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518. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « [Chapitre 5] — I » pp. 93-111

Sérieux au fond, ayant des goûts à lui et qui parurent bientôt très prononcés, aimant les lectures de toutes sortes, l’histoire, les estampes et l’instruction qu’elles procurent sur les mœurs du temps passé, jugeant sainement des choses et des hommes qu’il avait sous les yeux, et soucieux de l’amélioration de l’espèce dans l’avenir, il fut de tout temps très naturel, au risque même de ne point paraître essentiellement élégant ni très élevé, il avait en lui un principe de droiture et le sentiment de la justice qu’il cultiva et fortifia sans cesse, loin de travailler à l’étouffer. […] Il lui disait sans cesse, en le louant sur son activité et son ardeur d’être utile, et sur « une certaine fermeté de cœur et d’esprit avec laquelle il sympathisait », qu’il fallait absolument le tirer de l’espèce d’obscurité où il était, qu’il n’était bien connu ni des autres ni de lui-même. […] [NdA] Cette espèce de rétrécissement de vue a été également remarquée par Saint-Simon, et c’est en quoi le garde des sceaux d’Argenson, qui eut le génie administratif et l’exécution, n’était pourtant pas de la première volée comme homme d’État.

519. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « II » pp. 21-38

Ce ne sont à Ferney que requêtes sur requêtes, de toute forme et de toute espèce : tantôt Lally-Tollendal plaidant pour réhabiliter la mémoire de son père, tantôt une directrice de théâtre à Lyon à laquelle on retire son privilège ; aujourd’hui d’Étallonde songeant à faire reviser son procès, demain les main-mortables de Saint-Claude à affranchir de la glèbe monacale et à rendre sujets du roi. […] Ce que je dois à ma religion, à ma patrie, à l’Académie française, à l’honneur que j’ai d’être un ancien officier de la Maison du roi, et surtout à la vérité, me force de vous écrire ainsi… Voltaire, absent de Paris depuis des années, et qui depuis sa première jeunesse n’y avait jamais, à l’en croire, demeuré deux ans de suite, avait contre ce monde parisien dont il était l’idole une prévention invétérée : « L’Europe me suffit, disait-il un peu impertinemment ; je ne me soucie guère du tripot de Paris, attendu que ce tripot est souvent conduit par l’envie, par la cabale, par le mauvais goût et par mille petits intérêts qui s’opposent toujours à l’intérêt commun. » Il croyait sincèrement à la décadence des lettres, et il le dit en vingt endroits avec une amère énergie : « La littérature n’est à présent (mars 1760) qu’une espèce de brigandage. […] [NdA] Une espèce de revue littéraire que publiait M. 

520. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Divers écrits de M. H. Taine — I » pp. 249-267

Dès que le récit est terminé, la moralité sort et on la déduit ; elle se grave dans l’esprit par l’exemple : car ce que l’homme aperçoit moins quand il s’agit d’hommes ses semblables, et ce qui glisse sur lui, le frappe davantage quand cela se transpose et se réfléchit par allégorie chez des êtres d’une espèce différente. […] Le poète aura l’air, par moments, de n’y plus songer ; elle lui échappera même quelquefois en mouvement touchant, en effusion de tendresse, comme dans une idylle, comme dans une élégie ; Les Deux Pigeons, critiqués par La Motte, sont le chef-d’œuvre de ce genre libre et de cette espèce d’épopée en petit : La Fontaine en est l’Homère. […] Ce qu’il faut lui répondre quand il s’exprime avec une affirmation si absolue, c’est que, entre un fait si général et aussi commun à tous que le sol et le climatu, et un résultat aussi compliqué et aussi divers que la variété des espèces et des individus qui y vivent, il y a place pour quantité de causes et de forces plus particulières, plus immédiates, et tant qu’on ne les a pas saisies, on n’a rien expliqué.

521. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Souvenirs de soixante années, par M. Étienne-Jean Delécluze, (suite et fin) »

Il n’est pas difficile, après une vie longue, quand on a entendu tout le monde et vu les dénouements, de venir faire, à propos de chaque personnage célèbre, une espèce de compilation de jugements, une cote tant bien que mal taillée, et de la donner sans y mettre le relief et la façon. […] » — et Charles Magnin, esprit doux, fin, progressif, écouteur ingénieux, plume excellente ; et le baron de Mareste, homme du monde très-spirituel, comme il en faut entre les gens de lettres pour les dédoubler, pour les espacer un peu ; un de ces amateurs qui de bonne heure ont vu le spectacle dans une bonne stalle, témoin assidu, bien informé, et qui, lui aussi, a dû écrire ; — tous ceux-là, et bien d’autres encore, y étaient, et dans cette espèce de galetas plafonné bruissaient comme abeilles en ruche et faisaient tourbillon. […] À la longue et à force d’habiter l’Italie, il perdit un peu l’air de France et le fil des idées du temps ; à force de craindre la pédanterie, il en contracta une d’une espèce particulière : c’était de vouloir être plus vif que nature et de professer le naturel en des termes qui semblaient un peu cherchés.

522. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « Correspondance de Louis XV et du maréchal de Noailles, publiée par M. Camille Rousset, historiographe du ministère de la guerre »

De quelque côté qu’on la prenne et qu’on essaye de la retourner, l’action n’est pas belle ; c’est une perfidie, et si l’espèce de fureur dont est saisi Saint-Simon toutes les fois qu’il y revient peut faire sourire, n’oublions pas qu’il est meilleur juge que personne de la noirceur du tour, puisqu’il savait seul à quel semblant de bonne grâce, d’émotion et de tendresse à son égard s’était portée, dans le tête-à-tête, la reconnaissance du duc de Noailles pour les offices généreux qu’il lui avait rendus. […] « Aisé, accueillant, propre à toute conversation, sachant de tout, parlant de tout, l’esprit orné, mais d’écorce ; en sorte que sur toute espèce de savoir force superficie, mais on rencontre le tuf pour peu qu’on approfondisse, et alors vous le voyez maître passé en galimatias de propos délibéré. […] Aussi, à la mort de Louis XIV, devint-il une espèce de premier ministre.

523. (1869) Nouveaux lundis. Tome XI « Le comte de Clermont et sa cour, par M. Jules Cousin. »

Cette espèce d’académie devait réunir à la fois les sciences, les lettres et les arts mécaniques… Cinq ou six académies seraient à peine suffisantes pour remplir l’objet que celle Société prétendait embrasser toute seule. […] J’accompagnai plusieurs fois le baron de Tott, lieutenant-colonel de Berchiny, auquel il avait beaucoup de confiance et qui entendait bien cette espèce de guerre ; nous y eûmes des succès balancés, mais toujours des coups de fusil et des occasions de s’instruire. […] Le gentilhomme fit cette réponse : « Dites-lui qu’elle peut être tranquille, je ne tire qu’aux culs-blancs. » Les culs-blancs, ou le sait, sont une espèce d’oiseau.

524. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « THÉOPHILE GAUTIER (Les Grotesques.) » pp. 119-143

Je ferai donc de lui, sans plus de façon, une espèce de Camille Desmoulins du romantisme (ne demandez à ma comparaison qu’un à-peu-près), hasardeux, téméraire, immodéré à plaisir et même dévergondé de plume comme l’autre, — dévergondé de sang-froid, j’en ai peur, affectant comme par gageure plus d’un terme sans-culotte, mais extrêmement spirituel, et qui plus est (tous l’affirment) très-bon compagnon. […] Théophile Gautier a un sentiment très-vif d’une certaine espèce de poésie pittoresque et matérielle ; quand il n’en fait pas pour son propre compte, il excelle à la décrire et à la mettre en saillie là où il la rencontre, il la refait bien souvent et l’achève tout en la racontant ; c’est ce qui lui est arrivé plus d’une fois à propos de ces rimeurs dont il nous rend les ébauches. […] Philarète Chasles)50, a fort loué sa prose et y a cru voir comme une espèce de chaînon intermédiaire entre Montaigne et Pascal ; ce sont de bien grands noms, et la prose de Théophile se borne à des opuscules facilement et spirituellement écrits, mais de bien peu de gravité, sauf les requêtes apologétiques où son malheur l’inspire.

525. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Quatrième partie. Élocution — Chapitre IV. Des figures : métaphores, métonymies, périphrases »

Cependant on a distingué certaines espèces de métaphores13, dont il est assez aisé de donner la formule : ce sont celles où l’idée que l’on a dans l’esprit, et celle dont on applique l’expression à la première, sont entre elles dans un rapport simple, nettement défini, permanent même, et dépendant le moins possible de la fantaisie de l’écrivain, connu de tous ou facilement perceptible à tous. Ainsi l’on nomme la cause pour reflet ; l’effet pour la cause ; l’instrument pour l’acte ou l’acteur ; l’œuvre pour l’auteur ; les dieux pour les actions, les objets, les éléments auxquels ils président ; le contenant pour le contenu ; la résidence pour l’habitant ; le lieu d’origine pour le produit ; le signe pour la chose signifiée ; le possesseur pour la chose possédée ; les parties du corps pour les facultés ou les qualités dont on convient qu’elles sont le siège ; l’espèce pour le genre ; le genre ou l’individu pour l’espèce ; la matière pour l’objet qui en est fait ; la partie pour le tout ; le fleuve pour le pays qu’il arrose ou pour le peuple qui vit sur ses bords.

526. (1829) De la poésie de style pp. 324-338

Vitellius, comme on sait, fut le plus gourmand des empereurs : quelquefois on rassemblait pour sa table, de tous les points de l’empire, force gibier de toute espèce, et de chaque animal on prenait seulement la cervelle, ou quelque autre partie délicate, pour offrir dans un seul plat à cet empereur gastronome un extrait de tout ce que la voracité humaine peut désirer. […] Ajoutons que Jean Paul paraît se prêter plus que tout autre écrivain à cette espèce de dissection puisque en Allemagne même celui de ses livres qui a eu le plus grand nombre d’éditions, et qui a obtenu le succès le plus populaire, est un extrait et une sorte de quintessence de tous les autres. […] Rousseau veut peindre cette espèce d’obsession de l’artiste à l’approche du génie, ces longs travaux qui précèdent la création, ces fureurs, ces transports pour arriver aux traits de vive flamme : M. 

527. (1863) Histoire des origines du christianisme. Livre premier. Vie de Jésus « Chapitre IV. Ordre d’idées au sein duquel se développa Jésus. »

Ne séparant pas le sort de l’humanité de celui de leur petite race, les penseurs juifs sont les premiers qui aient eu souci d’une théorie générale de la marche de notre espèce. […] Le juif, au contraire, grâce à une espèce de sens prophétique qui rend par moments le sémite merveilleusement apte à voir les grandes lignes de l’avenir, a fait entrer l’histoire dans la religion. […] Des représentants d’un tout autre esprit, des thaumaturges, considérés comme des espèces de personnes divines, trouvaient créance, par suite du besoin impérieux que le siècle éprouvait de surnaturel et de divin 180.

528. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Mémoires d’outre-tombe, par M. de Chateaubriand. » pp. 432-452

Figurons-nous bien ce qu’était M. de Chateaubriand à ses débuts, avant cette espèce de renom classique que l’âge lui a fait. […] L’auteur du Génie du christianisme, obligé de faire entrer dans le cadre de son apologie quelques tableaux pour l’imagination, a voulu dénoncer cette espèce de vice nouveau, et peindre les funestes conséquences de l’amour outré de la solitude. […] Il est vrai qu’il répète sans cesse : « Comme je ne crois à rien, excepté en religion… » Mais cette espèce de parenthèse, qui revient à tout propos et hors de propos, est trop facile à retrancher, et, si on la retranche, que découvre-t-on ?

529. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Madame Sophie Gay. » pp. 64-83

Mais Alfred paraît ; c’est à l’Opéra que Léonie l’aperçoit d’abord ; il y est fort occupé auprès d’une élégante, Mme de Rosbel ; ou plutôt, tandis que la foule des adorateurs s’agitait autour de la coquette, qui se mettait en frais pour eux tous, Alfred, plus tranquille, « lui parlait peu, ne la regardait jamais, et l’écoutait avec l’air de ne point approuver ce qu’elle disait, ou d’en rire avec ironie » : Cette espèce de gaieté (c’est Léonie qui raconte) contrastait si bien avec les airs doucereux et flatteurs des courtisans de Mme de Rosbel, que personne ne se serait trompé sur le genre d’intimité qui existait entre elle et M. de Nelfort. […] Anatole est de l’espèce des romans-anecdotes dont la donnée repose sur une infirmité ou une bizarrerie de la nature : ainsi, Ourika de Mme de Duras, Aloïs de M. de Custine, Le Mutilé de M.  […] C’est censé écrit par une espèce de valet de chambre très instruit et très lettré, qui, au besoin, est homme à citer Horace en latin, Shakespeare en anglais, et à avoir lu Corinne.

530. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « L’abbé Barthélemy. — I. » pp. 186-205

Simple ouvrier dans une œuvre si générale, je continuerai donc, comme par le passé, cette espèce de cours public de littérature que j’ai entrepris depuis plus de trois ans. […] Tout le monde l’aime, excepté son mari, qui lui préfère sa propre sœur, la duchesse de Grammont, espèce d’amazone, d’un caractère fier et hautain, également arbitraire dans son amour et dans sa haine, et qui est détestée. — Mme de Choiseul, passionnément éprise de son mari, a été martyre de cette préférence, mais, à la fin, elle s’est soumise de bonne grâce ; elle a gagné un peu dans son esprit, et l’on croit qu’elle l’adore toujours. — Mais j’en doute. — Elle prend trop de peine à le persuader ! […] Outre un grand savoir, il a infiniment d’esprit et de polissonnerie (le mot est ainsi en français et souligné dans Walpole), et c’est une des meilleures espèces d’hommes qui soient au monde.

531. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Saint François de Sales. Son portrait littéraire au tome Ier de l’Histoire de la littérature française à l’étranger par M. Sayous. 1853. » pp. 266-286

Sayous ne nous retrace pas avec moins de finesse et de vérité l’aspect naturel du pays en Savoie, ces frais paysages jetés dans un cadre grandiose, cette espèce d’irrégularité et de négligence domestique, et ce laisser-aller rural que peut voir avec regret l’économiste ou l’agronome, mais qui plaît au peintre et qui l’inspire insensiblement : « L’imagination, dit-il, est plus indulgente : elle sourit à ce spectacle qui a sa grâce, et l’artiste jouit en reconnaissant un instinct de l’art et comme un goût de nature dans ce confus arrangement qui semble avoir été abandonné au hasard. » Nous connaissions déjà, depuis les peintures de Jean-Jacques Rousseau, ce charme des vallons et des vergers de Savoie, si frais et si riants au pied des monts de neige ; mais, avant d’en venir à saint François de Sales, il était bon de nous le rappeler. […] Les paroisses qui avoisinaient Genève et qui bordaient le lac du côté de la Savoie étaient passées au protestantisme ; et, dans ces espèces d’insurrections spirituelles du xvie  siècle, ce n’étaient pas seulement les doctrines, c’étaient les mœurs qui étaient en jeu comme en toute espèce d’insurrection ; tous les relâchements et les licences grossières s’introduisaient à la faveur des changements.

532. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 38, que les peintres du temps de Raphaël n’avoient point d’avantage sur ceux d’aujourd’hui. Des peintres de l’antiquité » pp. 351-386

Ceux qui nous restent des peintres de l’ancienne Rome, sont en si petite quantité, et ils sont encore d’une espece telle, qu’il est bien difficile de juger sur l’inspection de ces tableaux de l’habileté des meilleurs ouvriers de ce tems-là, ni des couleurs qu’ils emploïoient. […] On voit par exemple dans le palais que les barberins ont fait bâtir dans la ville de Palestrine, à vingt-cinq milles de Rome, un grand morceau de mosaïque qui peut avoir douze pieds de long sur dix pieds de hauteur, et qui sert de pavé à une espece de grande niche, dont la voute soutient les deux rampes separées, par lesquelles on monte au premier palier du principal escalier de ce bâtiment. Ce superbe morceau est une espece de carte géographique de l’égypte, et, à ce qu’on prétend, le même pavé que Sylla avoit fait placer dans le temple de la fortune Prénestine, et dont il est parlé dans le vingt-cinquiéme chapitre du trente-sixiéme livre de l’histoire de Pline.

533. (1893) Les œuvres et les hommes. Littérature épistolaire. XIII « Prosper Mérimée »

C’était un grand maigre, un osseux, et presque une espèce de squelette, mais qui ne rougissait pas plus de sa maigreur qu’une vieille fille anglaise, et qui même eut l’idée d’en tirer parti. […] La femme à qui toute cette masse de lettres est adressée était, à ce qu’il paraît, de cette espèce très commune de femmes exigeantes, coquettes, capricieuses, gracieusement extravagantes, qui font des hommes, quand elles les tiennent, les polichinelles de l’amour. […] Il avait bien le sentiment de la première, et il courait après, mais celle-là ne s’attrape pas à la course, et Mérimée ne l’avait pas, puisqu’il la cherchait… Il la chercha même, les dernières années de sa vie, dans une affreuse Nouvelle, où le matérialiste qu’il était aborda la bestialité et le mélange des espèces, avec l’indifférence du cynisme le plus osé.

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