Là, ce n’est plus la mémoire seulement, c’est l’intelligence, l’imagination et le goût qui entrent en jeu. […] J’ai conservé par hasard et j’ai retrouvé récemment, au fond d’une vieille malle pleine de papiers à demi rongés des rats dans le grenier de mon père, quelques vers au Rossignol de ces nuits d’été à Belley, que je ne me souvenais pas d’avoir composés ; mais l’écriture à peine formée, le papier jaune et raboteux du collège attestent bien que ces vers furent un des premiers jeux de mon imagination. […] Le recueillement du sanctuaire m’enveloppait jusque dans mes jeux et dans mes amitiés avec mes camarades. […] Ceux d’entre vous qui préfèrent, à cause de leur âge plus tendre, les promenades et les jeux de cette belle matinée à des délassements d’esprit peuvent se retirer ; les autres resteront librement avec moi pour jouir d’autres plaisirs. » La foule s’élança dans les jardins avec des cris de joie qui se confondirent avec les gazouillements des oiseaux libres des charmilles ; huit ou dix adolescents des plus âgés ou des plus lettrés restèrent, retenus par la confiance qu’ils avaient dans le goût délicat du maître et par leur attrait déjà prononcé pour les plaisirs d’esprit.
Le prince de Ligne y mêle de ses jeux : « J’aime encore mieux les barils que les tonneaux », allusion aux Du Barry et à Mirabeau-Tonneau. […] Un jour qu’il était allé à Schönbrunn où était le jeune roi de Rome, l’enfant, à qui le vieux maréchal (car le prince de Ligne avait ce titre) agréait beaucoup, se mit à jouer aux soldats devant lui ; le maréchal se prêta au jeu et commanda la manœuvre.
La table sur laquelle elle écrivait d’habitude était un bureau un peu exhaussé, de telle sorte que, sans se déranger, elle pouvait, dans les moments de pause, suivre le jeu d’un des joueurs à l’une ou à l’autre des tables qui étaient de chaque côté : C’était là son occupation lorsqu’elle n’écrivait point ; mais, aussitôt que quelqu’un entrait et s’approchait d’elle pour la saluer, elle quittait tout pour demander : Quelle nouvelle ? […] Jamais l’effronterie et la gloutonnerie des femmes de tout rang, jamais la cupidité de tous, le jeu et le trafic éhonté, la soif cynique de l’or, n’ont trouvé une main plus ferme et plus vigoureuse à les prendre sur le fait et à les flétrir.
Il aimait jouer à tous les jeux d’enfants, et il nous les décrit avec un intérêt vraiment enfantin. […] N’est-ce pas lui qui dans son poème de Psyché, dans cet hymne à la Volupté, c’est-à-dire à la Plaisance, comme dirait Froissart, nous a confessé ses goûts divers : J’aime le jeu, l’amour, les livres, la musique, La ville et la campagne, enfin tout : il n’est rien Qui ne me soit souverain bien, Jusqu’aux sombres plaisirs d’un cœur mélancolique.
Le soir même le roi dit à Racine, directeur de l’Académie, qu’il approuvait l’élection. » L’Académie française tient ainsi sa place et a son coin dans le journal de Dangeau à côté des chasses, des promenades royales, des loteries et des jeux de Marly, des nouvelles de guerre et d’église ; elle a son importance sociale. […] Ce mélange de sacrifice à la Cour et de faste encore persistant, de chasses, de jeux de toutes sortes, dont on sait le nom et chaque partie soir et matin, tout ce train habituel et détaillé de Versailles, dont le côté frivole disparaît dans la haute tranquillité du monarque, compose une lecture qui n’est pas du tout désagréable, du moment qu’on y entre, et je me suis surpris à en désirer la suite. — C’est en avoir assez dit, je crois, et c’est rendre assez de justice à l’homme qui ressemble le moins à Tacite, mais qui cependant a son prix.
Pellisson qui, depuis qu’il s’était converti, avait beaucoup de zèle, et qui de plus avait titre et qualité spéciale d’économe de Cluny, engagea un jour Santeul à mieux employer son talent, et à faire des chants religieux, des hymnes qui lui seraient une occupation également lucrative et plus décente, plus digne d’un religieux : « Laissez là, lui disait-il, tous ces artifices menteurs des muses et d’Apollon ; c’est assez donner à Phébus et aux muses ; ces sortes de jeux ne siéent qu’à la jeunesse, et, pour n’être que des jeux, on y trouve aussi quelque gloire.
Dans les langues modernes, où le tour est moins marqué, où la langue en elle-même n’a pas à peu de frais, comme chez les anciens, sa grâce, sa cadence, et où les mots ont moins d’énergie et de jeu, il faut, en terminant, ce qu’on appelle le trait et la pointe. […] Or Sénecé en a fait beaucoup de faibles, de médiocres et d’inutiles, c’est le cas de tous les auteurs d’épigrammes ; mais il en a fait aussi de bonnes, et en voici une qui me paraît excellente ; elle est imitée ou plutôt inspirée de Martial et de ses vœux de bonheur, mais avec un rajeunissement original et piquant ; elle est adressée à Bellocq, valet de chambre de Louis XIV, ancien camarade et ami intime de Sénecé : Pour être heureux, je, voudrais peu de chose Esprit bien sain, tempérament de fer, D’argent comptant bonne et loyale dose, Glace en été, bon feu pendant l’hiver ; Amis choisis, et livres tout de même ; Un peu de jeu, sans pourtant m’y piquer ; Point de procès, dispense de carême.
Tantôt c’est une beauté non moins éblouissante, mais d’une ambition plus variée, qui sait unir les plaisirs à la politique, le jeu des cabinets et des cours aux intrigues d’éclat, qui mène de front la galanterie et les affaires, et, sur le pied déjà de souveraine, attire à soi les plus graves philosophes politiques ou impose le respect aux plus grandes dames de Paris : qui les a rencontrés une seule fois ne saurait jamais les oublier, ces deux yeux d’une clarté d’enfer et qui faisaient lumière dans la nuit. […] Pour rien au monde, quand je le pourrais, je ne voudrais enlever à l’humanité un dogme utile ou même une illusion consolante ; mais lorsqu’une doctrine prend la forme d’un jeu d’esprit ou d’un exercice de talent, il est bien permis de la discuter.
Travailleur infatigable, il était d’ailleurs très actif et agile de corps, très alerte aux jeux, et le premier aux barres comme à la conférence. […] Quand un grain de passion politique ou universitaire s’y mêle, quand l’adversaire prête flanc par une surface prolongée, quand le journaliste professeur est à l’aise pour se déployer derrière ses lignes classiques et pour ajuster sûrement son monde, il s’en donne en homme d’esprit plein de malice ; et à ce jeu il se serait rompu à la longue ; le naturel aurait pris le dessus sur le concerté et le compassé ; ce qu’un adversaire des plus fins, mais irrévérent36, a appelé l’amidon de son style, ce que nous nommons tout uniment l’apprêt, aurait disparu.
Gœthe, causant un jour avec Hegel, se félicitait avec raison d’avoir su échapper à cette infirmité sans le secours d’une dialectique artificielle, qui prête au sophisme et qui a toujours l’air d’un jeu. […] Montrant un jour à Eckermann deux de ses poésies dont l’intention était très-morale, mais où le détail offrait par places trop de naturel et de vérité, il se proposait bien de les garder en portefeuille, disait-il, de peur de scandaliser : « Si l’intelligence, si une haute culture d’esprit, remarquait-il à ce propos, étaient des biens communs à tous les hommes, le poëte aurait beau jeu ; il pourrait être entièrement vrai et n’éprouverait pas de crainte pour dire les meilleures choses.
Même dans le cadre resserré où je me suis tenu ; on a pu saisir parfaitement la marche et le progrès naturel du Mystère ou jeu dialogué, et par personnages, des sujets religieux et sacrés. […] Le répertoire des noms contenus au jeu des Actes des Apôtres accuse 485 personnages, ce qui a fait dire que « la moitié d’une ville était occupée à amuser l’autre. » Ces gens-là ont la passion du long. ; ils n’ont pas l’idée du groupe, ni de la proportion et de la mesure.
On ne peut recomposer la civilisation antique de cet air d’aisance et la ressusciter tout entière ; on sent toujours l’effort ou le jeu, la marqueterie. […] Entre Rome et Carthage, dans leur querelle acharnée, toute la civilisation future est en jeu déjà ; la nôtre elle-même en dépend, la nôtre, dont le flambeau s’est allumé à l’autel du Capitole, comme celui de la civilisation romaine s’était lui-même allumé à l’incendie de Corinthe.
Quand il arrive sur la scène, comme un jeune chien en défaut, courant, hors d’haleine, ayant perdu la piste de la beauté qu’il suivait, qu’il brûlait d’aborder, qu’un maudit fâcheux lui a fait tout d’un coup manquer, quel jeu de passion ! […] Ce ne sont pas des jeux d’esprit que je me permets : chaque écrivain ou poète classique a sa qualité distinctive et singulière, sa vertu à lui, souveraine, et qui est faite pour guérir du défaut littéraire opposé.
Ne parlez plus de vos grâces païennes : Je mets Thalie, Euphrosine, Aglaé, A cent piques des Parisiennes… Ailleurs, dans une pièce intitulée le Jeu de Boules (et ceci devient tout à fait anacréontique) : Près de Paphos, dans des bois solitaires, Les Jeux, les Ris et les Grâces légères Au cochonnet jouaient à qui mieux mieux.
Avant l’exil du duc de Bourbon et le renvoi de Mme de Prie, la reine avait pu voir dans quel monde de cabales, de médisances et de noirceurs elle était tombée, et quel jeu croisé se jouait autour d’elle. […] Je lui répondis : « Je crois, Madame, le cœur du roi bien éloigné de ce qu’on appelle amour : vous n’êtes pas de même à son égard ; mais, croyez-moi, ne laissez pas trop éclater votre passion : qu’on ne s’aperçoive pas que vous craignez de la diminution dans ses sentiments, de peur que tant de beaux yeux qui le lorgnent continuellement ne mettent tout en jeu pour profiter de son changement.
Cette grande qualité sociale, ainsi composée et combinée de deux contraires, quand on a le bonheur de l’avoir conquise et de la bien pratiquer, donne à la concurrence des esprits et au jeu des forces libres toute leur activité et toute leur vie, en conjurant les dangers qui naissent du refoulement et de la compression : « Elle permet, il est vrai, la propagation du mal, mais elle donne à celle du bien une force incomparable. […] Les sceptiques ont beau jeu, et les pessimistes aussi ; ils peuvent élever bien des objections et arguer de l’inutilité de pareils efforts, de l’impuissance de semblables remèdes palliatifs, quand une fois un principe dominant s’est emparé de la société : il semble alors qu’il faille que ce principe sorte tous ses effets et se produise, bon gré, mal gré, jusqu’au bout ; on ne le déjoue pas.