/ 2158
849. (1903) La pensée et le mouvant

Je veux bien que l’intuition y fasse filtrer sa lumière : il n’y a pas de pensée sans esprit de finesse, et l’esprit de finesse est le reflet de l’intuition dans l’intelligence. […] Je me suis toujours représenté Oxford comme un des rares sanctuaires où se conservent, pieusement entretenues, transmises par chaque génération à la suivante, la chaleur et la lumière de la pensée antique. […] Voilà ce que Kant a dégagé en pleine lumière ; et c’est là, à mon sens, le plus grand service qu’il ait rendu à la philosophie spéculative. […] Sa sensibilité ne saurait éclairer son intelligence, dont il a fait la lumière même. […] Alors se révélerait aussi, jusque dans chaque nuance prise isolément, ce que l’œil n’y remarquait pas d’abord, la lumière blanche dont elle participe, l’éclairage commun d’où elle tire sa coloration propre.

850. (1888) Poètes et romanciers

Parcourez ses plus délicieux récits : ils ne sont jamais écrits au hasard, ils se relient entre eux par une conception générale ; ils expriment quelque chose et portent en eux, avec eux, la lumière d’une idée. […] Et s’il obtint la gloire, ce ne fut jamais qu’une gloire discrète, voilée, comme le reflet de la lumière dans une lampe d’albâtre. […] Le devoir, c’est la raison, c’est l’évidence, c’est la lumière. […] Ni l’expérience externe ni l’expérience interne, nos seules lumières, ne sont en état de résoudre le problème de la substance ; il leur est donc impossible d’en attester la division et la pluralité. […] Sur une pareille matière, il fallait répandre à flots la lumière, la couleur, la vie.

851. (1858) Cours familier de littérature. VI « XXXIe entretien. Vie et œuvres de Pétrarque » pp. 2-79

« Non, s’écrie le poète dans son sonnet troisième ; non, jamais le soleil se levant du sein des plus sombres nuages qui obscurcissent le ciel ; jamais l’arc-en-ciel, après la pluie, n’éclatèrent de couleurs plus variées dans l’éther ébloui que ce doux visage, auquel aucune chose mortelle ne peut s’égaler : tout me parut sombre après cette apparition de lumière. […] Du côté opposé, une caverne naturelle, d’une prodigieuse élévation, se creuse comme le portique d’un monde souterrain ; la lumière s’assombrit en s’enfonçant dans la profondeur de la grotte. […] Je ne doute pas que, si l’on fût venu alors avec une lumière, on ne m’eût trouvé pâle comme un mort, et portant sur mon visage tous les signes de la plus grande frayeur. […] ce n’est pas sur moi qu’il faut pleurer, moi dont les jours en mourant se changèrent en jours éternels, et dont les yeux, quand je parus les fermer à ce monde, s’ouvrirent à l’éternelle lumière ! 

852. (1859) Cours familier de littérature. VII « XLe entretien. Littérature villageoise. Apparition d’un poème épique en Provence » pp. 233-312

Cet horizon trempe les hommes dans la lumière et dans la rêverie. […] « Mais quand le petit houx devient rouge (de baies), que les journées se font hivernales et longues les veillées, autour de la braise à demi éteinte, pendant qu’au loquet siffle ou miaule quelque lutin, sans lumière et sans grandes paroles, il faut attendre le sommeil, moi tout seul avec lui ! […] Sur chaque page de ce livre de lumière il y a une goutte de rosée de l’aube qui se lève, il y a une haleine du matin qui souffle, il y a une jeunesse de l’année qui respire, il y a un rayon qui jaillit, qui échauffe, qui égaye jusque dans la tristesse de quelques parties du récit. Ces poètes du soleil ne pleurent même pas comme nous ; leurs larmes brillent comme des ondées pleines de lumière, pleines d’espérance, parce qu’elles sont pleines de religion.

853. (1890) L’avenir de la science « XVII » p. 357

La seule conclusion pratique à tirer de cette triste vérité, c’est qu’il faut travailler à avancer l’heureux jour où tous les hommes auront place au soleil de l’intelligence et seront appelés à la vraie lumière des enfants de Dieu. […] Là est la lumière blanche, qui plus bas est réfractée en mille nuances séparées par d’indiscernables limites. […] Or le paradis sera ici-bas quand tous auront part à la lumière, à la perfection, à la beauté et, par là, au bonheur. […] Il reste donc un seul parti, c’est d’élargir la grande famille, de donner place à tous au banquet de la lumière.

854. (1888) Revue wagnérienne. Tome III « IX »

Et même les soi-disant « faits », lorsqu’ils ne sont pas, comme je l’ai dit, très petits, d’un ordre tout à fait matériel, tels que chiffres et dates, sont sujets à caution, car ils sont ou bien littéralement faux, ou bien dénaturés et présentés sous une fausse lumière. […] La lumière qui nous vient de ces œuvres resplendissantes : la Tétralogie, Tristan, les Maîtres chanteurs, Parsifal, l’a-t-on dévoilée dans toute sa pureté aux regards des ignorants ? […] Le drame ne doit pas être un moyen, un prétexte à musique, il doit être le but unique ; la musique doit s’unir fraternellement au poème pour animer le drame et le mettre en pleine lumière ; jamais la musique ne doit chercher à briller pour son compte, comme un virtuose dominant tout. […] Le sillon de feu brillera d’un éclat de plus en plus vif ; sa lumière se propagera et exercera partout une influence bienfaisante sur le drame musical ; grâce à elle, les maîtres presque oubliés, mal compris ou méconnus seront remis en honneur et appréciés comme ils méritent de l’être.

855. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome second — Livre cinquième. Principales idées-forces, leur genèse et leur influence — Chapitre cinquième. Genèse et action des principes d’identité et de raison suffisante. — Origines de notre structure intellectuelle »

Toute vie, toute action est une divination consciente ou inconsciente : « Devine, ou tu seras dévoré. » La plante même, dont la tige lentement croissante monte vers le ciel pour y trouver la chaleur et la lumière, compte sur le soleil et sur ses rayons d’aujourd’hui, pressent son retour futur : la croissance de la plante est une induction qui s’ignore, une inconsciente anticipation de l’avenir, une affirmation en acte que ce qui a été sera, que le soleil qui s’est levé aujourd’hui se lèvera demain, que les phénomènes de la nature ont des raisons constantes, qui font qu’on peut y vivre, grandir, fleurir et porter fruit. […] Un son fort, une lumière subite font comme tomber l’animal en arrêt : il est attentif, il attend : « Que va-t-il arriver ?  […] Le mouvement d’une représentation à une autre, ou, comme disait Leibnitz, le passage d’une perception à une autre, est aussi essentiel à la pensée que le passage d’un point de l’espace à l’autre est essentiel au corps qui se meut, que l’oscillation est essentielle au pendule, l’ondulation au rayon de lumière. […] Il se retrouve dans une foule de perceptions, comme celles de pression, de résistance, de coup, de choc, etc. ; il se retrouve dans la sensation d’une vive lumière qui s’impose à nos yeux, d’un son qui envahit nos oreilles.

856. (1861) Les œuvres et les hommes. Les historiens politiques et littéraires. II. « XVIII. J.-M. Audin. Œuvres complètes : Vies de Luther, de Calvin, de Léon X, d’Henri VIII, etc. » pp. 369-425

Audin sait étendre les couleurs de Velasquez sur sa palette et tirer d’un clair-obscur à la Rembrandt, aussi nette que la face pourprée de Luther, bombant dans la lumière, cette autre face hâve, bilieuse, au front proéminent sous sa calotte noire, et dont les yeux, qui n’ont jamais connu les larmes, distillent infatigablement, dans leur méditation immobile, la lueur jaune des regards du tigre et des lampes. […] En ouvrant trop l’oreille au conseil, l’homme parfois ferme les yeux à la lumière que Dieu lui a mise dans la main. […] La vraie gloire, comme la lumière et comme la royauté, ne vient point d’en bas, mais d’en haut… Commencée par le sacerdoce, la gloire d’Audin s’achèvera comme elle pourra. […] Il s’est détourné pour ne pas être sévère, et il a regardé dans les vertus du prêtre et dans les lumières de l’homme, pour ne pas apercevoir les faiblesses du Pontife-Roi.

857. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Massillon. — I. » pp. 1-19

Ainsi ces grandes lumières n’eurent point à se combattre ni à s’éclipser l’une l’autre, elles se succédèrent paisiblement et largement comme une suite de riches saisons ou comme les heures d’une journée splendide. […] Qu’on se représente bien (pour s’en donner toute l’impression), et le cadre, et l’auditoire, et l’orateur : Ne vous semble-t-il pas, disaient après des années les témoins qui l’avaient entendu, ne vous semble-t-il pas le voir encore dans nos chaires avec cet air simple, ce maintien modeste, ces yeux humblement baissés, ce geste négligé, ce ton affectueux, cette contenance d’un homme pénétré, portant dans les esprits les plus brillantes lumières, et dans les cœurs les mouvements les plus tendres ?

858. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « M. Daru. Histoire de la république de Venise. — III. (Suite et fin.) » pp. 454-472

Dans les questions de presse, qui étaient une des grandes préoccupations d’alors, il avait repris en la bonne direction de l’esprit public livré à ses propres lumières cette confiance qu’il n’avait sans doute pas eue toujours, que ceux qui ont vécu dix et vingt ans de plus n’ont pas conservée, tant il est difficile aux plus judicieux de s’isoler des circonstances générales et des courants d’opinion à travers lesquels on juge. […] Daru ne soit point devenu le serviteur actif d’un nouveau régime, et que dans l’avenir son nom demeure attaché à un seul et incomparable règne par le clou de diamant de l’histoire. — En parlant ainsi, il ne saurait me venir à la pensée de faire injure à la Restauration, dont j’apprécie les mérites et les hommes : je ne songe qu’à l’unité dominante qu’on aime à voir dans l’étude d’une vie, à cette lumière principale qui tombe sur un front, et si en ceci je parais sentir un peu trop l’histoire en artiste, qu’on me le pardonne.

859. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Œuvres complètes de Buffon, revues et annotées par M. Flourens. » pp. 55-73

quelques lignes écrites par Goethe peu de mois avant que s’éteignît cette lumière de l’Allemagne, et, dans la patrie même de Buffon, quelques pages de mon père, tels étaient encore, il y a quelques années, les seuls hommages dignes de lui que la science eût rendus au naturaliste et au philosophe. […] Elle est dans ces soudaines inspirations qui si souvent l’entraînent hors de son siècle et parfois le portent en avant du nôtre, dans les éclairs de sa pensée, dont la lumière, au lieu de s’affaiblir avec la distance, semble se projeter plus éclatante à mesure qu’elle atteint un plus lointain horizon.

860. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Préface pour les Maximes de La Rochefoucauld, (Édition elzévirienne de P. Jannet) 1853. » pp. 404-421

N’approchez pas davantage de Milton aveugle au moment où, dans un hymne éthéré, célébrant la création ou plutôt la source incréée de la lumière, il la revoit en idée à travers sa nuit funèbre et laisse échapper une larme. […] La Rochefoucauld échappe à cette loi presque inévitable, et, dans ces matières délicates et subtiles, lui qui n’avait pas lu les anciens et qui les ignorait, n’obéissant qu’aux lumières directes de son esprit et à l’excellence de son goût, il a, aux endroits où il est bon, retrouvé, soit dans l’expression, soit dans l’idée même, une sorte de grandeur.

861. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « Le duc de Rohan — III » pp. 337-355

Saint-Évremont, en regrettant que M. de Rohan n’ait pas pénétré plus avant dans les desseins de César, et mieux expliqué les ressorts de sa conduite, avoue pourtant « qu’il a égalé la pénétration de Machiavel dans les remarques qu’il a faites sur la clémence de César, aux guerres civiles. « On voit, dit-il, que sa propre expérience en ces sortes de guerres lui a fourni beaucoup de lumières pour ces judicieuses observations. » Rohan, dans ce travail sur les guerres des Gaules et sur l’ancienne milice, paraît un homme fort instruit ; il n’y a plus trace de ces premières inadvertances qu’on a tant relevées dans son premier voyage de 1600, lorsqu’il y faisait Cicéron auteur des Pandectes, comme il aurait dit des Tusculanes. […] D’alléguer qu’on lui avait mandé de Paris qu’on le voulait arrêter, c’était un dire, lequel, s’il était public, n’était pas vrai ; s’il était secret, il ne l’avait pu savoir… Bref, c’était lui-même qui se jugeait coupable ; ce que nous avons marqué pour fautes passaient pour crimes d’État en son opinion, qui, ayant de très grandes lumières des choses du monde, savait assez connaître ce qui était bien ou mal.

862. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « La princesse des Ursins. Ses Lettres inédites, recueillies et publiées par M. A Geffrot ; Essai sur sa vie et son caractère politique, par M. François Combes » pp. 260-278

Mme des Ursins n’a pas à se plaindre ; de même qu’à Mme de Maintenon, les années lui sont favorables : dans ce grand procès de révision qui remet tour à tour en scène et en lumière tous les personnages de son temps, sa réputation n’a point perdu ; elle a plutôt gagné en s’éclairant, et l’on peut dire qu’elle est aujourd’hui dans son plein. […] ; on observerait les proportions et le ton, les convenances ; on ne commencerait point par donner tête baissée dans l’inédit, avant d’avoir lu ce qui est imprimé depuis deux siècles, ce qui hier encore était en lumière et faisait l’agrément de toutes les mémoires ornées ; on ne débuterait pas avec le xviie  siècle par des découvertes : mais si l’on en faisait, on les exprimerait d’une façon plus simple, mieux assortie aux objets, plus digne de ce xviie  siècle lui-même ; on ne jurerait pas avec lui en venant parler de lui ; on ne parlerait pas un langage à faire dresser les cheveux sur la tête à ce monde poli qu’on met en avant à tout propos ; on ne s’attaquerait pas enfin, de but en blanc, à ces gens de Versailles comme si l’on arrivait de Poissy ou de Pontoise.

863. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Charles-Victor de Bonstetten. Étude biographique et littéraire, par M. Aimé Steinlen. — II » pp. 435-454

Malgré les vertus et les lumières du comte Firmian qui le faisaient aimer et respecter des Milanais, Bonstetten discerna l’incompatibilité radicale qu’il y avait entre le régime allemand et le génie italien ; il s’explique là-dessus très nettement. […] Bonstetten, qui y assista, n’était point l’homme de ces luttes. « Ces temps d’enfer, disait-il, ne sont pas faits pour moi. — Voici ma devise, disait-il encore, je ne suis né pour aucun combat. » Bienveillant, modéré, ami d’un sage progrès et des lumières graduelles, pressé entre deux partis contraires, il semblait aux uns un bien pâle démocrate, aux autres un patricien infidèle.

864. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Madame Swetchine. Sa vie et ses œuvres publiées par M. de Falloux. »

Tantôt c’est une beauté non moins éblouissante, mais d’une ambition plus variée, qui sait unir les plaisirs à la politique, le jeu des cabinets et des cours aux intrigues d’éclat, qui mène de front la galanterie et les affaires, et, sur le pied déjà de souveraine, attire à soi les plus graves philosophes politiques ou impose le respect aux plus grandes dames de Paris : qui les a rencontrés une seule fois ne saurait jamais les oublier, ces deux yeux d’une clarté d’enfer et qui faisaient lumière dans la nuit. […] Elle veut porter la vue chrétienne la plus rigoureuse dans l’examen et la considération de la vieillesse ; elle n’ira point la prendre de biais, pour ainsi dire, et en essayant d’insinuer par-ci par-là des consolations tremblantes ; elle entend aborder son sujet de front et le pénétrer d’une lumière directe et certaine : ce ne sont pas des palliatifs qu’elle offre, c’est une régénération.

/ 2158