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1835. (1870) La science et la conscience « Chapitre IV : La métaphysique »

On comprend que l’être fictif imaginé par Condillac, l’homme statue, n’ait conscience que de sa sensation, et qu’il s’identifie avec elle, au moins tout d’abord, de manière à dire : Je suis telle saveur, telle odeur, tel son, telle couleur.

1836. (1898) Politiques et moralistes du dix-neuvième siècle. Troisième série

Sans doute il a songé quelquefois à autre chose ; mais ce petit rêve romanesque que nous avons tous dans l’arrière-fond de notre cervelle, et qui, souvent à notre insu, donne leur direction à beaucoup de nos idées et de nos desseins, il avait cette forme chez Stendhal, et cette couleur, et cette qualité, un peu inférieure peut-être. […] Au petit fait peignant le caractère, Stendhal veut qu’on ajoute une manière de couleur locale qu’il nomme d’un nom très heureux, et qu’il définit très bien, c’est « l’originalité de lieu. » Entendez par là, non pas cette facile et banale couleur locale qui nous donne quelque idée du pays, en général, où se passent les choses ; mais l’art de choisir, d’inventer un lieu restreint et précis en harmonie avec les choses que vous voulez peindre, et qui déjà les peint, déjà nous met dans l’état d’esprit nécessaire pour que nous les comprenions bien et les sentions fortement. […] Il ne s’était jamais avisé, et pour cause, qu’on pût avoir tant d’imagination, tant de couleur et tant de puissance verbale. […] Des faits curieux, et des groupes de faits : car si l’on ne sait guère quels sont les faits qui en engendrent d’autres, on voit bien quels sont les faits qui se ressemblent entre eux, qui ont parentage, qui ont couleur commune.

1837. (1896) Impressions de théâtre. Neuvième série

Et Carmosine y consent presque sans effort ; car, épouser Périllo afin de plaire au roi qui s’est déclaré son chevalier et qui veut porter ses couleurs, ce n’est point, pour elle, renoncer à son culte, mais c’est, essentiellement, y demeurer fidèle. […] Et cela fait une fort bonne scène de drame historique, haute de couleur et plausible de ton. […] Une église byzantine, ornée comme une immense châsse ; la procession la plus brillante, la plus harmonieuse par le choix des couleurs amorties et assorties, la plus riche, la plus soignée qui se soit jamais déroulée sur les planches d’un théâtre d’opéra ou de féerie. […] Sujet comique par les mœurs bariolées et les comportements des entremetteurs et larrons de tout poil acharnés sur ce sac, et par les couleurs contrastées de ces figures ambiguës qui sont encore du « monde » et qui sentent pourtant la « caverne ». […] Il a la souplesse, l’esprit, la grâce, la couleur, l’imagination fleurie et la langueur mièvre, quand il veut, — et même, quand il lui plaît, la précision et la force, — et presque partout des rimes ingénieuses et belles.

1838. (1817) Cours analytique de littérature générale. Tome III pp. 5-336

D’abord les objets les frappent vivement, se colorent, s’animent à leurs yeux ; tout interroge leurs sens, et tout leur répond ; tout leur semble participer à leur être dont la force surabondante se répand sur ce qui les environne : bientôt la réalité détruit leur illusion enchanteresse : elle dépouille leurs spéculations des formes, des couleurs, de l’existence fictive, qu’ils leur prêtaient ; ils n’ont plus de tableaux devant les regards ; mais des réflexions, mais des arguments dans l’esprit : ils ne voient plus de choses vivantes, mais ils en considèrent les qualités inertes ; et cette triste et froide abstraction remplace le sentiment qui les portait à saisir les dehors mouvants de la nature. […] Là les tableaux, toujours divers, brillent de la plus étonnante variété de couleurs ; là ils atteignent aussi la plus haute sublimité, et descendent à la familiarité la plus naïve : majestueux, terribles, affreux, agréables, et touchants tour à tour, ils saisissent, ils transportent, ils frappent, ils amusent, ils intéressent également. […] Depuis que je l’entendis tour à tour affubler révolutionnairement ses systèmes et embéguiner sa morale, si j’étais capable de me laisser frapper de chimères, sa caricature m’apparaîtrait tantôt sous une couleur, et tantôt sous une autre, faisant pénitence d’avoir été l’apôtre de Voltaire, son bienfaiteur, et son premier guide. […] Les fleuves, les fontaines, la mer, l’air et les constellations, tous objets en qui le mouvement est déjà l’un des attributs de la vie, se prêtent à l’illusion qui les anime ; de plus, les bois et les fleurs ont en leur sève une circulation, et brillent de couleurs qui semblent vitales ; mais jusqu’où va le merveilleux, lorsqu’il ose personnifier un amas d’écueils en monstres hurlants, tels que Charybde et Scylla ? […] Vous savez que les caractères principaux sont ceux qui impriment le mouvement à l’action de l’épopée, ainsi qu’à celle du drame ; que les secondaires, modifiés par les premiers, concourent moins énergiquement au sujet, et n’y éclatent que dans ce demi-jour où les nuances accompagnent les couleurs vives et tranchantes.

1839. (1910) Propos de théâtre. Cinquième série

Il insiste sur ceci que Shakespeare n’a pas été démocrate, qu’il a parlé du peuple comme M. de Voltaire parlait de la canaille, qu’il l’a personnifié dans Caliban, qu’il l’a peint toutes les fois qu’il en a eu l’occasion — et l’on voit qu’il recherche cette occasion et qu’il la fait naître — sous les couleurs les moins flatteuses et à peu près comme la bête de l’Apocalypse ; qu’à peine il fait dire à Brutus et Cassius quelques paroles assez fortes « dans le sens de la liberté », et qu’encore il n’a pas songé à montrer en César une force démocratique qui se déclarait et s’affirmait… J’accorderai tout, sur ce point, à M.  […] La pièce de Corneille est une plante artificielle qu’un jardinier artiste cultive et embellit dans une serre ; ses couleurs sont moins vives, son parfum moins naturel. » En somme (je résume la page 215), au-dessus de tout, il y a Shakspeare ; au-dessous de Shakspeare — il faut en convenir, — il y a la Comedia espagnole. […] L’un accepte les choses comme elles sont dans la nature et dans l’humanité ; il prend sans les disjoindre… le rat et le cygne, le reptile et l’aigle, le crapaud et le lion ; il prend le cœur à pleines mains, tel qu’il est au complet, or et boue, cloaque ou Eden, et il laisse à chaque objet sa couleur, à chaque passion son cri et son langage.

1840. (1907) Propos de théâtre. Quatrième série

Jadis — j’étais enfant encore — J’avais un grand jardin ou j’allais dès l’aurore, Je voyais des oiseaux, des rayons, des couleurs, Et des papillons d’or qui jouaient dans les fleurs ! […] Mais il est vrai que Musset a pu devoir à Jean-Paul quelque chose des couleurs discrètes et délicates dont il peint ses jeunes filles, et que pour qui a lu Richter ces vers miraculeux sont comme personnes de connaissance : Ou quelque ange pensif de candeur allemande, Une vierge en or fin des livres de légende, Dans un flot de velours traînant ses petits pieds. […] Pourtant c’est l’hiver, La colline au loin se découpe nue Sur un ciel brouillé, couleur gris de fer, Où tristement rampe une maigre nue. […] Maury a de la couleur et du relief. […] C’est votre faute tout le temps… » Ainsi tout ce que fait et dit Mme de Raguais comme passionnée est juste ; tout ce qu’elle dit comme raisonneuse est faux ; et ce ne serait rien, étant tout naturel qu’un être passionné raisonne mal ; mais, sous cette couleur de pièce à thèse, Mme de Raguais nous a été donnée tout d’abord comme une femme qui est censée, par l’auteur, raisonner bien.

1841. (1805) Mélanges littéraires [posth.]

Il en est ainsi en général de tout auteur, même de ceux qui n’ont fait que des ouvrages d’un seul genre, parce que, dans aucun ouvrage, le style ne doit être uniforme, et que le ton qu’on y prend et la couleur qu’on y emploie dépendent de la nature des choses qu’on a à dire. […] Ces réflexions, séparées des faits ou entremêlées avec eux, auront pour objet le caractère d’esprit de l’auteur, l’espèce et le degré de ses talents, de ses lumières et de ses connaissances, le contraste ou l’accord de ses écrits et de ses mœurs, de son cœur et de son esprit, et surtout le caractère de ses ouvrages, leur degré de mérite, ce qu’ils renferment de neuf ou de singulier, le point de perfection ou l’académicien avait trouvé la matière qu’il a traitée, et le point de perfection où il l’a laissée ; en un mot, l’analyse raisonnée des écrits ; car c’est aux ouvrages qu’il faut principalement s’attacher dans un éloge académique : se borner à peindre la personne, même avec les couleurs les plus avantageuses, ce serait faire une satire indirecte de l’auteur et de sa compagnie ; ce serait supposer que l’académicien était sans talents, et qu’il n’a été reçu qu’à titre d’honnête homme, titre très estimable pour la société, mais insuffisant pour une compagnie littéraire.

1842. (1924) Souvenirs de la vie littéraire. Nouvelle édition augmentée d’une préface-réponse

Ce sont ces contrastes d’existence, de milieu, d’activité intellectuelle qui donnent aux évocations du passé ce charme disparu, cette couleur d’autrefois que recherchent les lecteurs d’aujourd’hui.‌ […] Il a beau donner à ses petites peintures une couleur sombre, à ses petits airs un son funèbre, il a beau par un certain roucoulement de gorge donner à entendre une sorte de sanglot étouffé, il ne nous guide jamais vers le lointain ni dans les profondeurs. […] L’indomptable malade garda jusqu’à la fin la séduction physique que la lithographie du peintre Carrière a rendue inoubliable, et Maurice Guillemot a raison de dire que, même à cette époque, l’auteur du Nabab ressemblait encore au portrait qu’a donné Théodore de Banville dans ses Camées Parisiens  : « Une tête merveilleusement charmante, la peau d’une pâleur chaude et couleur d’ambre, les sourcils droits et soyeux. […] A mesure que le ciel blanchissait, Montenard couvrait de croquis son bloc-notes, s’extasiait sur les couleurs naissantes, qu’il indiquait sur le papier  : « Ici du bleu… Là du chrome… Mettre du blanc… Renforcer le ton… » On redescendit dans la fraîcheur de l’aurore et la fadeur du dernier cigare, et on alla se coucher, c’est-à-dire disputer aux moustiques un sommeil transparent, mélancolique et sans rêves.‌ […] Cet ancien polytechnicien était très fier d’avoir réhabilité la poésie philosophique, la poésie d’idées, qu’il opposait à la poésie de couleur et d’images.

1843. (1922) Nouvelles pages de critique et de doctrine. Tome I

Il possédait, réunies en lui par une étonnante richesse de nature, ces deux facultés contradictoires : une magie d’évocation qui donne à ses moindres personnages la plus intense couleur de vie, et une acuité de dissection anatomique qui, derrière chacun de leurs gestes, chacune de leurs paroles, discerne et met à nu les causes. […] Le dix-neuvième siècle littéraire aura été partagé jusqu’à sa fin entre ces deux tendances qui se détruisent l’une l’autre : rendre la vie dans toute la vérité de son mouvement et de sa couleur, — anatomiser la vie pour en dégager les éléments premiers, ou, plus simplement, reproduire les effets dans leur pleine vigueur de réalité concrète, dégager les causes avec une précision d’exactitude égale à celle de la Science. Toute l’histoire de la poésie, du théâtre et du roman depuis cent ans n’est qu’une oscillation entre ces deux termes qui semblent bien s’exclure l’un l’autre, car si vous imaginez la vie dans son mouvement et dans sa couleur, vous ne la comprenez pas, et si vous la comprenez, vous ne l’imaginez pas. […] C’étaient les couleurs adoptées par la duchesse de Valentinois depuis la mort de son mari, Louis de Brézé. […] Mais un involontaire enseignement émane de ces pages, tour à tour pittoresques et ardentes, fortement chargées de couleur et délicatement nuancées.

1844. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre III. L’âge classique. — Chapitre I. La Restauration. »

Ils comprenaient du premier coup ses excès et ses caprices ; ils n’avaient pas besoin d’être préparés ; ils suivaient ses écarts, ses bizarreries, le fourmillement de ses inventions regorgeantes, les soudaines prodigalités de ses couleurs surchargées, comme un musicien suit une symphonie. […] Entre les diverses sortes d’imaginations, il y en a une monarchique, toute pleine de cérémonies officielles et magnifiques, de gestes contenus et d’apparat, de figures correctes et commandantes, uniforme et imposante comme l’ameublement d’un palais : c’est d’elle que les classiques et Denham tirent toutes leurs couleurs poétiques ; les objets, les événements prennent sa teinte, parce qu’ils sont contraints de la traverser. […] Ils trouvent naturellement sur leur palette les fortes couleurs qui conviennent à leurs barbares et les jolies enluminures qui conviennent à leurs élégants.

1845. (1716) Réflexions sur la critique pp. 1-296

Un poëte croit d’ordinaire avoir fait une belle image, quand il a assemblé une suite d’expressions pompeuses ; mais souvent avec toutes ces belles couleurs, il n’a rien peint ; et l’imagination perd dans la foule des mots, le véritable objet qu’il lui présente. […] Elle consiste dans les actions et dans les sentimens des personnages qu’on donne pour modelles, dans les jugemens que le poëte paroît en porter, dans les couleurs odieuses dont il peint le vice, et dans les traits respectables qu’il donne à la vertu. […] je sçai qu’un jour viendra, dit Hector en continuant, que la sacrée ville de Troye périra avec son roy et tout son peuple. et là-dessus il peint la captivité d’Andromaque, comme un malheur inévitable, avec les couleurs les plus desesperantes.

1846. (1765) Articles de l’Encyclopédie pp. 5482-9849

Teint fleuri, dont la carnation semble un mélange de blanc & de couleur de rose. […] Un jeune homme sensible, mais sans aucune connoissance, ne distingue point d’abord les parties d’un grand choeur de Musique ; ses yeux ne distinguent point d’abord dans un tableau, les dégradations, le clair obscur, la perspective, l’accord des couleurs, la correction du dessein : mais peu-à-peu ses oreilles apprennent à entendre, & ses yeux à voir ; il sera ému à la premiere représentation qu’il verra d’une belle tragédie ; mais il n’y démêlera ni le mérite des unités, ni cet art délicat par lequel aucun personnage n’entre ni ne sort sans raison, ni cet art encore plus grand qui concentre des intérêts divers dans un seul, ni enfin les autres difficultés surmontées. […] Presque chaque page est remplie d’impostures & de termes offensans contre la famille royale & contre les familles principales du royaume, sans alléguer la plus légere vraissemblance qui puisse donner la moindre couleur à ces mensonges.

1847. (1859) Cours familier de littérature. VIII « XLVIIIe entretien. Littérature latine. Horace (2e partie) » pp. 411-480

Hafiz est amoureux comme Salomon ; il prend ses images et ses couleurs dans la voluptueuse Arabie ; Horace ne les prend que dans ses modèles grecs ; Hafiz est un inspiré de l’amour et de la divinité ; Horace, tout parfait qu’il soit de style, n’est qu’un littérateur accompli de Rome ; le premier, original comme la nature ; le second, académique comme la cour d’Auguste.

1848. (1860) Cours familier de littérature. IX « LIIe entretien. Littérature politique. Machiavel » pp. 241-320

Il ne songe seulement pas à son style : le mot, chez lui, c’est la pensée ; la couleur, c’est la lumière ; le seul effet qu’il recherche et qu’il obtient toujours, c’est la vérité.

1849. (1865) Cours familier de littérature. XX « CXVIe entretien. Le Lépreux de la cité d’Aoste, par M. Xavier de Maistre » pp. 5-79

Des vieillards, des femmes, des enfants, les entouraient ; j’entendais le murmure confus de la joie ; je voyais entre les arbres les couleurs brillantes de leurs vêtements, et ce groupe entier semblait environné d’un nuage de bonheur.

1850. (1868) Cours familier de littérature. XXVI « CLIe entretien. Molière et Shakespeare »

Mes mains sont de la couleur des vôtres ; mais j’ai honte d’avoir conservé mon cœur si blanc. — J’entends frapper à la porte du sud. — Retirons-nous dans notre chambre : un peu d’eau va nous laver de cette action ; voyez donc combien cela est aisé.

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