La philosophie n’est pas de l’insensibilité, quoiqu’elle diminue l’atteinte des vives douleurs il faut une grande force d’âme et d’esprit pour arriver à cette philosophie dont je vante ici les secours ; et l’insensibilité est l’habitude du caractère, et non le résultat d’un triomphe.
Perdons l’habitude de considérer comme stupide et comme ennemi quiconque n’entend pas et ne ressent pas le beau tout à fait comme nous, ce beau que, depuis vingt-quatre siècles, les philosophes ne sont pas parvenus à définir proprement.
Les grands traitements scientifiques, et surtout le cumul, auraient sous ce rapport un grave inconvénient, le même que les grandes richesses ont eu pour le clergé : ce serait d’attirer des âmes vénales, qui ne voient dans la science qu’un moyen comme un autre de faire fortune ; honteux simoniaques qui portent dans les choses saintes leurs grossières habitudes et leurs vues terrestres.
Dans le monde, on en par la diversement suivant les habitudes de chaque société.
Rien ne le troublerait dans sa profonde et austère contemplation ; ni le passage bruyant des événements publics, car il se les assimilerait et en ferait entrer la signification dans son œuvre ; ni le voisinage accidentel de quelque grande douleur privée, car l’habitude de penser donne la facilité de consoler ; ni même la commotion intérieure de ses propres souffrances personnelles, car à travers ce qui se déchire en nous on entrevoit Dieu, et, quand il aurait pleuré, il méditerait.
Il ne fit depuis qu’entretenir ce beau feu par tout ce qui nourrit & fortifie l’esprit des hommes, la lecture, la réflexion, les voyages, l’habitude d’écrire.
Si l’homme religieux aime sa patrie, c’est que son esprit est simple, et que les sentiments naturels qui nous attachent aux champs de nos aïeux sont comme le fond et l’habitude de son cœur.
Je vous l’ai déjà dit, c’est une habitude de juger, sûrement préparée par des qualités naturelles, et fondée sur des phénomènes et des expériences dont la mémoire ne nous est pas présente.
Cette mesquinerie d’habitudes où se plaisait dans ses rêves le jeune Renan et qu’acceptait Stendhal ne paraît pas acceptable à certains esprits qui, bien qu’exempts de cupidité vulgaire, veulent un décor de grandeur à leur biographie.
. — Pendant tout le dix-septième siècle, cette théorie subsiste encore au fond de toutes les âmes sous forme d’habitude fixe et de respect inné ; on ne la soumet pas à l’examen. […] Pour entrer dans la pratique, pour prendre le gouvernement des âmes, pour se transformer en un ressort d’action, il faut qu’elle se dépose dans les esprits à l’état de croyance faite, d’habitude prise, d’inclination établie, de tradition domestique, et que, des hauteurs agitées de l’intelligence, elle descende et s’incruste dans les bas-fonds immobiles de la volonté ; alors seulement elle fait partie du caractère et devient une force sociale. […] » Toutes les souillures qu’il a contractées lui viennent du dehors ; c’est aux circonstances qu’il faut attribuer ses bassesses et ses vices : « Si j’étais tombé dans les mains d’un meilleur maître…, j’aurais été bon chrétien, bon père de famille, bon ami, bon ouvrier, bon homme en toutes choses. » Ainsi la société seule a tous les torts Pareillement, dans l’homme en général, la nature est bonne. « Ses premiers mouvements sont toujours droits… Le principe fondamental de toute morale, sur lequel j’ai raisonné dans mes écrits, est que l’homme est un être naturellement bon, aimant la justice et l’ordre… L’Émile en particulier n’est qu’un traité de la bonté originelle de l’homme, destiné à montrer comment le vice et l’erreur, étrangers à sa constitution, s’y introduisent du dehors et l’altèrent insensiblement… La nature a fait l’homme heureux et bon, la société le déprave et le fait misérable412. » Dépouillez-le, par la pensée, de ses habitudes factices, de ses besoins surajoutés, de ses préjugés faux ; écartez les systèmes, rentrez dans votre propre cœur, écoutez le sentiment intime, laissez-vous guider par la lumière de l’instinct et de la conscience ; et vous retrouverez cet Adam primitif, semblable à une statue de marbre incorruptible qui, tombée dans un marais, a disparu depuis longtemps sous une croûte de moisissures et de vase, mais qui, délivrée de sa gaine fangeuse, peut remonter sur son piédestal avec toute la perfection de sa forme et toute la pureté de sa blancheur.
Quant au commun des habitants dont le logis est étroit, mais passable, ils craignent les déménagements, ils tiennent à leurs habitudes. […] Si parfois le propriétaire les transporte à l’étage inférieur, il ne s’en sert qu’à demi ; des habitudes établies, des intérêts ou des instincts antérieurs et plus forts en restreignent l’usage. […] Au contraire, le grand vicaire peut sourire à un propos contre la religion, l’évêque en rira tout à fait, le cardinal y joindra son mot. » — « Il y a quelque temps, raconte la chronique, on disait à l’un des plus respectables curés de Paris : Croyez-vous que les évêques, qui mettent toujours la religion en avant, en aient beaucoup Le bon pasteur, après avoir hésité un moment, répondit : Il peut y en avoir quatre ou cinq qui croient encore. » — Pour qui connaît leur naissance, leurs sociétés, leurs habitudes et leurs goûts, cela n’a rien d’invraisemblable. « Dom Collignon, représentant de l’abbaye de Mettlach, seigneur haut justicier et curé de Valmunster », bel homme, beau diseur, aimable maître de maison, évite le scandale, et ne fait dîner ses deux maîtresses à sa table qu’en petit comité ; du reste aussi peu dévot que possible et bien moins encore que le vicaire savoyard, « ne voyant du mal que dans l’injustice et dans le défaut de charité », ne considérant la religion que comme un établissement politique et un frein moral.
Qui pouvait mieux y pourvoir qu’un grand géomètre, devenu grand écrivain, qui allait traiter des vérités les plus essentielles à l’homme avec les habitudes rigoureuses de l’algébriste, posant ces vérités comme des problèmes au moyen de mots exacts comme des chiffres, et les résolvant par un enchaînement de propositions évidentes ? […] C’est leur naturel et leur habitude. […] Il avait pu se dépouiller de toutes les opinions ; mais il gardait les bonnes habitudes, et c’est du commerce même de l’antiquité qu’il tirait la force de s’en rendre indépendant.
Si tous savaient combien le filet tissé par les théologiens est solide, comme il est difficile d’en rompre les mailles, quelle érudition on y a déployée, quelle habitude il faut pour dénouer tout cela ! […] Pour une élite de la jeunesse cléricale, il espérait qu’il sortirait de ce mélange avec des jeunes gens du monde, soumis aux mêmes disciplines, une teinture et des habitudes plus distinguées que celles qui résultent de séminaires peuplés uniquement d’enfants pauvres et de fils de paysans. […] La vive répulsion morale que j’éprouvais, compliquée d’un changement total dans le régime et les habitudes, me donna le plus terrible accès de nostalgie.
Quand le disque jaune d’une orange vu de loin éveille immédiatement en nous l’idée d’un fruit sphérique, cette interprétation des images n’a pas lieu par l’application d’une forme et d’un moule intellectuel à une matière informe ; elle a lieu par le lien de contiguïté, de fréquence, d’habitude, qui a uni dans notre expérience même la forme visible du disque avec la forme tangible de la sphère. La première sensation devient ainsi le signe de l’autre, et la classification des objets, où Platon voyait une opération du pur esprit, se fait alors par le fonctionnement automatique des cellules cérébrales, par le jeu de l’habitude et de la sélection mentale. […] Nous ne prétendons pas définir ce sentiment spécifique : définirions-nous la sensation de facilité, le sentiment d’habitude ou, dans une autre sphère, la sensation de vide ?
Et l’effet de parodie, ainsi défini, se prolongera jusqu’à des cas où l’idée exprimée en termes familiers est de celles qui devraient, ne fût-ce que par habitude, adopter un autre ton. […] Également comique est l’extension de la langue des affaires aux relations mondaines, par exemple cette phrase d’un personnage de Labiche faisant allusion à une lettre d’invitation qu’il a reçue : « Votre amicale du 3 de l’écoulé », et transposant ainsi la formule commerciale : « Votre honorée du 3 courant. » Ce genre de comique peut d’ailleurs atteindre une profondeur particulière quand il ne décèle plus seulement une habitude professionnelle, mais un vice de caractère. […] Mais il n’y a pas d’étang qui ne laisse flotter des feuilles mortes à sa surface, pas d’âme humaine sur laquelle ne se posent des habitudes qui la raidissent contre elle-même en la raidissant contre les autres, pas de langue enfin assez souple, assez vivante, assez présente tout entière à chacune de ses parties pour éliminer le tout fait et pour résister aussi aux opérations mécaniques d’inversion, de transposition, etc., qu’on voudrait exécuter sur elle comme sur une simple chose.
Le mot roman pour vous signifie un in-18 qu’il faut couper, lire, parce que lire les romans nouveaux est, comme la cigarette, une habitude prise depuis la Bibliothèque Rose et le Jules Verne annuel. […] De sorte qu’un critique prendrait, dans les premiers volumes d’une histoire du roman, des habitudes de classification et de jugement dangereuses. […] La mémoire et l’habitude que notre vie psychologique enregistre ordinairement avec lenteur, l’amour leur communique une accélération effrayante, à tel point que lorsque l’amour lui-même est éteint — c’est le cas d’Adolphe — la mémoire et l’habitude qu’il a déposées en retiennent la figure, suffisent à en maintenir l’image, à enchaîner bon gré mal gré l’homme à cette image : « La longue habitude que nous avions l’un de l’autre, les circonstances variées que nous avions parcourues ensemble avaient attaché à chaque parole, presque à chaque geste, des souvenirs qui nous replaçaient tout à coup dans le passé, et nous remplissaient d’un attendrissement involontaire, comme les éclairs traversent la nuit sans la dissiper. […] Bourget (dont l’exemple est instructif) a échoué au théâtre parce qu’il y apportait des habitudes de romancier, et cependant c’est avec des secrets de théâtre qu’il compose ses romans : aucun qui ne tourne autour de la scène à faire, de la confrontation, de l’entrevue d’Agrippine et de Néron, des marronniers de Figaro. […] La famille Lormier est une famille où on a pris l’habitude du silence comme on prendrait ailleurs celle de l’alcool ou des disputes.