Son génie, encore énigmatique, jouissait d’être compris par anticipation sur sa gloire. […] L’histoire doit conserver les noms de ces rares patrons du génie de Robert : M. […] Paturle, M. de Lécluse, sans lesquels le génie lui-même ne serait qu’une éclatante mendicité. […] Si le génie ne se croit pas égal au rang, pourquoi s’approche-t-il de ce qui est au-dessus de lui (par les convenances de ce monde) ? […] Combien n’a-t-il pas fallu de génie expressif pour traduire tant d’âme et tant de nuances d’âme sur les traits de ces visages ?
Canova, manquant de souffle, de force et de grâce cette fois, lui avait prêté son ciseau, mais non son génie ; un socle, gros comme la terre, pour offrir un champ assez vaste à la longueur des épitaphes, porte une statue colossale de l’Italie drapée, qui se penche et qui pleure sur le médaillon exigu de son faux grand homme. […] J’étais de bonne foi comme un enfant à qui on a dit tout bas : « Admire cet immense génie, encore peu connu ou pas connu du tout dans ce monde des lettrés que tu viens de feuilleter pendant tes études ; c’est un grand homme tout entier, c’est un Italien du temps de Machiavel, c’est un Romain du temps de Tacite ! […] L’Angleterre avait eu Shakespeare, la France Corneille, l’Allemagne Goethe et Schiller, ces frères jumeaux de la scène : pourquoi donc l’Italie moderne, dont le génie et la langue valent bien la langue et le génie de l’Angleterre, de l’Allemagne et de la France, n’aurait-elle que des rimeurs de sonnets ? […] Mais Alfieri ne pouvait pas avilir son prétentieux génie au grotesque. […] Mais la savoir exigeait une seconde naissance ; il fallait aller dans le pays de ces grands hommes pour y prendre leur accent avec l’extrait baptistaire de leur génie.
quel génie fut plus étranger que le sien à de pareilles spéculations ? […] Il serait bien superflu de discuter sérieusement une formule du progrès qui ne tient aucun compte de l’antique Orient, qui place le développement esthétique avant le développement religieux, — comme si le peuple hébreu, dont la religion fut toute la vie, n’avait pas précédé dans l’ordre des temps le peuple grec, — une formule qui semble méconnaître l’admirable génie scientifique de la Grèce, le génie industriel et commercial des Phéniciens. […] La force vitale avait tari dans leur sein ; ni le génie, ni la vertu n’eussent été capables de ranimer ces grands corps épuisés. […] Et plus sont nombreux les hommes de génie et de vertu, plus grossit le trésor, plus s’augmente la somme de force vive au sein de la nation tout entière. […] La pensée d’Aristote est désormais souveraine dans le domaine de l’histoire naturelle, et cette royauté, elle ne devait plus la perdre ; son génie est le génie même de la philosophie zoologique.
La conduite de gens ordinairement si prudents pourrait rappeler, il est vrai, un mot célèbre du plus grand de ces hommes de génie qu’ils prétendent si burlesquement honorer par leurs homélies périodiques, mais génie si libre en ses écarts, si peu respectueux envers le ridicule, que pendant un siècle l’Académie refusa d’admettre non sa personne, mais son portrait. […] Au premier acte, Lanfranc ou le Poète va rue de Richelieu, et présente sa comédie nouvelle avec toute la simplicité du génie au comité du Théâtre Français ; on voit que je suppose du génie à M. […] malgré cette règle absurde, les tragédies faites par des hommes de génie plairaient encore. […] Je suis un insolent et vous avez du génie, dites-vous ? […] Voilà évidemment une belle tragédie ; il ne manque plus que cinquante ans d’intervalle et du génie pour la faire.
Ces civilisations sont demeurées complètement étrangères à notre développement, et nous à elles, jusqu’à ce que, dans des siècles rapprochés, l’activité européenne incessante, le démon de la cupidité et du gain, ou le génie de la science et de la découverte, soient allés les visiter, les interroger, les effleurer, les harceler, comme on a fait et comme on fait encore de la Chine et du Japon, ou les conquérir et les exploiter, comme on a fait de l’Inde. […] Il y a des lois auxquelles la spontanéité humaine ne saurait se soustraire ; elle peut, selon son génie primitif, tirer plus ou moins parti de certaines conditions extérieures, non s’y dérober ; laissez-lui le temps, laissez-la croître et s’étendre et mûrir selon le cours des saisons et des âges, laissez les causes complexes agir, se produire et se combiner : tout, à la fin, s’harmonise et concorde, tout se coordonne. […] « C’est ce gouvernement qui a permis à Rome de conquérir l’Italie, et avec l’Italie, comme par le même procédé, le monde. » Quant aux arts de Rome, ils sont, comme ceux de la Grèce, l’image fidèle de son génie. Le génie des Grecs est infini et varié ; il est naturellement délicat ; toutes les formes de l’art y atteignent vite et d’elles-mêmes à la perfection et à la fleur. Le génie de Rome est plus simple et s’en tient longtemps au solide.
Prêtre austère, âme de génie, il a gardé sous ses cheveux gris tous ses trésors de foi et de jeunesse ; il a dépouillé d’un coup ses préjugés politiques, non inhérents à la vraie foi. […] Arnauld : tous deux d’un caractère ardent, présomptueux, opiniâtre, tous deux pleins de génie, tous deux ayant rendu à la religion d’éminents services, ils se laissèrent entraîner (qui le croirait dans de si grands hommes ?) […] La vive et séduisante relation que fait l’auteur à partir de la descente du Rhône sent plutôt le poëte amoureux de la nature et des monuments, je dirai presque le touriste de génie qui, après tant d’autres illustres voyageurs, sait rajeunir l’immortelle peinture, et non point le pèlerin véritablement inquiet, le persécuté soucieux, qui va consulter l’oracle des fidèles. […] M. de La Mennais, en raisonnant ici comme le public, comme les philosophes et comme le sens commun, en se faisant lui-même juge du moment décisif pour l’humanité, est devenu semblable à presque tous, à part la supériorité du génie. […] L’opinion et le bruit flatteur, et de nouvelles âmes plus fraîches comme il s’en prend toujours au génie, font beaucoup oublier sans doute et consolent : mais je vous dénonce cet oubli, dût mon cri paraître une plainte !
On a cherché à expliquer un début si tardif dans un génie si facile, et certains critiques sont allés jusqu’à attribuer ce long silence à des études secrètes, à une éducation laborieuse et prolongée. […] Génie instinctif, insouciant, volage et toujours livré au courant des circonstances, on n’a qu’à rapprocher quelques traits de sa vie pour le connaître et le comprendre. […] La Fontaine dépensait son génie, comme son temps, comme sa fortune, sans savoir comment, et au service de tous. […] Mais cette légère inconséquence, qui lui est commune avec d’autres grands esprits naïfs de son temps, n’a pas lieu d’étonner chez lui, et elle confirme bien plus qu’elle ne contrarie notre opinion sur la nature facile et accommodante de son génie. […] mais cela n’était ni du temps ni du génie de La Fontaine.
J’aimais Le voyage de Shakspeare, étude curieuse de la formation d’un génie, et l’Astre noir, étude âpre de l’écrivain génial dans sa pleine et complexe maturité. […] Le Malauve de l’Astre noir n’est point blâmé de ses ignominies ; elles apparaissent comme des nécessités de son génie et l’auteur n’ose pas détester ici nettement ce qu’il appellera ailleurs “abominable supériorité intellectuelle”. […] Léon Daudet semble parfois admirer un Kamtchatka5. » Je ne voyais pas, je ne voulais pas voir que Léon Daudet, quand il étudiait un homme de génie, avait la naïveté de faire de l’auto-psychologie et de dire, ébloui, ce qu’il découvrait en Léon Daudet. […] Avec des aveuglements singuliers et tout à coup d’étonnantes clairvoyances, Léon Daudet étudie la genèse du génie shakspearien. […] Pour nous faire prendre patience, il découvre aujourd’hui que Veuillot — dont personne, certes, ne nie plus le talent volontaire et vigoureux — est « un homme de génie » et « le plus grand prosateur du xixe siècle ».
Par la grâce naïve, par l’inspiration spirituelle et tendre, par l’émotion voluptueuse et philosophique à la fois qui animent ses pièces légères, le génie d’Anacréon se rapproche du génie français, tel surtout que nous le retrouvons dans nos vieux rimeurs. […] Rousseau n’aborde le génie de David qu’avec le secours de la paraphrase ; mais quand le lyrique qu’on traduit est Anacréon, que faire ?
Mais, avec tout cela, il est évident que son don propre ne fut pas le génie des lettres ni le génie de la guerre, mais le génie du cœur.
DIDEROT, [Denis] de l’Académie de Berlin, né à Langres en 1714, Auteur plus prôné que savant, plus savant qu’homme d’esprit, plus homme d’esprit qu’homme de génie ; Ecrivain incorrect, Traducteur infidele, Métaphysicien hardi, Moraliste dangereux, mauvais Géometre, Physicien médiocre, Philosophe enthousiaste, Littérateur enfin qui a fait beaucoup d’Ouvrages, sans qu’on puisse dire que nous ayons de lui un bon Livre. […] Qu’on ne croye cependant pas que ce Génie mystérieux ait tout tiré de son propre fonds : le plus souvent il n’a fait que copier les autres, ce qui le rend plus inexcusable d’être inintelligible. […] Goldoni, précédée d’une Préface pleine de sentimens raisonnables, intéressans & bien exprimés, peut figurer parmi les Pieces de ce genre, si opposé au génie & au vrai goût.
Le travail, il est vrai, s’y fait plus sentir que le génie ; mais le génie perce quelquefois de maniere à donner une idée très-favorable des vûes & du mérite de l’Auteur.
— Deux grands génies, que la tyrannie surveillait d’un œil inquiet, protestaient seuls contre cet arrêt de mort de l’âme, de l’intelligence et de la poésie, Mme de Staël et M. de Châteaubriand. […] Tribun sublime, au cœur tendre et expansif de la femme ; femme adorable et miséricordieuse avec le génie des Gracques et la main du dernier des Catons ! […] Homme qui cherchait l’étincelle du feu sacré dans les débris du sanctuaire, dans les ruines encore fumantes des temples chrétiens, et qui, séduisant les démolisseurs même par la pitié, et les indifférents par le génie, retrouvait des dogmes dans le cœur, et rendait de la foi à l’imagination ! […] Des hommes de génie tentent, en ce moment même, de faire violence à cette destinée du drame. […] C’est à populariser des vérités, de l’amour, de la raison, des sentiments exaltés de religion et d’enthousiasme, que ces génies populaires doivent consacrer leur puissance à l’avenir.
De plus, j’estime que l’on ne doit pas juger le génie de l’artiste à travers ses répugnances pour l’homme. […] Son puissant génie m’a subjugué, sans m’aveugler pourtant. […] Wagner est un génie qu’il est absolument nécessaire d’étudier, et nous devons tous savoir gré à M. […] Au génie de Wagner, d’essence purement allemande, se joignait un amour passionné pour son pays. […] 3 avril, le Ménestrel : continuation de l’hypocrite et assez discutable plan de campagne contre Wagner… Wagner, ce génie !
Ils lui demandent combien de fois il a gémi de sacrifier au goût de la nation, de ne pouvoir pas déployer toutes les beautés neuves, mâles & sublimes que lui présentoit son génie. […] Dans la distribution des places des poëtes comiques, on peut mettre La Chaussée immédiatement après les génies créateurs. […] Dans une lettre à un de ses amis, il donne La Chaussée pour un des premiers génies de la nation, & le met à côté de Molière. […] Un cynisme, souvent grossier, & de fréquens coups de génie, distinguent Plaute. […] Arrêtons-nous à un seul, dans lequel tout porte l’empreinte du génie de l’auteur.
C’était, on doit en convenir, pour ceux qui n’accordent pas de divination au talent ni de seconde vue au génie, d’une incontestable difficulté. […] Il faisait alors les siens en se fiant à son génie, et non en s’en défiant et en gueusant, à droite ou à gauche, des documents, humains ou non ! […] Il fallait même lui donner une âme en proportion avec son génie, pour qu’on pût mieux juger de l’effort de l’une contre l’autre, et savoir qui devait dévorer l’autre, des deux. […] Je l’aurais tuée ou chassée, ou frappée dans l’exercice de son génie et de son mensonge. J’aurais donné cette revanche à la vérité dans l’amour de pénétrer une seule fois la plus calculée et la plus sublime des feintises de l’art et du génie.