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773. (1857) Cours familier de littérature. III « XVIIe entretien. Littérature italienne. Dante. » pp. 329-408

Ces divisions, après la mort de l’empereur Frédéric, finirent par se réduire à peu près à deux grands partis, les Guelfes et les Gibelins : l’un favorisant de ses vœux et de ses armes la domination des papes ; l’autre, par haine de cette domination pontificale, se dévouant aux empereurs d’Allemagne, comme si le patriotisme se fût senti moins humilié et moins oppressé de s’asservir à un dominateur étranger qu’à un dominateur sacré qui ajoutait un droit divin au droit temporel ! […] C’est lui qui m’a fait épeler le Dante, c’est à lui que je dois le droit de le comprendre et d’en parler aujourd’hui. […] Le droit des traducteurs est de confondre tellement leur personne avec la personne de leur modèle que les critiques adressées à l’un blessent l’autre, et que, si on évoque le Dante, M. Fiorentino a le droit de répondre : « Me voilà !  […] Si vous m’appelez, je n’ai pas le droit de me plaindre.

774. (1896) Matière et mémoire. Essai sur la relation du corps à l’esprit « Chapitre IV. De la délimitation, et de la fixation des images. Perception et matière. Âme et corps. »

Mais le sens commun et le langage sont ici dans leur droit, et même, en quelque sorte, font leur devoir, car envisageant toujours le devenir comme une chose utilisable, ils n’ont pas plus à s’inquiéter de l’organisation intérieure du mouvement que l’ouvrier de la structure moléculaire de ses outils. […] Le même sophisme apparaît plus clairement encore dans le troisième argument (la Flèche), qui consiste à conclure, de ce qu’on peut fixer des points sur la trajectoire d’un projectile, qu’on a le droit de distinguer des moments indivisibles dans la durée du trajet. […] Mais n’est-il pas vrai, comme nous l’avons montré au début de ce livre, que, dans la perception visuelle d’un objet, le cerveau, les nerfs, la rétine et l’objet lui-même forment un tout solidaire, un processus continu dont l’image rétinienne n’est qu’un épisode : de quel droit isoler cette image pour résumer toute la perception en elle ? […] Mais cette perception qui coïncide avec son objet, ajoutions-nous, existe en droit plutôt qu’en fait : elle aurait lieu dans l’instantané. […] Dans la première hypothèse, celle qui exprime la distinction de l’esprit et du corps en termes d’espace, corps et esprit sont comme deux voies ferrées qui se couperaient à angle droit ; dans la seconde, les rails se raccordent selon une courbe, de sorte qu’on passe insensiblement d’une voie sur l’autre.

775. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Charron — I » pp. 236-253

Il apprit tout ce qu’on apprenait à l’Université au xvie  siècle, et alla ensuite étudier le droit à Orléans et à Bourges. […] Peu de gens, remarque-t-il, ont la force et le courage de se tenir droits sur leurs pieds, il faut qu’ils s’appuient ; ils ne peuvent vivre s’ils ne sont mariés et attachés ; n’osent demeurer seuls de peur des lutins : craignent que le loup les mange : gens nés à la servitude ! […] Il ne niait point qu’il n’y eût certaines réformes possibles à apporter dans l’Église, mais il demandait que ces réformes fussent faites par qui de droit, et il observait judicieusement que, pour y aider, la première condition était de demeurer dans le giron et de n’en point sortir.

776. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Correspondance de Lammenais » pp. 22-43

Le public a droit de se plaindre, dans ce cas, de l’application du droit de propriété littéraire ; et si ce droit s’étend, comme plusieurs personnes le désirent, le cas se reproduira souvent.

777. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Les Caractères de La Bruyère. Par M. Adrien Destailleur. »

Destailleur, telle qu’elle s’offre à nous sous cette dernière forme, me paraît très voisine de la perfection qu’on est en droit de réclamer dans tout ce qui se rapporte à La Bruyère. […] Il n’a donc pas vu qu’en histoire le droit dont on a mésusé cesse, à une certaine heure, d’être le droit.

778. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Connaissait-on mieux la nature humaine au XVIIe siècle après la Fronde qu’au XVIIIe avant et après 89 ? »

Il semblait plus facile, avec des intentions droites et des idées justes, de faire le bien des hommes et des peuples que cela ne s’est vérifié, au fait et au prendre ; on ne comptait assez ni avec les passions, ni avec les intérêts, ni avec les vices. […] Non ; si inférieurs aux Retz et aux La Rochefoucauld pour l’ampleur et la qualité de la langue et pour le talent de graver ou de peindre, ils connaissaient la nature humaine et sociale aussi bien qu’eux, et infiniment mieux que la plupart des contemporains de Bossuet, ces moralistes ordinaires du xviiie  siècle, ce Duclos au coup d’œil droit, au parler brusque, qui disait en 1750 : « Je ne sais si j’ai trop bonne opinion de mon siècle, mais il me semble qu’il y a une certaine fermentation de raison universelle qui tend à se développer, qu’on laissera peut-être se dissiper, et dont on pourrait assurer, diriger et hâter les progrès par une éducation bien entendue » ; le même qui portait sur les Français, en particulier ce jugement, vérifié tant de fois : « C’est le seul peuple dont les mœurs peuvent se dépraver sans que le fond du cœur se corrompe, ni que le courage s’altère… » Ils savaient mieux encore que la société des salons, ils connaissaient la matière humaine en gens avisés et déniaisés, et ce Grimm, le moins germain des Allemands, si net, si pratique, si bon esprit, si peu dupe, soit dans le jugement des écrits, soit dans le commerce des hommes ; — et ce Galiani, Napolitain de Paris, si vif, si pénétrant, si pétulant d’audace, et qui parfois saisissait au vol les grandes et lointaines vérités ; — et cette Du Deffand, l’aveugle clairvoyante, cette femme du meilleur esprit et du plus triste cœur, si desséchée, si ennuyée et qui était allée au fond de tout ; — et ce Chamfort qui poussait à la roue après 89 et qui ne s’arrêta que devant 93, esprit amer, organisation aigrie, ulcérée, mais qui a des pensées prises dans le vif et des maximes à l’eau-forte ; — et ce Sénac de Meilhan, aujourd’hui remis en pleine lumière40, simple observateur d’abord des mœurs de son temps, trempant dans les vices et les corruptions mêmes qu’il décrit, mais bientôt averti par les résultats, raffermi par le malheur et par l’exil, s’élevant ou plutôt creusant sous toutes ; les surfaces, et fixant son expérience concentrée, à fines doses, dans des pages ou des formules d’une vérité poignante ou piquante. Que serait-ce si, au nombre des moralistes français du xviiie  siècle, on rangeait, comme on en a le droit, le grand Frédéric, notre compatriote littéraire, le plus sensé, le plus éclairé (quand il ne goguenarde pas trop), le plus ami de la raison et, pour tout dire, le plus cousin de Montaigne et de Bayle, parmi les écrivains porte-couronne !

779. (1865) Nouveaux lundis. Tome IV « Salammbô par M. Gustave Flaubert. Suite et fin. » pp. 73-95

Il y a loin de là à ce siège en règle, monumental, classique, à ce siège modèle qu’a imaginé l’auteur de Salammbô, afin de se donner l’occasion d’énumérer toutes les machines de guerre, tous les instruments de balistique de l’ancien corps du génie, et de nous peindre l’effroi des Carthaginois « quand ils aperçurent, venant droit vers eux, comme des monstres et comme des édifices, avec leurs mâts, leurs bras, leurs cordages, leurs articulations, leurs chapiteaux et leurs carapaces, les machines de siège qu’envoyaient les villes tyriennes : soixante carrobalistes, quatre-vingts onagres, trente scorpions, cinquante tollénones, douze béliers, etc. » Évidemment l’auteur s’amuse. […] On comprend bien que c’est moins encore pour donner une idée exacte du livre que je me suis appliqué à cette longue analyse, que pour constater au fur et à mesure la suite de mes impressions et me donner à moi-même, en les recueillant, le droit d’exprimer mon jugement sans mollir, en toute fermeté et sécurité. […] Peignez-le, ce vrai, tel quel, au vif et même crûment ; mais ce qu’on a le droit de désirer, c’est que vous n’alliez pas choisir exprès le pire et le préférer à tout.

780. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « M. Émile de Girardin. »

C’est à cette prison de la Conciergerie qu’il dut de lire à tête reposée les Œuvres de Turgot, et dans cette persécution qui ennoblit, qui épure les caractères et les retrempe quand elle ne les aigrit pas, lui qui avait souvent écouté des économistes plus habiles, mais d’une inspiration moins élevée et moins sévère, lui qui avait pris ses premières notions financières du célèbre Ouvrard, le Law de notre temps, il acquit le droit d’appeler désormais Turgot son maître, son ami. […] J’accorde que, dans ce qui paraît si redoutable de loin, il y a beaucoup de fantômes qui s’évanouissent si l’on ose s’approcher et souffler dessus ; qu’il n’y a pas un si grand nombre de libertés possibles à donner ; qu’on les a déjà en partie ; qu’il ne s’agirait que d’être conséquent, d’étendre et de consacrer le droit ; sans doute, le principe qui consiste à inoculer le vaccin révolutionnaire pour éviter les révolutions, à donner d’avance et à la fois plus qu’elles ne pourraient conquérir, ce principe est d’une analogie séduisante ; mais ceci suppose déjà une médecine bien hardie, et le corps social n’est point partout le même ni capable de porter toute espèce de traitement. […] car la liberté, ce n’est que le moyen auquel on avait droit : la liberté ne dispense pas d’être habile, et cette habileté, dans un tel ordre de société, est encore plus nécessaire aux gouvernés qu’aux gouvernants.

781. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « Histoire des cabinets de l’Europe pendant le Consulat et l’Empire, par M. Armand Lefebvre (suite et fin.) »

« On avait le choix entre deux systèmes : l’un tout de force et de représailles, l’autre tout de clémence et de conciliation. » Convenait-il d’user du premier en toute rigueur, comme la victoire en donnait le droit, et de mesurer ses prétentions sur sa fortune ? […] Il débuta, dans ses rapports avec l’Europe, par lui imposer le traité de Lunéville, qui était un droit créé par la victoire, mais non un acte de conciliation et de durée : cette première transaction décida de toute la vie du premier Consul. […] Chacun chez soi, chacun son droit, n’était pas sa devise.

782. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « La Fontaine »

Il entre dans la manière qui les distingue de leurs contemporains une grande part d’imitation de l’âge précédent ; et, dans ce frappant contraste qu’ils nous offrent avec ce qui les entoure, il faut savoir reconnaître et rabattre ce qui revient de droit à leurs devanciers. […] Mais, dès 1684, nous avons de lui un admirable Discours en vers, qu’il lut le jour de sa réception à l’Académie française, et dans lequel, s’adressant à sa bienfaitrice, il lui expose avec candeur l’état de son âme : Des solides plaisirs je n’ai suivi que l’ombre, J’ai toujours abusé du plus cher de nos biens : Les pensers amusants, les vagues entretiens, Vains enfants du loisir, délices chimériques, Les romans et le jeu, peste des républiques, Par qui sont dévoyés les esprits les plus droits, Ridicule fureur qui se moque des lois, Cent autres passions des sages condamnées, Ont pris comme à l’envi la fleur de mes années. […] Quant à l’article sur madame de Sévigné, il appartient de droit à celui de nos volumes qui, dans la présente collection, est particulièrement consacré aux femmes ; il en fait le début.

783. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « Réception de M. le Cte Alfred de Vigny à l’Académie française. M. Étienne. »

« On peut assurer, dit-il, que l’Académie changea de face à ce moment ; de peu connue qu’elle étoit, elle devint si célèbre, qu’elle faisoit le sujet des conversations ordinaires. »— Perrault, en effet, avait bien vu ; cet homme d’esprit et d’invention, ce bras droit de M.  […] Lebrun-Tossa, son ami alors et son collaborateur en perspective, non pas un projet de canevas, mais une véritable pièce en trois actes et en vers, presque semblable en tout à celle qui est imprimée sous le titre de Conaxa, et qu’il en tira, comme c’est le droit et l’usage de tout poëte dramatique admis à reprendre son bien où il le trouve, une comédie en cinq actes et en vers, appropriée aux mœurs et au goût de 1810, marquée à neuf par les caractères de l’ambitieux et du philanthrope, et qui mérita son succès. […] Mais, au début, c’était assez singulier : quand ils attaquaient le ministère Richelieu comme trop peu libéral, ceux qui connaissaient les masques avaient droit de sourire.

784. (1895) Histoire de la littérature française « Sixième partie. Époque contemporaine — Livre III. Le naturalisme, 1850-1890 — Chapitre VI. Science, histoire, mémoires »

Faire de la vérité le but de la pensée, du bien la fin de l’action, le vrai étant l’exclusion du miracle, et le bien l’exclusion de l’égoïsme : on peut juger comme on voudra cette philosophie, on n’a pas le droit d’y voir un jeu de dilettante indifférent. […] Il a ses limites et ses préjugés : mais que de pénétration, quel jugement sain et droit, quelle abondance de vues personnelles ! […] Fouillée : la Philosophie de Platon (1869) ; la Liberté et le déterminisme (1873 et 1884) ; l’Idée moderne du droit (1878) ; la Science sociale contemporaine, 1880, in-18, Hachette

785. (1920) La mêlée symboliste. II. 1890-1900 « La génération symboliste » pp. 34-56

Devant les indices du mécontentement général et de cette levée hostile en masse, l’empereur s’affole et se laisse arracher le droit de coalition. […] Sully Prudhomme, alors en âge d’être père, se condamne au célibat parce qu’il ne se reconnaît pas le droit de disposer d’une existence et qu’il se ferait un crime de condamner à l’enfer de vivre, une créature innocente. […] Ils revendiquent les droits de l’autonomie et de la fédération des groupes.

786. (1889) Le théâtre contemporain. Émile Augier, Alexandre Dumas fils « Alexandre Dumas fils — Chapitre XIII »

Depuis quelques années déjà, l’auteur de l’Ami des femmes exerce la morale comme une chirurgie ; il lui prête l’impudeur tranchante d’une science expérimentale qui a le droit de tout éventrer et de tout décrire. […] La Princesse Georges L’égalité de l’homme et de la femme devant l’adultère, le droit de mort donné à l’épouse trahie, aussi bien qu’au mari trompé : telle est l’idée que M.  […] Elle le conçoit selon la fière formule de la loi romaine : ubi tu Caïus, ibi ego Caïa, « là où tu seras Caïus, je serai Caïa. » Elle aime passionnément son mari, elle s’est donnée à lui corps et âme ; donc elle a le droit d’exiger qu’il se donne à elle tout entier.

787. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Des lectures publiques du soir, de ce qu’elles sont et de ce qu’elles pourraient être. » pp. 275-293

Dans le cas présent, on a affaire à des intelligences neuves, non pas molles et tendres comme celles des enfants, à des intelligences en général droites, saines, bien qu’en partie atteintes déjà par les courants déclamatoires qui sont dans l’air du siècle, à des intelligences mâles et un peu rudes, peu maniables de prime-abord, et qui deviendraient aisément méfiantes, ombrageuses, qui se cabreraient certainement si on voulait leur imposer. […] Il conviendrait, indépendamment du cours d’histoire proprement dit, d’établir un cours très simple, très clair, de littérature générale moderne et de littérature française en particulier, celle-ci, comme dans le cas précèdent, ayant droit au principal développement. […] Les esprits droits et logiques (et tout esprit simple l’est aisément), qui comptent trop sur une vraie fable, peuvent être parfois un peu déconcertés.

788. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Le surintendant Fouquet. (Article Fouquet, dans l’Histoire de Colbert, par M. P. Clément.) 1846. » pp. 294-312

Revenant à plus d’une reprise sur ce même ordre d’argumentation et usant de son droit d’avocat, Pellisson suppose, en lieu et place de Fouquet, le cardinal Mazarin en personne, questionné et chicané sur ce fait du maniement d’argent et obligé de rendre compte : En conscience, dit-il, quel homme de bon sens lui eût pu conseiller d’autre harangue que celle de Scipion : Voici mes registres, je les apporte, mais c’est pour les déchirer. […] Fouquet, bien que surintendant, avait gardé sa place de procureur général au parlement de Paris, ce qui rendait impossible de le faire juger par commissaires en violation des droits et privilèges de sa compagnie. […] Dans mon parfait désintéressement, j’ai peut-être le droit de dire ces choses, et l’exemple de Fouquet, qui y mêlait d’ailleurs un peu trop de pensions, me les suggère.

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