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35. (1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « XXVI » pp. 100-108

Lui qui excelle d’ordinaire dans ces sortes de solennités a paru, cette fois, plus embarrassé et moins vif que de coutume : son discours n’a pas de ces traits par lesquels il sait si bien relever le poli de ses paroles. […] A la tribune politique, il a trouvé souvent des épigrammes piquantes, ou bien des paroles lucides pour des expositions d’affaires qu’il entend très-nettement ; mais dans les vrais et sérieux débats, il est toujours demeuré insuffisant. […] Et pourtant… ce qu’il y a de plus naturel chez lui dans tout cela, c’est son esprit, c’est la beauté de sa parole. […] Tous les trois, doués ainsi diversement, mais au plus haut degré, du talent de la parole, ils ont possédé moins également celui d’écrire. […] Guizot, au début, l’avait aussi peu que possible, eu égard à sa distinction ; il a écrit peut-être quelques-unes des plus mauvaises pages qu’on ait lues en français (dans sa notice en tête de la traduction de Shakspeare) ; il s’est formé depuis au style écrit par l’habitude de la parole, et l’usage, le maniement si continuel et si décisif qu’il a eu de celle-ci, l’a conduit à porter dans tout ce qu’il écrit la netteté inséparable de sa pensée. — Cousin est peut-être celui des trois qui, sans effort, atteindrait le mieux au grand style d’autrefois et qui jouerait le plus spécieusement, plume ou parole en main, la majestueuse simplicité du siècle de Louis XIV. — Pour Villemain, par l’éclat même et les élégantes sinuosités de sa recherche, il trahit un âge un peu postérieur ; il enchérit à quelques égards sur le xviiie  siècle, en même temps qu’il le rafraîchit, qu’il l’embellit avec charme et qu’il l’épure.

36. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Deuxième partie. — Chapitre XVIII. »

Le peuple répète des paroles antiques, et jamais on ne soupçonne d’impiété ces foules qui s’écrient : Nous louons le Père, le Fils et le Saint-Esprit de Dieu. […] Comment la parole le louera-t-elle, toi qui es ineffable ? […] Tu es seul inexprimable, toi qui as créé tout ce que la parole exprime ; tu es seul impossible à connaître, toi qui as créé tout ce que perçoit l’intelligence. […] D’autres peut-être obsèdent mes enfants, me les dérobent par d’insidieuses paroles. […] maîtres de la lumineuse sagesse, écoutez-moi ; et, quand je me hâte vers la céleste route, révélez-moi les vertus et les mystères des paroles sacrées ! 

37. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Bourdaloue. — I. » pp. 262-280

Il a prêché la parole sainte, il a été l’homme du verbe évangélique ; il a été une grande et puissante voix. […] Rien de tel pour Bourdaloue : sa personne et tout ce qui touche l’homme, l’individu auteur ou orateur, a disparu dans la plénitude et l’excellence ordinaire de sa parole, ou plutôt il y est passé et s’y est produit tout entier. […] « On versera dans votre sein une bonne mesure qui sera pressée, entassée, comblée. » Cette parole de l’Évangéliste, qu’il cite dès son premier sermon, lui est applicable. […] il vous a plu, Seigneur, de les exaucer, et j’ai en la consolation de voir ma parole accomplie. […] On retrouve encore cependant le héros dans les dernières paroles que l’orateur en rapporte ; et cet orateur est un témoin très grave, c’est Bossuet.

38. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Campagnes d’Égypte et de Syrie, mémoires dictés par Napoléon. (2 vol. in-8º avec Atlas. — 1847.) » pp. 179-198

Toute âme forte et grande, aux moments où elle s’anime, peut se dire maîtresse de la parole, et il serait bien étrange qu’il n’en fût pas ainsi. […] Leur parole, à tous deux, se grave à la pointe du compas, et, certes, l’imagination non plus n’y fait pas défaut. […] Du vivant de Napoléon, l’action couvrait tout ; on ne se doutait pas qu’il y aurait là, plus tard, matière à admirer la parole même. […] Les paroles empruntent de celui qui les dit une portée extraordinaire. […] Chacun de ses pas désormais est marqué par une parole, par un de ces mots historiques qu’on retient parce qu’il est éclairé de gloire.

39. (1854) Nouveaux portraits littéraires. Tome I pp. 1-402

Toutes ses paroles auraient été écoutées avec respect. […] Quel amant ne reculerait devant cette parole menaçante ! […] Ainsi la parole recueillie par des milliers d’oreilles est une parole morte, une parole adressée aux vagues de l’Océan, que le vent emporte et balaie, une parole sans écho ; se confesser devant la foule, c’est converser avec soi-même ; qui oserait se plaindre ? […] Il encourageait lui-même cette croyance par ses paroles. […] Il a transformé sa parole, il n’a pu transformer sa personnalité.

40. (1904) Prostitués. Études critiques sur les gens de lettres d’aujourd’hui « Chapitre VII. Repos »

qu’ils sont nombreux les vendeurs de paroles fardées, les ignobles marchands de sourires. […] Ses paroles de flamme caressent l’impossible beauté. […] Le Christ lui répond : Il n’y a qu’une seule Parole. […] Il faut les écouter pour le charme qui émane de leur parole. […] Et voici des joies sensuelles relevées de sourires ironiques et de fines paroles.

41. (1886) Quelques écrivains français. Flaubert, Zola, Hugo, Goncourt, Huysmans, etc. « Victor Hugo » pp. 106-155

S’il est des mots qui puissent rendre la vague terreur d’un tyran inquiet des murmures des honnêtes gens, ce sont des vers comme ceux-ci : Et ces paroles qui menacent, Ces paroles dont l’éclair luit, Seront comme des mains qui passent Tenant des glaives dans la nuit. […] Victor Hugo s’associe de telle sorte à la simplicité de ses idées, qu’il reste indécis s’il use de son élocution prodigieuse pour dissimuler la faiblesse de sa pensée, ou si celle-ci s’interdit toute activité dépensée en belles paroles. […] Hugo(car la psychologie ne distingue pas la parole prononcée de la parole écrite) que nous allons partir, quitte à revenir sur nos raisonnements, si l’explication qu’elles nous auront fournie ne rend pas compte également des facultés mentales du poète. […] Le poète dont toute l’activité intellectuelle se dépense en mots, qui use sans cesse de ces brillants faux jetons de la pensée, rie pourra s’empêcher de voir les choses aussi démesurées que les paroles qui les magnifient. […] Mais cette localisation qui paraît juste pour le mécanisme musculaire de la parole, ne peut-être celle du langage.

42. (1858) Cours familier de littérature. V « XXXe entretien. La musique de Mozart (2e partie) » pp. 361-440

Son brutal protecteur l’injurie grossièrement de parole et de geste ; il est mis à la porte par les épaules et pourchassé jusqu’au bas de l’escalier avec les épithètes les plus abjectes. […] Il serait impossible d’exprimer par des paroles l’agitation fiévreuse qui règne dans l’orchestre pendant tout ce dialogue. […] Nous concevons que la foule s’y trompe et que la musique ne dise rien à ses oreilles sourdes, à moins qu’un orchestre immense ne lui fasse du bruit, que des paroles ne lui interprètent des notes, et qu’une tragédie ne lui traduise ces paroles et ces notes par ses gestes, par son accent et par sa physionomie. […] Est-ce qu’on n’est pas étouffé quelquefois dans l’amour, dans l’enthousiasme, dans la prière, par l’impossibilité de produire au dehors en paroles l’impression qui vous oppresse ? […] Parce que les paroles, bien qu’en expliquant la musique pour le vulgaire, limitent cette musique pour le cœur et pour l’imagination de l’homme bien organisé : la parole, c’est le fini ; la musique, c’est l’infini : voilà son domaine !

43. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Massillon. — I. » pp. 1-19

La vocation de la parole était désormais trop manifeste en lui pour qu’il songeât à y résister. […] L’innovation de Massillon, venant après Bourdaloue, fut d’introduire le pathétique et un sentiment plus vif et plus présent des passions humaines dans l’économie du discours religieux, et d’attendrir légèrement la parole sacrée sans l’amollir encore. […] Massillon plaira à celui qui a une certaine corde sensible dans le cœur, et qui préfère Racine à tous les poètes ; à celui qui a dans l’oreille un vague instinct d’harmonie et de douceur qui lui fait aimer jusqu’à la surabondance de certaines paroles. […] On y lit, dès le début, des paroles bien touchantes sur la souffrance universelle, apparente ou cachée, qui est de toutes les conditions, de tous les états, de toutes les âmes. […] quelle précision dans ses paroles !

44. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Correspondance de Lammenais » pp. 22-43

A tout moment, de belles paroles, des paroles élevées, pénétrantes, en même temps que suaves, lui échappent, et l’on s’étonne que l’on puisse avoir tant de talent, tant de ressorts dans l’âme (car il n’est pas si monotone qu’on l’a dit) avec si peu de bon sens pratique. Voulez-vous des paroles grandes et magnifiques ? […] Le Lamennais des Paroles d’un Croyant sortit un jour de cette lutte intérieure et de cette poignante agonie ; il brisa soudainement avec son passé. […] Il reçut la visite du libraire, s’entendit avec lui, et partit en me laissant les soins de l’impression : « Vous êtes maître absolu, me dit-il ; vous changerez ce qu’il vous plaira. » C’était là une parole de confiance dont j’entendais bien ne pas user. […] Cette publication des Paroles d’un Croyant rompit toute incertitude sur les pensées de Lamennais et fixa aux yeux de tous et aux siens propres sa situation.

45. (1920) La mêlée symboliste. II. 1890-1900 « Stéphane Mallarmé » pp. 146-168

Il savait rendre, par sa parole animée, les maillots d’actrice un sujet digne de Platon. […] Laurent Tailhade s’extasie également sur ce miraculeux don de parole : Jamais causeur plus exquis, plus varié, plus fécond en trouvailles. […] Est-ce par la seule magie de sa parole qui provoquait chez ses auditeurs « une sorte de griserie intellectuelle » ? […] Autre chose est de se murmurer des paroles à soi-même dans la solitude, au coin du feu, ou de les proférer en plein air, quand on se sent écouté et qu’on prend charge d’âmes. […] Ceci explique pourquoi l’unanimité se rompt des disciples de Mallarmé lorsque, affranchis de sa parole et désenvoûtés de sa présence, ils ne l’écoutent plus que dans ses livres.

46. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Le Palais Mazarin, par M. le comte de Laborde, de l’Institut. » pp. 247-265

La première fois qu’il le présenta à la reine après cette affaire de Casal : « Madame, lui dit-il, vous l’aimerez bien, il a l’air de Buckingham. » S’il se permit, en effet, une telle parole, il ne savait pas prédire si juste. […] » J’entendis ces paroles très distinctement ; elles me touchèrent peut-être plus, qu’il n’en était touché lui-même. […] » En entendant ces paroles, en voyant cette mise en scène si dramatique et si imprévue de l’ode d’Horace : « Linquenda tellus, et domus… », on est touché comme Brienne ; mais prenez garde ! […] Un jour, Brienne, entrant à petits pas dans la chambre du cardinal, au Louvre, le trouva sommeillant au coin de son feu, dans son fauteuil : sa tête allait en avant et en arrière par une sorte de balancement machinal, et il murmurait, tout en dormant, des paroles inintelligibles. […]  » C’étaient les mêmes paroles qu’il prononçait machinalement en dormant, et que Brienne n’avait pas d’abord distinctement entendues.

47. (1917) Les diverses familles spirituelles de la France « Chapitre iv »

Mais nous avons la Croix du Calvaire et puis la Parole. »‌ Approchons-nous, écoutons, tâchons de saisir les nuances belles et profondes qui distinguent la haute vie spirituelle des protestants à la guerre. […] Il trouve les paroles les plus délicates pour les blessés, de la tendresse et des consolations pour chacun. […] La parole, Son âme bénit l’Eternel, explique le genre de sa vaillance. […] (Cité par M. le pasteur John Vienot dans Paroles françaises 10).‌ […] Mais, à mon âge surtout, le temps est court ; les occasions qui me sont offertes de vous annoncer la Parole de Dieu sont d’autant plus précieuses qu’elles sont désormais plus rares, et je ne puis m’empêcher d’espérer que celle-ci sera particulièrement favorable.

48. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Première partie. Préparation générale — Chapitre VI. Utilité possible de la conversation »

La parole est ainsi la meilleure épreuve de l’idée, qu’elle fait sortir des régions vagues et obscures de l’intelligence : elle la crée autant qu’elle en est créée. […] On ne s’écoute pas réciproquement, chacun songe à ce qu’il va dire et épie le moment de saisir la parole. […] On accepte toute parole de ceux qu’on aime, et on n’en limite point la portée. […] En un mot, au lieu de se persuader qu’on a affaire à de purs esprits et à des axiomes universels, on croira qu’on a devant soi un individu vivant, en qui tout est borné et relatif, chez qui les affections, les habitudes, la disposition physique font échec à la vérité ; on prendra la parole qu’on entend pour le signe de l’âme qu’on ne voit ni n’entend ; on tâchera par elle de deviner ce qu’est l’invisible personne qui ne se laisse jamais atteindre que par le dehors.

49. (1854) Nouveaux portraits littéraires. Tome II pp. 1-419

S’obstiner à vouloir les convaincre serait perdre son temps et ses paroles. […] La première parole qui se présente, pourvu qu’elle s’accorde avec le rythme ou fournisse la rime, est à ses yeux une parole poétique. […] Nous sommes donc obligé, cette fois encore, de le croire sur parole. […] Il a pris dans le conteur le thème de ses paroles, mais ses paroles lui appartiennent tout entières, et personne n’aie droit de les réclamer. […] Et, qu’on ne s’y trompe pas, les paroles que j’écris sont des paroles sérieuses.

50. (1853) Portraits littéraires. Tome II (3e éd.) pp. 59-300

La parole de Juvénal étincelle et retentit comme le fer sur l’enclume. […] Barbier a trouvé pour l’abaissement de Venise, des paroles pleines de tristesse et d’éloquence. […] Comme il n’y a dans cette plainte mélancolique aucune parole inutile, chaque parole porte coup. […] Le bégayement de sa parole n’est que l’écho du bégaiement de sa pensée. […] Chacune de ses paroles, une fois prononcée, sera pour lui une occasion de louange ou de blâme.

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