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341. (1862) Cours familier de littérature. XIII « LXXVIe entretien. La passion désintéressée du beau dans la littérature et dans l’art. Phidias, par Louis de Ronchaud (1re partie) » pp. 177-240

et plût aux Dieux que je n’eusse été qu’un pauvre émondeur de saules sur les rives du lac ou du Mincio, dans cette laiteuse Lombardie, Bresse de l’Italie !  […] Les jeunes hommes sérieux tels que Louis de Ronchaud n’ont point de ces irrévérences ; pour eux, ce qui est beau est dieu ; ils ne profanent ni une pierre ni un homme, de peur d’y profaner une divinité cachée dans l’art ou dans l’artiste. […] » XLII Et en effet, le jeune maître faisait en silence deux choses mystérieuses et presque sataniques pour le pauvre ignorant de nos campagnes et de nos villes ; il ressuscitait la chevalerie par la poésie dans ses chants, et il ressuscitait le grand art dans ses veilles en écrivant son Phidias ; Phidias, l’art incarné, le créateur des marbres, le dieu de la sculpture et de l’architecture, le révélateur du beau dans la pierre, le créateur enfin du Parthénon, cette cathédrale d’une religion qui allait mourir dans un temple qui ne mourra pas ! […] Il semble que des rayons du pur soleil d’Attique pénètrent de toute part ce style, comme il pénètre, au lever du jour, les marbres translucides du Parthénon pour les faire descendre dans l’œil fasciné du voyageur ignorant comme moi, et pour les faire exclamer d’enthousiasme : Voilà le vrai, voilà le beau, voilà la divinité des lignes, voilà l’habitation des dieux sur la terre !

342. (1869) Cours familier de littérature. XXVIII « CLXIVe entretien. Chateaubriand, (suite.) »

Le dieu n’est point anéanti, parce que le temple est désert. […] Le style était admirable, resplendissant, unanime ; ceux qui ne croyaient qu’à la Fable retrouvèrent leurs dieux sous les bocages du Céphise ; ceux qui ne croyaient qu’au Golgotha lisaient à genoux au pied du Calvaire. […] L’amour est un dieu sans miséricorde, parce qu’il est absolu. […] Il dut y avoir à la fin du paganisme des hommes supérieurs, d’abord chrétiens, puis ramenés aux dieux de leur jeunesse par la poésie de l’Olympe et par la facilité d’un vieux culte rétabli ; flottant d’une religion à l’autre, écrivant tantôt pour la nouvelle, tantôt pour l’ancienne foi de Rome, et mourant héroïquement comme Julien l’Apostat, en lançant au ciel le reproche terrible où le doute retentit à travers ces âges : « Tu as vaincu, Galiléen ! 

343. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Histoire du Consulat et de l’Empire, par M. Thiers. Tome IXe. » pp. 138-158

C’est, je crois, Machiavel qui l’a dit : « Les hommes qui, par les lois et les institutions, ont formé les républiques et les royaumes, sont placés le plus haut, sont le plus loués après les dieux. » Napoléon est l’un de ces mortels qui, par la grandeur des choses qu’ils conçoivent et qu’en partie ils exécutent, se placeraient aisément dans l’imagination primitive des peuples presque à côté des dieux. […] Littérairement, Bossuet, Molière et Racine sont ses dieux, et, en cela, il a la religion du grand nombre ; mais il a plus que personne ses préférences et ses exclusions : il est pour Racine presque contre Corneille, pour Voltaire décidément contre Jean-Jacques.

344. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Le Brun-Pindare. » pp. 145-167

Il respire dans cette pièce un profond sentiment de la justice que la postérité accorde aux œuvres durables et aux monuments élevés avec lenteur : Flatté de plaire aux goûts volages, L’Esprit est le dieu des instants. Le Génie est le dieu des âges : Lui seul embrasse tous les temps. […] Peignant l’Envie s’attaquant à Montesquieu vivant, il ajoute : Mais quand la Parque inexorable Frappa cet homme irréparable, Nos regrets en firent un dieu.

345. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Montesquieu. — I. » pp. 41-62

Ici, il me semble voir dans Montesquieu un de ces dieux bienfaiteurs de l’humanité, mais qui n’en partagent point la tendresse. […] Si les Mexicains, par exemple, avaient eu un Descartes avant le débarquement des Espagnols, Fernand Cortez ne les aurait point conquis ; car l’effroi qu’ils eurent des Espagnols, et cette idée que ces étrangers étaient des dieux, n’était « qu’un simple effet de l’ignorance d’un principe de philosophie ». […] [NdA] Montesquieu est de la même religion que Polybe lorsque ce dernier parle si bien de la bonne influence de l’opinion religieuse sur la moralité des Romains : « C’est donc avec grande raison que les anciens ont répandu parmi le peuple qu’il y avait des dieux, etc. » 14.

346. (1872) Les problèmes du XIXe siècle. La politique, la littérature, la science, la philosophie, la religion « Livre II : La littérature — Chapitre II : La littérature du xviie  siècle »

Rabelais, Calvin, Montaigne, Malherbe, Corneille, Descartes, Pascal, Racine et Boileau, Molière et La Fontaine, Bossuet et Fénelon, Voltaire et Montesquieu, sont l’un après l’autre les divers oracles par lesquels s’exprime ce dieu caché, ce dieu interne qui est l’esprit humain, sous la forme de l’esprit français. […] Pour moi, je l’en loue de tout mon cœur, car vraiment n’était-ce pas une chose triste de voir, comme on l’a vu il y a trente ans, un grand pays se dépouiller de gaieté de cœur de toutes ses admirations et de toutes ses gloires, et les sacrifier à des dieux étrangers ?

347. (1875) Premiers lundis. Tome III « M. Troplong : De la chute de la République romaine »

Il fait voir la contradiction révoltante qu’il y avait à mettre sous la protection de Néron un poëme soi-disant écrit pour restaurer l’idée de République et de liberté : « Que si les Destins n’ont pas trouvé d’autre chemin pour frayer la route à Néron, s’écrie en commençant le poëte, si les règnes immortels et divins s’achètent toujours cher, et si pour assurer l’empire du Ciel à Jupiter, il fallait les horribles batailles des géants, alors, ô Dieux ! […] Son orgueil, c’est de faire dire dans ce vers célèbre que si tous les Dieux sont d’un côté, seul il fait contrepoids en étant de l’autre.

348. (1861) La Fontaine et ses fables « Première partie — Chapitre IV. L’écrivain (suite) »

Les Ausone, les Fortunat, les Aper scandent des vers et des périodes bien latines ; au-dessous d’eux le pauvre colon gaulois murmure tout bas une prière aux dieux de ses bois et de ses fontaines, on ne l’aperçoit que par hasard dans un barbarisme dont s’amuse un auteur curieux. […] Le même conteur gambade parmi les drôleries irrévérencieuses, et peint en vers magnifiques la majesté des dieux dont le regard perce en un éclair tous les abîmes du coeur.

349. (1889) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Quatrième série « Ernest Renan, le Prêtre de Némi. »

Arrive une députation des Aquicoles : il s’agit de donner une nouvelle constitution à leur cité. « Toutes les victimes nécessaires pour obtenir l’assistance des dieux, nous les fournirons  Consultez l’esprit des pères, répond Antistius ; pratiquez la justice et respectez les droits des hommes  Hé ! […] Car Antistius croit en Dieu, ou plutôt, comme il est impossible que la conception d’un Dieu personnel ne tourne pas à l’anthropomorphisme, il croit au divin. « Les dieux sont une injure à Dieu ; Dieu sera, à son tour, une injure au divin. » Il croit à la raison, à un ordre éternel.

350. (1902) L’humanisme. Figaro

Comme c’est avec des mots qu’on gouverne les hommes, et que le jour où les dieux s’en vont, les mots restent — nomina, numina, — il faut d’abord définir l’humanisme, s’entendre sur l’humanisme. […] Il n’est pas nouveau, comme vous le croyez ; il est même vieux et absolument démodé, il date de 1830, il est tout entier chez Musset et les premiers romantiques : J’y saluerais d’abord l’homme qui s’est fait dieu.

351. (1885) Préfaces tirées des Œuvres complètes de Victor Hugo « Préfaces des pièces de théâtre — Préface des « Burgraves » (1843) »

Il n’apercevait pas à l’horizon l’immense Prométhée couché, comme une montagne sur une montagne, sur des sommets entourés de tempêtes, car les dieux avaient rendu Prométhée invisible ; mais à travers les branchages des vieux chênes les gémissements du colosse arrivaient jusqu’à lui, passant ; et il entendait par intervalles le monstrueux vautour essuyer son bec d’airain aux granits sonores du mont Othrys. Par moments, un grondement de tonnerre sortait du mont Olympe, et dans ces instants-là le voyageur épouvanté voyait se soulever au nord, dans les déchirures des monts Cambuniens, la tête difforme du géant Hadés, dieu des ténèbres intérieures ; à l’orient, au-delà du mont Ossa, il entendait mugir Céto, la femme baleine ; et à l’occident, par-dessus le mont Callidrome, à travers la mer des Alcyons, un vent lointain, venu de la Sicile, lui apportait l’aboiement vivant et terrible du gouffre Scylla.

352. (1824) Notes sur les fables de La Fontaine « Livre septième. »

le repos, trésor si précieux, Qu’on en faisait jadis le partage des dieux ? […] Où du sang des dieux même on vit le Xanthe teint.

353. (1885) Les œuvres et les hommes. Les critiques, ou les juges jugés. VI. « Rigault » pp. 169-183

le dieu de la poésie classique !  […] « C’était un sceptique qui admettait des dieux pour être tranquille. » Je ne vous demandais pas le motif, monsieur !

354. (1861) Les œuvres et les hommes. Les historiens politiques et littéraires. II. « XIII. M. Nicolardot. Ménage et Finances de Voltaire » pp. 297-310

Pour ce biographe intelligent, Voltaire n’est pas un dieu tombé dont il veuille expliquer l’empire et le culte abolis. C’est un dieu debout qui continue de régner sur l’opinion subjuguée, et qu’il est bon de révéler tout entier pour le faire renier à la foule de ses adorateurs.

355. (1909) Les œuvres et les hommes. Philosophes et écrivains religieux et politiques. XXV « Edgar Quinet »

— Ce n’est pas en vain que tant de dieux y avaient séjourné longtemps. […] » Dans le crâne plus élevé d’Engis, il trouve « derrière ce front bosselé un petit monde d’idées déjà hautes, premières lueurs entrevues d’une société durable, — (quoiqu’elle n’ait pas duré, ) — premier instinct de l’art du dessin, pressentiment d’un dieu naissant, crainte et stupeur du fétiche… » Il n’a, lui, crainte ni stupeur de la bêtise. « Physiologie, — dit-il en se résumant, avec une sécurité grave, — physiologie du monde quaternaire.

356. (1889) Les œuvres et les hommes. Les poètes (deuxième série). XI « André Chénier »

Il a oublié que le mystère va bien aux poètes, ces dieux, et que toute divinité est mystérieuse. […] — invinciblement l’attirait, André Chénier ne savait pas, comme disent les poètes, quel dieu il portait dans son sein.

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