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307. (1900) La culture des idées

Il y a un état intermédiaire entre la glace et l’eau fluide, c’est quand l’eau commence à se façonner en aiguilles, quand elle craque et cède encore sous la main qui s’y plonge : peut-être ne faut-il pas demander même aux mots du manuel philosophique d’abdiquer toute prétention à l’ambiguïté ? […] La diabolique Intelligence rit des exorcismes, et l’eau bénite de l’Université n’a jamais pu la stériliser, non plus que celle de l’Église. […] Doudan, les marais grouillants de vie à un verre d’eau claire. […] Des quatre éléments, appert plus la clarté du feu ès yeux, l’air en la poitrine, l’eau au ventre et la terre ès jambes. […] Il faut, pour bien cuire, que les fèves trempent dans l’eau ; il faut que le pénitent se trempe dans l’eau de méditation.

308. (1896) La vie et les livres. Troisième série pp. 1-336

Il voulait s’empêtrer dans les jungles et mêler à son absinthe de l’eau du Gange. […] Un terrain qui monte, puis s’abaisse jusqu’au fleuve, — l’eau qui passe, sale et froide ; de l’autre côté de l’eau, la plaine triste, sans verdure. […] Esclaves du ciel brumeux ou clair ; esclaves des eaux obscures ou transparentes, esclaves des floraisons de la terre printanière, voilà ce que nous sommes. […] Autre salon, tendu de soies, cretonnes et velours en harmonie jaune et vert d’eau. […] Veber nous montre le snob malin et pratique, le snob « rosse », chercheur d’eau trouble, pilleur d’épaves, coureur de dots.

309. (1887) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (deuxième série). IX « Proudhon » pp. 29-79

Si la statue n’est pas de bronze, elle sera bientôt détrempée, et les eaux du ciel laveront la tête à Proudhon. […] Diderot a dit : « naïf comme l’eau » ; expression justement admirée. Proudhon était cette eau-là. Il était sincère comme l’eau de source de ses montagnes. […] Il n’eût point chargé ses reins de sacs de sable brûlant pour mieux tuer le Diable, — car le Diable est dans les reins, disait-il, profondément et spirituellement, saint Jérôme : Diabolus est in lumbis , Le Diable n’était point dans les reins de montagnard de Proudhon ; qui avait bu, dès l’enfance, l’eau des neiges qui descend des montagnes.

310. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — G — Gaubert, Ernest (1880-1945) »

Et je détache, avec plaisir, des Poèmes de légende et d’amour, ces quelques vers : Et notre barque, aux flots menteurs de l’Avenir, Sous le ciel fastueux connue un dais de parade, Flottera, s’attardant et lente, vers la rade Où s’égrènent les chansons grêles des cigales, Où l’ombre des palmiers frêles, sur l’eau tranquille, Tisse au soir glorieux un manteau de silence Comme un rêve d’amour épandu sur les lies, Plein d’un chant nostalgique et doux de fiancées Dont les ailes du soir ont pris la douceur blanche.

311. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — S — Scheffer, Robert (1889-1926) »

Vers étranges et singuliers, chansons qui sanglotent, voix qui mord, mélancolie et passion qu’exaltent l’eau qui passe, la feuille qui tombe, la rose qui saigne, l’étoile qui descend.

312. (1870) De l’intelligence. Deuxième partie : Les diverses sortes de connaissances « Livre premier. Mécanisme général de la connaissance — Chapitre II. De la rectification » pp. 33-65

Nous plongeons à demi dans l’eau une canne bien droite, très dure, et nous la voyons courbée. […] Mais nous nous rappelons que l’eau est molle et n’a pu plier le bois, et que, en vingt autres circonstances, d’autres bâtons demi-plongés ont subi le même changement d’aspect. […] — Même après notre correction, si la canne est demi-plongée dans l’eau, nous continuons à la voir courbée. […] J’ai passé trois heures, il y a un mois, sur le port d’Ostende, occupé à regarder le soleil qui se couchait dans un ciel clair, et, en ce moment-ci, je me rappelle sans difficulté la rue plate, la digue pavée de briques rougeâtres, la vaste étendue d’eau miroitante, tout le détail de ma promenade, le matelot et les deux promeneurs à qui j’ai parlé, ma longue rêvasserie au bout de l’estacade, d’où je suivais le déclin du jour et les changements de la mer mouvante, le fourmillement lumineux des flots, leurs creux bleuâtres zébrés de clartés rousses, toute la pompe de la grande nappe liquide qui se plissait, se déroulait et chatoyait comme une soie de Jordaens. — Ce sont là des images, c’est-à-dire des résurrections spontanées de sensations antérieures, et, comme toutes les images, celles-ci comportent une illusion quand elles deviennent intenses et nettes.

313. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Chamfort. » pp. 539-566

Chamfort, quoique déjà sa fraîcheur première eût reçu des atteintes, et que sa santé altérée l’obligeât d’essayer des eaux, était en ces années fort à la mode parmi les belles dames et dans le plus grand monde ; il était bien près de s’y acclimater : M. de Chamfort est arrivé, écrivait Mlle de Lespinasse (octobre 1775) ; je l’ai vu, et nous lirons ces jours-ci son Éloge de La Fontaine. Il revient des eaux en bonne santé, beaucoup plus riche de gloire et de richesse, et en fonds de quatre amies qui l’aiment, chacune d’elles comme quatre ; ce sont Μmes de Grammont, de Rancé, d’Amblimont et la comtesse de Choiseul. […] Maintenant écoutons Chamfort lui-même, à la même date que Mlle de Lespinasse, écrivant de ces eaux de Barèges où il s’était fait tant d’amies. […] Pourvu qu’on détruisît et qu’on révélât, tout lui était bon : « Voulez-vous donc, demandait-il à Marmontel, qu’on vous fasse des révolutions à l’eau rose 82 ? 

314. (1899) Esthétique de la langue française « La métaphore  »

Bréal, lui-même, la signale, en grec moderne, où mys pontikos, rat d’eau, et par abréviation pontikos, signifie aussi muscle ; musculus en latin, et souris en français, ont, comme on le sait, une double et parallèle signification ; il en est encore de même en polonais où souris se dit mysz et où le muscle du bras est la petite souris : myszka ; en suédois et en hollandais, où mus et muis ont les deux sens. […] Il y a loin, semble-t-il, de l’idée de navire à celle de navette de tisserand ; on serait tenté de séparer les deux mots, si l’italien navicella, nacelle, et l’allemand schiff, bateau, ne couraient également sur l’eau et sur la trame des métiers. […] Il y a la forme ranouncles, en provencal, mais la renoncule d’eau. […] Le mot s’applique peut-être plutôt à la renoncule d’eau.

315. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — M — Mathieu, Gustave (1808-1877) »

André Lemoyne Pour résumer en quelques mots l’impression sur les œuvres du poète, nous dirons que sa muse, très française et souvent gauloise, nous apparaît comme une svelte et riche meunière, dont le moulin commande un petit cours d’eau, frais, voisin de la mer ; la belle paysanne peut suivre de l’œil la grande courbe du goéland dans son vol et saluer de regards amis l’émeraude filante du martin-pêcheur sous les saules verts-cendrés.

316. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — M. — article » pp. 173-174

Selon lui, les montagnes les plus élevées sont sorties des eaux, & la génération des hommes a commencé par des poissons.

317. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « George Sand — George Sand, Valentine (1832) »

La mère Lhéry hésite encore entre le chaudron plein d’eau et de son, dans lequel elle prépare à manger à ses canards, et la robe de soie somptueuse dont il s’agit de se revêtir. […] Ces courses de Valentine avec Louise et Athénaïs, Bénédict toujours présent, par les prairies, à travers le foin des granges et au bord de la rivière ; le moment surtout où Bénédict, lassé de courir et de pêcher, en blouse, négligemment assis les jambes pendantes sur un tronc de chêne au-dessus des eaux, est admiré pour la première fois et trouvé beau par Valentine qui le regarde du bord ; ce moment et les tendresses folâtres qui l’amènent et le suivent sont le triomphe du roman.

318. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Troisième partie. Disposition — Chapitre IV. Unité et mouvement »

On épongeait aux coins de sa bouche de l’eau et du sang, qui étaient remontés de sa poitrine, à flots, pendant ses contorsions d’agonie. […] « … Au moment où cette traînée de feu rouge, qui entrait par ce sabord de navire, s’éteignit, où le soleil équatorial disparut tout à fait dans les eaux dorées, on vit les yeux du petit-fils mourant se chavirer, se retourner vers le front comme pour disparaître dans la tête.

319. (1885) Les œuvres et les hommes. Les critiques, ou les juges jugés. VI. « M. Ch. de Barthélémy » pp. 359-372

Ce livre, d’une haleine très saine et très pure, ressemble à un verre d’eau versé pieusement sur une mémoire qu’on veut faire refleurir ; mais ce n’est qu’un verre d’eau, et pour faire relever la tête à cette fleur, piétinée et souillée par les boueux du xviiie  siècle, il faudrait davantage.

320. (1893) Les œuvres et les hommes. Littérature épistolaire. XIII « Mademoiselle de Condé »

Mademoiselle de Condé, blessée au genou dans une chute, était allée aux Eaux de Bourbon-l’Archambaud et y avait rencontré le jeune marquis de La Gervaisais. Aux Eaux, on se dégrafe de l’étiquette.

321. (1906) Les œuvres et les hommes. Poésie et poètes. XXIII « Auguste Vacquerie  »

Si Auguste Vacquerie l’avait écrit, lui, ce serait un phénomène, et je répugne, je l’avoue, à penser que Vacquerie soit un phénomène… Ce serait un phénomène, en effet, et un des plus étonnants, qu’un homme qui absorberait un autre homme comme l’éponge absorbe l’eau qu’elle boit, et encore l’éponge reste éponge, malgré l’eau qu’elle a bue !

322. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « Mm. Jules et Edmond de Goncourt. » pp. 189-201

Seulement, ce que nous étreignons en quelques mots, MM. de Goncourt le délaient et le mêlent à des faits aussi vulgaires, aussi connus, aussi traînants dans tous les romans, que les promenades sur l’eau, l’habitation à la campagne, les descriptions d’architecture, les thèses médicales et les copies écrites des tableaux peints. […] Aux premières pages, ils parlent de « cabrioler dans la tape sur le ventre », ce qui étonnerait Auriol lui-même ; et plus loin, pour finir une description incroyable, ils écrivent (page 263) : « L’ombre jeta sur l’eau un voile plombé où le croissant de la lune laissa tomber une grappe de faucilles d’argent. » C’est sous des images de cette in-justesse que doit périr immanquablement la langue dans les livres de MM. de Goncourt, et que la rhétorique qui veut faire image de tout en emportera le pur génie dans un flot éclaboussant de vermillon !

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