On entend parfois dans ses historiettes les petits éclats de ce rire sec dont Joubert disait, avec son appréciation ferme et exquise : « Tout ricanement déplacé vient d’une petitesse de tête », et, malgré la gaucherie des formes qui révèlent le cuistre, il y a parfois, çà et là, de ces légèretés d’assassin qui font pressentir Voltaire, cet autre bourgeois, mais étincelant de génie, et qui, frotté aux grands seigneurs, avait contracté la grâce pestiférée de leurs vices. […] Grâce à cet homme, qui pêche des anecdotes comme on pêche des anguilles, jusque dans la vase, un esprit politique n’aurait-il pas, au moins, indiqué le mal de ce temps qu’on prend pour une époque de force et de virilité, et qui n’offre aux yeux fascinés que la ruine suspendue d’une société dont la tête va tout à l’heure porter contre le fond de l’abîme, mais qui, jusque-là, trouve doux de tomber ?
Grâce à Fréron et à Grimm, l’un dans son Année littéraire, l’autre dans sa Correspondance, le journalisme était né en littérature ; mais pour qu’il devînt le journalisme politique, le journalisme tel que le conçoit et l’a réalisé l’esprit moderne, il fallait que la Révolution éclatât. […] Le poète qui, jusque-là, n’avait chanté que l’amour, l’amitié, tous ses sentiments personnels, et qui forçait son génie à tenir archaïquement dans des vers que par le contour, la grâce et la perfection grecque, on pouvait croire du pays de sa mère, devint un prosateur à la phrase carrée du xviie siècle, balancée dans le mouvement, continu et contenu, de l’orateur.
Pour suivre l’image acceptée, ce n’est encore qu’un bas lilas, c’est-à-dire qu’il y a en elle de la femme encore, de la grâce de femme, de la nuance légère ! […] On trouve, en effet, dans ce poème, un mélange de cœur blessé et de mélancolie railleuse, de l’esprit du monde et de révolte contre lui, qui n’a pas, il est vrai, la fierté de la poésie du terrible, cousin que Mme de Girardin se donnait par ce poème, mais qui la compense par la grâce chaste d’une femme se souvenant encore qu’elle est femme, comme après ce poëme elle a pu l’oublier.
Il fut plus gaulois que Rabelais, ce Rabelais dont il se vantait de descendre ; — Rabelais lui-même, mais épuré, et qui eut trois touches à son clavier que Rabelais, son aïeul, n’avait pas : la grâce, la rêverie, la tendresse… M. […] Comme il a gauloisé la grâce ionienne d’Anacréon, La Fontaine a bonhomisé les Dieux de la Grèce.
Il va retracer dans notre mémoire les grâces que Dieu leur a faites, pour qu’on loue la miséricorde qu’il vient de leur faire. […] Son style, qui n’est jamais impétueux et chaud, est du moins toujours élégant ; au défaut de la force, il a la correction et la grâce.
Daudet, quelque chose de sa grâce émue, dans certaines pages de M. […] Mais est-ce donc une excuse à sa médiocrité que la hâte de l’auteur, et, de grâce, que nous fait le temps qu’il a mis à l’écrire ? […] Elle a la grâce, le piquant, et un peu aussi le maniéré. […] Heureux, dirons-nous avec Sainte-Beuve, le roman, fût-il inégal, où il y a de la vérité et qu’a visité la grâce ! […] Quel charme avez-vous donc que cette vieille et éternelle histoire revive avec vous dans sa fraîcheur et sa grâce premières ?
Tardo non furon mai grazie divine ; « Les grâces du ciel ne se font jamais attendre. » « Je parle ainsi parce qu’il me semblait avoir non pas perdu, mais égaré vos bonnes grâces, car vous avez tant tardé à m’écrire que je ne pouvais interpréter la cause de ce silence… J’ai craint qu’on ne vous eût prévenu contre moi en vous disant que j’étais un mauvais économe… J’ai été tout réconforté par votre dernière lettre du 23 du mois passé ; j’y ai vu avec bien du plaisir que vous ne vous occupiez plus qu’à votre aise des affaires d’État. […] XII Machiavel commençait à rentrer en grâce auprès des Médicis quand Léon X mourut. […] Grâce à ce secours, les papes recomposent une certaine Italie indépendante ; ils reprennent même Ravenne sur les empereurs d’Orient. […] Caroline de Naples avait en énergie de passion ce que Marie-Antoinette avait en grâce féminine.
Quiconque a vu ce bloc gigantesque, qu’on admire aujourd’hui dans la galerie du prince Torlonia à Rome, sent que la force et la grâce sont sœurs dans l’âme des puissants génies. […] Gropius joint, à l’érudition la plus consciencieuse et la plus approfondie de l’antiquité, ce caractère de naïve bonhomie et de grâce inoffensive qui est le type des vrais et dignes enfants de l’Allemagne savante. […] Je lui demandai de me faire grâce de toutes les antiquités douteuses, de toutes les célébrités de convention, de toutes les beautés systématiques. […] Assemblage confus, vaste, morne, désordonné, de huttes écroulées, de pans de murs encore debout, de toits enfoncés, de jardins et de cours ravagés, de monceaux de pierres entassées, barrant les chemins et roulant sous les pieds ; tout cela couleur de ruines récentes, de ce gris terne, flasque, décoloré, qui n’a pas même pour l’œil la sainteté du temps écoulé, ni la grâce des ruines célèbres. Nulle végétation, excepté trois ou quatre palmiers, semblables à des minarets turcs, restés debout sur la ville détruite ; çà et là quelques maisons aux formes vulgaires et modernes, récemment relevées par quelques Européens ou quelques Grecs de Constantinople, maisons de nos villages de France ou d’Angleterre, toits élevés sans grâce, fenêtres nombreuses et étroites ; absence de terrasses, de lignes architecturales, de décorations : auberges pour la vie, bâties en attendant une destruction nouvelle ; mais rien de ces palais qu’un peuple civilisé élève avec confiance pour les générations à naître.
Les écrits qui vivent sont tous marqués de cet esprit, on le sent même dans certains ouvrages d’agrément, qui en ont dérobé la sévérité sons les grâces et la légèreté de l’exécution. […] Ce que Pascal imagine pour rendre sa matière agréable, pour être enjoué en restant sérieux, savant sans fatiguer de sa science ; ce qu’il déploie d’invention pour faire sortir la vérité d’où on l’attend le moins, et pour en rendre l’effet plus sûr, rappelle toutes les grâces des Dialogues de Platon, auxquels on a judicieusement comparé les Provinciales. […] Ainsi commence ce dialogue, qui a tour à tour la grâce d’une conversation entre des personnes du monde, la solidité d’une discussion, le piquant d’une scène de comédie. […] Je n’ai besoin, par la grâce de Dieu, ni du bien ni de l’autorité de personne. […] Le même homme qui, tout à l’heure, maniait la raillerie avec la grâce de Socrate se jouant de Gorgias, entre sans effort dans les grands mouvements de l’éloquence de Démosthène.
Il y loue « la solidité des observations, beaucoup de savoir et d’esprit, sans aucune affectation ni de l’un ni de l’autre ; des termes choisis, mais sans scrupule et sans enflure, et des mots qu’on disait bannis par l’Académie, employés où il était nécessaire, pour protester contre le reproche d’innovation55. » On peut regretter de n’y pas trouver cet étonnement naïf et généreux qui nous saisit encore aujourd’hui à la vue de ces beautés si neuves et si charmantes, de ces vers si vigoureux et si délicats, de toutes ces grâces de la jeunesse dans le génie et dans les personnages qu’il crée. […] Le premier supérieur de cette communauté, Saint-Cyran, théologien subtil et écrivain distingué, s’était fait mettre à la Bastille pour quelques doctrines sur la grâce, qui sentaient fort la prédestination de Calvin. […] Le jésuite fit une réfutation du règlement de Saint-Cyran, et y établit, entre autres doctrines, que plus on est dépourvu de grâce, plus hardiment on doit s’approcher de la sainte table. C’était la doctrine catholique proscrite à Port-Royal, où l’on enseignait, d’après saint Augustin, que la grâce seule permet de participer à la communion efficacement. […] Les jésuites relevèrent le défi de Port-Royal, et, de 1643 jusqu’à 1694, ils poursuivirent, dans la personne de celui qui avait tenu la plume au nom de la compagnie, une doctrine qui ruinait leur empire en substituant, comme fondement de la pénitence, la grâce, qui vient d’en haut, à l’absolution, qui venait de leurs mains.
Écoutez-moi, de grâce ; je ne suis qu’un malheureux pêcheur habitant de Sacrâvatâra. […] Va donc, de grâce, à ma chaumière ; tu y trouveras un paon moulé en terre parfaitement colorée : prends-le, et reviens promptement avec ce trésor. […] Des femmes tenant des éventails, secouant des plumes de paon, et toutes remarquables par leur beauté et la grâce de leurs formes, environnent le maître. […] Lorsque tout le monde sera assis, les acteurs entreront, chanteront certains airs : la principale danseuse soulèvera le rideau et se montrera ; puis, après avoir semé des fleurs dans l’assemblée, elle déploiera son talent et les grâces de son art. » XI Ces représentations étaient rares, car les deux plus grands poètes dramatiques de l’Inde, Kalidasa et Bavahbouti, n’ont composé chacun que trois drames. […] … « Scènes de repos », continue-t-il, « décorées des grâces de la création !
Il répandait sans compter les trésors de son esprit, de sa science, de son imagination, de sa bonne grâce. […] Ce qui donnait à ce génie la grâce, c’est qu’il y joignait la modestie. […] L’ancien régime reposait sur l’idée de la grâce, de la faveur ; c’est aussi le fondement de l’éducation catholique. La Révolution a remplacé le principe de la grâce par celui de la justice, qui est identique à la fraternité. […] La Grâce représentait à ses yeux le libre arbitre en opposition à la loi qui était la fatalité.
Tout cela eût effacé sa grâce, si sa grâce n’eût été plus forte que tout. […] Et c’est ainsi que la grâce de la reine Jeanne a pu continuer d’ensorceler les hommes, même après sa mort. […] Certes, nous n’admettons pas que cette fleur de grâce et d’amour ait été proprement une criminelle. […] Il est encore tout ravi par la grâce d’innocence de la fraîche épousée. […] Les auteurs ne font grâce qu’aux femmes galantes.
La Grâce se substitue à la Fatalité. […] C’est le dogme de la Grâce, expliqué par un prêtre d’Éleusis. […] La grâce des larmes vraies a passé par là, l’œuvre est consacrée et restera. […] À l’intérêt du sujet les détails ajoutent la grâce. […] Sa parole, sa présence seule agissent trop comme le coup de la grâce.
Il n’a pas dans sa tête le premier trait de la figure de l’archange, ni son mouvement, ni le caractère angélique, ni l’indignation fondue avec la noblesse, ni la grâce, ni l’élégance et la force.
La grâce est donnée à tous ; toute conscience humaine est libre d’y concourir. […] Tout sujet, même un sujet de commande, peut renfermer en lui la grâce inspiratrice ; et cette grâce peut être retirée aux conceptions que l’artiste a puisées dans le plus vif et le plus profond de sa croyance et de son émotion personnelles. […] Nous l’avons dit déjà : l’inspiration est à l’artiste ce que la grâce est à l’homme moral, avec cette différence que l’être moral étant responsable, le libre arbitre joue dans le fait de la grâce un plus large rôle que la volonté dans le fait de l’inspiration. […] Le vrai poète est toujours tremblant devant l’inspiration, comme le véritable saint devant la grâce. Mais, plus favorisé que l’artiste, l’homme vertueux a le don de forcer pour ainsi dire la grâce.