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16. (1913) Les antinomies entre l’individu et la société « Chapitre XI. L’antinomie sociologique » pp. 223-252

Car peu d’individus ont la force d’esprit nécessaire pour mépriser l’opinion. […] Ils ne sont capables, à l’endroit de l’opinion et de l’autorité, que d’un sentiment et d’une attitude : le respect et l’obéissance. […] Il fait semblant d’y croire, par concession à l’opinion, par déférence pour l’opinion, déférence condescendante et un peu dédaigneuse. […] Sur l’origine et la nature des croyances collectives, plusieurs opinions ont été soutenues. […] On peut rapprocher cette opinion celle de Voltaire qui assigne l’imposture des prêtres comme l’origine des religions.

17. (1818) Essai sur les institutions sociales « Chapitre VII. Les hommes partagés en deux classes, d’après la manière dont ils conçoivent que s’opère en eux le phénomène de la pensée » pp. 160-178

Maintenant je puis me décider à vaincre certaines répugnances de ceux qui sont placés à la tête du mouvement de la société, soit pour attaquer les opinions nouvelles, soit pour les défendre. […] On me pardonnera de prendre ainsi mes précautions d’avance, puisque c’est pour m’accommoder aux opinions nouvelles, et les expliquer : cela, au reste, n’augmente ni ne diminue en rien le crédit de ces opinions ; c’est une méthode pour mes lecteurs aussi bien que pour moi. […] C’est là que repose, à mon avis, toute la difficulté ; mais enfin si les conséquences et les résultats, quelles que soient mes opinions intimes, sont favorables aux partisans des idées nouvelles, ils n’auront pas à se plaindre. […] Ces néophiles, ainsi égarés, ne peuvent prêter à leurs opinions que la lumière de leur esprit, sans y ajouter l’autorité d’une raison supérieure. […] Ainsi, en définitive, de ce que l’opinion des peuples existe à présent comme puissance dirigeante, il ne finit pas conclure la souveraineté du peuple et l’usurpation des gouvernements.

18. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Seconde partie. De l’état actuel des lumières en France, et de leurs progrès futurs — Chapitre IX et dernier. Conclusion » pp. 586-601

L’on dit que les lumières et tout ce qui dérive d’elles, l’éloquence, la liberté politique, l’indépendance des opinions religieuses, troublent le repos et le bonheur de l’espèce humaine. […] Les opinions que vous voudriez soutenir contre votre persuasion, vous ne pourriez ni les approfondir par l’analyse, ni les animer par l’expression. […] Mais, dix ans après, la route de l’existence est déjà profondément tracée, les opinions qu’on a montrées ont heurté des intérêts, des passions, des sentiments, et votre âme et votre pensée n’osent plus s’abandonner en présence de tous ces juges irrités : l’imagination peut-elle résister à cette foule de souvenirs pénibles qui vous assiègent à tous les moments ? […] Les premiers pas qu’on fait dans l’espoir d’atteindre à la réputation sont pleins de charmes, on est satisfaite de s’entendre nommer, d’obtenir un rang dans l’opinion, d’être placée sur une ligne à part ; mais si l’on y parvient, quelle solitude, quel effroi n’éprouve-t-on pas ! […] Les affections modifient toutes nos opinions sur tous les sujets : l’on aime tels ouvrages parce qu’ils répondent à des douleurs, à des souvenirs qui disposent de nous-mêmes à notre insu ; l’on admire avant tout certains écrits, parce que seuls ils ont ému toutes les puissances morales de notre être.

19. (1905) Les ennemis de l’art d’écrire. Réponse aux objections de MM. F. Brunetière, Emile Faguet, Adolphe Brisson, Rémy de Gourmont, Ernest Charles, G. Lanson, G. Pélissier, Octave Uzanne, Léon Blum, A. Mazel, C. Vergniol, etc… « VIII »

Nous ne rappellerons que pour mémoire certaines opinions fantaisistes sur lesquelles il est inutile d’insister. […] Pour mon compte, mon opinion sur Bernardin est bien mienne. […] Mais on préfère attribuer cette opinion à la rancune de Bossuet. « Le grand évêque, dit-on, a saisi l’occasion de faire expier à son illustre collègue la très éloquente Réponse à la Relation de M. de Meaux. » Ceci est une calomnie gratuite contre Bossuet. […] Magister dixit. » (Que Télémaque soit une pâle imitation des Anciens, il faut être à peu près aveugle pour ne point le voir, et la preuve que je ne suis pas seul de cet avis, c’est que j’ai cité l’opinion toute semblable de MM.  […] Mes opinions n’embarrassent pas mes adversaires.

20. (1757) Réflexions sur le goût

elle a dû principalement révolter ceux de nos écrivains qui pensent qu’en fait de goût comme dans des matières plus sérieuses, toute opinion nouvelle et paradoxe doit être proscrite par la seule raison qu’elle est nouvelle. […] Que dirait-on d’un musicien qui pour prouver que le plaisir de la mélodie est un plaisir d’opinion, dénaturerait un air fort agréable en transposant au hasard les sons dont il est composé ? […] C’est en examinant avec attention cette différence, qu’il parviendra à déterminer jusqu’à quel point l’habitude influe sur le plaisir que nous font la poésie et la musique, ce que l’habitude ajoute de réel à ce plaisir, et ce que l’opinion peut aussi y joindre d’illusoire. Car il ne confondra point le plaisir d’habitude avec celui qui est purement arbitraire et d’opinion ; distinction qu’on n’a peut-être pas assez faite en cette matière, et que néanmoins l’expérience journalière rend incontestable. […] Mais l’envie de se distinguer fronde les opinions dans la théorie, et l’amour-propre qui craint d’échouer les ménage dans la pratique.

21. (1905) Les œuvres et les hommes. De l’histoire. XX. « Innocent III et ses contemporains »

Conséquent dans sa vie aux opinions et aux sentiments de ses ouvrages, le président du consistoire de Schaffouse s’est fait depuis catholique. […] Prendre l’opinion de Hurter pour autre chose que pour l’opinion de Hurter, c’est méconnaître profondément l’état des esprits en Allemagne. […] Parce qu’une opinion vient d’Allemagne, ce n’est pas une raison pour que nous ne lui demandions pas son droit à notre respect, ce droit qui n’est d’aucun pays. […] Nous n’avons pas non plus un tel fétichisme pour nos propres opinions qu’un homme, par cela seul qu’il les partage, nous paraisse, comme à Saint-Chéron, un historien sans égal. […] L’opinion rompit avec la croyance, et ce levier que l’Église plaçait sur le cœur des peuples ne retrouva pas son point d’appui.

22. (1875) Premiers lundis. Tome III « Sur le sénatus-consulte »

Cela revient à se demander : Comment l’opinion s’est-elle réveillée ? […] Tous avaient leur spécialité, et ce qui se rapportait à ce souci continu et perpétuel de l’opinion, à cette observation de la température morale, si je puis dire, et à l’action qu’il eût été possible d’y exercer en temps utile, cette partie vague et flottante de la politique, et si essentielle pourtant, ne rentrait dans la sphère ni dans le département de personne. […] » Mais si un autre jour, et cela a dû arriver bien des fois, on disait à quelqu’un de ces hommes d’État qui ne comptaient point dans leur spécialité l’opinion, qui n’en paraissaient pas même soupçonner l’existence et les courants cachés persistants : « Mais prenez garde ! […] Après cela, il est vrai que l’opinion en France se réveille assez périodiquement tous les quinze ou dix-huit ans. […] Car figurez-vous bien, vous qui êtes des sages, une mesure commandée par l’opinion, votée par la Chambre élective, arrivant au Sénat, et le Sénat lui disant non, y opposant son vélo, un véto muet, sans vouloir donner ses raisons.

23. (1898) L’esprit nouveau dans la vie artistique, sociale et religieuse « II — Se connaître »

Cette sorte d’esprits inamovibles constitue le gros de l’opinion. […] La seconde opinion est celle des penseurs de plus large envergure, de ceux qui passent pour appartenir à l’élite. Ceux-là ont voyagé, lu, médité, ils se sont fait une opinion personnelle. […] On remarquera que les trois hommes dont je vais citer l’opinion représentent des nuances différentes du plus pur sentiment français.‌ […] L’opinion du Français est immuable, lorsqu’il s’agit de sa patrie.

24. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Seconde partie. De l’état actuel des lumières en France, et de leurs progrès futurs — Chapitre premier. Idée générale de la seconde Partie » pp. 406-413

Cette révolution peut, à la longue, éclairer une plus grande masse d’hommes ; mais, pendant plusieurs années, la vulgarité du langage, des manières, des opinions, doit faire rétrograder, à beaucoup d’égards, le goût et la raison. […] Il faut donc examiner d’abord les deux principaux obstacles qui se sont opposés au développement des esprits, la perte de l’urbanité des mœurs, et celle de l’émulation que pouvaient exciter les récompenses de l’opinion. […] C’est pour obtenir du crédit ou du pouvoir qu’on étudie la direction de l’opinion du moment ; mais qui veut penser, qui veut écrire, ne doit consulter que la conviction solitaire d’une raison méditative. […] Ce que la morale commande dans les actions n’est jamais douteux ; mais souvent on hésite, souvent on se repent de ses opinions même, lorsque des hommes odieux s’en saisissent pour les faire servir de prétexte à leurs forfaits ; et la vacillante lumière de la raison ne rassure point encore assez dans les tourmentes de la vie. […] Si vous portez des talents supérieurs au milieu des passions humaines, vous vous persuaderez bientôt que ces talents mêmes ne sont qu’une malédiction du ciel ; mais vous les retrouverez comme des bienfaits, si vous pouvez croire encore au perfectionnement de la pensée, si vous entrevoyez de nouveaux rapports entre les idées et les sentiments, si vous pénétrez plus avant dans la connaissance des hommes, si vous pouvez ajouter un seul degré de force à la morale, si vous vous flattez enfin de réunir par l’éloquence les opinions éparses de tous les amis des vérités généreuses.

25. (1861) Les œuvres et les hommes. Les historiens politiques et littéraires. II. « X. M. Nettement » pp. 239-265

Alfred Nettement appartient à cette opinion monarchique qui, nous voulons le croire, est plus haute que le bâton d’un drapeau. […] L’appréciation des influences de Béranger, sous la Restauration, l’étude faite de ses opinions, de son talent et de sa vie, honoreraient toute plume vivante et même celles qui sont regardées par l’opinion comme bien supérieures à la plume de M.  […] Nous ne sommes nullement de l’opinion de cet écrivain (Gustave Planche) qui, parlant un jour de M.  […] Travail nécessaire, qui aurait été curieux, attendu que, jusqu’ici, il n’a été fait encore par personne appartenant à l’opinion religieuse de M.  […] Il est vrai que l’auteur de l’Histoire de la Littérature a contre nous pour appuyer son opinion (Voir page 243, 2e volume) l’opinion de son domestique, un fier juge, le Lavater des laquais !

26. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Seconde partie. De l’état actuel des lumières en France, et de leurs progrès futurs — Chapitre IV. Des femmes qui cultivent les lettres » pp. 463-479

Quand une femme publie un livre, elle se met tellement dans la dépendance de l’opinion, que les dispensateurs de cette opinion lui font sentir durement leur empire. […] Elles auraient beaucoup moins de moyens pour adoucir les passions furieuses des hommes ; elles n’auraient plus, comme autrefois, un utile ascendant sur l’opinion : ce sont elles qui l’animaient dans tout ce qui tient à l’humanité, à la générosité, à la délicatesse. […] S’il n’existait plus en France de femmes assez éclairées pour que leur jugement pût compter, assez nobles dans leurs manières pour inspirer un respect véritable, l’opinion de la société n’aurait plus aucun pouvoir sur les actions des hommes. Je crois fermement que dans l’ancien régime, où l’opinion exerçait un si salutaire empire, cet empire était l’ouvrage des femmes distinguées par leur esprit et leur caractère : on citait souvent leur éloquence quand un dessein généreux les inspirait, quand elles avaient à défendre la cause du malheur, quand l’expression d’un sentiment exigeait du courage et déplaisait au pouvoir. […] Ce n’est pas tout encore : l’opinion semble dégager les hommes de tous les devoirs envers une femme à laquelle un esprit supérieur serait reconnu : on peut être ingrat, perfide, méchant envers elle, sans que l’opinion se charge de la venger.

27. (1897) Le monde où l’on imprime « Chapitre XVIII. Gentils conteurs » pp. 218-231

Il n’y a pas de grief personnel dans cette opinion sincère ; personnellement M.  […] Francisque Sarcey et généralement des gens de bon sens, il s’assure que l’absurde est non le sentiment excentrique d’un indépendant ou d’un réfractaire, mais bien l’opinion même de la multitude. […] Schwob s’étaye d’une assertion de Chamfort : « Il y a à parier que toute idée publique est une sottise, car elle a convenu au plus grand nombre. » Qu’il me permette de rapprocher le sixième Soliloque sceptique de Lamothe le Vayer : « Quand le vulgaire — et la pourpre et le cordon bleu en font partie — a une fois épousé une opinion pour absurde qu’elle soit, il se raidit d’autant plus à la maintenir qu’elle est déraisonnable et absolument opposée à la vérité, qui, n’est ni escoutée, ni comprise par la folle et ignorante multitude. » Tout de même, et malgré l’autorité de Chamfort, de Lamothe et de Marcel Schwob, il n’est pas de sincère exactitude (et aucun historien de mœurs n’admettra) qu’une collectivité choisisse jamais des opinions absurdes, c’est-à-dire à elle fâcheuses. Le fait est que le peuple, y compris la pourpre et le cordon bleu, a été désaccoutumé par force à se faire une opinion ; contrairement à la théorie de Taine, il est avéré que les événements maniés par quelques individus (appelés « grands hommes » dans le vocabulaire de la méthodologie historique) déterminent le plus souvent ses avis intellectuels comme ses mœurs. […] En définitive, les opinions des multitudes sont imposées ou arriérées plutôt qu’absurdes.

28. (1906) Les œuvres et les hommes. À côté de la grande histoire. XXI. « Royalistes et Républicains »

On a cité ce livre, qui, au fond, n’en est pas un… Il a eu son succès, ce succès d’un jour qui marque sur le cours de l’opinion, comme une feuille qui y tombe marque sur le ruisseau qui coule et qui l’emporte. […] Ceci peut donner assez exactement la mesure de Thureau-Dangin et le ton de ses opinions. […] Aveuglé par la question présente, esclave d’une opinion politique en harmonie avec la portée de son esprit, — car, il ne faut pas s’y tromper, l’opinion politique de la plupart des hommes est une affaire de naissance ou de facultés, c’est-à-dire de naissance encore, — l’auteur de Royalistes et Républicains n’a pas su conclure, dans son livre, contre l’opinion que les faits et les observations de son livre auraient dû renverser. […] Ils ont leurs principes, leurs opinions, leurs passions, leurs traditions, voire leurs vices, et vous croyez donc qu’ils vont oublier tout cela parce que, très honnête, mais un peu candide, vous invoquez contre eux le besoin de refaire, tant bien que mal, une monarchie et un patriotisme qui ne voit pas les choses comme votre patriotisme, à vous ! […] En effet, ceci est un fait d’opinion.

29. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Seconde partie. De l’état actuel des lumières en France, et de leurs progrès futurs — Chapitre II. Du goût, de l’urbanité des mœurs, et de leur influence littéraire et politique » pp. 414-442

Ce despotisme d’opinion, en s’étendant trop loin, pouvait nuire enfin au véritable talent. […] Ces existences d’opinion, qui chaque jour, dans la république, seront attaquées ou défendues, doivent donner une grande importance à tout ce qui peut agir sur l’esprit ou l’imagination des hommes. […] Les manières rapprochent ou séparent les hommes par une force plus invincible que celle des opinions, j’oserai presque dire que celle des sentiments. […] Elle rallierait tous les hommes éclairés ; et cette classe réunie formerait un tribunal d’opinion qui distribuerait avec quelque justice le blâme ou la louange. […] Qu’importe de se ressembler par les opinions politiques, si l’on diffère par l’esprit et les sentiments ?

30. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Roederer. — I. » pp. 325-345

Je ne veux pas d’assignats pour plus de 200 millions ; et M. de Mirabeau sait très bien, du moins je m’en flatte, que le secret de mon opinion n’est pas dans des vues malhonnêtes ou contraires à la Révolution. Ce n’est pas non plus dans de pareilles vues qu’il faut chercher les motifs de l’opinion de M. l’abbé Sieyès, de M. de La Rochefoucauld et de plusieurs autres. […] Par la manière dont il présente le procès du roi et les diverses opinions qui s’y produisent, il laisse percer, avec toutes les discrétions et les gênes que la liberté républicaine comportait alors, que son opinion n’est pas pour la rigueur. […] Il y avait des écrivains et des orateurs pour toutes les opinions, pour toutes les passions démocratiques ; les écrits, les harangues s’envoyaient du midi au nord et du nord au midi. […] (Voir sa vraie opinion sur les Girondins dans le Journal de Paris des 12, 13 et 14 septembre 1795, lorsqu’il eut sa polémique avec Louvet.)

31. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « M. Fiévée. Correspondance et relations avec Bonaparte. (3 vol. in-8º. — 1837.) » pp. 217-237

Fiévée n’est pas de ces hommes dont il faille, je crois, écrire la vie bien en détail, mais il est de ces écrivains distingués qui méritent qu’on s’occupe de leurs opinions et de leurs livres. […] Fiévée, qui n’était qu’un royaliste d’opinion, et qui ne tenait pas essentiellement aux personnes, voyant un gouvernement ferme s’inaugurer par l’ascendant d’un seul, se délia du côté de l’exil, et se tint prêt à servir ou à conseiller le pouvoir nouveau. […] Il était lui-même, à cette époque, un très bon et très fidèle indicateur à consulter sur cette opinion sage. […] Il se souvint de ce mot profond du cardinal de Retz, « qu’il faut souvent changer d’opinion pour rester toujours de son parti ». Lui, au contraire, il changea de parti, apparemment pour rester fidèle au gros de ses opinions.

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