né avec une certaine largeur d’âme qu’il n’y a aucune raison qu’il ait perdue.

1738. (1903) La pensée et le mouvant

Car il ne faut pas que la complication de la lettre fasse perdre de vue la simplicité de l’esprit. […] Un effort, une émotion, peuvent ramener brusquement à la conscience des mots qu’on croyait définitivement perdus. […] Ce qu’elle aura perdu, par rapport à la science, en utilité et en rigueur, elle le regagnera en portée et en étendue. […] Peu de temps après, il perdait son père. […] Cousin, s’il fit quelque tentative de ce côté, s’aperçut bien vite qu’il perdait son temps et sa peine.

1739. (1868) Curiosités esthétiques « V. Salon de 1859 » pp. 245-358

D’ailleurs, vous n’y perdrez rien ; car existe-t-il (je me plais à constater que vous êtes en cela de mon avis) quelque chose de plus charmant, de plus fertile et d’une nature plus positivement excitante que le lieu commun ? […] Du temps perdu. […] Ainsi l’art est le seul domaine spirituel où l’homme puisse dire : « Je croirai si je veux, et, si je ne veux pas, je ne croirai pas. » La cruelle et humiliante maxime : Spiritus flat ubi vult , perd ses droits en matière d’art. […] Car pour gagner peut-être, il faudrait se résigner à perdre beaucoup. […] Un son de voix clair, mais modeste et harmonieux, se perd dans une réunion de cris étourdissants ou ronflants, et les Véronèse les plus lumineux paraîtraient souvent gris et pâles s’ils étaient entourés de certaines peintures modernes plus criardes que des foulards de village.

1740. (1870) De l’intelligence. Première partie : Les éléments de la connaissance « Livre deuxième. Les images — Chapitre premier. Nature et réducteurs de l’image » pp. 75-128

« Peu à peu, dit-il, je commençai à perdre la distinction de la figure imaginaire et de la figure réelle, et quelquefois je soutenais aux modèles qu’ils avaient déjà posé la veille. À la fin, j’en fus persuadé ; puis tout devint confusion… Je perdis l’esprit, et je demeurai trente ans dans un asile. » Au sortir de l’asile, il avait conservé la même faculté de peindre un portrait d’après l’image intérieure du modèle ; mais on l’empêcha de travailler, par crainte du même accident. […] Les images persistent encore quelque temps et ne tardent pas à pâlir ; on les voit là où l’on tourne la tête. » Ici le remède est visible : c’est l’éveil d’une sensation contradictoire ; le fantôme pâlit et perd son extériorité, à mesure que la sensation de couleur excitée par le mur devient plus nette et plus prépondérante. — Et le remède est général ; toute secousse reporte l’attention sur les sensations réelles ; un bain froid, une douche, l’arrivée d’un personnage imposant ou inattendu les tire de leur effacement et de leur nullité, les rétablit plus ou moins et pour un temps plus ou moins long, et par suite ranime avec elles la sensation particulière qui est le réducteur spécial de l’illusion. […] Mais, comme il était occupé ailleurs et point d’humeur à jouir d’un tel amusement, il perdit patience, et, frappant rudement sur la table, il s’écria avec une violente colère : “Allez à vos affaires, impudents petits coquins !

1741. (1858) Cours familier de littérature. VI « XXXIVe entretien. Littérature, philosophie, et politique de la Chine » pp. 221-315

Elle ne veut pas dire de bonne foi le grand mot de tout, le grand mot des hommes : j’ignore, et c’est pour ne pas vouloir confesser l’ignorance dans ce qu’elle ne peut pas savoir qu’elle perd son autorité et son crédit dans ce qu’elle sait. […] Nos savants distinguent quatre sortes ou classes de livres anciens ; donnons une petite notice de chacune…………………………………………………………………………………… « Les Kings ont été recouvrés par nos sages, et ce qu’on avait de plus précieux sur l’antiquité n’a pas été perdu. […] L’enfant perdit le vieillard son père trois ans après sa naissance. […] « Si les belles instructions de Yao et de Chun, répondit Tchang-Houng, viennent à se perdre ; si les sages règlements des premiers fondateurs de notre monarchie viennent à être oubliés ; si les cérémonies et la musique1 sont négligées ou corrompues ; si enfin les hommes viennent à se dépraver entièrement, la lecture des écrits que laissera Confucius les rappellera à la pratique de leurs devoirs, et fera revivre dans leur mémoire ce que les anciens ont su, enseigné et pratiqué de plus utile et de plus digne d’être conservé. » On rapporta à Confucius le magnifique éloge que Tchang-Houng avait fait de lui.

1742. (1858) Cours familier de littérature. VI « XXXVe entretien » pp. 317-396

Bien souvent c’est injuste : il y a un million de fois plus de génie, plus de vertu, dans tel homme obscur, perdu dans la foule et entraîné avec les autres par le courant dans la mer d’oubli, qu’il n’y en a dans tel demi-dieu, dans tel conquérant, dans tel illustre criminel qui surnage sur cet océan d’hommes. […] Ce n’est pas tout : un prince y voit une infinité de choses qu’on tâche de lui faire perdre de vue, et, s’il s’est fait un plan de gouvernement, il lui est aisé d’être conséquent et de tendre sans cesse à son but. […] Le bruit de sa mort avait couru ; les peuples s’étaient troublés de l’idée de perdre le chef de l’empire avant qu’il eût, suivant l’usage, désigné son successeur parmi ses enfants ; car l’empire, au fond, est une république lettrée dont le régulateur, moitié héréditaire, moitié électif, est désigné par le père grand-électeur de l’empire. […] Après quelques années, je perdis ce cher fils.

1743. (1854) Histoire de la littérature française. Tome I « Livre I — Chapitre troisième »

Les personnages de Guillaume de Lorris ont perdu leur physionomie dans Jean de Meung. […] A moi les brebis grasses, à eux les brebis maigres ; et s’ils ne sont pas contents de leur lot, gare qu’ils ne perdent mitres et crosses !  […] Je perdrais du papier à faire remarquer la vigueur de toute cette peinture. […] Celui, qui perd vent et haleine Son fiel se crevé sur son cœur Puis sent, Dieu scait, quelle sueur !

1744. (1889) Histoire de la littérature française. Tome IV (16e éd.) « Chapitre troisième »

Toutes les questions nées de l’esprit d’analyse et du besoin d’application, qui furent la noble passion et souvent l’illusion dangereuse du dix-huitième siècle, Montesquieu y touche d’une main aussi hardie que discrète, avec un art qui concilie aux nouveautés les plus audacieuses les esprits les plus timides, aux changements les plus menaçants les classes qui avaient le plus à y perdre. […] Nouvelle ressemblance avec Descartes qui, lui aussi, dans le même temps qu’il ouvrait à l’esprit humain les grandes voies, perdait sa propre route. […] Buffon, comme Descartes, cherche la solitude et fuit la société, « où, dit-il, pour une phrase quelquefois utile qu’on y recueille, ce n’est pas la peine de perdre une soirée entière. » Mais Descartes défend sa retraite avec une sorte de jalousie, et il en change à plusieurs reprises, pour dépister les visiteurs, en qui il voit des préjugés personnifiés qui viennent tenter son jugement. […] Par Bossuet, il se lia avec Fénelon, et quand la querelle du quiétisme brouilla les deux prélats, il resta neutre entre ses deux amis, pour ne pas perdre l’un en prenant parti pour l’autre.

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