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272. (1869) Cours familier de littérature. XXVII « CLXIe Entretien. Chateaubriand »

M. de Chateaubriand s’imagina qu’il était généreux à lui de venir au secours de Fontanes, lequel n’avait guère besoin d’aide, et aurait eu besoin plutôt de modérateur : dans une Lettre écrite à son ami, mais destinée au public, et qui fut en effet imprimée dans le Mercure, il prit à partie la doctrine de la perfectibilité en se déclarant hautement l’adversaire de la philosophie. […] « Je m’imagine que les malheureux qui lisent ce chapitre le parcourent avec cette avidité inquiète que j’ai souvent portée moi-même dans la lecture des moralistes, à l’article des misères humaines, croyant y trouver quelque soulagement. Je m’imagine encore que, trompés comme moi, ils me disent : Vous ne nous apprenez rien ; vous ne nous donnez aucun moyen d’adoucir nos peines ; au contraire, vous prouvez trop qu’il n’en existe point.

273. (1886) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Deuxième série « Anatole France »

Nous nous imaginons presque que c’est le premier livre où il y ait eu de la bonté, de la pitié, une faiblesse pour les égarés et les irréguliers, le sentiment de l’universelle misère et, peu s’en faut, de l’irresponsabilité des misérables. […] Cette vision de petites portions de la comédie humaine par un vieux membre de l’Institut très savant et très bon, c’est ce qu’on peut imaginer de plus délicieux. […] C’est un homme tout neuf, non déformé, parfaitement original ; c’est l’être qui reçoit des choses et du monde entier les impressions les plus directes et les plus vives, pour qui tout est étonnement et féerie ; qui, cherchant à comprendre le monde, imagine des explications incomplètes qui en respectent le mystère et sont par là éminemment poétiques.

274. (1920) La mêlée symboliste. I. 1870-1890 « Les poètes décadents » pp. 63-99

Nous avions même imaginé d’imprimer du faux Rimbaud, mais cela devait nous perdre. […] Imaginez la stupeur de Joseph Prudhomme lisant des aphorismes de cette envergure : — « Le plus sûr moyen de se faire mépriser d’une femme, c’est de lui donner de l’argent. […] Notre Rimbaud, que nous imaginions une sorte de Salomon, pasteur de peuples, entouré d’une pompe nègre, s’avérait simple voyageur de commerce.

275. (1900) Poètes d’aujourd’hui et poésie de demain (Mercure de France) pp. 321-350

Elle prétendit imposer à l’écrivain la servitude de l’observation et réduire le droit d’imaginer à l’imitation textuelle de la vie. […] Il imagine peu. […] Pour cela, il usait de toutes les ressources du discours, tant oratoires qu’imaginées, en y ajoutant celles, particulières en son cas, du rythme et de la rime.

276. (1889) Le théâtre contemporain. Émile Augier, Alexandre Dumas fils « Émile Augier — CHAPITRE VII »

Imaginez une tzarine, chassant à coups de fouet un moujik sur qui son caprice serait descendu. […] Imaginez une condamnée se précipitant d’elle-même aux lieux infâmes, pour y accomplir une mystérieuse expiation. […] Il faut qu’il soit fou à lier pour imaginer qu’une femme qui le hait lui donnera sa main lorsqu’il se représentera devant elle couvert du sang du seul homme qu’elle aime et qu’elle ait aimé.

277. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « L’abbé Galiani. » pp. 421-442

Parmi les poètes et écrivains célèbres en ce patois, on retrouverait, j’imagine, plus d’un type de Galiani resté à l’état pur et non taillé à la française. […] il ne peut plus parler, il balbutie : « Or, imaginez ce que c’est que le petit abbé muet !  […] On ne saurait imaginer les inexactitudes de mots, les altérations de sens, les inepties pour tout dire, qui se sont glissées dans le texte de l’une et de l’autre de ces éditions : il serait difficile de les distinguer à cet égard.

278. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « L’abbé Maury. Essai sur l’éloquence de la chaire. (Collection Lefèvre.) » pp. 263-286

Ce sont de ces contes qui, s’ils ne sont pas vrais, sont bien imaginés, et qui résument les destinées d’une manière piquante. […] Je ne sais si Maury, malgré ses intrigues, avait cette finesse cauteleuse, prudente, et il était homme plutôt, j’imagine, à se diriger droit du côté de ses intérêts et de ses appétits. […] Il me tira à part dans une embrasure de fenêtre ; je crus qu’il voulait me communiquer quelque chose qu’il avait imaginé pour me tirer de l’abîme où je suis tombé. — Il sortit de sa poche trois pommes qu’on venait de lui donner, et dont il me fit présent pour mes enfants.

279. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Beaumarchais. — II. (Suite.) » pp. 220-241

Pour consoler sans doute les comédiens de cette lutte où l’homme de lettres ne consentait plus à être pris pour dupe, et pour les payer, eux aussi, en monnaie glorieuse, Beaumarchais, le premier, imagina, au lendemain de ces représentations qui étaient pour lui comme une bataille et une victoire, de faire son bulletin, et en imprimant sa pièce, après le signalement minutieux de chaque personnage, de distribuer l’éloge à l’acteur. […] C’est une de plus que pour Scudéry… La première représentation a été fort tumultueuse, comme on peut se l’imaginer, et si extraordinairement longue, qu’on n’est sorti du spectacle qu’à dix heures, quoiqu’il n’y eût pas de petite pièce ; car la comédie de Beaumarchais, remplit le spectacle entier, ce qui est même une sorte de nouveauté de plus. […] C’est une de plus que pour Scudéry… La première représentation a été fort tumultueuse, comme on peut se l’imaginer, et si extraordinairement longue, qu’on n’est sorti du spectacle qu’à dix heures, quoiqu’il n’y eût pas de petite pièce ; car la comédie de Beaumarchais, remplit le spectacle entier, ce qui est même une sorte de nouveauté de plus.

280. (1818) Essai sur les institutions sociales « Chapitre X. Première partie. Théorie de la parole » pp. 268-299

Ceux qui se croient poètes, et qui ne le sont pas, au lieu de transmettre l’impression reçue, ont imaginé de peindre imparfaitement l’objet lui-même. […] Cadmus de Milet, d’après ce géographe, fut le premier qui imagina de rompre la mesure, en conservant d’ailleurs tous les caractères de la poésie. […] L’esprit philosophique de Voltaire a frappé de stérilité une composition déjà aride par elle-même ; car il ne faut pas qu’un homme de talent s’imagine qu’il puisse créer la poésie, s’il ne la trouve pas toute faite.

281. (1908) Promenades philosophiques. Deuxième série

Ce qu’elles furent, ces civilisations primitives, on s’est amusé à en imaginer le roman. […] C’est qu’ils s’imaginent que les découvertes du génie ont lieu d’après les méthodes qui naquirent de ces découvertes mêmes. […] On ne s’imaginait pas que l’on pût jamais trouver l’urée d’une autre manière, quand Woehler raconta son accident. […] Le collectivisme intégral, imaginé par des rêveurs, conduirait l’humanité à une vie déplus en plus automatique. […] Les gens qui aiment les bêtes et qui leur parlent s’imaginent que les bêtes les comprennent.

282. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — S — Séverin, Fernand (1867-1931) »

On s’imaginerait volontiers, après avoir fermé son livre, se réveiller d’un beau rêve qu’on aurait fait, au crépuscule, au bord d’une source pure où, tout le temps aurait murmuré dans les roseaux une nymphe au doux langage.

283. (1763) Salon de 1763 « Peintures — Boucher » pp. 196-197

  Imaginez sur le fond un vase posé sur son piédestal et couronné d’un faisceau de branches d’arbres renversées ; au-dessous, un berger endormi sur les genoux de sa bergère.

284. (1889) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Quatrième série « M. Paul Verlaine et les poètes « symbolistes » & « décadents ». »

Mais si l’on vous demandait à quels instruments de musique, à quelles couleurs, à quels sentiment correspondent exactement les voyelles et les diphtongues et leurs combinaisons avec les consonnes, vous seriez, j’imagine, fort empêché. […] Imaginez quelque chose d’aussi spontané, d’aussi gracieusement incohérent, d’aussi peu oratoire et discursif que certaines rondes enfantines et certaines chansons populaires, des séries d’impressions notées comme en rêve. […] Vous ne sauriez imaginer quelle chose bizarre et tourmentée est devenu le XVIIIe siècle, en traversant le cerveau troublé du pauvre poète. […] »    En réalité, ce qu’il traduit ainsi, ce n’est pas l’impossibilité d’aimer Dieu, mais celle de le concevoir tel qu’il puisse être aimé, ou (ce qui revient au même) l’impuissance à l’imaginer dès qu’on essaye de le concevoir comme il doit être : principe des choses, éternel, omnipotent, infini… Comment donc faire ?

285. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Étude sur la vie et les écrits de l’abbé de Saint-Pierre, par M. Édouard Goumy. L’abbé de Saint-Pierre, sa vie et ses œuvres, par M. de Molinari. — II » pp. 261-274

Il s’imaginait aussi qu’il pourrait être fort utile à l’Académie quand il en serait ; de là un redoublement de zèle. […] C’est dans cette période de sa vie, j’imagine (car je ne vois pas d’autre moment où placer convenablement cet épisode) que le digne abbé, qui avait d’ailleurs des mœurs pures, mais non pas dans le sens strict de sa profession et de son ministère, paya son tribut à la faiblesse humaine.

286. (1897) Le monde où l’on imprime « Chapitre VII. Maurice Barrès et Paul Adam » pp. 72-89

Les livres agissent de deux manières sur les mœurs : ou bien ils posent des modèles à suivre, ils imaginent des types dont l’imitation est conseillée, ce sont les livres des moralisateurs ; ou bien ils décrivent, sans arrière-pensée, des anecdotes et des figures contemporaines, véridiques ou de fiction, c’est-à-dire de combinaison, ce sont les livres des moralistes, qui agissent parce qu’ils font voir clair. […] La naïveté est d’imaginer que des hectogrammes quotidiens de viande, de pain, de légumes, que deux vêtements « complets » par an, quelques musiques et un théâtre mensuel fournissent le bien-être.

287. (1913) Le bovarysme « Quatrième partie : Le Réel — IV »

D’un geste analytique il divise et délimite : c’est ainsi qu’il distingue la perception de la sensation ; mais, pour distinguer les formes objectives en lesquelles il imagine les causes de son propre changement, pour préciser les modifications où il prend conscience de lui-même, pour les différencier les unes des autres, il modère cette force de dissociation qu’il a tout d’abord déchaînée et contraint, par un geste contraire, quelques parties de cette substance, qui va se désagrégeant, à s’associer selon des combinaisons variables, d’une durée plus ou moins longue, d’une solidité plus ou moins grande, selon qu’il les comprime avec plus ou moins de force. […] Si la vie abondante de l’espèce n’a d’autre intérêt que de rendre la connaissance possible, si elle n’est elle-même, ainsi qu’on en a posé l’hypothèse, qu’un moyen pour la connaissance de se réaliser, on peut imaginer que des vérités nouvelles seront un jour inventées pour réglementer dans les limites qui conviennent le nombre des naissances sur une planète où il est déjà possible de prévoir une densité trop grande de la vie humaine.

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