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10. (1913) Le bovarysme « Première partie : Pathologie du bovarysme — Chapitre II. Le Bovarysme comme fait de conscience son moyen : la notion »

L’image projetée dans la conscience par l’éducation, principal moyen du Bovarysme. — la notion, fortune abstraite et humaine de l’image — III. […] Or, il arrive que chez l’homme, la conscience possède la propriété, à un degré beaucoup plus élevé que chez toutes les autres espèces, de refléter, en même temps que l’image des sentiments, des pensées, des actes individuels, l’image aussi des sentiments, des pensées, des actes étrangers. […] Encore faut-il préciser la nature de cette image. […] Entre l’image toutefois, telle qu’elle se forme en un premier cerveau, à l’occasion d’une perception et l’image évoquée par l’intermédiaire du mot en un autre cerveau, il y a un écart que mesure la différence plus ou moins grande entre deux sensibilités. […] Le mot ne transmet donc que des images abrégées et incomplètes, des images d’une nature particulière, auxquelles il convient de donner un nom distinct : ce sont des notions.

11. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 33, de la poësie du stile dans laquelle les mots sont regardez en tant que les signes de nos idées, que c’est la poësie du stile qui fait la destinée des poëmes » pp. 275-287

La poësie du stile de la satire doit être nourrie des images les plus propres à exciter notre bile. L’ode monte dans les cieux, pour y emprunter ses images et ses comparaisons du tonnerre, des astres et des dieux mêmes. […] Ce discours est rempli d’images et de peintures, et c’est à notre imagination qu’il parle contre l’abus de l’imagination. […] Les images et les figures doivent être encore plus frequentes dans la plûpart des genres de la poësie que dans les discours oratoires. […] Telles sont, par exemple, les figures que met en oeuvre le carme auteur du poëme de la Magdelaine, qui forment souvent des images grotesques, où le poëte ne devroit nous offrir que des images serieuses.

12. (1906) La rêverie esthétique. Essai sur la psychologie du poète

On assiste au défilé des images sonores. […] Il n’en est pas de même des images. […] Ils pensent par images. […] Chez lui l’idée s’épanouit en images plus facilement que les images ne se contractent en idée. […] La prose est donc faite d’images en voie de disparition, la poésie d’images en voie de développement.

13. (1881) La parole intérieure. Essai de psychologie descriptive « Chapitre IV. Comparaison des variétés vives et de la forme calme de la parole intérieure. — place de la parole intérieure dans la classification des faits psychiques. »

La parole intérieure calme mérite d’être étudiée pour elle-même ; c’est une véritable création de l’âme, à la fois l’œuvre et l’instrument de la pensée ; le mécanisme ordinaire de la formation des images ayant fourni la parole imaginaire, image de la parole extérieure, l’activité intelligente de l’âme a simplifié cette image et l’a adaptée, sous sa nouvelle forme, à un rôle nouveau. […] La parole intérieure est une image. […] II § 7 à 10] : Si c’est le jugement de reconnaissance, l’image est un souvenir. […] La troisième division n’est pas fondée non plus sur des caractères intrinsèques des images. […] Dans l’âme normale, l’image incessamment variée qui exprime la succession de nos pensées est une image sonore, la parole intérieure ; à défaut de la parole, des séries analogues d’images visuelles ou d’images tactiles peuvent remplir le même office.

14. (1870) De l’intelligence. Deuxième partie : Les diverses sortes de connaissances « Livre premier. Mécanisme général de la connaissance — Chapitre premier. De l’illusion » pp. 3-31

Nos idées sont des signes, c’est-à-dire des sensations ou des images d’une certaine espèce. […] Le même travail suit, quelle que soit l’espèce des images. […] Nous avons vu que dans toute représentation, conception, ou idée, il y a une image ou un groupe d’images. — Quand je pense à un objet particulier, le Louvre par exemple, il y a en moi quelque image de la sensation visuelle que j’aurais en sa présence. — Quand je pense à un objet général, l’arbre ou l’animal, il y a en moi quelque débris plus ou moins vague d’une image analogue, et, en tout cas, l’image de son nom, c’est-à-dire des sensations visuelles, auditives, musculaires, que ce nom exciterait en moi, si je le lisais, si je le prononçais, ou si je l’entendais. — Partant, dans toutes les opérations supérieures que nous faisons au moyen de noms abstraits, jugements, raisonnements, abstractions, généralisations, combinaisons d’idées, il y a des images plus ou moins effacées ou plus ou moins nettes. — D’autre part, il est évident que tout souvenir et toute prévision contiennent des images. […] L’image, répétition spontanée de la sensation, tend comme elle à provoquer une hallucination. […] Même remarque pour les autres images, et notamment celles de la vue.

15. (1901) L’imagination de l’artiste pp. 1-286

Je n’ai qu’à en transporter l’image sur la toile. […] Comment l’image qui nous est présentée se transfigure-t-elle à nos yeux, devient-elle transparente pour nous laisser distinguer derrière elle d’autres images, derrière ces images encore de pures idées ? […] Et pourtant ces images sont de pure fantaisie. […] Comment compléter cette image ? […] Admettons que cette image ressemble à votre idéal.

16. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome second — Livre cinquième. Principales idées-forces, leur genèse et leur influence — Chapitre quatrième. L’idée du temps, sa genèse et son action »

Aussi y a-t-il encore une différence de sentiment entre l’image du passé et l’image anticipée de l’avenir. […] 3e moment. — Sensation intense de fenêtre ouverte ; image du coup de vent descendue à son second degré d’intensité ; image de la gravure descendue à son troisième degré d’intensité. […] On voit maintenant quelle perspective devra se produire dans la conscience : image intense de la fenêtre, puis, simultanément, image à demi intense du vent et image de la gravure au troisième degré d’intensité : c’est le côté du passé ; d’autre part, du côté du futur, image intense de la bougie éteinte, puis, après celle-là, image intense de l’obscurité, et, après celle-ci, les images suivantes. […] Il en résultera un classement d’images selon un certain ordre et sur divers plans. […] Elle est relative, en effet : 1° à l’intensité des images représentées ; 2° à l’intensité des différences entre ces images ; 3° au nombre de ces images et au nombre de leurs différences ; 4° à la vitesse de succession de ces images ; 5° aux relations mutuelles entre ces images, entre leurs intensités, entre leurs ressemblances ou leurs différences, entre leurs durées diverses, et enfin entre leurs positions dans le temps ; 6° au temps nécessaire pour la conception de ces images et de leurs rapports ; 7° à l’intensité de notre attention à ces images ou aux émotions de plaisir et de peine qui accompagnent ces images ; 8° aux appétits, désirs ou aversions qui accompagnent ces images ; 9° au rapport de ces images avec notre attente, avec notre prévision.

17. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome premier — Livre troisième. Le souvenir. Son rapport à l’appétit et au mouvement. — Chapitre premier. La sélection et la conservation des idées dans leur relation à l’appétit et au mouvement. »

Parfois l’image suit immédiatement la sensation et se produit dans l’organe même du sens. […] Les résidus des images successives se superposent ou se combinent ensemble dans notre esprit. […] Il n’y a point de pensées toutes faites dans le cerveau, pas d’images réelles, mais seulement des images virtuelles qui n’attendent qu’une excitation pour passer à l’acte. […] Sans l’attention, l’image d’une impression, même intense, disparaît bientôt. L’image mnémonique n’est donc pas le résidu passif de l’impression reçue.

18. (1881) La parole intérieure. Essai de psychologie descriptive « Chapitre II. La parole intérieure comparée à la parole interieure »

Beaucoup plus fragile est l’image de cette sensation. […] et l’image buccale ne serait-elle pas la raison secrète de cette étrange localisation ? […] Elle nous conduit uniquement à considérer comme possible ou probable une conscience infinitésimale de l’image tactile ; or, à ce degré inobservable, nous n’avons jamais nié l’image tactile. […] Si, comme le soutient Bain, la parole intérieure était surtout une image tactile, par l’effet de quelle illusion Bossuet, Rivarol, Bonald n’ont-ils aperçu dans leur conscience qu’une simple image sonore ? […] L’image tactile n’apparaît pas dans les descriptions de la parole intérieure avant Cardaillac ; c’est qu’il fallait sans doute, pour découvrir l’image accessoire derrière l’image principale, observer le phénomène avec une attention persévérante, ce que nul, avant Cardaillac, n’avait su faire.

19. (1870) De l’intelligence. Première partie : Les éléments de la connaissance « Livre premier. Les signes — Chapitre premier. Des signes en général et de la substitution » pp. 25-32

. — Un nom d’individu est une sensation ou image des yeux ou des oreilles, qui évoque en nous un groupe d’images plus ou moins expresses. […] Lorsque j’entends prononcer ce mot : lord Palmerston, ou que je lis les quatorze lettres qui le composent, il se forme en moi une image, celle du grand corps sec et solide, vêtu de noir, au sourire flegmatique, que j’ai vu au Parlement. […] Telle courte et petite sensation entrée par les yeux ou l’oreille a la propriété d’éveiller en nous telle image, ou série d’images, plus ou moins expresse, et la liaison entre le premier et le second terme de ce couple est si précise qu’en cent millions de cas et pour deux millions d’hommes le premier terme amène toujours le second. […] L’image des Tuileries se réveille, celle de la Seine et de ses quais tout à côté, et vous vous sentez arrêté quand vous voulez transporter la première ailleurs. […] Cette résistance n’a fait que de se répéter plus forte quand l’image a reparu. — Prolongez et variez l’épreuve : vous trouverez dans le mot un système de tendances toutes correspondantes à celles de l’image, toutes acquises par lui dans son commerce avec l’expérience et l’image, mais à présent spontanées, et qui opèrent tantôt pour le rapprocher, tantôt pour l’écarter des autres mots ou groupes de mots, images ou groupes d’images, expériences ou groupes d’expériences. — De cette façon, le nom tout seul peut tenir lieu de l’image qu’il éveillait, et, par suite, de l’expérience qu’il rappelait ; il fait leur office et il est leur substitut.

20. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome premier — Livre quatrième. Éléments sensitifs et appétitifs des opérations intellectuelles — Chapitre deuxième. Les opérations intellectuelles. — Leur rapport à l’appétition et à la motion. »

Mais il ne suffit pas, avec Galton et Huxley, d’expliquer les idées générales par la fusion d’images particulières dans une image composite. Des images génériques ne sont pas encore équivalentes à des concepts généraux, car une image confuse est, en elle-même, aussi particulière qu’une image précise. […] Les mots sont eux-mêmes des images substituées à d’autres, mais des images plus commodes, plus maniables, plus précises. Le mot est le substitut de l’image, comme l’image est le substitut de la sensation, comme la sensation est le substitut de l’objet sensible. […] L’image de tel homme est isolée, l’image de l’homme a pour cortège une multitude d’images d’hommes qui arrivent comme un flot dans les régions de la sub-conscience.

21. (1870) De l’intelligence. Première partie : Les éléments de la connaissance « Livre quatrième. Les conditions physiques des événements moraux — Chapitre premier. Les fonctions des centres nerveux » pp. 239-315

Nous savons que toutes les idées, toutes les connaissances, toutes les opérations de l’esprit se réduisent à des images associées, que toutes ces associations ont pour cause la propriété que les images ont de renaître, et que les images elles-mêmes sont des sensations qui renaissent spontanément. […] Il suffit pour répondre de maintenir l’image pendant quelques secondes à ce poste privilégié. […] Plus l’image est vive, plus cette difficulté est grande. […] En d’autres termes, quand l’image devient très lumineuse, elle se change en impulsion motrice. […] Lois de la renaissance et de l’effacement des images.

22. (1905) Les ennemis de l’art d’écrire. Réponse aux objections de MM. F. Brunetière, Emile Faguet, Adolphe Brisson, Rémy de Gourmont, Ernest Charles, G. Lanson, G. Pélissier, Octave Uzanne, Léon Blum, A. Mazel, C. Vergniol, etc… « XVI »

XVI La question des images. — Les métaphysiciens du style. — La théorie et la pratique — Reproches immérités. — Enseigne-t-on à créer les images ? […] Les images ont une grande importance dans l’art d’écrire. […] On nous accuse, entre autres reproches, de vouloir enseigner de toutes pièces à créer les images. […] Il est le symbole de l’individu, comme la langue est le symbole de la nation qui la parle, et nulle image n’est plus fidèle. […] Je ne puis donc admettre la sévérité qu’on témoigne à ma théorie de la création des images.‌

23. (1899) Esthétique de la langue française « Le cliché  »

C’est l’opération inverse de la réduction de l’image visuelle en paroles. […] Riche d’images, le style tend à l’obscurité ; une image nouvelle, étant la représentation presque directe d’un fragment de vie, est beaucoup moins péremptoire que le cliché, lequel est, si l’on ose dire, une image abstraite. […] Ni le style de Stendhal, ni celui de Mérimée, ni le style même du Code ne sont exempts d’images ; seulement ces images sont tellement usées, elles ont si longtemps roulé dans les vagues de la parole que voilà des galets unis et ronds où il semble que nul regard mental ne puisse découvrir les linéaments du paysage ancien. « Tout condamné à mort, dit le Code, aura la tête tranchée » ; cela est net, sec et froid ; cela ne laisse à l’entendement aucune alternative ; ce n’est plus une image, c’est une idée, mais une idée qui, à peine comprise, redevient l’image que les mots, sans le savoir, ont tracée avec du sang. […] C’est pour ceux-là qu’il faudrait réserver le mot « cliché » ; les autres seraient mieux nommés « images abstraites ». […] Soyons donc indulgents pour nos plaisirs et goûtons dans les images nouvelles ce qu’elles ont de beau, leur nouveauté.

24. (1896) Matière et mémoire. Essai sur la relation du corps à l’esprit « Résumé et conclusion »

Je ne saurais hésiter : en posant mon corps, j’ai posé une certaine image, mais, par là aussi, la totalité des autres images, puisqu’il n’y a pas d’objet matériel qui ne doive ses qualités, ses déterminations, son existence enfin à la place qu’il occupe dans l’ensemble de l’univers. […] Elle ne crée rien ; son rôle est au contraire d’éliminer de l’ensemble des images toutes celles sur lesquelles je n’aurais aucune prise, puis, de chacune des images retenues elles-mêmes, tout ce qui n’intéresse pas les besoins de l’image que j’appelle mon corps. […] Entre l’affection sentie et l’image perçue, il y a cette différence que l’affection est dans notre corps, l’image hors de notre corps. […] C’est donc la perception pure, c’est-à-dire l’image, qu’on doit se donner d’abord. […] Mais à mesure qu’on passe des mouvements aux images, et des images plus pauvres aux images plus riches, ressemblance et contiguïté se dissocient : elles finissent par s’opposer sur cet autre plan extrême où aucune action n’adhère plus aux images.

25. (1870) De l’intelligence. Deuxième partie : Les diverses sortes de connaissances « Livre deuxième. La connaissance des corps — Chapitre II. La perception extérieure et l’éducation des sens » pp. 123-196

De là naissent les phénomènes singuliers nommés images consécutives. […] Nous situons nos sensations comme les objets, par l’image associée de telles sensations musculaires plus ou moins longues. […] Une association stable s’est donc faite entre les sensations dont le point de départ est dans les nerfs du cou, et cette série d’images musculaires jointe à ce groupe d’images tactiles. […] Elles tiennent lieu des images tactiles et musculaires qui leur correspondent, et, comme elles défilent en un éclair, il nous semble que le défilé beaucoup plus long des images tactiles et musculaires s’est opéré en un éclair. […] Pour que cet équilibre soit rompu et que l’image du côté droit se soude par sélection à la sensation survenante, il faut un certain temps, et, d’après l’expérience, ce temps est de sept centièmes de seconde. — En général, entre une sensation et un signal consécutif, il s’écoule deux dixièmes de seconde, et, si la sensation, celle d’un son instantané, d’un choc électrique, d’une étincelle, doit évoquer une image auxiliaire, elle emploie, lorsque cette image n’est pas prête ou se trouve contrebalancée par une autre, un dixième de seconde de plus que lorsque la même image auxiliaire est prête, ou n’a pas d’antagoniste. — Il faut donc aux images un intervalle de temps pour se souder à la sensation, et cet intervalle est d’autant plus long que leur évocation est moins préparée ou plus disputée.

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