Il fait ses études à Louis-le-Grand, chez les Jésuites, où il a pour préfet des études l’abbé d’Olivet : on pourra juger de quelle prise la Société saisit les esprits, si l’on songe que Voltaire même gardera toujours des sentiments de respect et d’amitié pour ses anciens maîtres ; et jamais il ne se défera des principes littéraires qu’ils lui ont donnés, de leur goût étroit et pur. […] Tandis que les Pères Porée et Tournemine avaient formé le goût du petit Arouet, Ninon, Châteauneuf, les libertins du Temple furent les vrais éducateurs de son esprit ; cela promettait un beau docteur d’irréligion. […] L’époque de la reine Anne était faite pour lui plaire : c’est le temps où l’ineffaçable originalité de l’esprit anglais se déguise le mieux sous le goût décent et la sévère ordonnance dont nos chefs-d’œuvre classiques donnaient le modèle. […] Frédéric vivait à Rheinsberg, dans la disgrâce : son père, brutal, dévot, pratique, appliqué à mettre son domaine en valeur et à former de beaux régiments, ne lui pardonnait pas son esprit, sa flûte, son goût pour les vers et pour la pensée, ni surtout d’être l’héritier à qui il faudrait tout remettre. […] Voltaire, en quelques années, fera de ce Prussien un de nos bons écrivains ; on voit de jour en jour dans les lettres de Frédéric l’esprit s’alléger, le goût s’épurer, le Germain enfin se polir à la française.
On ne trouve guère, en les lisant, qu’à faire des restrictions de goût, de raison ou de morale, ou bien à regretter ce qui leur manque. […] Type du décousu, de la témérité, se permettant tout, même la raison et la vérité, agité de tous les souffles du temps, sans lest, point incapable du bien, pourvu qu’il n’y fallût que le premier mouvement, faisant le mal avec l’étourderie de l’enfant qui lapide une statue, il y aurait autant de duperie à l’admirer qu’à lui demander, comme la Harpe, au nom de la religion, de la morale et du goût, un compte pédantesque de tous ses paradoxes. […] Il n’est ni de mon sujet ni de mon goût d’examiner si la vie privée de Bernardin de Saint-Pierre n’a pas, comme on l’en a accusé, démenti ses doctrines philanthropiques ; mais il a risqué de le faire soupçonner, et il a pu donner aux indiscrets l’envie de s’assurer si le disciple de J. […] L’admiration de Chateaubriand pour Homère, et pour ce qu’il appela le premier « la littérature des Pères de l’Église », fit lire Homère et les Pères ; on y prit goût, et la chaîne de la tradition fut renouée127. […] Il nous a donné des goûts qui sont devenus des sciences.
Et l’atavisme religieux pèse aussi sur lui : « Tous ces baisers ont un goût de terre. » À la même heure, Charles Guérin écrit : Toute chair à ma bouche a le goût du Péché. […] Chevrier dans la Revue indépendante (nºs d’août 1884 et de février 1885) réclame la liberté de la chair comme corollaire de la liberté de conscience et propose que tout être humain soit maître souverain de son être et de son corps comme de sa pensée, que le goût de l’individu soit la seule loi de ses passions et décrète que la morale, définie règle des mœurs, est une atteinte à la liberté. […] Sans doute, il effleure le scrupule religieux quand il parle des « baisers au goût de terre », mais il y a, dans les préventions dont la jeunesse fait preuve à l’égard de la passion, peut-être autre chose qu’un relent superstitieux. […] Il a pris, de ses maîtres, le goût des spéculations hardies.
Il avait été destiné à l’Église ; mais les traverses de sa maison l’ayant jeté dans les armes, il y avait trouvé tant de goût, qu’il n’en était pas revenu. […] Quoi qu’il en soit, avec tous ses défauts, son inclination aux plaisirs, son goût connu et son talent irrésistible pour les épigrammes et les chansons, avec ses désordres de conduite, son grain de libertinage et d’esprit fort, sa fureur du jeu, où il avait un bonheur insolent, Bussy, vers 1659, était en passe d’arriver à la plus haute fortune militaire, lorsque la paix vint le livrer sans distraction à ses périlleux penchants. […] Toutefois, venir les choisir pour en faire une œuvre, une histoire, un monument à toujours, comme dirait Thucydide, c’était donner témoignage d’un goût corrompu et d’un esprit gâté. […] Il avait, a dit de Bussy sa compatriote et son émule en satire, Mme Du Deffand, il avait beaucoup d’esprit, très cultivé, le goût très juste, beaucoup de discernement sur les hommes et sur les ouvrages, raisonnait très conséquemment ; le style excellent, sans recherche, sans tortillage, sans prétention (il y aurait bien ici quelque chose à contester) ; jamais de phrases, jamais de longueurs, rendant toutes ses pensées avec une vérité infinie ; tous ses portraits sont très ressemblants et bien frappés. […] [NdA] Une simple remarque résume les goûts littéraires un peu gâtés de Bussy : il aimait fort Ovide, il n’avait pas lu Horace, et il s’amusait, dans l’extrême vieillesse, à traduire un petit conte latin et libertin du poète Théophile.
Il y joint, ce qui est d’un merveilleux raffinement, le goût ou le sel de l’ordre. […] Il n’en prenait à témoin, d’ailleurs, que son goût personnel, ce qui était peu. […] Giraudoux doive donner à des gens d’un goût terrien le mal de mer. […] Elle est mieux à notre goût. […] Une heureuse impécuniosité la garde contre cette faute de goût.
Ce sont des pages d’un robuste bon sens, d’un grand goût classique et d’un belliqueux entrain qui font à M. […] Il les énonce dans une brève préface, en tête du catalogue dressé par Edouard Champion. « Le goût de la propriété n’a, chez moi, jamais été bien vif, dit André Gide. […] C’est aussi dans une réédition ordinaire que je relirai désormais la délicieuse Almaïde ; car, quoi que vous en disiez, aucun ressentiment ne saurait incliner mes goûts. […] Je confesse mon goût pour cette sorte d’ouvrages. […] Il s’accuse d’un « goût honteux pour l’indécence, la bêtise et la vulgarité ».
Du peintre, si par ce mot on entend l’artiste qu’intéressent avant tout les choses sensibles à la vue, il n’a guère que le goût des belles couleurs et des riches accessoires. […] Ce goût pour la généralité persiste dans la partie sentimentale de l’œuvre de Victor Hugo. […] La façon dont un écrivain comprend la nature est souvent décisive pour caractériser ses goûts et son esprit. […] On pourrait demander à ses voyages plus d’ampleur dans les vues, il serait injuste de méconnaître le goût qui préside au choix des détails, le charme de beaucoup de descriptions. […] Toujours donc la méfiance des principes, qui peuvent conduire à l’« absolutisme », et le goût des applications pratiques.
C’est sans doute dans cette étude que s’est affinée d’abord leur curiosité, développé leur « sens artiste », et que leur goût s’est délicatement perverti. […] Anatole trouvait dans la misère les coudées franches de sa nature, la libre expansion, l’occasion de développement de goûts inavoués qui portaient ses familiarités vers les inférieurs etc. […] Le goût de la nature a fait faire à la description un premier progrès, et très considérable. […] Je dois pourtant avertir que l’excentricité de ces locutions choquerait moins si on les rencontrait dans le texte, à leur place, surtout si on lisait tout un livre écrit dans ce goût (à moins qu’au contraire l’exaspération n’aille croissant). […] Ce goût malsain s’explique si l’on considère que ce qui nous attache à un grand artiste, c’est ce qu’il a de particulier, ce sont ses qualités propres et vraiment originales, c’est-à-dire précisément celles qui, développées à outrance et sans contrepoids, deviendront des défauts aux yeux des critiques non prévenus et des esprits amis de la mesure ; mais les initiés ne s’en apercevront point, ou bien, comme ces défauts ne font qu’accentuer la marque personnelle par où ils ont été séduits, s’ils les sentent, ils les aimeront comme des qualités de plus en plus singulières.
Peu à peu, sous l’ascendant de la sensualité primitive, l’État s’est réduit à une entreprise de spectacles, chargée de fournir des plaisirs poétiques à des gens de goût. […] En tout cela, rien n’égale l’originalité de leur goût, si ce n’est sa justesse ; ils ont réuni deux qualités qui semblent s’exclure : l’extrême richesse et l’extrême sobriété. […] Au contraire, en Grèce, les sentiments sont simples, et, par suite, le goût l’est aussi. […] Pour fournir à de tels goûts et à de tels besoins, le gymnase était la seule école. […] On y voit la tradition du sang, l’effet de l’éducation, le goût populaire et universel du beau, toutes les origines de la parfaite sculpture.
Parce que, pour être content, le goût n’a pas besoin de trouver la perfection. […] Mais trop pressé déjà par le temps, trop appelé et tenté par la politique et par ses passions dévorantes, il se hâta de dresser le monument de son souvenir ; il fit ses personnages un peu roides ; il les drapa : au lieu de donner le ton cette fois, il semble avoir suivi lui-même le goût des peintres de l’Empire.
Fût-ce les trop célèbres romances, plusieurs drôlement datées et démodées et pour lesquelles l’indulgence tourne presque à du goût. « Dans Shakespeare, j’admire tout comme une brute », fait un dire célèbre de Victor Hugo. […] Goût de l’amour dès l’enfance, avant même de se douter de ce qu’est l’amour ; sentiment un peu sanglotant de la nature ; aspiration à se dévouer sans relâche, avec un secret contentement de souffrir pour son dévouement ; félicité de la meurtrissure sentimentale, optimisme extraordinairement vivace, abrité du scepticisme comme par une ouate de mélancolie douce… Ajoutez à ces dons naturels la vie la plus romanesque, romanesque jusqu’à l’invraisemblable, une gageure du destin tenue et gagnée contre les caprices de l’imagination : l’héritage sacrifié à la foi religieuse, les voyages tragiques, la guerre, la tempête, la séduction, l’abandon, le théâtre avec le succès d’abord, et bientôt la perte de la voix, la misère, la mort de l’enfant adoré, de quoi défrayer vingt romans conçus avec quelque économie.
En deux mots, et nous ne nous opposons pas à ce qu’on juge d’après cette observation les deux littératures dites classique et romantique, la régularité est le goût de la médiocrité, l’ordre est le goût du génie.
Tous deux polissent leurs ouvrages avec le même soin, tous deux sont pleins de goût, tous deux hardis, et pourtant naturels dans l’expression, tous deux sublimes dans la peinture de l’amour ; et, comme s’ils s’étaient suivis pas à pas, Racine fait entendre dans Esther je ne sais quelle suave mélodie, dont Virgile a pareillement rempli sa seconde églogue, mais toutefois avec la différence qui se trouve entre la voix de la jeune fille et celle de l’adolescent, entre les soupirs de l’innocence et ceux d’une passion criminelle. […] Ainsi, des chagrins de famille, le goût des champs, un amour-propre en souffrance, et des passions non satisfaites, s’unirent pour lui donner cette rêverie qui nous charme dans ses écrits.
Tandis que dans l’Occident tout penchait vers sa décadence, tandis que les malheurs de l’empire, les invasions des Barbares, le mélange des peuples, le despotisme ou l’incapacité des princes, la terreur des sujets, l’esprit d’esclavage, le contraste même de l’ancienne grandeur, qui ajoute toujours à la petitesse présente, corrompaient le goût, et rétrécissaient à la fois les esprits et les âmes, on vit paraître un homme né avec une imagination brillante et forte, et à qui, peut-être, pour avoir les plus grands talents, il ne manqua que d’être né dans un autre siècle : c’était Claudien. […] Peu de goût, souvent une fausse grandeur, une majesté de sons trop monotone, et qui, à force d’être imposante, fatigue bientôt et assourdit l’oreille ; enfin trop peu d’idées, et surtout aucune de ces beautés douces qui reposent l’âme : voilà ses défauts.
Si la multitude est jamais amenée au sentiment du beau, ce sera par des artistes qui refuseront de complaire à ses goûts. […] L’homme de goût par excellence est celui qui n’a jamais rien admiré. […] Le goût ne nous révèle que les propriétés les plus variables, les moins essentielles des substances. […] Il ne les a point trouvés dans son génie, mais dans le goût de son temps. […] Ne multiplions pas les entraves qui peuvent asservir le génie au goût de la foule.
Il était le juge même du goût public, sauf à voir, lui aussi, son arrêt cassé par les maîtres. — À Dieu ne plaise, que Votre Majesté se connaisse en vers mieux que moi, disait Despréaux. […] La première lecture qu’en fit Molière se fit chez Ninon de Lenclos, cet honnête homme d’un goût exquis, d’une beauté fine, d’une philosophie pleine de grâce et de malice. […] Le petit goût précieux, la démarche pédante, le comme il faut, le curieux style aux petites recherches, les coups de raquette et d’éventail n’ont rien à faire en tout ceci. […] Jamais peut-être Molière n’a représenté avec plus de goût les innocentes coquetteries d’une jeune et belle femme d’esprit. […] comme tout cela aurait besoin d’être joué avec beaucoup de goût, de retenue, de modestie, et de politesse.