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228. (1894) Journal des Goncourt. Tome VII (1885-1888) « Année 1885 » pp. 3-97

Au fond, un vrai peintre n’est jamais, dans ses tableaux, un illustrateur de littérature. […] Un peintre littéraire — on pourrait formuler cet axiome — est toujours un peintre incomplet — et cela depuis Delaroche jusqu’à Eugène Delacroix. Enfin aujourd’hui, le grand peintre m’apparaît, comme un Beaulieu, comme ce romantique cocasse du pinceau. […] Les anatomies de David, dans ses compositions peintes, ne sont pas des dessins de peintre : ce sont des épures d’architecte. […] Le vieux Parrocel, ce descendant d’une lignée de quatorze peintres, cet ex-cuisinier, héritier d’un marquisat, ce peintre, ce poète, ce musicien, cet historien d’art, ce maître d’hôtel enfin, qui n’a pu tout à fait quitter son métier, et qui l’exerce, encore gratis, en son petit château de pierre blanche, au profit des célébrités littéraires et politiques.

229. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — D — Delavigne, Casimir (1793-1843) »

Delavigne ; les tableaux du peintre sont d’excellents sujets de tragédie pour le poète, et les tragédies du poète seraient d’excellents sujets de tableaux pour le peintre ; chez tous les deux, même exécution pénible et patiente, même couleur plombée et fatiguée, même recherche de la fausse correction et du faux dramatique.

230. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « M. DE VIGNY (Servitude et Grandeur militaires.) » pp. 52-90

Si l’art, la poésie, se doivent jamais appeler le produit précieux d’un mal caché, ce n’est pas de l’art, de la poésie d’Homère et de Sophocle, ni de celle de Dante, ni de celle de Shakspeare, de Molière et de Racine, qu’on peut dire cela : ces sortes de poésies, quelque travaillées qu’elles semblent, demeurent toujours le riche et heureux, couronnement de la nature, ramis felicibus arbos ; mais c’est bien de la poésie de Jean-Jacques, de Cowper, de Chatterton, du Tasse déjà, de Gilbert, de Werther, d’Hoffmann, et de son musicien Kreisler, et de son peintre Berthold de l’Église des Jésuites, et de son peintre Traugott de la Cour d’Arthus, c’est de toutes ces poésies, et c’est aussi de celle de Stello, qu’on peut à bon droit le dire. M. de Vigny n’a pas été seulement, dans Stello et dans Chatterton, le plus fin, le plus délié, le plus émouvant monographe et peintre de cette incurable maladie de l’artiste aux époques comme la nôtre, il a été et il est poëte. […] On pourrait naturellement rappeler aussi, à côté d’Éloa, l’Endymion de Girodet, de ce peintre ami de notre poëte, et comme lui de la race de ceux qui se tourmentent eux-mêmes. […]  — On peut dire encore de la manière et du ton du poëte ce que Reynolds a écrit de certains peintres : « J’ai rencontré une fois N… depuis votre départ ; j’ai bien reconnu cette conversation que vous m’indiquiez, toute fine et pointillée ; tout parle en lui quand il vous décrit quelque objet : son geste, son ongle élégant, sa paupière soyeuse qui se plisse, sa lèvre discrète qui sourit en s’amincissant. […] Ce sont, vous le dites bien, des miniatures, — des miniatures par un grand peintre, et qui pourtant ne fera peut-être jamais que des miniatures.

231. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « Saint-Simon considéré comme historien de Louis XIV, par M. A. Chéruel »

Chéruel sur presque tous les points, lorsqu’on a reconnu la justesse de la plupart de ses observations, pourtant rien n’est changé au mérite de Saint-Simon ; il reste ce qu’il est, Saint-Simon après comme devant, le plus prodigieux des peintres de portraits et le roi de toute galerie historique. […] Il est, je le répéterai à satiété, un moraliste et un peintre ; mais il est l’un et l’autre à un degré qui constitue le prodige, la merveille, et qui révèle le génie. […] Saint-Simon est tellement peintre jusqu’au bout des ongles qu’une fois il s’est montré tout émerveillé d’un mot échappé à Louis XIV près de sa fin, et qui lui fut redit par Maréchal, le chirurgien du roi. […] La Bruyère, grand peintre, est abstrait à côté de Saint-Simon : j’ajouterai qu’il l’est moins depuis que celui-ci a parlé.

232. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Le président de Brosses. Sa vie, par M. Th. Foisset, 1842 ; ses Lettres sur l’Italie, publiées par M. Colomb, 1836. » pp. 85-104

» Il sent qu’on est, par ennui, à la veille d’une réaction ; que les Hollandais et les Flamands, non pas seulement les plus grands comme Van Dyck et Rubens, mais ceux d’une moindre manière, vont l’emporter et prendre le dessus dans l’estime : « Ne serait-ce pas l’extrême platitude du coloris de nos peintres français qui aurait contribué à jeter notre goût dans l’excès opposé ?  […] Il est sévère en général pour les peintres antérieurs à Raphaël, et même injuste pour les pauvres rénovateurs si méritants de l’art en Italie, les Cimabue, les Orcagna. Michel-Ange, peintre, ne l’enlève jamais ; tout en le saluant, il ne lui passe point sa furie d’anatomie, son goût outré et féroce : « Il muscle ses femmes comme des Hercules. » Raphaël seul a toutes ses admirations, et encore sa tendresse est plutôt pour le Corrège. […] Il goûte certes la gaieté italienne et le comique de Machiavel ; mais il ne trouve pas, comme Algarotti, qu’on puisse mettre sa Mandragore en comparaison avec les bonnes pièces de Molière « qui sont excellentes par toute l’Europe et des chefs-d’œuvre pour nous : En effet, s’écrie-t-il avec quelque chose de cet enthousiasme qu’il portait dans les Chambres du Vatican, quiconque, à jour et à jamais, voudra connaître à fond la nation française du siècle passé, n’aura qu’à lire Molière pour la savoir sur le bout du doigt ; aussi dans ma dispute avec Algarotti, lui soutins-je que nul homme n’était jamais allé aussi loin dans son art que Molière dans le sien, c’est-à-dire qu’il était encore plus grand comique qu’Homère n’était grand épique, que Corneille n’était grand tragique, que Raphaël n’était grand peintre, que César n’était grand capitaine.

233. (1767) Salon de 1767 « Adressé à mon ami Mr Grimm » pp. 52-65

Quoi, Mr Boucher, vous à qui les progrès et la durée de l’art devroient être spécialement à cœur, en qualité de premier peintre du roi, c’est au moment où vous obtenez ce titre que vous donnez la première atteinte à une de nos plus utiles institutions, et cela par la crainte d’entendre une vérité dure ? […] Je voudrais donc que Mr le directeur des académies obtînt un ordre du roi qui enjoignît, sous peine d’être exclu, à tout artiste, d’envoyer au sallon deux morceaux au moins, au peintre deux tableaux, au sculpteur une statue ou deux modèles. […] Ce sont ces gens-là qui décident à tort et à travers des réputations ; qui ont pensé faire mourir Greuze de douleur et de faim ; qui ont des galeries qui ne leur coûtent guères ; des lumières ou plutôt des prétentions qui ne leur coûtent rien ; qui s’interposent entre l’homme opulent et l’artiste indigent ; qui font payer au talent la protection qu’ils lui accordent ; qui lui ouvrent ou ferment les portes ; qui se servent du besoin qu’il a d’eux pour disposer de son temps ; qui le mettent à contribution ; qui lui arrachent à vil prix ses meilleures productions ; qui sont à l’affût, embusqué derrière son chevalet ; qui l’ont condamné secrètement à la mendicité, pour le tenir esclave et dépendant ; qui prêchent sans cesse la modicité de fortune comme un aiguillon nécessaire à l’artiste et à l’homme de lettres, parce que, si la fortune se réunissait une fois au talent et aux lumières, ils ne seroient plus rien ; qui décrient et ruinent le peintre et le statuaire, s’il a de la hauteur et qu’il dédaigne leur protection ou leur conseil ; qui le gênent, le troublent dans son attelier, par l’importunité de leur présence et l’ineptie de leurs conseils ; qui le découragent, qui l’éteignent, et qui le tiennent, tant qu’ils peuvent dans l’alternative cruelle de sacrifier ou son génie, ou son élevation, ou sa fortune. […] Or notre philosophe prétend que c’est jusqu’à cette idée générale, jusqu’à cette vérité qu’il faut que le peintre s’élève dans ses productions, sans quoi il ne serait que le copiste de la chose individuelle, un portraitiste, et son tableau ne serait qu’une chose du troisième rang, après la vérité ou l’idée générale et la chose individuelle qui en est une émanation ou une copie ; son tableau ne serait alors qu’une copie de cette copie.

234. (1895) Histoire de la littérature française « Cinquième partie. Le dix-huitième siècle — Livre V. Indices et germes d’un art nouveau — Chapitre III. Retour à l’art antique »

Mais Caylus n’était pas un érudit seulement, c’était un artiste ; dans l’archéologie il cherchait des leçons pour nos peintres et nos sculpteurs. […] Son hymne à David sur le Serment du Jeu de Paume, n’est pas seulement une manifestation de libéralisme politique, il y célèbre le génie et le goût du peintre. […] Voyage de Nointel. avec le peintre J.

235. (1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « SAINTE-BEUVE CHRONIQUEUR » pp. -

Jamais il ne s’appliqua tant qu’en ces années la devise du peintre antique, qui est devenue tout à fait, de nos jours, celle des nouvellistes et des correspondants des journaux français à l’étranger : Nulla dies sine linea. […] « Ce dernier trait, dit Sainte-Beuve, (tel que M. de Balzac l’emploie) peut être vrai d’un artiste sculpteur ou peintre qui, au lieu de se mettre à l’œuvre, passe son temps à disserter et à raisonner ; mais, dans l’ordre de la pensée, cette parole du romancier, qui revient souvent sous la plume de toute une école de jeunes littérateurs, est à la fois (je leur en demande bien pardon) une injustice et une erreur.

236. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre XXXII. Des éloges des hommes illustres du dix-septième siècle, par Charles Perrault. »

Enfin ceux qui sentent tout le prix des talents, et qui ont le goût des arts, voient avec intérêt, à la suite des princes, des généraux et des ministres, les noms des artistes célèbres ; de Lully, de Mansart, de Le Brun ; de ce Claude Perrault, qu’on essaya de tourner en ridicule, et qui était un grand homme ; de la Quintinie, qui commença par plaider avec éloquence, et qui finit par instruire l’Europe sur le jardinage ; de Mignard, dont ses parents voulurent faire un médecin, et dont la nature fit un peintre ; du Poussin, qui, las des intrigues et des petites cabales de Paris, retourna à Rome vivre tranquille et pauvre ; de Le Sueur qui mérita que l’envie allât défigurer ses tableaux ; de Sarrazin, qui, comme Michel-Ange, fut à la fois sculpteur et peintre, et eut la gloire de créer les deux Marsis et Girardon ; de Varin, qui perfectionna en homme de génie l’art des médailles ; enfin du célèbre et immortel Callot, qui eut l’audace, quoique noble, de préférer l’art de graver, à l’oisiveté d’un gentilhomme, et qui imprima à tous ses ouvrages le caractère de l’imagination et du talent.

237. (1923) Nouvelles études et autres figures

Avant que sa vocation de peintre s’éveillât, il avait rêvé la gloire littéraire. […] Écrivain et peintre, ou, comme on l’a dit, peintre en deux langues, original dans l’une et dans l’autre, il se fit une place à part au premier rang des artistes de son siècle. Mais peu à peu l’écrivain l’emporte sur le peintre. […] On a eu raison de remarquer que chez lui le peintre a moins gagné au voisinage de l’écrivain que l’écrivain au voisinage du peintre. […] Que ce soit un paysage ou un portrait, tous deux composent comme des peintres.

238. (1896) Journal des Goncourt. Tome IX (1892-1895 et index général) « Année 1893 » pp. 97-181

Et il revient sur le procès du peintre avec le journaliste anglais, qui avait parlé de l’impertinence de demander mille guinées pour « jeter un pot de couleur à la figure du public ». […] Quand on compare ce portrait au portrait de Guizot par Delaroche, Delaroche paraît un bien pauvre peintre. Une parenté dans la construction de la tête de Chateaubriand et de Lamartine, tels que nous font voir les deux écrivains, les deux peintres Guérin et Decaisne. […] C’est le peintre qui a été le dernier continuateur de la couleur anglaise, importée par Delacroix, dans le Massacre de Scio. […] Et pas peintre du tout en écriture, des gens qu’il a rencontrés dans la vie.

239. (1889) L’art au point de vue sociologique « Chapitre cinquième. Le réalisme. — Le trivialisme et les moyens d’y échapper. »

Zola semble oublier que la somme totale des fonctions du mécanisme humain se trouve dans la conscience, non ailleurs, et que le romancier, à l’encontre du sculpteur ou du peintre, aura toujours pour objet d’étude essentiel et presque unique l’état de conscience. […] Le peintre, par exemple, se trouve devant deux grands problèmes : le dessin et la couleur : or le trait n’existe pas dans la réalité, la couleur y a des nuances insaisissables au pinceau. Balzac, dans une de ses nouvelles, a montré un peintre aux prises avec le dessin, et Zola, dans son roman, nous montre le sien désespéré devant la couleur, qui, depuis Delacroix est le tourment des peintres. […] Il faut donc que le peintre ait le talent d’envelopper d’ombre tout ce qui n’est pas l’intérêt de la scène. […] Le peintre voit son passé à travers des couleurs et des formes, des couchers de soleil, des aurores, des teintes de verdure.

240. (1892) Journal des Goncourt. Tome VI (1878-1884) « Année 1884 » pp. 286-347

De l’hôpital, il saute soudain au portrait d’un de ses amis, un vrai peintre, qu’il a rencontré, un jour, dans le jardin du Luxembourg, mangeant sur son pain, des pousses de tilleul du jardin, et si artiste, ajoute-t-il, que lorsque je l’aidais d’une pièce de quarante sous, il achetait trente sous d’eaux-fortes de Tiepolo. […] Chez les peintres, l’envie est tempérée par une certaine gaminerie, par une enfance de toute la vie, qui rend cette envie moins amère, moins noire que chez l’homme de lettres. […] Pierre Gavarni me parle, ce soir, de dédicaces laudatives de Champfleury, mises en tête des livres envoyés à son père, et même de tentatives d’abouchement qui n’ont pas réussi… ça expliquerait un peu le jugement sévère du critique sur les dessins du peintre, dont le chic fait rire. […] La mort de cet homme de trente-huit ans, de ce garçon si aimable et si ingénieux à vous faire du plaisir et de la joie chez lui, de ce peintre, si peintre, a rencontré une sympathie bien naturelle, et c’est merveilleux et touchant, le luxe des fleurs déposées sur son cercueil. […] J’ai vu d’autres enfants de son âge, dessiner, et dessiner aussi bien que lui, mais je n’en ai pas vu faire des ciels, des colorations d’orage, des feux d’artifice de soleil couchant, enfin se livrer à des barbouillages, ressemblant mieux à la marbrure brouillée d’une palette de peintre de talent.

241. (1767) Salon de 1767 « Peintures — Robert » pp. 222-249

Mais c’est comme on porte sa main sur les vases sacrés que j’aventure cette critique, en tremblant. à une autre heure du jour, à une autre lumière, dans une autre exposition, peut-être ferais-je amende honorable au peintre. […] Voyez le beau champ ouvert aux peintres de ruines, s’ils s’avisaient d’avoir des idées, et de sentir la liaison de leur genre avec la connaissance de l’histoire. […] Que le peintre de ruines m’en montre un accroché à une grande hauteur, dans un endroit très-périlleux ; et qu’il en place deux autres au bas qui le regardent tranquillement. […] C’est que pour animer des ruines par de semblables incidens, il faudrait un peintre d’histoire. […] Machy n’est qu’un bon peintre, Robert en est un excellent.

242. (1887) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (deuxième série). IX « Michelet » pp. 167-205

Eh bien, ce peintre si coupable que fut Michelet dans son livre de l’Amour, ce peintre qu’on avait la faiblesse d’aimer quand il aurait fallu la force de le maudire, c’est lui qu’on cherche presque en vain, dans son autre livre de la Femme, à travers ces idées connues, si fausses et si vides, qui, elles ! […] Un peintre de langue, un écrivain, un grand artiste, oui ! […] Peintre avant tout (quand il l’était), homme de vulgarisation pittoresque, Michelet n’est qu’un impotent métaphysique qui n’a pas une idée en propre, une initiative qui lui appartienne. […] Tout son génie philosophique et historique, que je ne confonds pas avec son talent de peintre d’Histoire, n’est que du Christianisme abaissé, décapité, dédivinisé, sans ce qui est la toute-puissance et la toute vérité du Christianisme : — le Surnaturel !

243. (1890) Le réalisme et le naturalisme dans la littérature et dans l’art pp. -399

Quand le peintre ne songe qu’à faire voir, il a tant à montrer ! […] Mais que de fois le costume, la « trongne », la grimace, suffisent à satisfaire le peintre ! […] Même préoccupation chez les peintres. […] Que fera donc le vrai poète, le vrai romancier, le peintre ? […] Cherbuliez et Theuriet ; des peintres de grande audace, Rigault, M. 

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