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1347. (1912) Chateaubriand pp. 1-344

Me voilà tel que le Tout-Puissant m’a créé, souverain de la nature, porté triomphant sur les eaux, tandis que les habitants du fleuve accompagnent ma course, que les peuples de l’air m’enchantent de leurs hymnes, que les bêtes de la terre me saluent, que les forêts courbent leur cime sur mon passage. […] C’est un état intermédiaire, non pas peut-être créé, mais perfectionné par l’intelligence humaine. […] Puis, en poursuivant d’une haine pareille les nobles et les prêtres, la Révolution avait créé entre eux une solidarité que les plus corrompus même de l’ancien régime acceptaient par point d’honneur. […] Chateaubriand aurait répondu : « Mon plus beau rêve serait d’obtenir de votre enchanteur cinq architectes et cinq millions pour aller en son nom rebâtir le temple de Jérusalem qui vient d’être brûlé » ; puis il aurait demandé qu’on créât pour lui un « ministère des bibliothèques de l’Empire ». […] Ce n’est pas non plus par le don de créer et de faire agir des personnages différents de lui, à la façon des grands dramaturges et des grands romanciers.

1348. (1888) Impressions de théâtre. Première série

Et même, à mesure que ce rideau descendra, il créera entre la salle et la scène un courant d’air de plus en plus violent, l’ouverture étant de plus en plus étroite. […] Sévère, lui, n’est qu’un aimable homme, un doux philosophe pyrrhonien, honnête par nature et par goût, mais qui ne se crée point de devoirs imaginaires et qui ne prend point la vie avec emphase. […] Au reste, c’est seulement par ce procédé que le poète peut créer vraiment des êtres humains non prévus par Dieu. […] Dumas fils, rien qu’en transportant la même histoire dans une classe supérieure (Denise), s’est créé des difficultés dont lui seul peut-être pouvait triompher. […] C’est moi qui a vécu, et non pas un être factice créé par mon orgueil et mon ennui. » — « Quel songe avons-nous fait, Camille ?

1349. (1863) Causeries parisiennes. Première série pp. -419

Chez nous on créera peut-être une Direction générale des Drilles impériales. […] Il ne sera peut-être pas sans intérêt de le rechercher aujourd’hui que les vacances des tribunaux ont créé une trêve dans ces émotions de cour d’assises et de police correctionnelle. […] vous prenez Dieu pour type absolu, et de même qu’il produit et règle l’éternelle activité, vous voulez que l’homme crée et ordonne sans cesse la prospérité de son milieu par un travail sans relâche !  […] L’art n’est qu’une manifestation, et ne pourra jamais créer ce qui préexiste à lui et lui est supérieur. […] Veuillot qu’ils « auraient sauvé beaucoup de choses qui vont périr et que même ils en auraient créé quelques-unes qui eussent vécu ».

1350. (1906) La rêverie esthétique. Essai sur la psychologie du poète

Pour les modifier si peu que ce soit, à plus forte raison pour en créer de toutes nouvelles, il vous faudrait une grande application. […] Ce détachement de soi n’est vraiment accompli que lorsque, dans l’esprit du dramaturge, les êtres qu’il a créés commencent à s’objectiver, à vivre d’une vie indépendante, au point que désormais on ne leur fera plus faire ce qu’on veut : ils se refuseraient à accomplir des actions qui ne seraient pas dans leur caractère. […] « Le génie doit créer comme l’imagination travaille, obéissant à une loi, poursuivant un but sans avoir conscience de l’un ni de l’autre. […] Il arrive ainsi à se créer une mentalité nouvelle, correspondant à sa fonction spéciale et à son idéal d’art : il se fait une âme de pur imaginatif. […] Un chef-d’œuvre ne se crée pas sans travail.

1351. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre II. La Renaissance. — Chapitre I. La Renaissance païenne. » pp. 239-403

Une chaleur d’âme extraordinaire, une imagination surabondante et magnifique, des demi-visions, des visions entières, des artistes, des croyants, des fondateurs, des créateurs, voilà ce qu’une pareille forme d’esprit produit au jour ; car pour créer il faut avoir, comme Luther et saint Ignace, comme Michel-Ange et Shakspeare, une idée non pas abstraite, partielle et sèche, mais figurée, achevée et sensible, une vraie créature qui s’agite intérieurement et fait effort pour apparaître à la lumière. […] L’invraisemblance ne les choquait pas ; ce n’étaient pas des imitateurs minutieux, des observateurs de mœurs ; ils créaient ; la campagne, pour eux, n’était qu’un cadre, et le tableau tout entier était sorti de leurs rêves et de leur cœur. […] Comme Rubens, il crée de toutes pièces, en dehors de toute tradition, pour exprimer de pures idées. […] Ils n’ont plus cette large conception, cette pénétration involontaire, par laquelle l’homme s’assimilait les objets et devenait capable de les créer une seconde fois. […] Aujourd’hui nous apprenons qu’on a créé de nouveaux seigneurs et officiers, demain qu’il y a des grands déposés, puis que de nouveaux honneurs ont été conférés.

1352. (1817) Cours analytique de littérature générale. Tome I pp. 5-537

Ce sentiment a créé les beaux-arts, dont les ouvrages sont comme autant de fidèles miroirs où l’homme regarde la nature, et se contemple encore soi-même. […] La poésie invente les héros qu’elle anime, ou corrige les mœurs de ceux qu’elle imite ; et c’est ainsi qu’elle crée, pour l’admiration des hommes, des modèles plus qu’humains par leur sublimité, et dont les actions feintes deviennent les exemples vivants de la véritable grandeur et les types invariables de la justice et de la vertu dont elle inspire l’amour. […] Nous lisons dans l’Art poétique ce vers charmant : « Le Français, né malin, créa le vaudeville. […] Aucun auteur ne créa plus de grands simulacres et ne marcha plus escorté que lui de héros nés de son invention, il suffit, pour en être étonné, d’en faire le dénombrement. […] Peut-être plaindrez-vous un peu l’homme qui vous parle ici, passionné pour un art qu’il s’essaya de cultiver, n’aimant à l’envisager que dans ses effets de prestige sur les peuples, n’en ayant médité la théorie que pour mieux jouir du charme de la pratique, et préférant créer de poétiques chimères à enseigner comment on les crée ; il est coûteux pour lui de se dépouiller de toute illusion en vous en expliquant les ressorts et en détruisant pour vous-mêmes leur appareil merveilleux par le soin qu’il va prendre de vous en dévoiler l’artifice et la magie.

1353. (1894) La bataille littéraire. Cinquième série (1889-1890) pp. 1-349

Il crée parce que c’est sa fonction de Dieu ; mais il est ignorant de ce qu’il fait, stupidement prolifique, inconscient des combinaisons de toutes sortes produites par ses germes éparpillés. […] Voyez-vous, mon cher, la femme n’est créée et venue en ce monde que pour deux choses, qui seules peuvent faire épanouir ses vraies, ses grandes, ses excellentes qualités : l’amour et l’enfant. […] Là où jusqu’à présent la science n’a vu que le vide et la mort, sa logique très serrée nous montre partout la chose créée et la vie pour l’éternité. […] Plaintes de Paris à Bruxelles, recherche et prise du coupable… Force me fut de revenir à Paris sans lui ; il s’était créé en prison des distractions auxquelles n’était point étrangère la fille d’un geôlier ! […] Nous n’avions créé que le désordre, et il a fallu aller chercher les éléments de l’ordre dans les coutumes des vaincus que nous avions méprisés, et auxquels nous avons quelquefois donné le droit de nous mésestimer et de nous haïr.

1354. (1782) Essai sur les règnes de Claude et de Néron et sur la vie et les écrits de Sénèque pour servir d’introduction à la lecture de ce philosophe (1778-1782) « Essai, sur les règnes, de Claude et de Néron. Livre second » pp. 200-409

S’il est éternel, voilà donc un être absolu et indépendant de la puissance des dieux ; s’il ne l’est pas, il a été créé. S’il a été créé ; avant sa création, ou il manquait quelque chose à la gloire et à la félicité des dieux, et les dieux étaient malheureux ; ou il ne manquait rien à leur gloire ni à leur félicité, et, cela supposé, la création du monde, superflue pour eux, n’eut pour objet que l’avantage des êtres créés. Si la création du monde n’eut pour objet que l’avantage des êtres créés, pourquoi y eut-il des bons et des méchants ? […] » Mais, dit l’Épicurien, si la vertu de Caton ne put éclater sans l’ambition de César, pourquoi créer l’un et l’autre ? […] Alors on saurait peut-être si le mouvement est essentiel à la matière, et si la matière est créée ou incréée ; créée ou incréée, si sa diversité ne répugne pas plus à la raison que sa simplicité : car ne n’est peut-être que par notre ignorance que son unité ou homogénéité nous paraît si difficile à concilier avec la variété des phénomènes330.

1355. (1910) Victor-Marie, comte Hugo pp. 4-265

Cela crée une amitié propre. […] Qu’il y aurait, qu’échappé de mes mains il serait créé ce malentendu par changement de mains, qu’il serait créé cette offense, fausse, réelle, par changement de sens, par changement de plan, par changement de langage. […] Non plus seulement un Adam charnel, créé, tenté, perdu, chassé, père de tout homme, mais un deuxième Adam charnel, enfanté, élu, choisi père d’un peuple élu. […] Puis de part et d’autre un morceau d’un vers et demi qui de part et d’autre crée une première suspension, un premier degré, dans la suspension, une première attente : Le croissant fin et clair parmi ces fleurs de l’ombre Brillait à l’occident, Or, la porte du ciel s’étant entre-bâillée Au-dessus de sa tête,   Enfin la pierre angulaire d’un demi-vers qui crée une nouvelle attente, qui met, qui tient, qui laisse tout en suspens, en attente au deuxième degré :                              et Ruth se demandait,                              un songe en descendit. […] Ils ne réussissent ainsi qu’à créer des confusions, une confusion générale, qui seraient joyeuses, si elles n’étaient aussi profondément tristes.

1356. (1870) Portraits contemporains. Tome IV (4e éd.) « M. FAURIEL. —  première partie  » pp. 126-268

Non que, de prime abord, je suppose la moyenne de nos lecteurs en mesure de sentir et d’apprécier les observations générales qui font ressortir l’importance du système dramatique créé en partie et suivi par Alexandre ; ils n’entendront pas très-bien non plus les observations de détail dues à Gœthe. […] Saluez-le cependant bien cordialement de la mienne, et dites-lui, s’il veut me donner quelque chose pour ma Bibliothèque, qu’il sera toujours le bienvenu, et que je m’offre comme son traducteur… (Et revenant à ses caractères, après quelques détails relatifs à leur perfectionnement :) Je suis vraiment confus de vous entretenir de telles minuties ; mais songez que, lorsque Brahma créa le monde, il soigna jusqu’aux antennes des fourmis. […] Une chaire de littérature étrangère fut créée pour lui à la Faculté des Lettres. […] Mais ce qui est déjà hors de doute, c’est que, par lui, le sol indépendant de la poésie et de l’épopée provençale demeure singulièrement agrandi et en partie créé. […] » — Et quelques mois après, un jour qu’il était plus souffrant des nerfs que de coutume, il laissait échapper ces mots irrités, dont l’allusion est assez sensible : « Lorsque les maux physiques surviennent, on a peine à concevoir avec quel acharnement les hommes se créent des maux d’une autre espèce ; et l’on éprouve surtout une indignation vive de ce que la nature, si féconde en douleurs, ne les dirige pas contre les ennemis de l’humanité.

1357. (1866) Nouveaux lundis. Tome VI « Alfred de Vigny. »

Tout ange qu’elle est, Éloa est bien femme ; ce n’est qu’une nouvelle Ève créée par le Fils, comme la première l’avait été par le Père, et qui, comme Ève, tombe aussi, mais de plus haut et avec infiniment plus de charme. […] 3° Philosophe et penseur, se rattachant à quelques égards aux écoles du progrès et de l’avenir, à la religion de l’esprit, il repoussait, par une sorte de contradiction au moins apparente, les voies et moyens de ce progrès moderne et plusieurs des résultats ; il s’en prenait aux débats publics, aux discussions éclatantes, à ces chemins de fer qui créent ou qui centuplent les communications humaines et les échanges de la pensée, au développement accéléré et aux conquêtes de la démocratie.

1358. (1875) Premiers lundis. Tome III « Du point de départ et des origines de la langue et de la littérature française »

Joseph Scaliger ne pouvait lire cette lettre sans être ravi : « Pour moi, déclare-t-il, je puis dire que je n’ai jamais rien lu dans l’histoire ecclésiastique qui m’emporte si fort hors de moi-même, qui me laisse si transporté de zèle et d’ardeur pour la foi, et qui me change en une autre personne que je ne suis. » Nulle histoire, en effet, nulle légende sainte ne justifie mieux ce mot de Pascal, qu’avec Jésus-Christ, le nouveau modèle d’une âme parfaitement héroïque a été créé et proposé aux hommes. […] Il lui a même créé, à force de bonne volonté, un auteur distinct, Théroulde, l’abbé Théroulde ou le père de cet abbé ; il en a presque fait quelqu’un.

1359. (1859) Cours familier de littérature. VII « XLe entretien. Littérature villageoise. Apparition d’un poème épique en Provence » pp. 233-312

Un vrai poète homérique en ce temps-ci ; un poète né, comme les hommes de Deucalion, d’un caillou de la Crau ; un poète primitif dans notre âge de décadence ; un poète grec à Avignon ; un poète qui crée une langue d’un idiome comme Pétrarque a créé l’italien ; un poète qui d’un patois vulgaire fait un langage classique d’images et d’harmonie ravissant l’imagination et l’oreille ; un poète qui joue sur la guimbarde de son village des symphonies de Mozart et de Beethoven ; un poète de vingt-cinq ans qui, du premier jet, laisse couler de sa veine, à flots purs et mélodieux, une épopée agreste où les scènes descriptives de l’Odyssée d’Homère et les scènes innocemment passionnées du Daphnis et Chloé de Longus, mêlées aux saintetés et aux tristesses du christianisme, sont chantées avec la grâce de Longus et avec la majestueuse simplicité de l’aveugle de Chio, est-ce là un miracle ?

1360. (1865) Cours familier de littérature. XX « CXIXe entretien. Conversations de Goethe, par Eckermann (1re partie) » pp. 241-314

Il ne créait plus, — je n’appelle pas création cette seconde et éternelle partie de Faust, — mais il revenait sur lui-même, il revoyait ses écrits, préparait ses Œuvres complètes, et, dans son retour réfléchi sur son passé qui ne l’empêchait pas d’être attentif à tout ce qui se faisait de remarquable autour de lui et dans les contrées voisines, il épanchait en confidences journalières les trésors de son expérience et de sa sagesse. […] Mais il ne faisait vraiment cas, en fait de génies, que de ceux de la grande race, de ceux qui durent, dont l’influence vraiment féconde se prolonge, se perpétue au-delà, de génération en génération, et continue de créer après eux.

1361. (1868) Cours familier de littérature. XXV « CXLVIe entretien. Ossian fils de Fingal, (suite) »

Les peintres les copient, mais ils ne peuvent les créer. Ce sont les siècles, les climats, les civilisations qui les créent.

1362. (1854) Histoire de la littérature française. Tome I « Livre I — Chapitre troisième »

Quand il créa le monde et tout ce qui existe, il voulut que je trouvasse les noms des choses à mon plaisir, et que je les nommasse Proprement et communément, Pour croistre notre entendement. » Cette licence de Jean est, en effet la raison en goguette, la raison ribaude, comme l’appelle l’amant : mais c’est toujours la raison. […] Le premier, Villon s’est affranchi de l’imitation des vieux romanciers ; le premier, il a tiré sa poésie de son cœur ; le premier, il a créé des expressions vives, originales, durables.

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