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583. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre III. L’âge classique. — Chapitre I. La Restauration. »

Un de leurs hommes d’État disait que chez nous la populace lâchée se laisserait conduire par les mots d’humanité et d’honneur, mais que chez eux, pour l’apaiser, il faudrait lui jeter de la viande crue. […] Les lords conduisirent le procès des républicains avec une impudence de cruauté et une franchise de rancune extraordinaires. […] Par malheur, ce talent conduit parfois aux balourdises ; quand on parle bien de tout, on se croit le droit de parler de tout. […] Aucun de ceux qui ont voulu nous montrer l’homme ne nous a conduits par une voie plus droite et plus commode vers un portrait mieux éclairé et plus parlant. […] Il y eut un de ces succès, lorsque Goldsmith, inventant une série de méprises, conduisit son héros et son auditoire à travers cinq actes de quiproquos687.

584. (1881) La parole intérieure. Essai de psychologie descriptive « Chapitre VI. La parole intérieure et la pensée. — Second problème leurs différences aux points de vue de l’essence et de l’intensité »

Ceci nous conduit à un nouvel ordre de considérations sur l’utilité, et en même temps sur la formation, des signes arbitraires. […] C’est ainsi que le signe paraît toujours conduire le groupe et précéder ses concomitants ; sa plus grande intensité lui confère une apparence d’antériorité. […] Si alors le suscité, par sa nature propre ou grâce à l’attention qui lui est accordée, n’est pas atteint par l’habitude négative, il viendra un moment où la cause ne pourra plus être révélée que par son effet, où la connaissance de la loi qui réunit les deux phénomènes, jointe à la conscience distincte du second, pourra seule nous conduire à supposer l’existence du premier, puis à en retrouver quelques traces dans le souvenir. […] Si nous traitions ici ex professo de la distraction, nous serions conduits à citer des cas où la distraction reproduit exactement l’incohérence des paroles du rêve ; mais, alors même, la distraction se distingue nettement du sommeil : nos actes, auxquels nous sommes attentifs, sont cohérents, tandis que la parole intérieure est incohérente ; durant la veille, même distraite, quelque chose de nous est toujours cohérent ; dans le sommeil, l’incohérence de la parole n’est qu’un cas particulier d’une loi qui s’applique à tous nos faits sans exception. […] A savoir, de ceux qui, se croyant plus habiles qu’ils ne sont, ne se peuvent empêcher de précipiter leurs jugements, ni avoir assez de patience pour conduire par ordre toutes leurs pensées […].

585. (1895) Les mercredis d’un critique, 1894 pp. 3-382

« Il se laissa conduire par son hôte, machinalement, la pensée pleine de trouble, le cœur inquiet. […] Jules Bois dans ses pérégrinations qui le conduisent jusque dans des mansardes pour y retrouver les prêtres et les prêtresses de tant de cultes divers. […] Zola nous conduit à Lourdes. […] Des hommes s’avancent ; l’un conduit un cheval en bride, l’autre porte des armes, un autre des vêtements. […] Nous n’avons plus songé que, pour guider les autres, il fallait d’abord nous conduire, et nous avons trop présumé soit de nos forces soit de nos lumières.

586. (1782) Essai sur les règnes de Claude et de Néron et sur la vie et les écrits de Sénèque pour servir d’introduction à la lecture de ce philosophe (1778-1782) « Essai, sur les règnes, de Claude et de Néron. Livre second » pp. 200-409

« Le tyran me fera conduire, où ? […] Il ne s’agit pas de se conduire ici en homme, c’est presque dire en indifférent ; mais en père, en fils, en époux. […] Ou le rôle d’Hercule, au sortir de la forêt de Némée, entre le chemin qui conduit à la gloire et celui qui mène au plaisir, nous serait-il commun à tous ? […] La recherche du vrai bonheur conduit Sénèque à l’examen de la volupté d’Épicure ; et voici comment il s’en explique (chap.  […] C’est sur ses genoux que je suis entré dans Rome ; ce sont ses soins maternels qui m’ont conservé la vie ; c’est son crédit qui m’a conduit à la questure.

587. (1890) La vie littéraire. Deuxième série pp. -366

Le sentiment du beau me conduit. […] Dès l’enfance, son génie se révèle : conduit par hasard dans un atelier de sculpteur, il reconnaît sa vocation. […] Elle a conduit Satan lui-même à la révolte. […] Mais la paresse conduit à la contemplation, la contemplation mène à la béatitude. […] Mais s’ils se conduisaient de semblable manière, c’était pour des fins différentes et même contraires.

588. (1915) Les idées et les hommes. Deuxième série pp. -341

On a fini par nous conduire à croire qu’on ne l’espérait plus, qu’on ne l’attendait plus. […]conduira les âmes ce nihilisme ? […] C’est George Sand qui conduit. […] Ceux que des « sentiments vrais » conduisent à l’erreur, qui leur jettera la première pierre ? […] Bref, à Jersey, il conduisit chez elle ses deux fils Charles et François-Victor.

589. (1817) Cours analytique de littérature générale. Tome I pp. 5-537

La critique effraie la médiocrité et conduit le mérite à sa perfection, en le corrigeant par une sévérité raisonnable. […] Ces remarques le conduisent naturellement à indiquer le choix des personnages convenables à la scène. […] Comme Quintilien, il conduit son disciple par la main à travers des sentiers riants et ornés, dans les beaux champs de l’éloquence, ouverts à l’orateur. […] Dans l’une, c’est Dieu, c’est Jéhovah qui conduit d’en haut son grand prêtre, et qui terrasse une reine implacable : dans l’autre, c’est la colère d’une divinité qui consume une mortelle des poisons d’un amour incestueux. […] Malgré les beautés surprenantes qu’a répandues l’auteur anglais dans cette grande imitation des caractères et des troubles publics, la licence que prit son génie ne l’a conduit qu’à une imperfection du genre.

590. (1862) Notices des œuvres de Shakespeare

Le soin visible qu’a mis le poëte à imiter le langage laconique que l’histoire attribue à son héros ne l’a que très-rarement conduit à l’affectation, si ce n’est dans le discours de Brutus au peuple, modèle de l’éloquence scolastique du temps de l’auteur. […] « Quelque temps après il le conduit à sa campagne et lui présente Fénicia sous le nom de Lucile, et comme sa nièce. […] Dans ce temps-là, des affaires appelèrent Ambrogio à Rome, et il conduisit sa fille à Fabriano, chez un de ses parents, pour ne pas la laisser seule. […] Celle-ci lui conseille de reprendre les habits de son sexe, et court annoncer au père qu’elle lui conduira sa fille le lendemain. […] L’attente qui en résulte, le pathétique de quelques scènes, la sombre énergie du caractère de Marguerite, l’inquiète curiosité qui s’attache à ces projets si menaçants et si vivement conduits, achèvent de répandre sur cet ouvrage un intérêt qui explique la constance de son succès.

591. (1886) Revue wagnérienne. Tome I « Paris, 8 avril 1885. »

Fort de l’autorité des plus éminents critiques, par exemple des recherches d’un Lessing sur les limites de la peinture et de la poésie, je me crus en possession d’un résultat solide : c’est que chaque art tend à une extension indéfinie de sa puissance, que cette tendance le conduit finalement à sa limite, et que cette limite il ne saurait la franchir sans courir le risque de se perdre dans l’incompréhensible, le bizarre et l’absurde. […] Ouvre donc largement les issues à ta mélodie, qu’elle s’épanche comme un torrent continu à travers l’œuvre entière ; exprime en elle ce que je ne dis pas, parce que toi seul peut te dire, et mon silence dira tout, parce que je te conduis par la main. » Dans le fait, la grandeur du poète se mesure surtout par ce qu’il s’abstient de dire, afin de nous laisser dire à nous-mêmes, en silence, ce qui est inexprimable ; mais c’est le musicien qui fait entendre clairement ce qui n’est pas dit, et la forme infaillible de son silence retentissant est la mélodie infinie. » Dans ses ouvrages postérieurs à 1853, sauf la lettre à M.  […] Cependant le poème du Nibelung, dont la composition avait conduit Wagner à considérer ces détails techniques de l’art, fut enfin achevé. […] Cependant la Religion nous conduit à l’univers véritable, non par la discussion, mais par la création et l’exemple.

592. (1857) Cours familier de littérature. IV « XXIe Entretien. Le 16 juillet 1857, ou œuvres et caractère de Béranger » pp. 161-252

Quand une concierge, qui semblait sentir la dignité et la responsabilité de gardienne du repos d’un philosophe favori du peuple, vous avait indiqué sa demeure, vous tourniez, à droite en entrant dans la cour, sous une petite voûte conduisant à des écuries ; vous rencontriez sous la voûte le premier degré d’un escalier de bois ; cet escalier vous conduisait de palier en palier, par des marches douces, comme il convient à l’âge essoufflé, jusqu’au dernier palier, sous les toits, où vous n’aviez plus au-dessus de vous que les tuiles et le ciel. […] Était-ce bien au son des tambours qu’on pouvait élever et conduire ce peuple à la liberté ? […] Béranger a trop d’esprit pour avoir tant d’enthousiasme ; il possède son enthousiasme, il n’en est pas possédé ; il le conduit avec un fil imperceptible, mais sûr, partout où il veut passer, comme le conducteur des chars, aux jeux Olympiques, conduit au mouvement du doigt ses coursiers qui ne s’emportent jamais dans la carrière : « Rasant la borne, et ne la touchant pas. » Il n’y brise jamais son essieu, il n’y fait même ni bruit ni poussière ; il arrive sans qu’on s’aperçoive qu’il est arrivé juste, et court au but qu’il s’est proposé.

593. (1932) Les deux sources de la morale et de la religion « Remarques finales. Mécanique et mystique »

Parfois, le seul fait de pousser plus loin qu’il ne semblait raisonnable conduit à un entourage nouveau, crée une situation nouvelle, qui supprime le danger en même temps qu’il accentue l’avantage. […] Une intelligence, même surhumaine, ne saurait dire où l’on sera conduit, puisque l’action en marche crée sa propre route, crée pour une forte part les conditions où elle s’accomplira, et défie ainsi le calcul. […] Inutile de rappeler les exagérations auxquelles il avait conduit ; déjà il y avait eu frénésie. […] Demain la voie sera libre, dans la direction même du souffle qui avait conduit la vie au point où elle avait dû s’arrêter.

594. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Roederer. — I. » pp. 325-345

Pour tout lecteur impartial, il est aujourd’hui évident que Roederer, au 20 Juin et au 10 Août, se conduisit en magistrat probe, exact, peu royaliste sans doute d’affection, mais honnête, strict et consciencieux ; que, dénué de pouvoir et chargé de responsabilité, il usa des faibles moyens légaux qu’il avait entre ses mains, et que, les trouvant souverainement inefficaces, il prit le seul parti qui pouvait éviter dans cette dernière journée un malheur immédiat : il conduisit, en les assistant et les protégeant de sa personne, le roi et sa famille, du château déjà envahi, au sein de l’Assemblée désormais responsable.

595. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Histoire de la maison royale de Saint-Cyr, par M. Théophile Lavallée. » pp. 473-494

Dieu a conduit Saint-Cyr par degrés. […] Pourtant Mme de La Fayette, en personne sensée, et un peu jalouse peut-être de Mme de Maintenon, y voyait quelque prétexte à dire : Mme de Maintenon, qui est fondatrice de Saint-Cyr, toujours occupée du dessein d’amuser le roi, y fait souvent faire quelque chose de nouveau à toutes les petites filles qu’on élève dans cette maison, dont on peut dire que c’est un établissement digne de la grandeur du roi et de l’esprit de celle qui l’a inventé et qui le conduit : mais quelquefois les choses les mieux instituées dégénèrent considérablement ; et cet endroit qui, maintenant que nous sommes dévots, est le séjour de la vertu et de la piété, pourra quelque jour, sans percer dans un profond avenir, être celui de la débauche et de l’impiété.

596. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « William Cowper, ou de la poésie domestique (I, II et III) — I » pp. 139-158

Il essaya dans cet intervalle de diverses formes de suicide, et, le matin même où on le vint chercher pour le conduire à son examen de Westminster, on le trouva qui avait tenté sur lui-même un acte désespéré de strangulation : il fallut le transporter dans une maison de santé. […] Le vieux monsieur me conduit à Cambridge dans sa voiture : c’est un homme de savoir, de bon sens, et aussi simple que le curé Adams (dans le roman de Joseph Andrews, de Fielding).

597. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Mémoires ou journal de l’abbé Le Dieu sur la vie et les ouvrages de Bossuet, publiés pour la première fois par M. l’abbé Guetté. Tomes iii et iv· » pp. 285-303

de sorte que tous mes soins se tournaient uniquement à mériter un canonicat pour mon cousin, et il fallait s’y conduire avec d’autant plus de sagesse que l’abbé Bossuet était toujours à l’affût pour me chagriner et chercher noise… Mais Dieu m’a fait la grâce de prendre patience et de me soutenir toujours par l’espérance des bontés de M. de Meaux. […] Les plus distingués d’entre les prêtres se pressent à la porte de ce cabinet pour se faire voir, et quand le cardinal conduit quelqu’un, ils profitent de cette occasion pour dire leur petit mot et recevoir quelque sèche réponse.

598. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Madame Swetchine. Sa vie et ses œuvres, publiées par M. de Falloux. »

Chez Mme Récamier, on était exposé tout au plus, par politesse et bonne grâce, après quelque matinée délicieuse de lecture, à faire un article sur Chateaubriand ; chez Mme Swetchine, avec de l’assiduité, on pouvait être conduit un jour ou l’autre à un acte de foi et de dévotion ; on courait risque d’être d’un sermon prié ou d’une abjuration, ou de quelque agape mystérieuse à la chapelle. […] Elle partit seule, alla plaider auprès du czar la cause deson vieux mari, traversa le Nord par la saison la plusrigoureuse, et dans un état de santé déplorable, sans un murmure, sans une plainte : une lettre d’elle, admirable de sentiment (tome I, page 377), témoigne de ses dispositions morales, de sa résignation au devoir, de sa soumission prête à se laisser conduire jusqu’aux dernières conséquences : elle eût tout quitté, Paris et son monde, s’il l’avait fallu et si le czar avait maintenu son arrêt, pour aller habiter dans quelque ville obscure de la Russie, à côté du triste et taciturne exilé.

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