Enfin, il aurait pu jeter un regard sur l’ancienne Asie, sur cette Égypte si fameuse, sur cette grande Babylone, sur cette superbe Tyr, sur les temps de Salomon et d’Isaïe.
» Pour juger de la différence qui se trouve entre les héros d’Homère et ceux du Tasse, il suffit de jeter les yeux sur le camp de Godefroi et sur les remparts de Sion.
Le conseil infernal étant assemblé, le poète représente Satan au milieu de son sénat : « Ses formes conservaient une partie de leur primitive splendeur ; ce n’était rien moins encore qu’un Archange tombé, une Gloire un peu obscurcie : comme lorsque le soleil levant, dépouillé de ses rayons, jette un regard horizontal à travers les brouillards du matin ; ou tel que dans une éclipse, cet astre, caché derrière la lune, répand sur une moitié des peuples un crépuscule funeste, et tourmente les rois par la frayeur des révolutions.
On voit de profil la tête du supplicié, et sa bouche dont cette situation fait encore mieux remarquer l’ouverture énorme, ses yeux dont la prunelle est renversée, et dont on n’apperçoit que le blanc sillonné de veines rougeâtres et tenduës ; enfin l’action violente de tous les muscles de son visage, font presqu’oüir les cris horribles qu’il jette.
Maintenant la même critique métaphysique peut, en nous montrant la cours d’idées que suivirent les anciens peuples, jeter un jour tout nouveau sur l’histoire des poètes dramatiques et lyriques.
Qu’on ne jette pas, à travers le moyen âge rêvant et pleurant de Taine, ce monde pullulant de facéties et de gausseries. […] Faire le dessin d’une vie d’homme, tracer ses ligues directrices, et l’y jeter comme sur des rails dont elle ne déviera pas, Taine ne fut pas le premier à se laisser tenter par cette chimère. […] Aristocrate de manières, « duc par l’esprit et par l’impertinence, et même grand-duc », lui du moins savait porter les fourrures que Catherine II lui jetait sur les épaules. […] Ou encore il se fait inviter aux repas de fête, et il écoute les rires, les propos sales, la gaieté lourde, les gaillardises épaisses qu’on jette à la tête des promis. […] L’orateur doit savoir le jeter, — le savoir et le pouvoir.
Rompre sans cesse le développement rationnel d’un roman tragi-comique, commencer arbitrairement, continuer et finir de même, jeter au hasard, pêle-mêle, sans suite, une foule d’images, de sentiments et de saillies : voilà le programme qu’il suit et qu’il nous propose. […] Schiller dans ses Brigands, Goethe dans son Gœtz de Berlichingen, les romanciers dans leurs romans, ont repris le thème développé dans Don Quichotte, et rien n’est plus propre à jeter du jour sur la vraie nature du comique, que la comparaison de leurs œuvres avec celle de l’auteur espagnol. […] À partir du moment où les lois, dans leur forme prosaïque, se sont constituées et commencent à prévaloir, l’aventureuse liberté des personnages chevaleresques se trouve jetée en dehors des mœurs, et si elle ne renonce pas à sa mission céleste de faire régner la justice, de venger les opprimés, de défendre les orphelins, les filles et les veuves, elle tombe dans le ridicule, et finit en prison ou à l’hôpital234. […] En effet, le personnage ne peut embrasser aucun intérêt général important, capable de le jeter dans une collision grave ; et, lorsqu’il embrasse un pareil intérêt, il laisse seulement voir dans son caractère que, quant à la chose en elle-même, il y tient peu, et qu’il a déjà réduit à rien ce qu’il paraît vouloir réaliser dans son œuvre. […] Pour se faire une idée nette de la forme particulière de l’ordre social, qui est accessible aux représentations de l’art, on n’a qu’à jeter un coup d’œil sur celle qui lui est opposée.
À présent nous sommes préparés, et nous pouvons entrer dans son second poëme, la Dunciade ; il faut beaucoup d’empire sur soi pour ne pas jeter par terre ce chef-d’œuvre comme insipide et même dégoûtant. […] La Philosophie, qui jadis ne s’appuyait que sur le ciel, se rabat sur les causes secondes et disparaît ; la Religion rougissante voile son feu sacré, et la Moralité, sans s’en douter, s’éteint ; la vertu publique, la vertu privée n’osent plus jeter de flammes ; il n’y a plus d’étincelle humaine, il n’y a plus d’éclair divin. […] Il marque tout dans le vol du faisan, le frou-frou de son essor, « ses teintes lustrées, changeantes, — sa crête de pourpre, ses yeux cerclés d’écarlate, — le vert si vif que déploie son plumage luisant, — ses ailes peintes, sa poitrine où l’or flamboie1121. » Il a la plus riche provision de mots brillants pour peindre les sylphes qui voltigent autour de son héroïne, « lumineux escadrons dont les chuchotements aériens semblent le bruissement des zéphyrs, — et qui, ouvrant au soleil leurs ailes d’insectes, — voguent sur la brise ou s’enfoncent dans des nuages d’or ; — formes transparentes dont la finesse échappe à la vue des mortels, — corps fluides à demi dissous dans la lumière, — vêtements éthérés qui flottent abandonnés au vent, — légers tissus, voiles étincelants, formés des fils de la rosée, — trempés dans les plus riches teintes du ciel, — où la lumière se joue en nuances qui se mêlent, — où chaque rayon jette des couleurs passagères, — couleurs nouvelles qui changent à chaque mouvement de leurs ailes1122. » Sans doute ce ne sont point là les sylphes de Shakspeare ; mais à côté d’une rose naturelle et vivante, on peut encore voir avec plaisir une fleur en diamants, comme il en sort des mains d’un joaillier, chef-d’œuvre d’art et de patience, dont les facettes font chatoyer la lumière et jettent une pluie d’étincelles sur le feuillage de filigrane qui les soutient. […] Ils allaient ainsi chaque jour brodant, pomponnant, étriquant le brillant habit classique, jusqu’à ce qu’enfin l’esprit humain, gêné, le déchira, le jeta, et se mit à courir.
Plein de colère, Hagene saisit promptement le fourreau de son épée et en tire la bonne lame ; il lui abat la tête et la jette à terre. […] Il se dit: « Tous ces guerriers doivent perdre la vie. » Quand ils eurent déchargé la barque et emporté tout ce que les vaillants hommes des trois Rois y avaient mis, Hagene la brisa en pièces qu’il jeta dans les flots. […] Sommeliers et échansons entendant le retentissement des épées, jetèrent hors de leurs mains le vin et les mets qu’ils apportent aux convives. […] Le plus jeune fils de dame Uote se jeta aussi dans la mêlée. […] Oui, les mains de deux héros ont mis le verrou à la porte d’Etzel ; elles valent bien mille barreaux. » Quand Hagene de Troneje vit la porte si bien gardée, il jeta son bouclier sur l’épaule, le vaillant et illustre guerrier.
Si nombreuses que soient les discussions où le désir de définir ce terme ait jeté les esthéticiens, ils sont tous d’accord sur cette qualité principale du beau : l’harmonie. […] On peut dire que l’état, où par cette commotion a été jetée la sensibilité puis l’intellectualité du poète, est la condition primordiale de l’œuvre, qui n’est que l’éternisation de cet état. […] Elle riait, toute épanouie dans son insouciance et sa beauté, et voilà que le divin passant l’arrête, la regarde, lui dit deux paroles et la courtisane jette ses fleurs, s’agenouille et pleure. […] Ce grand changement a jeté le monde dans un désarroi dont nous sommes les témoins et les victimes. […] Pourtant, alors que toute méthode scientifique procède du connu à l’inconnu, c’est dans l’inconnaissable qu’on jette l’esprit à peine entr’ouvert en lui faisant bégayer le nom de Dieu !
qui n’est presque jamais l’intérêt profond, passionné, à impression ineffaçable, que donnent les livres forts et grands ; mais il a cette fleur de l’amusement qu’on respire, — et qu’on jette aussi (rarement pour la reprendre) après l’avoir respirée. […] Or, un livre qui est tout cela est ce qui doit faire le plus horreur à ces quarante Empaillés dans leur immortalité, à ces hauts Figés dans l’ennui, et qui le représentent dans sa solennité et dans la leur, cet ennui qui vous faisait jeter à la porte de toutes les maisons autrefois et par lequel on fait maintenant son chemin en France. […] Telle fut, vue par en haut, et dégagée, comme un arbre en pleine forêt abattue, de toutes les facultés qui jetaient leur épaisseur sur elle, la supériorité absolue de Raymond Brucker, de ce porte-flamme, qui, comme la flamme ne laisse rien après elle, n’a rien laissé après lui, et, tout entier, s’est évaporé. […] Cet homme d’imagination romanesque s’est jeté dans la réalité historique avec un incroyable élan, et de toutes les histoires qu’il pouvait écrire il a choisi la plus troublée, la plus méconnue, la plus travestie, la plus insultée et la plus dangereuse au talent qui la touche, si le talent a la malheureuse ambition de cette sottise qu’on appelle la gloire… L’impopularité tente les esprits héroïques. […] Il aurait pu l’appeler prosaïquement : Histoire du Mont Saint-Michel, mais il a mieux aimé l’intituler : Les Merveilles du Mont Saint-Michel, et il n’y a ni badauderie ni charlatanerie dans ce titre, que, dans une candeur insolente, il jette au nez d’une génération savante, simplificatrice et sceptique, qui ne croit à la merveille de rien !
Enfin, comme pour jeter de l’huile sur ce brasier ardent et en allumer un nouveau, il s’attache à la jeune Béjart. […] Le ridicule que Le Mariage forcé jeta sur ces principes contribua sans doute à lui faire suspendre ses poursuites. […] Au moment où le cocher fouettait les chevaux, Molière jeta une pièce de monnaie à un pauvre qui lui demandait l’aumône. […] Grimarest a prétendu que Molière, furieux contre son libraire, en fit jeter au feu tous les exemplaires. […] Le mari, repentant et toujours amoureux de sa femme, revient se jeter à ses pieds.
N’êtes-vous pas sensible aux preuves de force et d’utilité qu’il vous donne, aux dommages successifs qui vous font prévoir sa fin prochaine, et ne vous serait-il point arrivé, au moment de vous en séparer, de le jeter sous l’ombrage caché de quelque fouillis, plutôt que de l’abandonner aux outrages de la grande route ? […] On s’y dit douceurs au murmure de la seille qui s’emplit… » Rien que ces quelques mots ainsi jetés, familiers et envieillis, n’est-ce pas déjà harmonie et couleur ? […] Un mot de lui, jeté en un moment de colère, a cruellement appris à Charles qu’il est un enfant trouvé. […] Je n’ai jamais jeté la fleur Que l’amitié m’avait donnée, — Petite fleur, même fanée, — Sans que ce fût à contre-cœur.
Hugo n’a pas tort, quand il donne tant d’importance à la révolution qui jetait à bas l’« ancien régime » de la langue733. […] Partout le poète prend un objet hors de lui pour y diriger notre émotion ; il fait élection d’un héros, Moïse, un loup, Jésus, une bouteille que l’océan jette au rivage. […] Est-ce une bravade, un défi jeté au ciel ? […] Chaque poème est né d’une image : un livre qu’on publie, c’est une bouteille jetée à la mer.
Un autre chambellan leur décrit en ces termes l’abattement du prince : « Le roi n’eut pas plutôt jeté les yeux sur ce fatal anneau, que, la mémoire lui revenant tout à coup, il se rappela le mariage qu’il avait secrètement contracté avec Sacountala, s’accusa de l’avoir repoussée avec tant de cruauté et d’injustice, et, depuis ce temps, il est livré au plus amer repentir ; il a les plaisirs en horreur ; il se refuse, contre son habitude, à recevoir chaque jour les hommages de son peuple. […] « À cet ordre terrible elle s’arrête, remplie de frayeur, et jette encore sur moi, moi si cruel, un regard suppliant troublé par les flots de larmes qui s’échappaient de ses yeux… Ah ! […] Mais la lionne furieuse va se jeter sur toi, si tu ne lui rends son petit. […] Le scrupule des langues modernes jette un voile sur ces épanchements des deux époux.
Demandez-le au magistrat sans repos dans la conscience, au médecin sans sommeil sur son oreiller, à l’ambitieux sans limite dans sa soif de domination et de primauté sur ses semblables, à l’orateur, à l’écrivain, au poète, dévorés de l’insatiable désir de surpasser leurs rivaux ou de se surpasser eux-mêmes, hommes tellement affamés de renommée, dont ils font du pain pour leurs enfants, que, s’ils croyaient trouver une nouvelle veine de talent dans leur propre sang, ils se saigneraient eux-mêmes aux quatre membres pour jeter leur vie au public en retour d’un peu de gloire ou d’un peu de pain ! […] Cela fait frémir, cela fait vaciller les étoiles dans le ciel, cela jetait Job jusque dans l’athéisme ; il ne le dit pas précisément en termes textuels, mais il le dit implicitement dans ses griefs et dans ses récriminations amères contre la conduite de Dieu à l’égard des hommes. […] Ce petit mot de métaphysique, jeté en passant et dont je demande pardon au lecteur, suffit à établir que le grand philosophe poète ou le grand poète philosophe prend nécessairement son caractère, ses idées, ses images, dans la scène de la nature qu’il habite ou qu’il a le plus habituellement sous les yeux. […] VI Tel que le nageur nu, qui plonge dans les ondes, Dépose au bord des mers ses vêtements immondes, Et, changeant de nature en changeant d’élément, Retrempe sa vigueur dans le flot écumant, Il ne se souvient plus, sur ces lames énormes, Des tissus dont la maille emprisonnait ses formes ; Des sandales de cuir, entraves de ses piés, De la ceinture étroite où ses flancs sont liés, Des uniformes plis, des couleurs convenues Du manteau rejeté de ses épaules nues ; Il nage, et, jusqu’au ciel par la vague emporté, Il jette à l’Océan son cri de liberté !