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889. (1861) Les œuvres et les hommes. Les historiens politiques et littéraires. II. « XVIII. J.-M. Audin. Œuvres complètes : Vies de Luther, de Calvin, de Léon X, d’Henri VIII, etc. » pp. 369-425

Des esprits dont l’admiration s’est gauchie à se trop presser d’admirer ont avancé que ce livre marqua le genre d’Audin comme historien, de même que son Essai sur le Romantique révéla sa forme littéraire ; et rien n’est plus faux d’une double fausseté. […] Mais la jeunesse du talent d’Audin n’est pas de celles que le temps emporte ; elle ne tient pas aux formes de l’imagination de son époque ; car chaque époque a son genre d’imagination comme son genre de sensibilité. […] Les formes littéraires sont épuisées. […] Mais la vérité complète, la vérité dans sa variété infinie, tel est le but, plus profond que la forme, de toute histoire, et qui restera à atteindre, quand il n’y aurait plus de littérature, jusqu’au jour de la mort de l’esprit humain. […] L’originalité d’Audin est d’être un missionnaire historique… Les esprits qui croient encore à la division des genres en littérature l’ont loué d’être revenu, dans son Henri VIII, aux vieilles formes conventionnelles de l’histoire.

890. (1904) En lisant Nietzsche pp. 1-362

Il était loyal, détestait l’hypocrisie et cette conscience approximative qui n’est qu’une forme de l’hypocrisie. […] » — Cette probité intellectuelle, qui du reste n’est qu’une forme de la probité morale, était chez lui intransigeante. […] Elle est donc, à proprement parler, une « forme du sentiment de fierté croissante ». […] L’aristocratisme est une forme du patriotisme et n’est pas autre chose. Si l’on veut, l’aristocratisme est une forme de l’instinct de hiérarchie et l’instinct de hiérarchie c’est le patriotisme lui-même.

891. (1898) La cité antique

Elle fait que la famille forme un corps dans cette vie et dans l’autre. […] Au temps d’Auguste ils avaient encore conservé toutes leurs formes antiques. […] L’admission avait lieu sous une forme religieuse. […] La cité se forme. […] Sous cette forme légendaire il y a une vérité.

892. (1881) La psychologie anglaise contemporaine « Introduction »

Comprend-elle la matière et la forme ? […] Le poëte le conçoit à l’image du nôtre, mais plus beau, plus harmonieux ; la vie y est plus pleine et plus largement savourée : il y contemple des formes visibles et palpables, concrètes, vivantes, plus réelles pour lui que la réalité. […] L’histoire de l’ancienne physique, embarrassée de formes substantielles et de causes occultes, montre assez combien les meilleurs esprits cèdent au penchant de réaliser des abstractions. […] Les idées scolastiques sur l’immutabilité des formes de la vie et l’uniformité des époques de l’histoire ont fait place à une conception contraire. […] L’auteur distingue deux ordres de sciences : celles qui se rattachent aux idées d’ordre et de forme ; et celles qui étudient les fonctions de la vie et font un usage perpétuel de l’idée de force.

893. (1896) Les origines du romantisme : étude critique sur la période révolutionnaire pp. 577-607

Les deux romans de Chateaubriand, Atala et René, possèdent l’inestimable mérite de renfermer, sous un petit volume et dans une forme littéraire, les principales caractéristiques du moment psychologique, disséminées dans d’innombrables et aujourd’hui illisibles productions, qui naissaient pour mourir le lendemain. […] Mais la révolution avait renouvelé la langue parlée à la tribune et écrite dans le journal et les romans ; des mots, des tournures, des formes de phrases, des images, des comparaisons, venus de toutes les provinces et de toutes les couches sociales, avaient envahi la langue châtiée, polie, légère et élégante des salons aristocratiques, la langue de Montesquieu et de Voltaire, et l’avaient révolutionnée. […] La manière de vivre de chaque classe imprime aux sentiments et aux passions humaines une forme propre. […] Ce sont les contemporains qui fournissent à l’écrivain ses idées, ses personnages, sa langue et sa forme littéraire, et c’est parce qu’il tournoie dans le tourbillon des humains, subissant, ainsi qu’eux, les mêmes influences du milieu cosmique et du milieu social, que le poète peut comprendre et reproduire les passions de l’humanité, s’emparer des idées et de la langue courante et pétrir à son usage personnel la forme littéraire donnée par le frottement quotidien des hommes et des choses. […] Dans cet ouvrage, que Taine a pillé honteusement, sans toujours comprendre la portée de ce qu’il dérobait, Mme de Staël émet des vues géniales sur l’action exercée par le milieu social pour déterminer la forme littéraire.

894. (1914) Boulevard et coulisses

Car Gaston Calmëtte n’avait pas plus d’ambition que nous, ou plutôt il avait, comme nous tous, cette forme vague d’ambition qui est la confiance dans l’avenir et dans la bonne disposition des événements à notre égard. […] Alors, elle s’adapte d’une façon presque instantanée aux conditions de la scène : elle est le liquide qui prend la forme du vase. Élégante ou vulgaire, cette forme, pendant trois ou quatre heures, devient la sienne ; et quand elle l’a dépouillée, il lui en reste encore le frôlement. […] Mais, jusqu’ici, vous avez au moins reçu, en échange, ou de nobles exhortations au patriotisme et au travail, ou de beaux aperçus de philosophie et d’histoire, dans les formes les plus élevées de l’éloquence. […] C’est à vous maintenant de créer d’autres légendes et d’autres formes de la joie.

895. (1894) Études littéraires : seizième siècle

Il forme une littérature qui n’est pas ou qui est peu nationale. […] L’humanisme a naturellement le souci de la perfection de la forme. […] En somme il forme très peu son caractère. […] Le faisceau de la doctrine se forme à la fois et se resserre. […] Il faut tout imiter des anciens, fond et forme.

896. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Fanny. Étude, par M. Ernest Feydeau » pp. 163-178

Fanny s’intitule une étude : c’est plus qu’une nouvelle, c’est presque un poème par la forme, par la coupe, par le nombre, par un certain souffle qui y règne d’un bout à l’autre et qui se marque singulièrement dans les paragraphes ou plutôt dans les couplets du commencement. […] La naissance, le progrès, les divers temps de ce mal de jalousie chez Roger, ses soupçons tantôt irrités, tantôt assoupis, et que le moindre mot réveille, son horreur du partage, l’exaspération où il s’emporte à cette seule idée, tous ces degrés d’inquiétude et de torture jusqu’à la fatale et horrible scène où il a voulu n’en croire que ses yeux et être le témoin de sa honte, sont décrits avec un grand talent, avec un talent qui ne se refuse aucune rudesse métallique d’expression, qui ne craint pas d’étreindre, de violenter les pensées et les choses, mais qui (n’en déplaise à ceux qui n’admettent qu’une manière d’écrire, une fois trouvée) a certainement sa forme à lui et son style. […] La comparaison entre Adolphe et Fanny ne saurait s’établir que sur la forme et pour le cadre, pour le nombre et le chiffre des acteurs : le fond de la situations d’ailleurs, est des plus dissemblables. […] Avec une politesse exquise qui excluait toute forme familière et nous tenait à distance l’un de l’autre comme il l’entendait, mais avec une tranquillité d’accent et une manière courtoise, il se mit immédiatement à conduire le discours, et je ne pus m’empêcher de le suivre.

897. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) «  Œuvres et correspondance inédites de M. de Tocqueville — II » pp. 107-121

Toutes les formes gouvernementales ne sont à mes yeux que des moyens plus ou moins parfaits de satisfaire cette sainte et légitime passion de l’homme. » Lorsqu’on entre dans la politique avec une telle visée, on court risque de rencontrer sur son chemin bien des mécomptes. […] Pour celui qui étudie les formes différentes et caractéristiques des esprits, il est curieux de suivre M. de Tocqueville en Allemagne, dans son voyage à la recherche de cet ancien régime qui le préoccupe tant : il ne parvient pas d’abord à trouver ce qu’il espérait, et à découvrir un ordre de symptômes précurseurs de 89 et corrélatifs aux nôtres. […] On ne dit pas mieux en moins de mots : Pour remettre mon esprit en équilibre, écrivait-il à M. de Corcelles (un esprit à la fois libéral et religieux, et à qui il savait que cela ferait plaisir), je lis toujours, de temps en temps, du Bourbaloue ; mais je crains bien que le bon Dieu ne m’en sache pas beaucoup de gré, parce que je suis trop frappé du talent de l’écrivain et trouve trop de plaisir à la forme de sa pensée. […] Dans cette matière si éloignée des habitudes de son esprit, Bourdaloue emploie avec une exactitude si rigoureuse, quoique non affectée, les termes justes, et ils s’appliquent si bien à ce qu’il veut dire, qu’il n’y a pas un des hommes de son temps auquel il ne rendît sensible sa pensée… L’adresse avec laquelle il varie les formes du langage pour soutenir et reposer l’attention de l’auditeur est véritablement merveilleuse.

898. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Mélanges religieux, historiques, politiques et littéraires. par M. Louis Veuillot. » pp. 44-63

Cet homme admet bien, comme vous, l’idée générale de Création, et même il ne saurait concevoir l’idée contraire, celle d’une succession continue à l’infini ; mais après cette idée de Création il s’arrête, il ne peut concevoir ni admettre que l’Intelligence et la Puissance infinie se soit, à un certain jour, incorporée, incarnée dans une forme humaine ; il respecte, d’ailleurs, au plus haut degré, à titre de sage et de modèle moral sublime, Celui que vous saluez d’un nom plus divin ; — et cet homme, parce qu’il ne peut absolument (à moins de se faire hypocrite) admettre votre idée à vous, avec toutes ses conséquences, vous l’insulterez ! […] L’auteur a mis là, sous forme dramatique, ses observations de journaliste en province ; il a réuni tous les personnages plats et ridicules auxquels il a eu affaire, dans un chef-lieu idéal qu’il appelle Cignac. […] Ce M. de Valère, dévot et ambitieux à la fois, est peu attrayant, et les échantillons que j’ai rencontrés de cette forme de jeunes hommes politiques ne me la rendent pas plus acceptable. […] Mais faut-il transporter ce scandale, le risquer et le multiplier à proposde tout, à chaque instant et sur chaque point de la société, et sous sa forme la plus offensive, la plus provocante ?

899. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Les Contes de Perrault »

Je ne sais comment cela se fait, mais je ne vois autour de moi, depuis quelques jours, que Contes de Perrault ; j’en ai sous les yeux de toutes les formes et de toutes les dimensions ; il en sort de terre à cette époque de l’année. […] Boileau est l’homme du goût littéraire et classique, le satirique judicieux qui s’attaque surtout aux livres et aux formes en usage au moment où il paraît, et qui se rattache à la tradition délicate et saine de la belle Antiquité. […] C’est beaucoup ; c’est peu pourtant, si l’on considère la diversité des génies et l’infinité des formes que peut revêtir la nature des talents. […] Ainsi les souris qui sont changées en chevaux, dans Cendrillon, gardent à leur robe, sous leur forme nouvelle, « un beau gris de souris pommelé » Le cocher, qui était précédemment un gros rat, garde sa moustache, « une des plus belles moustaches qu’on ait jamais vues. » Il y a des restes de bon sens à tout cela.

900. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « GLANES, PÖESIES PAR MADEMOISELLE LOUISE BERTIN. » pp. 307-327

Artiste, cette nouvelle forme en crédit autour d’elle avait de quoi la tenter ; femme, cette confidence, à demi parlée, à demi murmurée, devait lui sourire. […] La forme atteste une main habile et presque virile d’artiste ; le fond exprime une âme de femme délicate et ardente, mais qui a beaucoup pensé, et qui ne prend guère l’harmonie des vers comme un jeu. […] Les formes sont trouvées ; les louables productions, comme celle que nous avons annoncée, y rentrent plus ou moins. […] Voici comment je les définis ; gracieux et sensibles, mais plus faibles et imitants ; ou habiles, mais de pure forme ; ou assez élevés, et même ambitieux, mais sans art.

901. (1897) Le monde où l’on imprime « Chapitre III. Grands poètes : Verlaine et Mallarmé, Heredia et Leconte de Lisle » pp. 27-48

Il est aussi quelques autres, avertis combien la forme de Mallarmé le traduit fidèlement, simplement, qu’il est modèle de pensée libre, hardie, harmonieuse, d’expression originale, non professeur d’un procédé. […] La forme en est parfaitement artistique, et ce n’est pourtant pas le poème en prose. […] Mendès : « Mallarmé est un auteur difficile. » C’est-à-dire que sa forme n’est pas celle de tout le monde, mais elle est, au moins en prose, claire et rapide : puisqu’il ne fait presque jamais, pour l’enchaînement des propositions, remonter qu’aux mots les plus proches. […] Seul, parfois, un bouvier menant ses buffles boire, De sa conque où soupire un antique refrain Emplissant le ciel calme et l’horizon marin, Sur l’azur infini dresse sa forme noire.

902. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Appendice. — [Baudelaire.] » pp. 528-529

Vous êtes, vous aussi, de ceux qui cherchent de la poésie partout ; et comme, avant vous, d’autres l’avaient cherchée dans des régions tout ouvertes et toutes différentes ; comme on vous avait laissé peu d’espace ; comme les champs terrestres et célestes étaient à peu près tous moissonnés, et que, depuis trente ans et plus, les lyriques, sous toutes les formes, sont à l’œuvre, — venu si tard et le dernier, vous vous êtes dit, j’imagine : « Eh bien ! […] Que si vous l’eussiez fait intervenir un peu plus souvent, en deux ou trois endroits bien distincts, cela eût suffi pour que votre pensée se dégageât, pour que tous ces rêves du mal, toutes ces formes obscures et tous ces bizarres entrelacements où s’est lassée votre fantaisie, parussent dans leur vrai jour, c’est-à-dire à demi dispersés déjà et prêts à s’enfuir devant la lumière.

903. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Appendice. »

Quant au thème grec, il avait de brillants partisans, mais peu nombreux, parce que cette forme se prête mal à l’exposition des principes politiques et religieux. […] Il a publié assez récemment, chez Hetzel, deux petits volumes sur la Rhétorique même et sur la Mythologie, et en rajeunissant par la forme des sujets dont le fond semble épuisé, il s’y montre plus dégagé de ton et plus alerte qu’on ne l’est volontiers dans l’Université, il n’a pas prétendu creuser, il s’est joué sans pédanterie à la surface : on sent un auteur maître de sa matière et qui en dispose à son gré.

904. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Lamennais — Note »

Je m’étais mis à leur appliquer tout d’abord une forme de critique singulièrement délicate et chatouilleuse ; je me faisais l’introducteur, l’interprète et jusqu’à un certain point le panégyriste de grands écrivains qui allaient se modifiant eux-mêmes pendant que je les peignais, et qui, souvent, par leur prompte métamorphose, déjouaient mes louanges les plus sincères et les plus méritées. — Je dirai tout de suite que pour avoir sous les yeux tout ce que j’ai écrit ex professo sur La Mennais, il faudrait y joindre l’article sur la Correspondance publiée par M. […] La vérité aussi, c’est que M. de La Mennais, avec ses jugements absolus, devait assez peu goûter ma forme de critique d’alors et même celle où, de tout temps, ma curiosité n’a cessé de se complaire.

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