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1413. (1864) Études sur Shakespeare

Ses sonnets, saillies du moment que la grâce poétique ou spirituelle de quelques vers n’eût pas sauvées de l’oubli sans la curiosité qui s’attache aux moindres traces d’un homme célèbre, jetteront çà et là quelques lueurs sur les parties obscures ou douteuses de sa vie ; mais, sous le rapport littéraire, ce n’est plus que comme poëte dramatique que nous avons à le considérer. […] D’immenses intérêts, d’admirables idées, des sentiments sublimes ont été comme jetés pêle-mêle avec des passions brutales, des besoins grossiers, des habitudes vulgaires. […] Le style passionné qui y règne, même dans ceux qui évidemment ne s’adressent qu’à un ami, a jeté les commentateurs de Shakespeare dans un grand embarras. […] Il gardera courageusement sort poste malgré les huées du parterre, dût même la populace qui le remplit « lui cracher au nez et lui jeter de la boue au visage » ; ce qu’il convient au gentilhomme de supporter patiemment, en riant « de ces imbéciles animaux-là. » Cependant si la multitude se met à crier à pleine gorge : « Hors d’ici le sot !  […] Un coup d’œil jeté sur les affaires du poëte prouve aussi qu’il commençait à porter, dans les détails de son existence, cette régularité, cet ordre nécessaire à la considération.

1414. (1814) Cours de littérature dramatique. Tome III

Je ne sais s’il avait aussi effacé les couleurs un peu trop vives de cette philosophie antisacerdotale qui commençait à jeter un grand éclat, et dont les jésuites comme les jansénistes ne devaient pas être très flattés. […] J’abandonne Zaïre à ses heureux destins ; je vais m’amuser à battre les buissons, et jeter un coup d’œil rapide sur les morceaux que l’éditeur a placés à la tête de cette tragédie. […] Au commencement du second, Oreste et Pylade sont jetés par la tempête sur les rivages d’Argos ; mais ils n’indiquent leur projet que d’une manière extrêmement vague ; ils n’ont aucun moyen de réussir. […] Me jette en ce palais : c’est ainsi qu’on jette à sa porte ou dans sa rue une personne que l’on ramène en voiture. […] Voilà pourquoi l’auteur fait dire à son Araminte, après le premier coup d’œil qu’elle vient de jeter en passant sur Dorante : Il a vraiment bonne façon.

1415. (1912) Réflexions sur quelques poètes pp. 6-302

Certes, je jette ma langue aux chats ! […] Les vieux palais, les monuments superbes ne luttent plus qu’avec peine contre le Temps qui consume tout et, finalement, jette à terre œuvres et noms. […] Une nuit, il se jette de la fenêtre d’une chambre, pour suivre une bande de calvinistes. […] Théophile Gautier (il est vrai qu’il n’avait point achevé de jeter sa gourme) en délira. […] Théophile de Viau, le contemporain de Saint-Amant, jetait les images sur les images : il brillantait.

1416. (1882) Types littéraires et fantaisies esthétiques pp. 3-340

Comme la lune qui éclaire cette nuit grotesquement célèbre où don Quichotte fit la veillée des armes jette une lumière à la fois malicieuse et sympathique ! […] De hideuses apparitions viennent à sa rencontre et jettent dans son âme la pensée du mal. […] Il jette aux flammes ceux qu’il adore, et il respecte ceux qu’il damne. […] La contemplation de ce respectable visage populaire me jeta dans des rêveries de plus d’une sorte. […] avec quelles amusantes grimaces il vous remerciait des cigares que vous vouliez bien lui jeter !

1417. (1891) La vie littéraire. Troisième série pp. -396

Elle nous montre, par exemple, le païen Dulcitius prêt à se jeter comme un lion dévorant sur trois vierges chrétiennes dont il est indistinctement épris. […] Ce n’était pas sans raison ; le vampire, car c’en était un, se jeta sur lui et lui arracha le cœur. […] Mais en passant sur la chaussée, Dans la rivière s’est jetée. […] On conta qu’il y avait été jeté par un ange, mais ce fut probablement par un moine. […] La terre s’est vue jetée comme un grain de poussière dans l’espace, ignorée, perdue.

1418. (1902) Symbolistes et décadents pp. 7-402

Après elle, un journal, La Vie littéraire, qui lui succédait, sans la remplacer, jetait au monde, toutes les semaines, un tourbillon de poèmes et de gloire. […] Dans La Vie littéraire, tous les poèmes n’étaient pas de belles qualités, mais les critiques y jetaient des poignées d’éloges à tous les poètes. […] prenez garde à ceux que vous jetez au bagne. […] « Je suis le savant au fauteuil sombre ; les branches et la pluie se jettent à la croisée de la bibliothèque. […] « Je serais bien l’enfant abandonné sur la jetée portée à la haute mer, le petit valet suivant l’allée dont le front touche le ciel.

1419. (1880) Études critiques sur l’histoire de la littérature française. Première série pp. 1-336

Et je demande enfin par l’effet de quelle illusion de perspective et de quelle aberration de curiosité nous affectons de prendre un intérêt historique si vif à des détails sur lesquels, autour de nous et de notre temps, nous daignons à peine jeter les yeux ? […] Vingt éditions, lentement et minutieusement comparées, seraient moins instructives que ce simple coup d’œil jeté sur les matériaux à peine dégrossis du grand édifice que Pascal rêvait, dit-on, de bâtir. […] Mais pourquoi de ci, de là, jette-t-il fort imprudemment des réflexions qui donnent à penser que son « admiration » serait quelque peu banale et, si j’ose le dire, plus souvent convenue qu’éprouvée ? […] Phèdre se jettera demain dans la Seine ; et tous les jours, sous toutes les latitudes, il y a quelque Titus qui brise et broie le cœur de quelque Bérénice. […] Mais comment le juger, si, possédé de cette rage de tout détruire sans rien édifier, qui exaspérait Rousseau, il n’a su qu’accumuler des ruines, en laissant aux générations suivantes le soin de reconstruire ce qu’il avait imprudemment jeté bas ?

1420. (1857) Causeries du samedi. Deuxième série des Causeries littéraires pp. 1-402

Il y eut un moment où cette littérature, exaltée, aveuglée, hallucinée par ses prospérités factices, ressembla à ces parvenus qui, dans le vertige de leur subite opulence, crèvent leurs chevaux, démolissent leurs maisons et jettent leur argenterie par la fenêtre pour prouver aux autres et se prouver à eux-mêmes qu’ils sont riches. […] que de mains, rivales de celles du curé et de la nièce de don Quichotte, auraient jeté au feu ces romans de chevalerie de la bourgeoisie imprévoyante, devenus les catéchismes de la démocratie déchaînée ! […] Il n’en est pas qui laisse plus découragé, plus désarmé contre les vraies luttes de la vie, plus disposé du moins à jeter bas les bonnes armes et à s’emparer des mauvaises. […] à M. de Balzac, ces patriciennes apocryphes, toujours prêtes à jeter leur couronne ducale aux orties de la bohème, sont placées par le romancier à la cour de Louis XVIII ou de Charles X, en présence des princes et des princesses de la maison de Bourbon, et lorsque cette histoire d’hier, dont quelques acteurs vivent encore, nous est offerte comme étroitement liée aux prouesses galantes de ces dames. […] Son fidèle domestique La Porte venait d’être jeté à la Bastille, et, malgré un commencement de torture, s’était renfermé dans des dénégations absolues.

1421. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre premier. La structure de la société. — Chapitre III. Services locaux que doivent les privilégiés. »

Vingt autres redevances, jadis d’utilité publique, ne servent plus qu’à nourrir un particulier inutile  Le paysan, tel alors que nous le voyons aujourd’hui, âpre au gain, décidé et habitué à tout souffrir et tout faire pour épargner ou gagner un écu, finit par jeter en dessous des regards de colère sur la tourelle qui garde les archives, le terrier, les détestables parchemins, en vertu desquels un homme d’une autre espèce, avantagé au détriment de tous, créancier universel, et payé pour ne rien faire, tond sur toutes les terres et sur tous les produits. […] La campagne est déserte, et si quelque gentilhomme l’habite, c’est dans quelque triste bouge, pour épargner cet argent qu’il vient ensuite jeter dans la capitale. » — « Un coche79, dit M. de Montlosier, partait toutes les semaines des principales villes de province pour Paris, et n’était pas toujours plein : voilà pour le mouvement des affaires. […] Quand la souveraineté se transforme en sinécure, elle devient lourde sans rester utile, et, quand elle est lourde sans être utile, on la jette à bas.

1422. (1886) Revue wagnérienne. Tome I « Paris, 8 mai 1885. »

« Ainsi la musique a quitté son état d’innocence sublime ; elle a perdu son pouvoir, le pouvoir qui rachetait l’homme du Péché de l’Apparence ; elle a cessé d’être la révélatrice de la Nature réelle, et s’est jetée dans cette illusion de la Représentation, dont elle devait nous sauver (p. 100). […] D’ailleurs, un regard jeté sur le jeune homme eût suffi pour enlever à tout prince l’idée d’en faire son maître de chapelle. […] Maintenant, il jette un regard sur l’Apparence extérieure, qui, illuminée par sa Lumière intime, se mêle à la vision de son Âme, dans un réflexe merveilleux.

1423. (1889) L’art au point de vue sociologique « Chapitre neuvième. Les idées philosophiques et sociales dans la poésie (suite). Les successeurs d’Hugo »

Ces chercheurs étaient grands : ils se jetaient sans crainte Au travers de la nuit sans guide ni sentier ; Ignorant la prière, ils usaient de contrainte, Et, pressant l’inconnu d’une superbe étreinte, Pour penser dignement l’embrassaient tout entier. […] Il est doux de mourir lentement à la vie, de se refroidir au milieu d’un air tiède et lumineux, de sentir toutes choses s’éloigner de soi : une sourdine est mise à tous les bruits de l’univers, un voile jeté sur tout ce qu’il y a de trop éblouissant dans son éclat ; la pensée se fond en un rêve impalpable, en un nuage léger que nulle lueur trop vive ne déchire, et où l’on se cache pour mourir en paix. […]    Je l’ai jeté, je puis sombrer.

1424. (1856) Cours familier de littérature. I « IIIe entretien. Philosophie et littérature de l’Inde primitive » pp. 161-239

Tel il est, tel il fut, tel il sera, jeté comme une argile pesée par la même main dans le même moule. […] XII Mais, dit-on encore, cependant Dieu, qui ne trompe pas, a jeté dans l’homme ce levain, cette invincible aspiration, cette espérance sourde et obstinée du perfectionnement indéfini de son espèce ? […] XXIX « Je lus, je relus, je relirais encore… Je jetai des cris, je fermai les yeux, je m’anéantis d’admiration dans mon silence.

1425. (1856) Cours familier de littérature. II « VIIIe entretien » pp. 87-159

Oui, quand on jette un regard sur les États de l’Europe moderne aujourd’hui, on se demande en vain où sont les hommes qu’ont vus nos pères ou que nous avons vus nous-même dans notre jeunesse ? […] On assiste pour ainsi dire à ce travail des siècles et de la mer, qui jette des alluvions de sable et de coquillages sur des falaises, et qui solidifie ce sable devenu granit en le polissant. […] « Jetez les yeux de toutes parts », dit Bossuet : « voilà ce qu’a pu faire la magnificence et la piété pour honorer un héros : des titres, des inscriptions, vaines marques de ce qui n’est plus ; des figures qui semblent pleurer autour d’un tombeau, et de fragiles images d’une douleur que le temps emporte avec tout le reste ; des colonnes qui semblent vouloir porter jusqu’au ciel le magnifique témoignage de notre néant ; et rien enfin ne manque dans tous ces honneurs, que celui à qui on les rend.

1426. (1861) Les œuvres et les hommes. Les historiens politiques et littéraires. II. « III. M. Michelet » pp. 47-96

Michelet serait un génie ailé comme Ariel, bon à monter, bon à descendre, aurait-il le droit de se jeter dans l’histoire avec des étourderies d’oiseau, et devrait-il s’y jouer, comme on a dit que Voltaire s’était joué dans la lumière, pour la briser et en éparpiller les rayons, avec les instincts d’un méchant ? […] Dans l’orgie des idées comme dans l’autre orgie, il n’y a rien comme ces natures de femmes lancées, pour aller plus loin que les hommes et jeter leur verre au plafond ! […] mais que ce mot de femmes miroite dans le titre du livre qu’on publie, et les hommes s’y jetteront… quittes à être attrapés !

1427. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Charles-Victor de Bonstetten. Étude biographique et littéraire, par M. Aimé Steinlen. — III » pp. 455-479

L’intention première de l’auteur était de publier trois autres voyages : l’un à la campagne d’Horace, l’autre à Préneste, et le troisième à Antium, avec une description des ruines sous-marines, de ces jetées massives qui règnent le long des côtes, et qui faisaient dire à Horace que les poissons se sentaient à l’étroit dans la mer : Contracta pisces aequora sentiunt, Jadis in altum molibus… Bonstetten les avait fait dessiner par Gmelin. […] Quant aux mémoires, Bonstetten, cédant enfin aux importunités de ses amis, consentit à jeter sur le papier quelques-uns de ses souvenirs de jeunesse

1428. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Journal et Mémoires, de Mathieu Marais, publiés, par M. De Lescure  »

Dans ce livre, l’auteur, animé des plus généreux sentiments, a trop confondu les bourreaux et les victimes, quand ces victimes n’étaient pas de son bord ; il a jeté trop de têtes pêle-mêle dans le même panier. […] Il y a un petit mot de Boileau jeté en passant, qu’il m’a expliqué sans y songer.

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