Cuvillier-Fleury, qu’il n’est pas interdit aux amis d’en dire quelque chose, je désirerais à mon tour que la même liberté fût laissée, non pas aux indifférents (ceux qui ont lu ce recueil ne sauraient plus l’être pour Mme de Tracy), mais aux étrangers et aux curieux pleins de respect qui n’ont pas eu l’honneur directement de la connaître : comme esprit et comme cœur, elle s’est peinte suffisamment à eux dans ces pages. […] Je n’ai jamais vu mieux rendre l’impression que m’a faite à moi-même Rulhière et son procédé d’histoire classique appliqué à des temps modernes, ce genre honorable, mais froid, mais artificiel, et qui a l’inconvénient de ne laisser aucune trace profonde : « Le bruit des violons (d’un bal voisin) a été couvert par notre lecture de l’Histoire de Pologne par Rulhière. […] Je laisse ce qui n’est que singulier, et je m’en tiens au talent. […] La vieillesse est pour elles comme l’enfer du Dante, à la porte duquel on laisse toutes les espérances.
Elle domine partout où elle se trouve, et elle fait toujours la sorte d’impression qu’elle veut faire ; elle use de ces avantages presque à la manière de Dieu : elle nous laisse croire que nous avons notre libre arbitre, tandis qu’elle nous détermine… Aussi, ceux qu’elle punit de ne la point aimer pourraient lui dire : Vous l’auriez été, si vous aviez voulu l’être 2. […] » C’est ce qu’elle écrit dans les mauvais jours, quand elle se laisse aller à son humeur ; mais cependant elle est obligée de convenir que cette maréchale juge très-bien les gens, qu’ils sont démêlés et sentis par elle à souhait, qu’elle rend toute justice particulièrement au mérite de cette charmante duchesse de Choiseul. […] Tous ceux qui ont parlé d’elle, les Ségur, les Lévis, le prince de Ligne, Mme de Genlis, sont unanimes à lui reconnaître cet empire absolu et sans appel sur tout ce qu’il y avait de distingué dans la jeunesse des deux sexes ; elle contenait les travers, tempérait l’anglomanie, l’excès de familiarité, la rudesse, ne passait rien à personne, ni une mauvaise expression, ni un tutoiement, ni un gros rire ; « la plus petite prétention, la plus légère affectation, un ton, un geste qui n’auraient pas été exactement naturels, étaient sentis et jugés par elle à la dernière rigueur ; la finesse de son esprit, la délicatesse de son goût ne lui laissaient rien échapper » ; attentive à ce qu’il ne passât aucun courant d’air de la mauvaise compagnie dans la bonne, elle retardait, pour tout dire, le règne des clubs et maintenait intacte l’urbanité française, à la veille du jour où tout allait se confondre et s’abîmer. […] Mme la comtesse de Boigne que nous possédons encore, mais que son âge et sa santé affaiblie ne laissent plus vivre tout entière que de près et pour l’intimité (1864).
Nous laisserons donc à la charge de ceux qui l’ont inventé et qui, de leur autorité privée, l’ont promu le Roi des bohèmes de son temps, ce poète qui fut ignoré aux xve et xvie siècles, excepté à Auxerre, et qui aurait pu sans inconvénient continuer de l’être. […] Il paraît que ce bon mari ne s’inquiéta pas trop du passé avec elle, et qu’il lui laissait même dans le présent et pour l’avenir une honnête liberté. […] Je laisse ces misanthropes et taupes cachées sous terre, et ensevelis de leurs bizarries, lesquels auront de par moi tout loisir de n’être point aimés, puisqu’il ne leur chaut d’aimer. […] Laisse-nous oublier que nous avons vécu.
On me dira, je le sais bien, que Musset, au milieu de ses négligences et de ses laisser aller de parti pris, a des cris du cœur qu’il a portés à la fin jusqu’au déchirant et au sublime. […] nous sommes Comme des étrangers l’un pour l’autre ; les hommes Sont ainsi : — leur toujours ne passe pas six mois. — L’amour s’en est allé Dieu sait où. — Ma princesse, Comme un beau papillon qui s’enfuit et ne laisse Qu’une poussière rouge et bleue au bout des doigts, Pour ne plus revenir a déployé son aile, Ne laissant dans mon cœur, plus que le sien fidèle, Que doutes du présent et souvenirs amers. […] Mais, encore une fois, je laisse l’action, très-secondaire dans le livre, je ne m’attache qu’à d’Albert, au jeune homme qu’elle rencontre et qui s’émeut d’abord à sa vue. […] Toujours, au milieu du festin, au sein de l’ivresse, et quand le poète enflammé exhalera l’ardeur de ses chants entre les bras de Théone ou de Cinthie, la Mort se lèvera tout à coup et apparaîtra devant ses yeux, non la Mort des anciens dont l’idée ne faisait qu’aiguiser plutôt et raviver le sentiment du plaisir, mais la Mort de la Danse macabre, avec son ricanement féroce, et qui vous met et vous laisse au cœur une certaine petite crainte a l’Hamlet que la nuit funèbre ne soit pas le long sommeil, mais le rêve, et que tout ne soit pas fini après la vie : La mort ne serait plus le remède suprême ; L’homme, contre le sort, dans la tombe elle-même N’aurait pas de recours, Et l’on ne pourrait plus se consoler de vivre, Par l’espoir tant fêté du calme qui doit suivre L’orage de nos jours !
Ô le plus grand des peintres, tu es sans doute un génie, mais il était bien temps de laisser respirer de ses maux ce mortel de tant de douleur. » Il demande grâce pour le héros torturé, tant il prend au sérieux la peinture ! […] Il mérite vraiment qu’on le distingue, qu’on lui recompose sa physionomie, et qu’avec les petites pièces qu’il a laissées, au nombre de cent environ, on se forme une idée un peu nette de sa destinée, de sa vie et de son talent. […] Léonidas le nie spirituellement et s’inscrit en faux dans ce petit dialogue : « Un jour l’Eurotas dit à Cypris : « Ou prends des armes, ou sors de Sparte : la ville a la fureur des armes. » Et elle, souriant mollement : « Et je serai toujours sans armes, dit-elle, et j’habiterai Lacédémone. » Et Cypris est restée sans armes, et après cela il y a encore d’effrontés témoins qui viendront nous conter que chez eux la déesse est armée. » Comme variété de ton, je noterai une piquante épigramme dans un sens ironique et de parodie : il s’agit d’un philosophe rébarbatif, d’un laid cynique, Posocharès, qui s’est laissé prendre aux filets d’un jeune objet charmant ; et celui-ci, comme on fait d’un trophée après une victoire, se complaît à suspendre dans le temple de Vénus toute la défroque du cynique, son bâton, ses sandales, « et cette burette crasseuse, et ce reste d’une besace aux mille trous, toute pleine de l’antique sagesse. » Ceux qui savent leur Moyen-Age peuvent rapprocher cette épigramme du fabliau connu sous le titre du Lai d’Aristote. […] Quelle portion d’existence t’est laissée, si ce n’est un point, ou s’il est quelque chose encore au-dessous d’un point ?
Mais ce n’étaient que fleurs peintes et lustrées, printemps artificiel ; tout cela laissait froid et sans émotion, et ne s’adressait qu’aux lettrés. […] Dans l’Examen qu’il fit du Cid vingt-cinq ans plus tard, il indique avec complaisance quelques-unes de ces adresses qu’il a employées : il est aussi quelques-unes des beautés premières, tout à l’espagnole, qu’il a l’air de vouloir rétracter et dont il fait mine de se repentir : ainsi, à un endroit, l’offre que fait Rodrigue de son épée à Chimène et sa protestation de se laisser tuer par don Sanche « ne me plairaient pas maintenant, dit-il ; ces beautés étaient de mise en ce temps-là, et ne le seraient plus en celui-ci. […] Le comte ne laisse pas de confesser qu’il a eu tort, mais sans vouloir pour cela le réparer : « Je l’avoue entre nous, quand je lui fis l’affront, J’eus le sang un peu chaud et le bras un peu prompt. […] — Va, laisse-moi mourir……. » C’est par ce soudain tutoiement, et par rien autre chose, que Rodrigue marque qu’il vient de l’entendre dans le cours de son épanchement avec Elvire.
Lorsqu’elle est à Corbeil, les rapports ne laissent plus rien à désirer : « Tous les sentiments de ceux qui ont vu Mme la dauphine, écrit le duc de Luynes, paraissent s’accorder. […] Laissons parler le maréchal de Saxe, qui va nous paraître délicat en la jugeant et en la décrivant dans toute sa crudité : « Sire, écrivait-il au roi son frère le 12 février 1747, je n’aurai pas de peine à dire des vérités agréables à Votre Majesté sur le compte de Mme la dauphine, et la renommée me servira de garant. […] Il appartiendrait au comte Vitzthum, dans une seconde édition de son livre, de prendre cette accusation corps à corps, et de n’en rien laisser debout24. […] C’est Napoléon qui est censé parler et qui explique comment, en quittant l’Egypte, il avait laissé le commandement en chef de l’armée à Kléber : « Kléber, dit-il, était capable de lutter contre tous les ennemis alors existants dans ces contrées.
Mais voilà qu’en littérature, comme en politique, à mesure que les causes extérieures de perturbation ont cessé, les symptômes intérieurs et de désorganisation profonde se sent mieux laissé voir. […] Sa condition d’être commun et ouvert à tous l’a sans doute, à chaque époque, laissé en proie à tous les hasards des esprits. […] La moindre importance qu’on attache probablement à une branche réputée accessoire a fait que sur ce point on a laissé aller les choses. […] Mais je laisse là ces questions, qui appartiennent au plus subtil du Code de commerce ; je ne sais jusqu’à quel point la légalité s’en accommodera ; les tribunaux, mis en demeure de prononcer dans quelques cas, paraissent jusqu’ici peu y condescendre, et les vieux juges, ouvrant de grands yeux, n’y entendent rien du tout.
Commencé depuis bien des années, laissé ou repris plus d’une fois à travers les occupations d’une vie que les affaires réclament, cet Érostrate était déjà imprimé, et non publié, quand le poëme de M. […] Outre le journal qu’il rédigeait, de Loy chantait l’impératrice ; il devint (ses amis l’assurent et moi je n’en réponds pas) commandeur de l’ordre du Christ ; il était, ajoute-t-on, gentilhomme de la chambre ; mais laissons-le dire, et faisons-nous à sa manière courante, quelque peu négligée, mais bien facile et mélodieuse : Me voici dans Rio, mon volontaire exil, Rio, fille du Tage et mère du Brésil. […] Je laisse subsister la forme première des articles jusque dans ces points de rappel qui sont comme la liaison de la causerie. […] Aussi elle a laissé trace plus qu’on ne croirait en des esprits sérieux et qui ne sont pas tendres à toute poésie.
Si Clovis se laissa faire consul, ce fut le jeu et la cérémonie d’une matinée. […] On n’y oublierait pas surtout Dagobert, le bon Dagobert, qui a laissé une réputation débonnaire et assez ridicule, et qui fut peut-être un grand roi, énergique, le quasi-Charlemagne de sa race, mort à la fleur de l’âge et dans la vigueur de ses hauts projets4. […] Un livre, j’imagine, n’aura pas laissé d’exercer de l’influence sur la conception du sien. […] L’histoire en a profité cette fois, mais elle les admet peu en général ; son front, d’ordinaire impassible, ne laisse guère monter jusqu’à lui les mille éclairs sous-entendus et les sourires ; — et voilà pourquoi, en pur critique littéraire que je suis, j’ai toujours crainte de m’approcher, comme aussi j’ai peine à juger du masque de cette muse sévère.
Il se mit en relation avec les beaux esprits et les poëtes du temps, surtout avec ceux de son âge, Mairet, Scudery, Rotrou : il apprit ce qu’il avait ignoré jusque-là, que Ronsard était un peu passé de mode, et que Malherbe, mort depuis un an, l’avait détrôné dans l’opinion ; que Théophile, mort aussi, ne laissait qu’une mémoire équivoque et avait déçu les espérances, que le théâtre s’ennoblissait et s’épurait par les soins du cardinal-duc ; que Hardy n’en était plus à beaucoup près l’unique soutien, et qu’à son grand déplaisir une troupe de jeunes rivaux le jugeaient assez lestement et se disputaient son héritage. […] Corneille se laissa probablement séduire à ces raisons du moment ; l’essentiel, c’est que de son erreur même il sortit des chefs-d’œuvre. […] Voltaire a osé dire de cette belle épître : « Elle paraît écrite entièrement dans le style de Régnier, sans grâce, sans finesse, sans élégance, sans imagination ; mais on y voit de la facilité et de la naïveté. » Prusias, en parlant de son fils Nicomède que les victoires ont exalté, s’écrie : Il ne veut plus dépendre, et croit que ses conquêtes Au-dessus de son bras ne laissent point de têtes. […] Un retard dans le payement de sa pension le laissa presque en détresse à son lit de mort : on sait la noble conduite de Boileau.
Il est permis aujourd’hui de dire que, si Flaubert avait en horreur les prédications morales comme les effusions sentimentales, cependant ces vies étalées impassiblement devant nous laissent à la fin de la pitié et dégagent une leçon. […] Plus navrante et plus grise est l’impression que laisse l’Éducation sentimentale (1869) : Madame Bovary prenait une grandeur tragique par les convulsions passionnées, et par la mort de l’héroïne. […] Cette hallucination fantastique est sortie tout entière d’une patiente étude de documents ; de là, justement, la froideur de l’œuvre, et la fatigue qu’elle laisse : tellement l’auteur s’est mis en dehors de la vie contemporaine, tellement il a éliminé toute idée personnelle, toute conception philosophique, morale ou religieuse, qui eussent donné direction, sens et portée à ce splendide cauchemar. […] Ils ont créé vraiment le style impressionniste : un style très artistique, qui sacrifie la grammaire à l’impression, qui, par la suppression de tous les mots incolores, inexpressifs, que réclamait l’ancienne régularité de la construction grammaticale, par élimination de tout ce qui n’est qu’articulation de la phrase et signe de rapport, ne laisse subsister, juxtaposés dans une sorte de pointillé, que les termes producteurs de sensations.
Eux, ils n’ont qu’à se laisser vivre pour faire partie de l’histoire. […] Ce n’est guère que sur les mœurs qu’ils pourraient s’accorder quelque liberté, et jadis ils laissaient volontiers leur corps prendre la revanche des esclavages de leur esprit ; mais beaucoup d’entre eux se refusent aujourd’hui cette consolation Ils vivent enfin dans un monde très restreint ; ils ne se trouvent de plain-pied qu’avec un très petit nombre d’hommes : ils ne peuvent donc connaître les hommes qu’imparfaitement. […] Mme la Princesse note dans une lettre, comme un fait digne de remarque, qu’il s’est laissé embrasser par sa femme et lui a fait quelques caresses. […] L’ingénieur du roi, M. de Beaulieu, qui nous a laissé sur les batailles de cette époque une série de gravures presque toujours fort exactes, représenta le combat au moment même où Gassion exécute son mouvement tournant.
La morale de La Bruyère, c’est celle de Montaigne, de Molière, de La Fontaine, de Boileau ; c’est tout ensemble une grande liberté d’observation, qui reste d’ailleurs dans les limites de la convenance, et une certaine indifférence qui laisse à chacun ses défauts, et qui paraît satisfaite qu’un homme imparfait ne soit pas pire. […] La foi laisse peu de chose à faire à la raison, ou, pour parler plus juste, la raison n’est qu’un doux acquiescement à la foi. […] Il y avait une sorte de proportion en toutes choses, et la plus grande des sociétés modernes se laissait voir dans ce moment de repos, où il faut prendre le portrait des nations comme des personnes. […] La Bruyère voyait les habitudes, et, au lieu de visages échauffés par la passion, agrandis ou rapetissés outre mesure par les événements, des figures au repos, où les passions, devenues des manières d’être de chaque jour, avaient laissé des traces et comme gravé des rides ineffaçables.
Si l’organisation sociale de la production n’autorise que dans une faible mesure l’originalité individuelle, elle ne laisse pas d’imposer à l’individu des gênes et des contraintes qui tendent à le diminuer physiquement, intellectuellement et moralement. […] Ceux qui ont vu de près les organisations syndicalistes ont remarqué le peu de liberté qui y est laissée à l’individu, la surveillance et la défiance collectives qui y règnent, la perpétuelle menace d’ostracisme, d’excommunication, d’exclusion ou même de violence directe contre les dissidents. […] La société passera sur toutes les valeurs son niveau impersonnel ; elle imposera une tarification anonyme et fixée d’avance qui ne laissera place à aucune surprise, ni à aucun des effets du caprice et de la fantaisie individuelle. […] Durkheim remarque que le lien économique est un lien social assez lâche et qu’il n’entraîne nullement l’unité morale : « Comme les rapports purement économiques, dit-il, laissent les hommes les un en dehors des autres, on peut en avoir de très suivis sans participer pour cela à la même existence collective. » (Règles de la méthode sociologique, p. 139.)
On reconnaît là la théorie philosophique connue sous le nom de nominalisme ; tout n’est pas faux dans cette théorie ; il faut lui réserver son légitime domaine, mais il ne faudrait pas non plus l’en laisser sortir. […] Ces forces aveugles, le premier venu les fait agir ou les laisse agir ; le philosophe doit en parler ; pour en parler, il doit en connaître le peu qu’on en peut connaître, il doit donc les regarder agir. […] Sans doute cette classification comporte assez d’arbitraire pour laisser à la liberté ou au caprice de l’homme une large part. […] Quand une loi a reçu une confirmation suffisante de l’expérience, nous pouvons adopter deux attitudes, ou bien laisser cette loi dans la mêlée ; elle restera soumise alors à une incessante révision qui sans aucun doute finira par démontrer qu’elle n’est qu’approximative.