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1300. (1864) Études sur Shakespeare

Le théâtre s’empara sans crainte de ces sujets familiers à la multitude ; et les pièces historiques, sous le nom d’histoires, charmèrent les Anglais en leur retraçant le récit de leurs propres faits, le doux son des noms nationaux, le spectacle de leurs mœurs et la vie de toutes les classes, comprises toutes dans l’histoire politique d’un peuple qui a toujours pris part à ses affaires. […] Avons-nous donc perdu l’heureux pouvoir de nous prêter complaisamment à ses caprices, et n’aurions-nous plus dans l’imagination assez de vivacité, et dans les sentiments assez de jeunesse pour nous livrer à un plaisir si doux, sous quelque forme qu’il nous soit offert ? […] Qui ne croirait qu’une vie ainsi devenue honorable et douce retiendra longtemps Shakespeare au milieu de sociétés conformes aux besoins de son esprit et sur le théâtre de sa gloire ? […] Le premier mûrier qui ait été introduit dans le canton de Stratford, planté des mains de Shakespeare en un coin de son jardin, de Newplace, a durant plus d’un siècle attesté la douce simplicité des occupations qui remplissaient ses journées. […] Bien que cette malencontreuse réparation ait eu l’inconvénient d’altérer la physionomie du portrait de Shakespeare, elle n’a cependant pu tout à fait effacer, dit-on, cette expression de douce sérénité qui paraît avoir caractérisé la figure comme l’âme du poëte.

1301. (1924) Intérieurs : Baudelaire, Fromentin, Amiel

laissez-moi, mon front posé sur vos genoux, Goûter, en regrettant l’été blanc et torride, De l’arrière-saison le rayon pâle et doux. […] Le plus sage et le plus doux des jansénistes. […] Seul, au milieu du silence profond, un vent doux qui venait du Nord-Ouest et nous amenait lentement un orage, formait de légers murmures autour des joncs du marais. Je passai près d’une heure entière couché près de la source à regarder ce pays pâle, ce soleil pâle, à écouter ce vent si doux et si triste. […] « Je suis doux envers la destruction, dit Amiel, mais j’ai la mort dans l’âme, parce que je sens cette vie manquée et que je n’attends pas de revanche. » Être doux envers la destruction, peut-on appeler manquée une vie qui porte ce fruit ?

1302. (1857) Causeries du samedi. Deuxième série des Causeries littéraires pp. 1-402

Seulement il s’agit de savoir si une puissance fatale ou vengeresse a voulu, pour humilier l’homme dans ses ouvrages, qu’il ne pût y atteindre au beau, y mettre de l’émotion et de la flamme, y exercer sur ses semblables le plus doux et le plus séduisant de tous les prestiges, qu’en foulant aux pieds les lois divines, en glorifiant le mal, en outrageant le bien. […] ces doux enfants Qu’étreint le croup féroce en ses doigts étouffants ? […] La gravité et le sang-froid de l’historien se laissent gagner alors par l’onction pénétrante et douce du fidèle. […] Quoi qu’il en soit, Richelieu, de nos jours, a profité de ce rapprochement des contraires : mais il était clair qu’à sa mort il y aurait une réaction terrible, et que cette réaction anéantirait les conquêtes de sa politique, bouleverserait le royaume et peut-être le perdrait, s’il n’avait pas un successeur aussi habile et plus doux que lui ; car on réussit rarement deux fois de suite par les mêmes moyens. […] Et cependant on s’attendrit rien qu’en prononçant ce nom si mélancolique et si doux ; on la préfère à Élisabeth, non pas, hélas !

1303. (1872) Nouveaux lundis. Tome XIII « Ma biographie »

Après des mois d’ennuis et de fatigue ingrate, Lui, d’étude amoureux et que la Muse flatte, S’il a vu le moment qu’il peut enfin ravir, Sans oublier jamais son Virgile-elzévir, Il sortait ; il doublait la prochaine colline, Côtoyant le sureau, respirant l’aubépine, Rêvant aux jeux du sort, au toit qu’il a laissé, Au doux nid si nombreux et si tôt dispersé, Et tout lui déroulait, de plus en plus écloses, L’âme dans les objets, les larmes dans les choses. […] Homme doux et intègre, témoin éclairé et modéré de la Révolution, M. de Sainte-Beuve collectionnait en curieux et en homme qui s’y intéressait les journaux du temps (le Courrier de l’Égalité, le Journal de Paris) et un grand nombre de brochures. […] Il y a une petite fossette indiquée au menton ; le visage est rond et bien plein, le front large : une perruque poudrée encadre cette physionomie dont l’expression, dans son ensemble, est douce et pleine de bienveillance.

1304. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre premier. La structure de la société. — Chapitre III. Services locaux que doivent les privilégiés. »

Leur caractère n’a rien de féodal ; ce sont des gens « sensibles », doux, très polis, assez lettrés, amateurs de phrases générales, et qui s’émeuvent aisément, vivement, volontiers, comme cet aimable raisonneur le marquis de Ferrières, ancien chevau-léger, député de Saumur à l’Assemblée nationale, auteur d’un écrit sur le Théisme, d’un roman moral, de mémoires bienveillants et sans grande portée ; rien de plus éloigné de l’ancien tempérament âpre et despotique. […] La cour est un grand salon permanent, où « l’accès est libre et facile des sujets au prince », où ils vivent avec lui « dans une société douce et honnête, nonobstant la distance presque infinie du rang et du pouvoir », où le monarque se pique d’être un parfait maître de maison75. […] C’est le bon villageois, doux, humble, reconnaissant, simple de cœur et droit d’esprit, facile à conduire, conçu d’après Rousseau et les idylles qui se jouent en ce moment même sur tous les théâtres de société86.

1305. (1862) Cours familier de littérature. XIV « LXXXIe entretien. Socrate et Platon. Philosophie grecque (1re partie) » pp. 145-224

… » Examinant ensuite si l’amende ou l’exil serait une peine plus douce ou plus convenable pour lui : « Ce serait, dit-il, une belle existence pour moi, vieux comme je suis, de quitter mon pays, d’aller errant de ville en ville, et de vivre de la vie d’un proscrit !  […] Ceux qui sont reconnus incurables, à cause de l’énormité de leurs crimes, sont précipités dans le Tartare, d’où ils ne remontent jamais. » On est étonné ici de trouver dans un génie aussi doux que celui de Socrate le dogme de l’éternité des supplices. […] « Et déjà le coucher du soleil approchait, car il était resté longtemps enfermé avec les femmes et les enfants ; en rentrant, il s’assit sur son lit, et il n’eut pas le temps de nous parler beaucoup, car le geôlier entra presque en même temps, et, s’approchant de lui : « — Socrate, dit-il, j’espère que je n’aurai pas à te faire le même reproche qu’aux autres : dès que je viens les avertir, par ordre des magistrats, qu’il faut boire le poison, ils s’emportent contre moi et ils me maudissent ; mais pour toi, depuis que tu es ici, je t’ai toujours trouvé le plus courageux, le plus doux et le meilleur de ceux qui sont jamais venus dans cette prison, et en ce moment je suis bien sûr que tu n’es pas fâché contre moi, mais contre ceux qui sont cause de ton malheur… » Et en même temps il fondit en larmes en détournant son visage, et il se retira. » Socrate, le regardant, lui dit : « — Et toi aussi, reçois mes adieux ; je ferai comme tu as dit.

1306. (1865) Cours familier de littérature. XX « CXVIIe entretien. Littérature américaine. Une page unique d’histoire naturelle, par Audubon (1re partie) » pp. 81-159

Il n’y avait plus là que des lambeaux de papier déchiré, morcelé, presque en poussière ; lit commode et doux, sur lequel reposait toute une couvée de rats de Norwége. […] Nous choisissions pour salle à manger quelque buisson ombreux, tapissé d’une mousse verte et douce ; nous allumions du feu avec des branches sèches ; et je doute en vérité que jamais gastronome ait trouvé dans le luxe de sa table de plus exquises voluptés. […] Je me trouvais entre Shawancy et la crique du Canot ; le temps était beau ; l’air était doux ; je chevauchais lentement.

1307. (1889) Histoire de la littérature française. Tome III (16e éd.) « Chapitre neuvième »

Il lui fait peur des damoiseaux, des chaudières du diable ; il lui reproche son origine, la pauvreté d’où il l’a tirée : il pense la toucher, et il ne fait que rendre plus doux à Agnès, par la comparaison, le souvenir des tendresses d’Horace. […] les douces caresses   ! […] Fille respectueuse et attachée à ses parents, elle n’est pas dupe de leurs défauts ; et quand il y va de son bonheur, elle sait se défendre d’une main douce, mais ferme.

1308. (1886) Revue wagnérienne. Tome I « Paris, 8 mai 1885. »

Voyant que sa suggestion n’était accueillie que par un doux sourire, il bondit, selon son devoir, hors de la chambre, (le cœur gros), et courut, à toutes jambes, requérir quelques médecins-aliénistes pour fourrer à Bicêtre, le soir même, vu l’urgence, son malheureux protégé. […] Toutes les parties de cette musique nous montrent, — lorsque nous avons l’esprit dans l’état de veille, et les sens à jeun, — uniquement, un art d’accordance technique avec les lois de la Forme ; maintenant, se révèle à nous une vie tout faite d’esprit, une sensibilité douce tantôt, tantôt effrayante ; nous éprouvons, fiévreusement, le trouble, puis la paix, et les soupirs, et l’angoisse, et la plainte, et le transport ; tout cela semble avoir été pris au sol le plus profond de notre âme, et lui être rendu. […] Haydn fut et resta un serviteur princier, forcé à se soucier pour la distraction d’un seigneur ami de l’éclat… Il demeura toujours soumis et dévoué, et conserva, jusque sa vieillesse, la paix d’une âme sereine et bienveillante : seuls, dans son portrait, les yeux sont comme remplis d’une douce mélancolie.

1309. (1888) Revue wagnérienne. Tome III « VI »

Mais, voilà que lui apparaissent les œuvres de Beethoven ; voilà qu’il entend les derniers quatuors, et qu’une signifiance merveilleuse à lui s’en transissue ; et voilà qu’il se plonge en ces poèmes, les Symphonies, les Sonates, les Ouvertures, et qu’un univers nouveau naît à lui ; « maintenant se révèle une vie toute faite d’esprit, une sensibilité douce tantôt, tantôt effrayante ; fiévreusement, le trouble, puis la paix, et les soupirs et l’angoisse, et la plainte et le transport ; tout cela semble avoir été pris au sol le plus profond de l’âme, et lui être rendu » ; et il comprend que la musique est, non plus l’élargissement d’autres modes de vie artistique, mais le spécial langage du monde spécial de l’âme… « Tirésias avait vu se fermer, devant lui, le monde de l’apparence ; et il avait pu aussi contempler avec ses yeux intérieurs le fond même de toutes les apparences. » Alors qu’importent les jeux des circonstances vaines, et que veut cette chimère, l’action d’un drame extérieur ? […] (chant du matelot) en ce chant de naïve tristesse d’une âme que bercerait un doux amour éloigné et plein d’espérances ; puis, surgissante la passion, et ses cris où elle s’épanche, ses féroces silences, sa vie jubilante et désespérée… Oh, comme par les yeux de l’esprit je les vois, les âmes aimantes qu’attire et qu’emmène et qu’engouffre le gouffre du désir d’aimer, les pauvres âmes mortellement saisies et qui vainement se débattent sous le philtre spirituel de l’advenu irrévocable ! […] Et voilà un subit apaisement, l’entrée d’une naïveté, et l’éveil des douces offres enfleuries d’être, annonciatrices de celle qui devait venir ; Kundry ; des paroles ultérieurement survenues ; « vie et joie te saluent ! 

1310. (1887) Journal des Goncourt. Tome I (1851-1861) « Année 1860 » pp. 303-358

Année 1860 Jeudi 12 janvier Nous sommes dans notre salle à manger, cette jolie boîte tendue, fermée, plafonnée de tapisseries, où nous venons d’accrocher le triomphant Louis Moreau de la Revue du Roi, et qui est toute lumineuse et égayée des feux doux d’un lustre de cristal de Bohême. […] Les trois lumières dégradées, la pénombre entourant le vieillard, la douce lumière du ménage, le rayonnement des enfants, semblent l’admirable image de la famille : Soir, Midi, Aube. — Le Passé dans l’ombre bénissant, par-dessus le Présent éclairé, l’Avenir éblouissant. […] — a-t-il répondu d’une voix douce, éteinte, dolente et humble, — mais c’est mon poignet qui me fait mal !

1311. (1889) Écrivains francisés. Dickens, Heine, Tourguénef, Poe, Dostoïewski, Tolstoï « Charles Dickens »

Clennam dans La Petite Dorrit et tous les excellents jeunes gens et les douces jeunes filles qui se marient au dénouement de la plupart des récits de la première période. […] Il n’est pas dans Olivier Twist, jusqu’aux apprentis voleurs qui ne surprennent quelque sympathie, et l’on garde affection, tout en riant, au doux Tom Pinch de Chuzzlewitt, au forgeron Joe des Grandes Espérances, qui se laisse si aigrement morigéner par sa hargneuse moitié. […] Elles nous en reproduisent les puissantes émotions par une représentation fictive, dont la douleur et la crainte égoïste seules sont exclues ou plutôt transmuées en un doux et lent frémissement de lointaine anxiété, tandis que s’exaltent par contre ce que le monde contient de grand, d’intense, d’embrasé.

1312. (1856) Cours familier de littérature. I « IIIe entretien. Philosophie et littérature de l’Inde primitive » pp. 161-239

Et cependant je t’accuse, mais je te pardonne ; il n’y a pas de colère dans mes yeux, tant ma nature est douce, même contre mon assassin. […] Enfin le maître se transfigure entièrement en esprit, et foudroie le disciple anéanti dans sa divinité ; puis il reprend sa forme humaine douce et souriante, et l’instruit des devoirs du culte et de la morale. […] Telle me semble la vie des hommes sur cette terre, et sa durée d’un moment, comparée à la longueur du temps qui la précède et qui la suit : de l’hiver il repasse dans l’hiver. » L’air extérieur, la pluie, la neige, le vent, les frimas, c’est la condition de l’homme ; la salle chaude et abritée, c’est le progrès ; l’oiseau, c’est la civilisation qui traverse un moment cette douce température, mais qui, hélas !

1313. (1856) Cours familier de littérature. II « VIIIe entretien » pp. 87-159

Ce livre raconte en versets, dont chacun est un vers qui trouve son écho dans un autre vers, les pensées de Dieu, la création du monde en six grandes journées de l’ouvrier divin, qui sont peut-être des semaines de siècles ; la naissance du premier homme, son ennui solitaire dans l’isolement de son être, qui n’est qu’un morne ennui sans l’amour ; l’éclosion nocturne de la femme, qui sort, comme le plus beau des rêves, du cœur de l’homme ; les amours de ces deux créatures complétées l’une par l’autre dans ce premier couple dont le fils et les filles seront le genre humain ; leurs délices dans un jardin à demi céleste ; leur pastorale enchantée sous les bocages de l’Éden ; leur fraternité avec tous les animaux aimants qui parlaient alors ; leur liberté encore exempte de chute ; leur tentation allégorique de trop savoir le secret de la science divine, secret réservé seul au Créateur, inhérent à sa divinité ; leur faute, de curiosité légère chez la femme, de complaisance amoureuse chez l’époux ; leur tristesse après le péché, premier réveil de la conscience, cette révélation par sentiment du bien et du mal ; leur citation au tribunal divin ; les excuses de l’homme pour rejeter lâchement le crime sur sa complice, le silence de la femme, qui s’avoue coupable par les premières larmes versées dans le monde ; leur expulsion ; leur pèlerinage sur la terre devenue rebelle ; la naissance de leurs enfants dans la douleur ; le travail sous toutes les formes, premier supplice de l’humanité ; le premier meurtre faisant boire à la terre le sang de l’homme par la main d’un frère ; puis la multiplication de la race pervertie dans sa source ; puis le déluge couvrant les sommets des montagnes ; une arche sauvant un juste, sa famille, tous les animaux innocents ; puis la vie patriarcale, en familiarité avec des esprits intermédiaires appelés des anges, esprits tellement familiers qu’ils se confondent à chaque instant sur la terre avec les hommes, auxquels ils apportent les messages de Dieu ; puis un peuple choisi de la semence d’Abraham ; des épisodes naïfs et pathétiques, comme ceux de Joseph, de Tobie, de Ruth ; une captivité amère chez les Égyptiens ; un libérateur, un législateur, un révélateur, un prophète, un poète, un historien inspiré dans Moïse ; puis des annales pleines de guerres, de conquêtes, de politique, de liberté, de servitude, de larmes et de sang ; puis des prophètes moitié tribuns, moitié lyriques, gouvernant, agitant, subjuguant le peuple par l’autorité des inspirations, la majesté des images, la foudre de la langue, la divinité de la parole ; puis des grandeurs et des décadences qui montent et descendent de Salomon à Hérode ; puis l’assujettissement aux Romains ; puis un Calvaire, où un prophète plus surnaturel monte sur un autre arbre de science pour proclamer l’abolition de l’ancienne loi, et promulguer pour l’homme, sans acception de tribus, Juifs et païens, une loi plus douce scellée de son sang ; Puis une autre terre et un autre ciel pour l’univers romain devenu l’Europe. […] Énumérez seulement quelques-unes des conditions innombrables de ce qu’on nomme style, et jugez s’il est au pouvoir de la rhétorique de créer dans un homme ou dans une femme une telle réunion de qualités diverses : Il faut qu’il soit vrai, et que le mot se modèle sur l’impression, sans quoi il ment à l’esprit, et l’on sent le comédien de parade au lieu de l’homme qui dit ce qu’il éprouve ; Il faut qu’il soit clair, sans quoi la parole passe dans la forme des mots, et laisse l’esprit en suspens dans les ténèbres ; Il faut qu’il jaillisse, sans quoi l’effort de l’écrivain se fait sentir à l’esprit du lecteur, et la fatigue de l’un se communique à l’autre ; Il faut qu’il soit transparent, sans quoi on ne lit pas jusqu’au fond de l’âme ; Il faut qu’il soit simple, sans quoi l’esprit a trop d’étonnement et trop de peine à suivre les raffinements de l’expression, et, pendant qu’il admire la phrase, l’impression s’évapore ; Il faut qu’il soit coloré, sans quoi il reste terne, quoique juste, et l’objet n’a que des lignes et point de reliefs ; Il faut qu’il soit imagé, sans quoi l’objet, seulement décrit, ne se représente dans aucun miroir et ne devient palpable à aucun sens ; Il faut qu’il soit sobre, car l’abondance rassasie ; Il faut qu’il soit abondant, car l’indigence de l’expression atteste la pauvreté de l’intelligence ; Il faut qu’il soit modeste, car l’éclat éblouit ; Il faut qu’il soit riche, car le dénûment attriste ; Il faut qu’il soit naturel, car l’artifice défigure par ses contorsions la pensée ; Il faut qu’il coure, car le mouvement seul entraîne ; Il faut qu’il soit chaud, car une douce chaleur est la température de l’âme ; Il faut qu’il soit facile, car tout ce qui est peiné est pénible ; Il faut qu’il s’élève et qu’il s’abaisse, car tout ce qui est uniforme est fastidieux ; Il faut qu’il raisonne, car l’homme est raison ; Il faut qu’il se passionne, car le cœur est passion ; Il faut qu’il converse, car la lecture est un entretien avec les absents ou avec les morts ; Il faut qu’il soit personnel et qu’il ait l’empreinte de l’esprit, car un homme ne ressemble pas à un autre ; Il faut qu’il soit lyrique, car l’âme a des cris comme la voix ; Il faut qu’il pleure, car la nature humaine a des gémissements et des larmes ; Il faut… Mais des pages ne suffiraient pas à énumérer tous ces éléments dont se compose le style. […] Tous ensemble, en quelque degré de sa confiance qu’il vous ait reçus, environnez ce tombeau ; versez des larmes avec des prières ; et, admirant dans un si grand prince une amitié si commode et un commerce si doux, conservez le souvenir d’un héros dont la bonté avait égalé le courage.

1314. (1861) Les œuvres et les hommes. Les historiens politiques et littéraires. II. « III. M. Michelet » pp. 47-96

Ainsi encore, après Théroigne de Méricourt, une figure moins terrible, une sainte plus douce, Mme Kéralio, Mme Robert, une fille noble, mal mariée, devenue ambitieuse et tombée à force d’abjection et de folie dans le mépris de Mme Roland et si bas que M.  […] Nous l’avions cru, et il nous eût été doux de rendre compte d’un tel ouvrage ; il nous eût été doux de démontrer la différence qu’il y a entre les héroïnes de la foi en Dieu et les héroïnes de la foi en soi-même, car, malgré l’éternelle mêlée des systèmes et le fourré des événements, il n’y a que cela dans le monde, le parti de Dieu ou le parti de l’homme, et il faut choisir !

1315. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Charles-Victor de Bonstetten. Étude biographique et littéraire, par M. Aimé Steinlen. — III » pp. 455-479

L’esprit brillant s’annonce par un doux frémissement, qui anime à la fois toutes les idées chez les personnes bienveillantes qui l’entendent. […] L’un d’eux m’écrivait à son sujet avec cette aigreur doucereuse qu’ont aisément les dévots de toutes les sectes : « Son souvenir est resté cher et doux, mais peu vénérable à Genève où les mérites solides sont seuls en honneur. » 96.

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