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184. (1923) L’art du théâtre pp. 5-212

Héritier direct des farceurs de place publique, il dresse encore parmi la foule son tréteau. […] « Venez ici, Néron, j’ai deux mots à vous dire. » Assemblez une foule immense : la foule entière frémira. […] Cet homme est Molière et il faut proclamer à la louange de son siècle que, goûté par la foule, il fut soutenu par le roi. […] Théâtre spécial pour public spécial, car, parmi la foule moderne, il va polariser un certain monde qui donnera le ton et qu’on suivra. […] Oui, en principe : un auteur touchera la foule à proportion de l’humanité de son art.

185. (1924) Critiques et romanciers

Avant cela, Orphée traîne après lui, et plus même que Pierre Dupont, les foules : tigres et rochers, ce sont les foules, tantôt furieuses, parfois inertes. […] Ni la foule, ni les sbires du podestat ne la retiennent. […] Et les foules ? […] Il retrouve partout cette idée d’une foule disparue. […] La foule compte, dans l’histoire : elle y agit, elle y pâtit.

186. (1884) L’art de la mise en scène. Essai d’esthétique théâtrale

Une foule innombrable d’objets se sont présentés à notre esprit et se trouvent enregistrés dans notre mémoire, où ils restent d’ordinaire à l’état latent. […] Malheureusement, le devoir qui incombe à un théâtre subventionné est rarement bien compris de la foule. […] Dans l’effet général, qui est celui que doivent produire la décoration et la mise en scène, l’esthétique moderne a introduit une foule de spécialisations nécessaires. […] Alors le chœur s’ébranle, entraîné par ce mouvement de poignante curiosité qui pousse les foules au-devant des spectacles tragiques. […] Poussez la porte d’un établissement public quelconque, et dans la foule des êtres humains qui y sont réunis, que de drames et de comédies !

187. (1857) Cours familier de littérature. IV « XXIe Entretien. Le 16 juillet 1857, ou œuvres et caractère de Béranger » pp. 161-252

Il portait le costume d’un Alcinoüs rustique, sous lequel il était impossible de soupçonner sa presque divinité dans la foule : des souliers noués par un fil de cuir, à fortes semelles sonores dont j’aimais tant le bruit lourd (hélas ! […] Voilà l’homme extérieur : personne ne se retournait après l’avoir vu passer inaperçu dans la foule. […] Comment se fait-il qu’un peuple souvent ingrat, toujours oublieux, se fasse de soi-même l’exécuteur testamentaire d’un de ses plus pauvres citoyens perdus dans la foule ? […] s’écriera-t-on. — Mystère, oui ; mais le métier de l’écrivain philosophe est précisément de sonder par sa sagacité ce qui paraît mystère à la foule, et de mettre à nu ce cœur du peuple, pour lui dire : Tiens ! […] Une foule d’hommes de science ou de style, chez toutes les nations, est sortie des ateliers de la typographie.

188. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre VIII. La littérature et la vie politique » pp. 191-229

Ainsi, le soir où les Parisiens soupçonnent qu’elle veut s’enfuir de Paris avec le jeune roi, elle est obligée d’ouvrir tout grand le palais royal à la foule et le futur Roi-Soleil, qui dormait ou faisait semblant, resta plus d’une heure sous la surveillance d’un officier de la garde bourgeoise qui se trouva être un ancien laquais. […] Un d’entre eux obtint cependant un jour l’insigne faveur d’être écouté et le roi avoua qu’il n’avait jamais ouï parler si bien ; mais cela ne l’empêcha pas, quelques mois plus tard, de donner quinze jours aux ministres de la religion prétendue réformée pour quitter le royaume, de faire condamner aux galères ou à mort ceux qui s’obstinaient à rester, et de faire couvrir par le roulement des tambours la voix de ceux qui, du haut de l’échafaud, essayaient de haranguer la foule. […] Par réaction, ils vont même jusqu’à professer une sorte de nihilisme élégant, de transcendante indifférence pour les choses matérielles et vulgaires qui préoccupent la foule. […] L’éloquence, qui soulève ou apaise les foules, a renouvelé les légendaires miracles des orateurs de Rome ou d’Athènes. […] Il n’a certes pas manqué d’hommes qui, aimant mieux obtenir le succès que le mériter, se sont abaissés au niveau d’une foule ignorante au lieu de travailler à l’élever jusqu’aux purs sommets de l’idéal humain.

189. (1889) Le théâtre contemporain. Émile Augier, Alexandre Dumas fils « Alexandre Dumas fils — CHAPITRE IX »

C’est là surtout qu’elle donnait à la foule l’audience, muette et dédaigneuse, de sa beauté. […] Assise sur une causeuse, dans une attitude endormie, presque défaillante, elle fixait sur la foule des yeux opaques de noirceur et d’ennui. […] Il y eut foule à la vente de son mobilier, foule curieuse, bruyante, empressée, avide de pénétrer dans cet appartement défendu, et de respirer les fébriles senteurs qu’exhalaient encore, par tous leurs pores, les étoffes matides, les linges voluptueux, les statuettes de chair, les porcelaines diaphanes, les pastels lascifs qui encombraient ses somptueux boudoirs. […] Quand la somme est splendide, il appelle la foule d’une de ces voix qui sonnent le scandale.

190. (1889) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Quatrième série « Victor Hugo, Toute la Lyre. »

Un torrent de parole énorme qu’il dirige, Un verbe surhumain, superbe, engloutissant, S’écroule de sa bouche en tempête, et descend Et coule et se répand sur la foule profonde…. […] Vous êtes trop grands l’un et l’autre pour vous haïr. » — Sur la mort de Mme de Girardin : Elle s’en est allée… La foule ne comprend pas les grandes âmes… Je voudrais m’en aller aussi  Je rêve aux morts ; je les vois  Je méprise la haine et la calomnie  Idem  Je travaille : le travail est bon  Je suis las ; mais quelqu’un dans la nuit me dit : Va   Je rentrerai, comme Voltaire, dans mon grand Paris. […] Ou plutôt, tranchons le mot, ils ennuient le public  et la foule aussi bien que les lettrés. […] Car ce qu’il y a d’éminent chez l’auteur des Contemplations, ce sont des qualités d’artiste, dont la foule ne saurait être juge, et qui lui échappent.

191. (1911) La valeur de la science « Première partie : Les sciences mathématiques — Chapitre IV. L’espace et ses trois dimensions. »

L’intermédiaire de ce continu physique, susceptible de représentation, est indispensable ; parce que nous ne pouvons nous représenter l’espace et cela pour une foule de raisons. […] Pour reconnaître si B occupe à l’instant β, le point occupé par A à l’instant α, je puis me servir d’une foule de critères différents ; dans l’un intervient mon œil, dans l’autre mon premier doigt, dans l’autre mon second doigt, etc. […] Si au contraire je ne regarde pas Σ et Σ + σ comme confondues (à moins que σ = S + S′, S et S′ étant inverses) il est clair que C3 contiendra un grand nombre de séries de sensations distinctes ; car sans que le doigt bouge, le corps peut prendre une foule d’attitudes différentes. […] Cela est possible, mais cela est difficile, parce que nous avons à vaincre une foule d’associations d’idées, qui sont le fruit d’une longue expérience personnelle et de l’expérience plus longue encore de la race.

192. (1864) William Shakespeare « Conclusion — Livre III. L’histoire réelle — Chacun remis à sa place »

Ils sont nombreux, innombrables même, car les maîtres du monde sont une foule. […] Puis Nicolas sort dans les rues, et la foule se précipite sur sa botte pour la baiser. […] Nicolas est un aliéné, la foule est une brute. […] Dans ce vieux mode d’histoire, le seul autorisé jusqu’en 1789, et classique dans toute l’acception du mot, les meilleurs narrateurs, même les honnêtes, il y en a peu, même ceux qui se croient libres, restent machinalement en discipline, remmaillent la tradition à la tradition, subissent l’habitude prise, reçoivent le mot d’ordre dans l’antichambre, acceptent, pêle-mêle avec la foule, la divinité bête des grossiers personnages du premier plan, rois, « potentats », « pontifes », soldats, achèvent, tout en se croyant historiens, d’user les livrées des historiographes, et sont laquais sans le savoir.

193. (1856) Les lettres et l’homme de lettres au XIXe siècle pp. -30

Nous nous sentons très flatté d’être trouvé familier et simple, ne fût-ce que pour nous distinguer un peu de la foule des écrivains sublimes. […] Ce n’est plus d’un grand seigneur, d’un monarque, qu’il attend sa considération et sa fortune, c’est du public, c’est de la foule. […] Dans cette foule dont l’ensemble s’appelle le public, chaque individu a ses préjugés, ses bizarreries, ses vices. […] C’est la foule qu’il faut instruire.

194. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « Entretiens sur l’architecture par M. Viollet-Le-Duc »

Un jour il me fit entrer dans l’église de Notre-Dame, et me portait dans ses bras, car la foule était grande. […] Je vois encore la place où nous étions arrêtés par la foule. […] Prenant pour exemple, sur l’Acropole même d’Athènes, l’Erechtheïum, « ce groupe de trois temples ou salles dont deux se commandent, avec trois portiques à des niveaux différents », se replaçant en idée dans ce bel âge de la Grèce, il suppose que le monument terminé, au moment où l’échafaud disparaît et où l’effet d’ensemble se révèle, un mécontent, un critique sort de la foule et accuse publiquement l’architecte d’avoir violé les règles au gré de sa fantaisie ; et l’artiste alors, heureux d’avoir à s’expliquer devant un peuple véritablement artiste et qui saura le comprendre, réfute agréablement son contradicteur, non sans flatter un peu son auditoire : « Celui qui vient de parler si légèrement, Athéniens, est probablement un étranger, puisqu’il est nécessaire de lui expliquer les principes d’un art dans l’exercice duquel vous dépassez les autres peuples.

195. (1861) La Fontaine et ses fables « Troisième partie — Chapitre III. Théorie de la fable poétique »

Le moraliste ne regarde pas si elle est utile ou nuisible, bien ou mal conduite, liée à cet événement ou à cet autre, produite en ce lieu, à ce moment, à cette occasion, par cette personne, mais si elle est juste ou injuste ; il écarte ce cortège obscur de caractères accessoires et découvre dans la foule le droit, qui s’y cachait confondu. […] Tout, dès lors, est varié, mobile, intéressant, animé ; chacun des mots qu’on touche en parcourant la fable soulève une foule de pensées incertaines et fugitives, comme chaque pierre qu’on déplace en suivant un chemin découvre une multitude d’êtres, de figures et de couleurs. […] Le plus grand homme du monde s’occupe à manger, à dormir, à causer, à s’ennuyer, à effacer la grandeur et l’originalité de son caractère dans les petits détails communs d’une foule de petites actions communes, et le héros n’est héros que par exception.

196. (1899) Le préjugé de la vie de bohème (article de la Revue des Revues) pp. 459-469

Mais nous ne pourrions faire prendre le change à la foule satisfaite. […] Elle a laissé à la bourgeoisie une foule d’avantages, dont le plus grand est une sorte de solidarité de caste fortifiée par l’acceptation mutuelle de certaines tares morales ; les égoïstes s’allient volontiers, et rien ne solidarise comme l’aversion partagée envers tout élément altruiste et sensitif. […] Il en fera uniquement l’homme qui passe, indifférent aux lieux, aux langages et aux foules, qui passe porteur d’une âme plus pure, d’un caractère plus beau, d’une éloquence et d’une charité plus altières, l’homme qui détient le secret des lois et des méthodes psychologiques, les raisons du cœur humain, les analogies et les idées générales de la société, l’homme qui, parmi les actifs du domaine transitoire, médite les vérités permanentes et les définit à travers les fluctuations de leurs formes.

197. (1765) Essais sur la peinture pour faire suite au salon de 1765 « Paragraphe sur la composition ou j’espère que j’en parlerai » pp. 54-69

Une composition qui doit être exposée aux yeux d’une foule de toutes sortes de spectateurs, sera vicieuse, si elle n’est pas intelligible pour un homme de bon sens tout court. […] Greuze est toujours honnête, et la foule se presse autour de ses tableaux. […] J’ose proposer au plus intrépide de nos artistes de nous effrayer autant par son pinceau que nous le sommes par le simple récit du gazetier, de cette foule d’Anglais expirants, étouffés dans un cachot trop étroit, par les ordres d’un nabab.

198. (1895) Histoire de la littérature française « Cinquième partie. Le dix-huitième siècle — Livre III. Les tempéraments et les idées — Chapitre I. Un retardataire : Saint-Simon »

Mais prenons-y garde : il y a au xviiie  siècle une foule de Saint-Simons au petit pied, toute une noblesse à l’esprit court, murée dans ses souvenirs et ses préventions, d’autant plus entêtée de ses vains privilèges que l’extérieur est tout ce qui lui reste ; courtisans, nobles de province, ce seront ceux-là qui se rendront insupportables au reste de la nation, exaspéreront les plus pacifiques, et nous condamneront par leur égoïsme inintelligent aux convulsions d’une révolution violente. […] Une foule d’individus, de mouvements, d’actions se mêlent, se croisent, se succèdent ; chaque individu est analysé, chaque mouvement décomposé, chaque action détaillée.

199. (1920) La mêlée symboliste. I. 1870-1890 « Les poètes maudits » pp. 101-114

Il faudra rire, pleurer avec les foules. […] Ils montent derrière les célébrités comme des valets derrière les carrosses, pour se faire voir de la foule.

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