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747. (1889) Histoire de la littérature française. Tome IV (16e éd.) « Chapitre troisième »

La nouveauté est dans les choses et non dans les mots. […] Pour les discours, il ne souffre que les authentiques, qu’il faut, dit-il, rapporter mot pour mot, comme la partie de l’histoire la plus utile. […] Il est tout uni, modeste dans le ton et dans les mots ; aimant mieux, au besoin, n’être pas vu que de se trop montrer. […] La traduction n’éteint pas seulement les beautés des mots, elle ôte de la vie aux choses. […] Mais ce mot de code n’est-il pas trop sec pour des prescriptions données sur le ton des conseils paternels ?

748. (1889) Histoire de la littérature française. Tome IV (16e éd.) « Chapitre septième »

Le mot crime, dont il caractérise les infractions à la loi chrétienne, s’y présente en mille endroits où l’on ne voudrait voir que le mot de péché. […] La Harpe, qui le loue beaucoup trop71, a cependant dit le mot qui caractérise justement sa manière de composer ; ce mot, c’est l’amplification. […] La plus forte vient avant la plus faible, et la même se reproduit plusieurs fois sous des mots différents. […] Grand style, soit ; pourvu que cette grandeur ne soit pas creuse, et qu’elle lui vienne des vérités qui remplissent les mots. […] Critique n’est peut-être pas le mot juste ; spéculatif littéraire conviendrait mieux.

749. (1856) Cours familier de littérature. II « XIIe entretien » pp. 429-507

Voilà, non pas sans doute le mot, mais l’ombre du mot divin de l’énigme de nos misères et de nos ténèbres dans notre condition humaine. Le mot est dur et lourd, mais il est divin. […] Ce sont les deux mots de tout ce qui vit, de tout ce qui pense et de tout ce qui pèche ici-bas. […] L’humilité est le plus beau mot de Job et le plus saint mot de l’Évangile. […] Que ces deux mots soient aussi les nôtres, et ils nous conduiront au troisième mot, qui achève la trinité humaine : J’espère.

750. (1896) Matière et mémoire. Essai sur la relation du corps à l’esprit « Chapitre III. De la survivance des images. La mémoire et l’esprit »

S’il faut les en croire, nous commençons par percevoir une chose, puis nous lui adjoignons un mot : ce mot, renforcé de la faculté ou de l’habitude de s’étendre à un nombre indéfini d’autres choses, s’érige alors en idée générale. Mais pour que le mot s’étende et néanmoins se limite ainsi aux objets qu’il désigne, encore faut-il que ces objets nous présentent des ressemblances qui, en les rapprochant les uns des autres, les distinguent de tous les objets auxquels le mot ne s’applique pas. […] En S elle prendrait la forme bien nette d’une attitude corporelle ou d’un mot prononcé ; en A B elle revêtirait l’aspect, non moins net, des mille images individuelles en lesquelles viendrait se briser son unité fragile. […] Elle consiste dans le double courant qui va de l’une à l’autre, — toujours prête, soit à se cristalliser en mots prononcés, soit à s’évaporer en souvenirs. […] Un mot d’une langue étrangère, prononcé à mon oreille, peut me faire penser à cette langue en général ou à une voix qui le prononçait autrefois d’une certaine manière.

751. (1889) Histoire de la littérature française. Tome II (16e éd.) « Chapitre sixième »

C’est en négligeant les pensées que l’esprit se repose de l’effort que lui a coûté le travail des mots. […] Dans son Commentaire sur Desportes, il s’en prend plus aux mots qu’aux choses. […] Ni la chose ni le mot ne s’en trouvent dans ses notes critiques. […] Notre condition intellectuelle serait bien misérable si, en fait d’écrits, nous n’attachions pas tous le même sens aux mots raison et vrai, comme, en fait de conduite, aux mots probité, honneur, foi publique. […] L’aigreur remplaçait l’indignation, et le jeu de mots la plaisanterie.

752. (1730) Discours sur la tragédie pp. 1-458

Oserai-je dire encore un mot sur le respect dû aux grands génies ? […] De-là les jeux de mots qui regnerent long-tems, et les jeux d’esprit dont on s’est corrigé encore plus tard. […] Jamais on ne seroit forcé d’adopter un mot impropre avec connoissance de cause par l’impossibilité d’ajuster à son gré le mot necessaire. […] En prose il n’eût fallu que rayer un mot, et en substituer un autre : mais en vers la substitution de ce mot va coûter un tour heureux, un vers sublime, et peut-être, de proche en proche, une longue suite de discours. […] Tout son enthousiasme dans cette satyre se réduisoit à rêver long-tems sans succès ; à effacer des pages entieres, à n’écrire quatre mots que pour en effacer trois ; en un mot, à ne pouvoir se contenter et à s’en plaindre.

753. (1891) Journal des Goncourt. Tome V (1872-1877) « Année 1875 » pp. 172-248

C’est mal écrit, lorsqu’on place assez près de l’autre, dans une phrase, deux mots commençant, par la même syllabe. […] Il y a toutefois un joli mot de lui, enfant. […] Un jour arrive le mot : Intempérie. […] Cousin de déclarer que le mot n’était pas français. […] Et le volume apporté, je lus le mot, dans une phrase du Voyage en Laponie.

754. (1889) Essai sur les données immédiates de la conscience « Chapitre III. De l’organisation des états de conscience. La liberté »

Mais le déterministe, obéissant à un vague besoin de représentation symbolique, désignera par des mots les sentiments opposés qui se partagent le moi, ainsi que le moi lui-même. En les faisant cristalliser sous forme de mots bien définis, il enlève par avance toute espèce d’activité vivante à la personne d’abord, et ensuite aux sentiments dont elle est émue. […] La thèse de la liberté se trouverait ainsi vérifiée si l’on consentait à ne chercher cette liberté, que dans un certain caractère de la décision prise, dans l’acte libre en un mot. […] A vrai dire, quand les empiristes font valoir le principe de causalité contre la liberté humaine, ils prennent le mot cause dans une acception nouvelle, qui est d’ailleurs celle du sens commun. […] Mais ou ces mots perdent toute espèce de signification, ou l’on entend par là que les mêmes causes internes ne provoqueront pas toujours les mêmes effets.

755. (1874) Premiers lundis. Tome II « Poésie — Alphonse Karr. Ce qu’il y a dans une bouteille d’encre, Geneviève. »

Alphonse Karr en dispense volontiers, en nous donnant le fin mot de presque tous : Ce qu’il y a dans une bouteille d’encre. […] On y ferait à chaque pas, en se baissant, son butin de moraliste : « Chaque femme se croit volée de tout l’amour qu’on a pour une autre. » — « Madame Lauter, encore sur ce point, était comme toutes les femmes, — excepté vous, madame ; — elle ne plaçait l’infidélité que dans la dernière faveur. » — « On ne se dit : Je vous aime, en propres termes, que quand on a épuisé toutes les autres manières de le dire ; et il y en a tant que l’on n’arrive quelquefois à dire le mot que lorsqu’on ne sent plus la chose et que le mot est devenu un mensonge. » — « La justice du monde, comme la justice des lois, ne découvre presque jamais les crimes que lorsqu’ils n’existent pas encore, ou lorsqu’ils n’existent plus. » — Mais je m’arrête, de peur du sourire de l’auteur, pendant que je me baisse à ramasser ainsi les aphorismes qu’il sème en s’en moquant tout le premier : il me ferait niche par derrière.

756. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — L — article » pp. 121-125

Le Traducteur, pour s’être attaché à rendre ce Poëte mot à mot, lui fait parler un langage tudesque & très-souvent inintelligible. […] Ceux qui se sont fait un nom dans la Traduction, ne l’ont dû qu’à leur attention à se pénétrer de l’esprit de leur original, à en saisir les beautés, & à les faire passer dans une Langue étrangere, sans s’attacher à l’exactitude des mots.

757. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Correspondance diplomatique du comte Joseph de Maistre, recueillie et publiée par M. Albert Blanc » pp. 67-83

De Maistre le sent presque comme ferait un patricien de vieille race moscovite, et il a de ces mots qui ne sont qu’à lui pour le caractériser, ne fut-ce que par contraste : « Qu’est-ce que Pétersbourg en comparaison de Moscou ? […] Jamais je n’ai pu découvrir un seul signe de révolte contre Bonaparte : « Il est trop ambitieux, ou ambitionnairc, comme disait un soldat ; s’il veut que nous nous battions, il faut bien qu’il nous nourrisse. » Voilà ce que j’ai pu connaître de plus fort ; mais jamais un mot ni un geste contre sa souveraineté. […] » s’écriait à ce mot l’empereur Alexandre en l’interrompant. […] Je prends au hasard quelques-uns de ces mots, quelques-unes de ces pensées qu’on emporte après soi comme des flèches. […] Pour moi, si j’ai eu le tort d’oublier la discussion de M. d’Aurevilly, c’est qu’en général, quand je le lis, je ne retiens jamais de lui que des mots ou des traits (et il en a de très fins et de très distingués, mais qui sont, par malheur, noyés dans toutes sortes d’affectations et d’extravagances).

758. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Correspondance de Voltaire avec la duchesse de Saxe-Golha et autres lettres de lui inédites, publiées par MM. Évariste, Bavoux et Alphonse François. Œuvres et correspondance inédites de J-J. Rousseau, publiées par M. G. Streckeisen-Moultou. — II » pp. 231-245

Ce n’est pas jouer sur les mots que de dire qu’au milieu de son siècle et entre les philosophes ses contemporains, Rousseau a été relativement chrétien. […] Un nouvel univers s’offrit, pour ainsi dire, à sa contemplation : il aperçut la chaîne invisible qui lie entre eux tous les êtres ; il vit une main puissante étendue sur tout ce qui existe ; le sanctuaire de la nature fut ouvert à son entendement, comme il l’est aux intelligences célestes, et toutes les plus sublimes idées que nous attachons à ce mot Dieu se présentèrent à son esprit. […] En un mot, Rousseau ne fait dans ce morceau que mettre en action et commenter sous forme dramatique cette parole de la profession de foi du vicaire : « Oui, si la vie et la mort de Socrate sont d’un sage, la vie et la mort de Jésus sont d’un Dieu. » Et s’il conclut encore moins dans le songe que dans les pages de l’Émile, s’il n’éveille pas son philosophe pour tirer de lui un dernier mot, c’est qu’il n’a pas voulu le lui faire dire, c’est qu’il n’a pas osé conclure, et qu’il a reculé devant toute parole qui ne serait pas un hommage au Christ. […] Son air, son ton, son geste, causaient dans l’assemblée une extraordinaire fermentation ; le peuple en fut saisi jusqu’à l’enthousiasme, les ministres en furent irrités jusqu’à la fureur ; mais à peine étaient-ils écoutés. — L’homme populaire et ferme, en prêchant une morale divine, entraînait tout : tout annonçait une révolution ; il n’avait qu’à dire un mot, et ses ennemis n’étaient plus. — Mais celui qui venait détruire la sanguinaire intolérance n’avait garde de l’imiter, il n’employa que les voies qui convenaient aux choses qu’il avait à dire et aux fonctions dont il était chargé ; et le peuple, dont toutes les passions sont des fureurs en devint moins zélé et négligea de le défendre en voyant qu’il ne voulait point attaquer. […] Quand on se fait l’éditeur d’un grand écrivain dont chaque mot compte, on est tenu deux fois d’être exact.

759. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « Histoire des cabinets de l’Europe pendant le Consulat et l’Empire, par M. Armand Lefebvre. »

Mais, pour mettre les lecteurs à même de bien juger de la valeur de tels travaux, de la confiance qu’ils méritent et des solides fondements sur lesquels ils reposent, j’ai à dire quelques mots de la position qu’occupait l’auteur, de l’accès qui lui fut ouvert de tout temps aux sources secrètes et aux documents indispensables à son entreprise. […] Si, pour sa nouvelle existence à Berlin, il vous est possible de lui donner des renseignements ou de faire quelque chose pour lui, je vous en serai bien reconnaissant ; même en dehors de ces bons offices que vous pouvez lui rendre, il attache le plus grand prix à faire votre connaissance ; jusqu’à présent il vous aime, vous apprécie et vous admire un peu sur parole ; je suis d’autant plus charmé que votre vue le confirme dans ses sentiments. » Gœthe répondit par un mot de remerciement à M.  […] Il me répondit, avec une politesse infinie, qu’il ne trouvait pas que les Français eussent de la répugnance à sortir de leurs routes, mais seulement qu’ils étaient plus judicieux (il va y avoir un léger correctif à ce mot) que leurs voisins, lorsqu’il était question de s’en ouvrir de nouvelles. […] Gœthe, mis ainsi en regard de lui-même et comme devant un miroir, ne trouva qu’un mot à relever dans les paroles que lui représentait la dépêche du fidèle diplomate ; c’était pour l’éloge qu’il avait fait de l’esprit français : « Il m’a été très-agréable, disait-il, de voir avec quelle exactitude M.  […] Je souscris à tout ce que la relation me fait dire ; je réclame cependant pour un mot ; je voudrais circonspects au lieu de judicieux. » Les Français, en effet, quelque complaisance qu’on mette à les juger, sont évidemment très-rétifs à la nouveauté en littérature, et, du temps de Gœthe surtout, il était difficile de trouver judicieuse la disposition d’esprit où se tenaient la plupart des écrivains de l’Empire : évidemment circonspect était le mot le plus doux, le mot poli.

760. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Qu’est-ce qu’un classique ? » pp. 38-55

Le mot classique, pris en ce sens, commence à paraître chez les Romains. […] Au figuré, le mot classicus se trouve employé dans Aulu-Gelle, et appliqué aux écrivains : un écrivain de valeur et de marque, classicus assiduusque scriptor , un écrivain qui compte, qui a du bien au soleil, et qui n’est pas confondu dans la foule des prolétaires. […] Ces âges, qu’on les appelle du nom de Louis XIV ou de celui de la reine Anne, sont les seuls âges véritablement classiques dans le sens modéré du mot, les seuls qui offrent au talent perfectionné le climat propice et l’abri. […] Les plus antiques des sages et des poètes, ceux qui ont mis la morale humaine en maximes et qui l’ont chantée sur un mode simple converseraient entre eux avec des paroles rares et suaves, et ne seraient pas étonnés, dès le premier mot, de s’entendre. […] C’est alors que ce mot de classique prend son vrai sens, et qu’il se définit pour tout homme de goût par un choix de prédilection et irrésistible.

761. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Le maréchal Marmont, duc de Raguse. — III. (Suite et fin.) » pp. 47-63

Il exprima le désir d’entendre de sa bouche le récit détaillé et méthodique des campagnes d’Italie, d’Égypte et de toutes celles de l’Empire, en un mot « d’apprendre sous lui l’art de la guerre ». […] Avant la fin de la soirée, le duc de Reichstadt s’approcha une seconde fois du maréchal, et, très prudent et circonspect de caractère comme il était, il lui dit qu’il serait bon peut-être, avant de commencer, d’en dire un mot à M. de Metternich. […] Quand il y eut moyen de parler, Dandolo répondit ; et cette fois la nécessité, la circonstance extrême, lui inspira des forces et une audace inaccoutumée ; il fut noble, courageux, éloquent ; il fit résonner avec sincérité les grands mots de patria, libertà ; il les appuya de raisons : La force de ses raisonnements, sa conviction, sa profonde émotion agirent sur l’esprit et le cœur de Bonaparte, au point de faire couler des larmes de ses yeux. Il ne répliqua pas un mot, renvoya les députés avec douceur et bonté, et depuis il conserva pour Dandolo une bienveillance, une prédilection qui jamais ne s’est démentie. […] Tu sais combien mon âme attentive à ta voix S’échauffait au récit de ses nobles exploits… Le premier vers avait été un peu changé et, selon moi, gâté par le prince : il avait substitué le mot arrivé au lieu d’attaché.

762. (1888) La critique scientifique « La critique scientifique — Analyse psychologique »

Il s’adonne à un certain art, à un certain genre, à un certain procédé, en un mot, il fait une œuvre se distinguant de celles d’autrui par certains caractères, ceux-là mêmes que nous avons appris à dégager dans le précédent chapitre. […] Or le mot faculté indique une aptitude et présuppose les conditions de cette aptitude. […] Il faudra un examen attentif pour reconnaître, à la façon dont certains types sont présentés, à certains mots plus vibrants, à la fréquence de certaines idées générales, quelles sont les sympathies et les antipathies de l’auteur. […] Il en est d’autres encore, tels que celui des écrivains mercantiles, des auteurs de contes pour les enfants, des feuilletonistes écrivant pour une classe définie de la société, des peintres et des musiciens soucieux de plaire au public plus qu’à eux-mêmes, en un mot des artistes qui emploient certains moyens ou certains effets, non pas d’instinct, mais volontairement, et dans un but étranger à l’art ; il sera facile de se tirer d’affaire pour les œuvres de cette sorte, en considérant qu’elles n’intéressent que par la personnalité qu’elles affectent de manifester et qu’il sera toujours facile de distinguer. […] Ce sont là des mots vagues, pouvant s’entendre de mille manières différentes, et qui ont surtout le tort de n’exprimer d’un homme que certaines manifestations extérieures extrêmement complexes, sous lesquelles se cache encore tout un mécanisme intérieur qu’on néglige de nous montrer.

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