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394. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « MME DESBORDES-VALMORE. (Les Pleurs, poésies nouvelles. — Une Raillerie de l’Amour, roman.) » pp. 91-114

Les ressources de la création, que ce soit Dieu qui crée dans la nature, ou l’homme qui crée dans l’art, sont si complexes et si mystérieuses, que toujours, en cherchant bien, quelque composé nouveau vient déjouer nos formules et troubler nos méthodiques arrangements. […] » Lamartine a merveilleusement exprimé comment, de tous ces fragments brisés d’une vie si douloureuse, il résultait une plus touchante harmonie ; ce tendre et bienfaisant consolateur, que nul désormais ne consolera38, a dit en s’adressant à Mme Valmore : Du poëte c’est le mystère : Le luthier qui crée une voix Jette son instrument à terre, Foule aux pieds, brise comme un verre L’œuvre chantante de ses doigts Puis d’une main que l’art inspire, Rajustant ces fragments meurtris, Réveille le son et l’admire, Et trouve une voix à sa lyre Plus sonore dans ses débris !

395. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Seconde partie. De l’état actuel des lumières en France, et de leurs progrès futurs — Chapitre V. Des ouvrages d’imagination » pp. 480-512

L’ordre social qui, chez les anciens, créait des esclaves, creusait encore plus avant l’abîme de la misère, élevait encore plus haut la fortune, et donnait à la destinée humaine des proportions vraiment théâtrales. […] La poésie d’imagination ne fera plus de progrès en France : l’on mettra dans les vers des idées philosophiques, ou des sentiments passionnés ; mais l’esprit humain est arrivé, dans notre siècle, à ce degré qui ne permet plus ni les illusions, ni l’enthousiasme qui crée des tableaux et des fables propres à frapper les esprits. […] À quelque perfection que l’on portât l’étude des ouvrages des anciens, on pourrait les imiter ; mais il serait impossible de créer comme eux dans leur genre.

396. (1887) Discours et conférences « Réponse au discours de M. Louis Pasteur »

C’est la conviction qui crée la vertu. […] Vous avez mille fois raison, Monsieur, quand vous mettez au-dessus de tout pour le progrès de l’esprit humain le savant, qui fait des expériences et crée des résultats nouveaux. […] Soyez donc indulgent, Monsieur, pour des études où l’on n’a pas, il est vrai, l’instrument de l’expérience, si merveilleux entre vos mains, mais qui, néanmoins, peuvent créer la certitude et amener des résultats importants.

397. (1880) Les deux masques. Première série. I, Les antiques. Eschyle : tragédie-comédie. « Chapitre IX, les mythes de Prométhée »

Le Feu crée la famille en fondant le foyer ; il lui apprend à s’aimer en la groupant autour de sa flamme. […] Bien plus, c’est Prométhée qui a créé les hommes en les pétrissant dans le limon du Chaos. […] Dans les autres Mythologies, l’homme est créé d’une façon baroque : l’engendrement dont il naît ressemble à un cas tératologique, — Belus, dans la Phénicie, l’extrait de la tête coupée d’une déesse informe.

398. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome second — Livre cinquième. Principales idées-forces, leur genèse et leur influence — Chapitre sixième. Genèse et action des idées de réalité en soi, d’absolu, d’infini et de perfection »

La pensée crée de toutes pièces la notion d’absolu en niant ses propres conditions, et en supposant que quelque chose est encore possible ou réel en dehors de ces conditions, en dehors même de toute condition et de toute relation. […] Par-là, je crée moi-même en moi l’idée de perfection. […] L’impossibilité pour la volonté et la pensée de sortir de sa propre nature crée la nécessité subjective, laquelle produit la nécessité et l’universalité objectives.

399. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « X. Ernest Renan »

Renan ne craint pas de dire qu’il crée la sainteté de ce qu’il croit et la beauté de ce qu’il aime. […] La Critique n’a point à créer d’importances en s’acharnant sur des théories méprisables. […] Renan prétende que le sourd-muet se crée tout seul des moyens d’expression (page 97) supérieurs à ceux qu’on lui enseigne ; ce qui prouve que l’abbé de l’Épée était un sot.

400. (1868) Curiosités esthétiques « VI. De l’essence du rire » pp. 359-387

Dans le paradis terrestre (qu’on le suppose passé ou à venir, souvenir ou prophétie, comme les théologiens ou comme les socialistes), dans le paradis terrestre, c’est-à-dire dans le milieu où il semblait à l’homme que toutes les choses créées étaient bonnes, la joie n’était pas dans le rire. […] La première est créée par la séparation primitive du comique absolu d’avec le comique significatif ; la seconde est basée sur le genre de facultés spéciales de chaque artiste. […] Les artistes créent le comique ; ayant étudié et rassemblé les éléments du comique, ils savent que tel être est comique, et qu’il ne l’est qu’à la condition d’ignorer sa nature ; de même que, par une loi inverse, l’artiste n’est artiste qu’à la condition d’être double et de n’ignorer aucun phénomène de sa double nature.

401. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Première partie. — Chapitre X. »

Par un art nouveau, que le poëte créait comme ses acteurs et son théâtre, par un secret qui n’est qu’à lui, son hymne est un drame, son accent inspiré passe à ses personnages ; et vous avez à la fois sous les yeux le délire de l’enthousiasme et l’action vraie de la scène. […] C’était là qu’apparaissait, dans sa plus haute puissance, cette invention du théâtre parée de tous les arts qui faisaient cortège à la poésie, cette tragédie, créée depuis un demi-siècle, relief des festins d’Homère, disait Eschyle, y mêlant le spectacle, la musique et le chant, image sublime des temps fabuleux de la Grèce, mais encore assortie à son âge politique et guerrier ; école d’héroïsme comme de génie, où les vainqueurs, en se célébrant eux-mêmes, s’engageaient de nouveau à vaincre pour leur pays. […] Si on songe, d’ailleurs, à cette orchestique, ou danse mêlée de chants, qui formait une des représentations de la scène antique, et si d’autre part on remarque, dans la liste non contestée des chants du poëte thébain, un ordre de poésies lié, sous le nom d’Hyporchèmes, aux danses religieuses et guerrières, on concevra sans peine que, dans la critique indigeste de Suidas, ce titre ait pu se confondre avec l’idée du drame orchestique, et que la mention en ait ainsi créé, par double emploi, un théâtre de Pindare dont l’antiquité n’avait pas ouï parler.

402. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Béranger — Béranger, 1833. Chansons nouvelles et dernières »

Béranger, dans ce dernier volume, en donnant le rôle principal aux chansons et ballades de cette espèce, a su triompher de toutes les difficultés nouvelles qu’il se créait. […] Les Contrebandiers ne sont pas seulement, comme les Bohémiens, un délirant caprice de vie aventurière, de liberté sans frein et de migration sans but ; les Contrebandiers ne sont pas les enfants perdus et incorrigibles des races dispersées ; ce sont, comme Béranger le conçoit, les sentinelles avancées, les éclaireurs hasardeux d’une civilisation qui s’approche : Nos gouvernants, pris de vertige, Des biens du ciel triplant le taux, Font mourir le fruit sur sa tige, Du travail brisent les marteaux, Pour qu’au loin il abreuve Le sol et l’habitant, Le bon Dieu crée un fleuve ; Ils en font un étang.

403. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre XV. De l’imagination des Anglais dans leurs poésies et leurs romans » pp. 307-323

Ce sont les Anglais enfin qui ont fait des romans des ouvrages de morale, où les vertus et les destinées obscures peuvent trouver des motifs d’exaltation, et se créer un genre d’héroïsme. […] chacun des deux n’embrasse-t-il pas, dans l’objet qu’il aime, tout ce que l’imagination peut se créer, tout ce qu’un cœur abandonne à l’espérance pourrait souhaiter ?

404. (1913) Les antinomies entre l’individu et la société « Chapitre III. L’antinomie dans la vie affective » pp. 71-87

Les exigences de notre sensibilité ne plaident donc pas en faveur de l’isolement, mais plutôt en faveur de la coopération qui seule procure une satisfaction relative à ses prétentions, après les avoir créées en partie. […] On peut admettre, pour faire la part de la sociabilité, que l’incohérence sentimentale qui caractérise la sensibilité humaine est en partie créée ou tout au moins favorisée par l’état de discorde et d’incohérence des institutions sociales, par ce que les sociologues appellent le manque d’intégration sociale.

405. (1920) La mêlée symboliste. I. 1870-1890 « La Plume » pp. 129-149

J’avoue qu’il fallait aux récitants un fameux estomac, un tempérament d’arriviste à tous crins pour supporter l’insolence des face-à-main et des monocles hostiles braqués sur eux : un public de snobs amateurs et de mondaines désœuvrées créait une atmosphère de music-hall où le poète devait vite faire place au cabotin. […] Quelques-uns nous disent : « Vous n’êtes que l’ébauche d’un idéal futur ; vous vivez à une époque de transition où rien ne se peut créer de définitif.

406. (1863) Histoire des origines du christianisme. Livre premier. Vie de Jésus « Chapitre I. Place de Jésus dans l’histoire du monde. »

Alors vécut une personne supérieure qui, par son initiative hardie et par l’amour qu’elle sut inspirer, créa l’objet et posa le point de départ de la foi future de l’humanité. […] Ce grand livre une fois créé, l’histoire du peuple juif se déroule avec un entraînement irrésistible.

407. (1863) Histoire des origines du christianisme. Livre premier. Vie de Jésus « Chapitre VII. Développement des idées de Jésus sur le Royaume de Dieu. »

Un ciel nouveau sera créé, et le monde entier sera peuplé d’anges de Dieu 351. […] Par ce mot : « Rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu », il a créé quelque chose d’étranger à la politique, un refuge pour les âmes au milieu de l’empire de la force brutale.

408. (1904) Prostitués. Études critiques sur les gens de lettres d’aujourd’hui « Chapitre VIII. Quelques étrangères »

Mais ici l’amant qui abandonne ne regrette point de faire souffrir, n’hésite point devant la souffrance qu’il crée ; il en jouit et, pour renouveler son ignoble plaisir, il s’applique à la multiplier, à la diversifier. […] Cervantès, au contraire, héros bafoué par la vie, crée un être réel et noble, puis il le livre à l’insulte des basses réalités.

409. (1880) Les deux masques. Première série. I, Les antiques. Eschyle : tragédie-comédie. « Chapitre XIII, les Atrides. »

L’Orestie fut le couronnement de l’œuvre d’Eschyle, son enfantement extrême et suprême ; il avait soixante-six ans lorsqu’il la créa. […] Le Destin crée des générations de crimes, des lignées de monstres, des postérités d’homicides.

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