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1374. (1895) Histoire de la littérature française « Première partie. Le Moyen âge — Livre II. Littérature bourgeoise — Chapitre II. Le lyrisme bourgeois »

La poésie courtoise fut pour nos trouvères un utile exercice, où leur esprit s’affina, développa certaines facultés de raisonnement et d’abstraction, qui n’avaient guère pu s’éveiller dans la grossière matérialité des chansons de geste et des fabliaux, et prit enfin certain goût des formes curieusement achevées. […] C’était le goût des nobles qui maintenait surtout à la poésie lyrique son caractère d’irréalité convenue.

1375. (1886) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Deuxième série « José-Maria de Heredia.. »

Il joignait à l’ivresse des sons et des couleurs le goût d’une forme dont la brièveté, l’exactitude et la plénitude rappelassent en quelque façon nos écrivains classiques. […] Il tient apparemment de ses origines espagnoles et créoles la grandiloquence de ses vers, la « grandesse » de ses sentiments et l’opulence de sa vision ; mais il a aussi du sang normand dans les veines, et il est permis de croire que c’est par là que lui sont venues ses bonnes habitudes classiques, son goût de l’ordre et de la clarté.

1376. (1886) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Deuxième série « Armand Silvestre »

Puis l’auteur, dans chaque récit, proclame avec tant d’insistance, de conviction et un tel luxe d’épithètes plantureuses son goût pour les grosses femmes, qu’il se peut bien que cela devienne amusant à la longue. […] On a peine à le croire : il n’aurait pas montré un goût si prolongé, si persistant, pour un rôle si peu lucratif.

1377. (1896) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Sixième série « Anatole France, le Lys rouge »

Le second amant, Jacques Dechartre, est un sculpteur riche qui modèle, de loin en loin, des cires et des médaillons d’un goût tourmenté et subtil. […] Mais, en même temps que son scepticisme  lequel, bien que confinant au nihilisme, n’excluait point une sensualité délicate et l’art de jouir de la surface brillante des choses  croissaient, d’autre part, sa sollicitude et son goût pour les formes de vie et de sentiment qui dérivent des croyances religieuses.

1378. (1888) Demain : questions d’esthétique pp. 5-30

Je vous avouerai, et mes lecteurs le savent, que j’ai peu de goût à disputer sur la nature du beau, Je n’ai qu’une confiance médiocre dans les formules métaphysiques. […] Le malheur voulut que bientôt le naturalisme subit l’empire d’un talent vigoureux, mais étroit, brutal, grossier, sans goût, et ignorant de la mesure, qui est tout l’art.

1379. (1863) Histoire des origines du christianisme. Livre premier. Vie de Jésus « Chapitre XI. Le royaume de Dieu conçu comme l’événement des pauvres. »

On entrevoit sans peine, en effet, que ce goût exagéré de pauvreté ne pouvait être bien durable. […] Comme tous les grands hommes, Jésus avait du goût pour le peuple et se sentait à l’aise avec lui.

1380. (1863) Histoire des origines du christianisme. Livre premier. Vie de Jésus « Chapitre XXVIII. Caractère essentiel de l’œuvre de Jésus. »

Il est des vertus qui, à quelques égards, sont plus conformes à notre goût. […] Au XIIIe siècle, les Latins, les Grecs, les Syriens, les Juifs, les Musulmans font de la scolastique, et à peu près la même scolastique, de York à Samarkand ; au XIVe siècle, tout le monde se livre au goût de l’allégorie mystique, en Italie, en Perse, dans l’Inde ; au XVIe, l’art se développe d’une façon toute semblable en Italie, au Mont-Athos, à la cour des grands Mogols, sans que saint Thomas, Barhébræus, les rabbins de Narbonne, les motécallémin de Bagdad se soient connus, sans que Dante et Pétrarque aient vu aucun soufi, sans qu’aucun élève des écoles de Pérouse ou de Florence ait passé à Dehli.

1381. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre XXXI » pp. 338-354

Je serais la plus heureuse personne du monde dans un pays où, pour peu qu’on ait de grandeur on en a toujours plus que de bonheur… J’ai beau renoncer à tous mes goûts, à tous mes sentiments, on m’accuse de choses horribles. » Plus loin : « On fera la Saint-Hubert à Villers-Cotterets ; on m’a donné 400 louis pour mes habits. » Ces lettres sont postérieures à l’établissement des enfants à Versailles, c’est-à-dire à 1674. […] Les choses terribles c’étaient des scènes de jalousie : les choses horribles qui étaient imputées à la gouvernante, c’était d’employer l’art, le manège, l’intrigue d’une femme galante pour séduire le roi ; tandis qu’elle renonçait pour la paix à tous ses goûts, à tous ses sentiments.

1382. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre XXXIII » pp. 378-393

D’un autre côté, madame de Maintenon ne promettait pas au roi le genre de plaisirs dont il avait le goût si vif et l’habitude si forte. […] Un monarque d’Orient n’est pas plus changeant dans ses goûts ; il jette le mouchoir à droite, à gauche, suivant la fantaisie du moment.

1383. (1887) Journal des Goncourt. Tome I (1851-1861) « Année 1854 » pp. 59-74

* * * — Célestin Nanteuil nous raconte que Gérard de Nerval revenant d’Italie, absolument désargenté, rapportait pour quatre mille francs de marbres de cheminées, et que, dans la misère de la fin de sa vie, il était resté chez lui un tel goût de la chose riche, qu’il se faisait des épingles à cravate avec du papier doré. […] Un tailleur, homme du monde, ami des lettres, ayant des opinions, des goûts, des manies artistiques.

1384. (1899) Esthétique de la langue française « Esthétique de la langue française — Chapitre III »

C’est que l’auteur d’une invention souvent insignifiante croit ennoblir son œuvre en la qualifiant d’un mot qu’il achète et qu’il ne comprend pas26 ; c’est aussi que les commerçants connaissent le goût du peuple pour les mots savants ; en prononçant des bribes de patois grec ou latin, la commère se rengorge et la femme du monde sourit, pleines de satisfaction. […] Voilà les résultats de l’instruction vulgarisée sans goût.

1385. (1889) L’art au point de vue sociologique « Chapitre troisième. De la sympathie et de la sociabilité dans la critique. »

Il faudrait pour cette critique-là une grande imagination et une grande bonté, je veux dire une faculté d’enthousiasme toujours prête, et puis du goût, qualité rare, même dans les meilleurs, si bien qu’on n’en parle plus du tout39. » Flaubert a ici marqué excellemment les qualités des vrais critiques. […] La seule utilité de la critique des défauts, c’est de préserver le goût public contre certains engouements fâcheux, et peut-être de préserver le génie même contre certains écarts.

1386. (1763) Salon de 1763 « Peintures — Deshays » pp. 208-217

La Vierge noble, grande, pleine de modestie, vêtue et drapée naturellement, dans le vrai goût de Raphaël. […] Elle est couchée sur le ventre, et elle arrête par le bras le sot et bel esclave pour lequel elle a pris du goût.

1387. (1811) Discours de réception à l’Académie française (7 novembre 1811)

Ses goûts s’annoncèrent dès son enfance ; il parlait à peine, qu’il chantait déjà : sa vie ne fut, pour ainsi dire, qu’une longue fête ; parvenu à son dix-septième lustre, il tirait encore des sons mélodieux de sa lyre octogénaire ; enfin, les Muses avaient présidé à sa naissance, et les Muses ont reçu son dernier soupir. […] Disciple des Collé, des Piron, des Favart, il fut admis par eux à cet ancien caveau, véritable académie du plaisir, qui fut aussi, plus souvent qu’on ne pense, l’académie du bon, goût.

1388. (1906) Les œuvres et les hommes. Femmes et moralistes. XXII. « Madame de Montmorency » pp. 199-214

Italienne et Romaine, c’est-à-dire exclusivement faite pour l’amour et sans les vanités françaises, elle se contenta d’être une vraie femme d’abord, et ensuite une sainte femme, et à aucune époque de sa noble vie elle n’eut le souci ni le goût du célèbre salon bleu d’Artémise, dans lequel le grand Condé lui-même se rapetissait. […] … Dans ce livre, il ne s’agit pas seulement du mûrissement complet d’un talent qui a toujours fait l’effet d’être mûr, tant il avait de saveur et de goût.

1389. (1906) Les œuvres et les hommes. Femmes et moralistes. XXII. « La Papesse Jeanne » pp. 325-340

Et c’est là, c’est la vilenie de cette chose qui, jusqu’à nouvel ordre et nouveaux renseignements, me fait douter du Grec qui a écrit une œuvre si peu grecque, de ce romancier grossier et pataud qui est du pays de Lucien, de ce comique épais et sans goût qui continue si étrangement le doux Ménandre et le grand Aristophane. […] C’est pour elle qu’il s’est fait savant ; qu’il a remué toutes les chroniques ; qu’il a grignoté, mangé, dévoré et digéré tous les manuscrits ; et, de cette digestion, fait sortir cette Papesse Jeanne, pondue enfin dans les champs de l’imagination, après d’effroyables efforts scientifiques et pour satisfaire tous les goûts !

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