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34. (1925) Méthodes de l’histoire littéraire « II  L’esprit scientifique et la méthode de l’histoire littéraire »

Où la liberté n’est pas entière, on n’a que des parodies ou des embryons d’activité scientifique. […] Leur indifférence à nos jeux innocents assure notre liberté. […] Là est le seul danger sérieux que court la liberté scientifique dans le domaine de nos études. […] La critique et l’histoire littéraire souffrent moins des restrictions de la liberté que des excès de la liberté. Cette liberté excessive est celle qui asservit la science à des caprices individuels ; nous ne trouverons notre vraie, notre pleine liberté que dans la discipline, la saine discipline des méthodes exactes.

35. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « De la question des théâtres et du Théâtre-Français en particulier. » pp. 35-48

La liberté absolue des théâtres a des inconvénients et des dangers frappants. On ne saurait, dans aucun cas, assimiler cette liberté à la liberté absolue de la presse. […] Même en matière de presse, d’ailleurs, le gouvernement, en laissant la plus grande liberté possible, se réserve un organe à lui, un Moniteur. […] On n’avait pas encore le régime de la liberté, on eut le règne de l’opinion, et l’on y crut. […] On eut l’entière liberté, mais avec ses rumeurs confuses, ses jugements contradictoires et toutes ses incertitudes.

36. (1841) Discours aux philosophes. De la situation actuelle de l’esprit humain pp. 6-57

Au nom de la liberté même, de la liberté de chacun, c’est l’égalité qui est la loi de tous. […] Il y a deux sortes de liberté : la liberté naturelle, et la liberté qu’on appelle morale. […] Donc, pour jouir de la liberté morale, il faut un idéal. […] L’homme, aujourd’hui, dénué de liberté morale, s’abandonne donc à la liberté naturelle. […] L’homme aujourd’hui ne possède donc ni la liberté morale ni la liberté naturelle.

37. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Introduction »

Mais quand cette théorie métaphysique serait impossible, au moins, il est vrai, que plus l’on travaille à calmer les sentiments impétueux qui agitent l’homme au-dedans de lui, moins la liberté publique a besoin d’être modifiée ; ce sont toujours les passions qui forcent à sacrifier de l’indépendance pour assurer l’ordre, et tous les moyens qui tendent à rendre l’empire à la raison, diminuent le nombre nécessaire des sacrifices de liberté. — J’ai à peine commencé la seconde partie politique, dont je ne puis donner une idée par ce peu de mots. […] Mais les uns croient que la garantie de la liberté, le maintien de l’ordre, ne peut subsister qu’à l’aide d’une puissance héréditaire, et conservatrice ; les autres, reconnaissent de même la vérité du principe, que l’ordre seul, c’est-à-dire l’obéissance à la justice, assure la liberté : mais ils pensent que ce résultat peut s’obtenir sans un genre d’institutions que la nécessité seule peut faire admettre, et qui doivent être rejetées par la raison, si la raison prouve, qu’elles ne servent pas mieux que les idées naturelles, au bonheur de la société. […] Dans l’étude des constitutions, il faut se proposer pour but le bonheur, et pour moyen la liberté ; dans la science morale de l’homme, c’est l’indépendance de l’âme qui doit être l’objet principal, ce qu’on peut avoir de bonheur en est la suite. […] Il me semble que les véritables partisans de la liberté républicaine sont ceux qui détestent le plus profondément les forfaits qui se sont commis en son nom. Leurs adversaires peuvent sans doute éprouver la juste horreur du crime, mais comme ces crimes mêmes servent d’argument à leur système, ils ne leur font pas ressentir, comme aux amis de la liberté, tous les genres de douleur à la fois.

38. (1874) Premiers lundis. Tome I « Deux révolutions — I. L’Angleterre en 1688 et la France en 1830 »

Et d’abord, bien que l’esprit des deux Révolutions ait été le même au fond, et que les Parlements de Charles Ier, comme l’Assemblée nationale, aient voulu la liberté, cette liberté, de part et d’autre, s’est attaquée à des points divers et a revêtu des formes toutes différentes. […] La religion, sans doute, a joué un rôle dans la Révolution française, de même que la liberté politique n’a nullement été désertée par les divers sectaires de la Révolution anglaise. Mais il y a cette différence profonde à noter, qu’en France, depuis 89, la liberté de conscience, la tolérance et, si l’on veut, l’indifférence religieuse ont toujours passé de plus en plus dans les mœurs. […] La liberté politique suspendue sous l’empire reparut avec la Restauration, bien qu’au grand regret des rois restaurés, et la France continua au milieu de mille entraves sa marche progressive. […] Il suffirait, pour prouver qu’en dépit de certains actes et de certains travers, Napoléon fut le continuateur et le champion de la Révolution française en face de l’Europe, de remarquer cet hommage unanime et cette piété du peuple envers sa mémoire au moment du triomphe de la liberté.

39. (1766) Le bonheur des gens de lettres : discours [graphies originales] « Le Bonheur des gens de lettres. — Premiere partie. » pp. 12-34

Mais s’il use de cette sage liberté qui donne tant de ressort à l’ame, & sans laquelle on ne produit rien de grand, il méconnoît cette indépendance superbe qui se met au-dessus des Loix, & veut briser les liens qui unissent les hommes ; la licence qui égare l’esprit est l’idole des scélérats, elle est l’opposé de la liberté ; peut-elle avoir des attraits pour un cœur raisonnable ? […] Amoureux & fier de sa liberté, doué d’une aversion insurmontable pour tout ce qui la blesse, il est riche sans bien, célèbre sans dignités, heureux sans adulateurs. […] Sans l’amour sacré de la liberté & d’une noble vengeance, où auroit-il trouvé le courage d’écrire l’histoire de monstres paîtris de sang & de boue ? […] Mais ce seroit peu d’avoir exposé la liberté dont jouit l’homme de Lettres, si je ne dévoilois les plaisirs délicats qui l’accompagnent à chaque instant qu’il les appelle. […] Par ce mot, liberté, on ne veut exprimer que le droit légitime de conduire sa vie privée selon ses goûts, en n’offensant ni les Loix politiques, ni celles de l’Etat.

40. (1858) Du vrai, du beau et du bien (7e éd.) pp. -492

Eu perdant sa liberté, il perd son charme et son empire. […] Ce mot de liberté est aussi vieux que l’homme même. […] C’est parce qu’elle croit à la liberté dans l’individu qu’elle veut que cette liberté soit respectée et protégée dans la société. […] Leur mère commune est la liberté. […] Je dis égal de l’égalité la plus rigoureuse, car la liberté, et la liberté seule, est égale à elle-même.

41. (1860) Cours familier de littérature. IX « LIIIe entretien. Littérature politique. Machiavel (2e partie) » pp. 321-414

Nous faisons des révolutions et des lois pour la liberté individuelle du dernier des citoyens, et nous ne savons pas respecter la liberté individuelle des Italiens ! […] Lucques, Pise, Sienne, Livourne, abdiquent dans la main des Médicis leur liberté républicaine. […] Ce peuple, si accoutumé à la liberté politique, demanda modérément à son souverain la liberté légale, une constitution. […] Dès lors le despotisme inquisitorial fut consacré sous le nom de liberté. […] Le dictateur et le général inspirèrent leur âme aux Vénitiens ; ils combattaient pour l’honneur de la liberté plus que pour la victoire.

42. (1862) Cours familier de littérature. XIII « LXXIIIe entretien. Critique de l’Histoire des Girondins (4e partie) » pp. 1-63

C’est le combat que nous devons livrer. » (C’est celui que nous avons livré et gagné nous-même un demi-siècle plus tard, et que les amis de la liberté honnête, la seule liberté, livreront toujours dans des occasions semblables, s’ils veulent réconcilier la vertu et la liberté dans le gouvernement des masses.) […] La consternation était rentrée avec la liberté dans la demeure des citoyens. […] Dans ce combat terrible, mais inévitable, que se livraient, sous le nom de révolution, la royauté et la liberté pour l’asservissement ou l’émancipation des citoyens, Louis XVI personnifiait le trône, la nation personnifiait la liberté. […] Un ennemi de la liberté ? […] La Révolution fit horreur à elle-même, la liberté mourut sur son propre échafaud.

43. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Discours préliminaire » pp. 25-70

Les progrès de la littérature, c’est-à-dire, le perfectionnement de l’art de penser et de s’exprimer, sont nécessaires à l’établissement et à la conservation de la liberté. […] L’homme a, dans le secret de sa pensée, un asile de liberté impénétrable à l’action de la force ; les conquérants ont souvent pris les mœurs des vaincus : la conviction a seule changé les anciennes coutumes. […] La raison ne sert, dans les empires despotiques, qu’à la résignation individuelle ; mais, dans les états libres, elle protège le repos et la liberté de tous. […] La considération alors ne serait pas exclusivement attachée aux exploits militaires ; ce qui nécessairement expose la liberté. […] L’on a souvent répété dans la révolution de France, qu’il fallait du despotisme pour établir la liberté.

44. (1913) Les antinomies entre l’individu et la société « Chapitre IV. L’antinomie dans l’activité volontaire » pp. 89-108

Les solidaristes et les individualistes s’opposent encore par la façon dont ils comprennent le sentiment de la liberté personnelle. — Pour les solidaristes qui ne veulent voir dans l’individu que le coopérateur, notre sentiment de liberté personnelle et de puissance personnelle est en raison du nombre et de l’importance des liens qui nous rattachent à nos semblables. […] Fournière prétend que la liberté consiste, pour l’individu, à soumettre sa volonté personnelle à la volonté générale33. […] C’est pourquoi les individualistes se refusent à voir dans le sentiment de la liberté personnelle un produit et un bienfait social. […] Rien de plus varié au fond que ce sentiment de la liberté intérieure que les psychologues classiques se représentaient comme identique chez tous les hommes. […] Dans un groupe, c’est toujours un peu un scandale quand un individu réclame en faveur du droit d’arranger sa vie à sa guise, en faveur de la liberté des goûts, des poursuites, de la conduite privée ou publique.

45. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « M. de Montalembert orateur. » pp. 79-91

En effet, à ne le prendre que dans cette carrière déjà si pleine qu’il a fournie durant treize années au sein de la Chambre des pairs, je vois en lui un orateur des plus distingués, l’avocat ou plutôt le champion, le chevalier intrépide et brillant d’une cause ; mais tous ses développements d’alors roulent sur deux ou trois idées absolues, opiniâtres, presque fixes : il défend la Pologne, il attaque l’Université, il revendique une liberté illimitée pour l’enseignement ecclésiastique, pour les ordres religieux ; il a deux ou trois grands thèmes, ou plutôt un seul, la liberté absolue. […] Disciple alors de M. de Lamennais et rédacteur très actif du journal L’Avenir, il y faisait ses premières armes en réclamant, au nom de la Charte, cette entière liberté d’enseignement qu’il n’a cessé de revendiquer depuis. […] Guizot, les immenses libertés de sa parole. […] Par exemple, l’orateur, au milieu de tout ce qu’il signalait de dangers, continuait de faire ses réserves en faveur de la liberté entière et absolue. […] C’est ce même sentiment qui, dans son dernier discours sur les affaires de Rome (19 octobre), lui a fait proclamer avec amertume que le résultat le plus net de l’anarchie, ce n’était pas de détrôner quelques rois, c’était de détrôner la liberté : « Les rois sont remontés sur leurs trônes, s’est-il écrié douloureusement, la liberté n’est pas remontée sur le sien : elle n’est pas remontée sur le trône qu’elle avait dans nos cœurs. » Je n’ai rien à dire de ce dernier discours, qui retentit encore.

46. (1861) Cours familier de littérature. XI « LXIe entretien. Suite de la littérature diplomatique » pp. 5-79

Liberté à la base, aristocratie au milieu, monarchie au sommet, ordre partout ; mais ordre raisonné plutôt qu’imposé. […] Offrez donc les bienfaits de la liberté à des peuples à cheval, qui possèdent dans l’espace et dans les pieds de leurs chevaux la liberté illimitée du désert ! […] Il ne s’agissait pas en Crimée de religion : il s’agissait de la liberté et de l’équilibre du monde. […] Laissons la puissance à l’un, la liberté à l’autre, la transaction éventuelle entre les deux. […] La France doit-elle autre chose à l’Italie que la liberté et l’indépendance ?

47. (1898) Politiques et moralistes du dix-neuvième siècle. Deuxième série

C’est que vous ne savez pas ce que c’est que la liberté. […] La liberté est féconde et même seule féconde. […] Gloire aux passions, et surtout liberté aux passions ! […] Liberté, exactitude et bien-être. […] La liberté n’est pas féconde, la liberté n’est pas une force.

48. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre XVI. De l’éloquence et de la philosophie des Anglais » pp. 324-337

La poésie a presque seule occupé les esprits sous le règne voluptueux et despotique de Charles II ; et ce n’est que depuis 1688, depuis qu’une constitution stable a donné à l’Angleterre du repos et de la liberté, qu’on peut observer avec exactitude les effets constants d’un ordre de choses durable. […] Harrington, Sidney, etc., indifférents aux questions théologiques, s’efforcèrent de rattacher les esprits aux principes de la liberté, et leurs efforts ne furent pas entièrement perdus pour la raison. […] Dans les pays où la tranquillité règne avec la liberté, on s’examine peu réciproquement. […] C’est à la liberté qu’il faut attribuer cette émulation et cette sagesse. […] Les Anglais ont considéré l’art de la parole, comme tous les talents en général, sous le point de vue de l’utilité ; et c’est ce qui doit arriver à tous les peuples, après un certain temps de repos fondé sur la liberté.

49. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre V. Des Grecs, et de leurs éloges funèbres en l’honneur des guerriers morts dans les combats. »

Ce monument est celui d’une femme qui aima mieux mourir que trahir des citoyens qui voulaient rendre la liberté à l’État. […] D’abord se présente à eux un trophée, plus loin un mausolée en bronze, et près de là, un autel au dieu de la liberté. — « Cette ville est Platée. […] Il vante la liberté dont on y jouit, et la gloire immortelle qu’elle s’est acquise en sauvant plusieurs fois la Grèce. […] Pensez, à leur exemple, que le bonheur est la liberté, et que la liberté est dans la grandeur de l’âme. » Il s’adresse ensuite aux pères de ces guerriers. […] On sait que, seul et sans secours, il fit trembler Philippe ; qu’il combattit successivement trois oppresseurs ; que, dans l’exil même, il fut plus grand que ses concitoyens n’étaient ingrats ; qu’il pensa, parla, vécut toujours pour la liberté de son pays, et travailla quarante années à ranimer la fierté d’un peuple devenu, par sa mollesse, le complice de ses tyrans.

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