Il nous a rendu compte lui-même, dans des Mémoires agréables et très naturels, de ses premières années et d’une grande partie de sa vie. […] Quant à celle-ci, il ajoute : « La pensée du péristyle est de moi, et l’ayant communiquée à mon frère, il l’approuva et la mit dans son dessin, mais en l’embellissant infiniment. » Le charlatanisme du cavalier Bernin, qu’on fait venir exprès de Rome, est bien démasqué dans ces Mémoires, et l’on y entend même les rudes jurons dont l’accueillait tout bas Colbert, en dissimulant tout haut.
Mais il y a un autre point de vue, plus vrai, plus naturel et plus humain, qui, tout en laissant subsister les parties supérieures et de première trempe, permet de voir les défauts, d’entrevoir les motifs, de noter les altérations, et qui, sans rien violer du respect qu’on doit à une noble mémoire, restitue à l’observation morale tous ses droits. […] Il avait une mémoire excellente, et on l’a entendu, en 1828, réciter sans se tromper tout un livre de l’Énéide qu’il n’avait pas relu depuis le collège.
J’étais alors substitut à Tours ; on vint me chercher de Véretz au milieu de la nuit ; j’arrivai à l’aube… » Et j’entendis alors un récit vrai, simple, attachant, dramatique, qui me remit en mémoire cette singulière et originale figure, et qui me tente aujourd’hui de la retracer. […] On a pour cette étude un secours inestimable, ce sont les lettres de Courier même, cent lettres rangées par lui et préparées pour l’impression, datant de 1804 à 1812, et qui composent ses vrais mémoires durant ce laps de temps.
Villemain n’assistait pas à cette séance : autrement, lui qui a une si parfaite mémoire, il ne l’aurait pas inventée avec ce luxe d’imagination rétrospective. […] De cette étude bien imparfaite, mais qui repose sur plus de lectures et de comparaisons que je n’ai pu en apporter ici, il me semble résulter que Bernardin de Saint-Pierre, dans sa vie, n’a été qu’à demi un sage, et que, dans ses écrits, il a presque aussi souvent erré que rencontré avec bonheur : mais, une fois, il a eu une inspiration simple et complète, il y a obéi avec docilité et l’a mise tout entière au jour comme sous le rayon ; il a mérité par là que son souvenir reste à jamais distinct et toujours renouvelé dans la mémoire humaine, et qu’autour de ce chef-d’œuvre de Paul et Virginie, la curiosité littéraire rassemble, sans en rien perdre, les grâces éparses de l’écrivain.
S’il avait été le perçant qu’on disait, il aurait pu nous donner quelque chose comme les Mémoires de Commines de l’Empire. […] … Ce ne sont plus là que les mémoires d’un cacochyme.
C’est par l’idylle et l’idylle élégiaque qu’il commença sa renommée, et malgré des efforts soutenus, comme on n’en aurait guère attendu de sa gracieuse faiblesse, et qui prouvent que l’entêtement n’est pas la force, même chez les Bretons, c’est par ce seul genre de poésie qu’il se soutiendra dans la mémoire des hommes. […] Ce quelque chose, qui est le génie, qui fait qu’on n’oublie plus, et que des vers, cette chose qui passe comme les sons et les souffles, s’attachent à nos mémoires comme une tunique de Nessus, mais une tunique de Nessus voluptueuse, Brizeux ne l’a point, et quoique d’être exclusivement Breton lui eût donné, dans le talent, bien des choses qui lui manquent, ce sentimental cultivé, dont nous regrettons la culture, n’était pas, au fond, plus organisé pour avoir du génie en kimri qu’en français.
Mais je ne sache pas que la condamnation judiciaire qui l’a frappé ait supprimé le livre ; je ne sache pas qu’elle puisse l’ôter des mains qui l’ont acheté et de la mémoire de ceux qui l’ont lu ; je ne sache pas, enfin, que cette condamnation doive empêcher la Critique littéraire de rendre son jugement aussi, non sur la chose jugée, qu’il faut toujours respecter pour les raisons sociales les plus hautes, mais sur les mérites intellectuels d’un poète au début de la vie4 et aux premiers accents d’un talent qui chantera très ferme plus tard, si j’en crois la puissance de cette jeune poitrine. […] Et quoique la pièce soit charmante et fasse bas-relief… grec, cependant, les gueux des champs au xixe siècle, les gueux réels qui nous ont touché de leur coude percé, n’ont rien à faire avec Pan et cette voix classique qui ne résonne plus que dans les mémoires cultivées, et non dans les entrailles humaines.
Après avoir écrit pour notre Académie des sciences morales, il adressait ses mémoires aux Académies de Copenhague et de Berlin. […] J’ai remarqué plusieurs fois que je me souvenais : donc je puis me souvenir ; donc j’ai le pouvoir ou la faculté de me souvenir, ou la mémoire.
Sa jeune femme, le petit enfant qu’elle amenait d’Europe, le luxe officiel dont sa charité même ne pouvait le délivrer, tout cela ne choque pas plus dans les Mémoires de sa vie que ne nous blessent dans l’histoire ecclésiastique les équipages de chasse et les études mondaines de l’évêque de Ptolémaïs, au quatrième siècle et sous le ciel de la Cyrénaïque. […] L’Amérique du Nord réimprime ses vers ; et dans un des États-Unis de formation récente, près des chutes du Niagara, deux églises ont été bâties, avec des inscriptions consacrées à sa mémoire.
La presse aujourd’hui, en lui aidant à se répandre plus vite et plus loin, nous l’apporte dépouillée de tout ce qui parlait le plus fortement aux sens et à la mémoire. […] L’histoire abonde en prodigieux exemples du secours donné à la mémoire par le rythme. […] D’où vient que le langage rythmé se grave mieux dans la pensée que la phrase libre et qu’il se conserve plus longtemps dans la mémoire ? […] Là est le secret de la puissance qu’exerce le vers sur notre mémoire, sur notre imagination. […] Or, du moment où le rythme ne se manifeste pas d’une manière constante et régulière, il perd ses propriétés essentielles, et n’a plus autant de prise sur l’imagination et la mémoire.
Qui de nous, qui de vous, Mesdames et Messieurs, en parcourant de mémoire la longue lignée de nos comiques, refusera de reconnaître en Molière ce privilégié de la nature ? […] Et il sait encore que le temps, lui tout seul, a comme emporté dans sa fuite insensible la mémoire des vices de Cléopâtre ou des crimes d’Octave, pour ne conserver et ne faire passer jusqu’à nous, sous le nom de la première, que le symbole de la volupté même, ou avec le nom du second l’impérissable souvenir de l’univers conquis, pacifié, unifié, civilisé par les armes romaines. […] est-ce qu’ils ne se gravent pas d’une manière ineffaçable dans la mémoire de nos yeux ? […] Les deux filles ont beaucoup contribué à la gloire du nom de leur père, et à juste titre, car, si nous en croyons les Mémoires ou les Correspondances du temps, ce devaient être de bien aimables personnes. […] Dans la bouche même d’Armande ou de Madelon, Molière a-t-il rien mis qui soit plus amusant que certaines phrases de Massillon, — dont je n’aurai pas le mauvais goût d’essayer ici de vous faire rire, — ou que tel trait de Mme de Lambert, qui me revient tout à point en mémoire ?
Il me remet en mémoire ce beau vers de madame Valmore : Si l’amour a ses pleurs, la haine a ses tourments !
En voilà bien assez, j’espère, si tout est prouvé et nous renvoyons nos lecteurs à la réfutation pour faire descendre cette production si prônée de son haut rang d’histoire, et pour la réduire à la simple condition des Mémoires piquants et Suspects, dont on peut retirer quelque profit, quand on les consulte avec beaucoup de défiance.
Il suffirait, pour prouver qu’en dépit de certains actes et de certains travers, Napoléon fut le continuateur et le champion de la Révolution française en face de l’Europe, de remarquer cet hommage unanime et cette piété du peuple envers sa mémoire au moment du triomphe de la liberté.
Et ici, franchissant les années pénibles, on n’a qu’à noter le bon sens avec lequel le roi Jérôme apprécia la situation que lui faisaient les événements de 1813 : « Roi par les victoires des Français, disait-il, je ne saurais l’être encore après leurs désastres. » Mais ce serait faire injure à sa mémoire que de louer la fidélité avec laquelle il s’exécuta, sans prêter un seul instant l’oreille aux fallacieuses promesses par lesquelles on essayait de le détacher.
Enfermée dans un cercle étroit de mots, l’intelligence est à la gêne, ne peut pas développer ses pensées, et se trouve réduite à de vagues appréhensions, d’indécises tendances, qui ne se précisent pas faute de mots, et qui s’accrochent au hasard aux premières formules que la mémoire fournit.