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1704. (1886) Quelques écrivains français. Flaubert, Zola, Hugo, Goncourt, Huysmans, etc. « Victor Hugo » pp. 106-155

Ceux-ci comprennent d’abord les termes propres et synonymes, puis les termes analogues, enfin, et, nécessairement, les termes métaphoriques. […] Est-il maintenant son habitude de désigner les chapitres de ses livres, ses poèmes et ses recueils par les titres métaphoriques, qui ne donnent pas le contenu de l’œuvre ; son érudition qui comprend toutes les sciences verbales, la métaphysique, la théologie, la jurisprudence, la philologie, les nomenclatures, et aucune des sciences réalistes et naturelles ; sa réforme de la versification, qui a eu pour effet, par l’introduction de l’emjambement, de permettre d’exprimer une idée en plus de mots que n’en contient un vers ; le résultat même du romantisme qui, parti en guerre au nom de Shakespeare contre l’irréalisme classique, n’a abouti qu’à enrichir la langue française de nouveaux mots ; toute la vie du poète, la mission sacerdotale qu’il s’est assignée, son entrée en lice pour la « révolution » contre le « pape », sa haine des « tyrans » et sa philantropie générale ; tous ces traits résultent du verbalisme fondamental de son intelligence. […] A l’intersection de deux lignes on mesure aisément leur angle ; mais que ces côtés soient prolongés à l’infini, ils comprendront l’infini.

1705. (1707) Discours sur la poésie pp. 13-60

Ce qu’il y a de clair dans cette proposition, c’est que tous les arts ont une fin : l’utile qu’on ajoute ne sert qu’à rendre la proposition équivoque ; à moins que sous ce nom vague d’utile, on ne veuille aussi comprendre le plaisir, qui est en effet un des plus grands besoins de l’homme. […] Si on les en croit, l’essence de l’enthousiasme est de ne pouvoir être compris que par les esprits du premier ordre, à la tête desquels ils se supposent, et dont ils excluent tous ceux qui osent ne les pas entendre. […] C’est ce repos que suppose la séparation des strophes ; et l’on comprend assez par-là qu’il y faut autant que l’on peut, et sans préjudice du bon sens, ménager une espéce de chûte capable de causer quelque surprise, et de donner quelque exercice à l’esprit.

1706. (1856) Cours familier de littérature. II « IXe entretien. Suite de l’aperçu préliminaire sur la prétendue décadence de la littérature française » pp. 161-216

Il nous est difficile de comprendre comment un esprit d’un si grand sang-froid, et comment un coup d’œil d’une si habituelle justesse ont semblé méconnaître à cet égard le caractère, les causes, la portée du plus vaste événement de l’histoire moderne. […] … Sans doute il fallait bien, pour coïntéresser le peuple et toutes les classes supérieures au peuple, à ce mouvement intestin, que le temps et les vices du gouvernement se prêtassent à ce besoin de réformes purement matérielles qui furent l’occasion et non la cause de la révolution ; les appétits matériels sont la solde des masses, qui servent les grandes pensées sans les comprendre, et qui, selon l’expression de Mirabeau, échangeraient leur liberté pour un morceau de pain. […] Quand vous voyez une haute marée assiéger les falaises et surmonter les digues de l’Océan aux équinoxes d’automne, soyez sûrs que ce n’est pas la main d’un enfant qui a fait rouler un caillou de l’autre côté de l’Atlantique dans le bassin des mers, mais que c’est un grand vent ou un grand astre qui pèsent de tout leur poids invisible sur l’élément dont vous voyez les convulsions sans les comprendre.

1707. (1913) La Fontaine « V. Le conteur — le touriste. »

Voilà encore qui peut étonner au premier abord, mais qui se comprend très bien. […] Il se montre encore amateur d’art très exact, très sensible, sans aucune prétention du reste, mais parfaitement capable de distinguer les belles choses et de les faire comprendre. […] Il a aimé les considérer, il s’est trompé souvent sur leur véritable complexion, mais il a aimé les observer, voir leur physionomie, leurs gestes, comprendre leur petite âme par leurs gestes et leur physionomie.

1708. (1917) Les diverses familles spirituelles de la France « Chapitre vii »

Elle nous prépare à comprendre l’appui que certains esprits trouvent au cours de cette guerre dans leur « traditionalisme ».‌ […] Un jour, sur son carnet de soldat, il note :‌ Avec ma manie de chercher à comprendre les autres, même les ennemis, j’ai découvert une grande beauté au rêve colossal de conquête de ce peuple allemand qui, l’âme embrumée par son tabac et sa musique, s’est rué sur nous et a failli nous asservir par sa discipline et son héroïsme. […] Du moins pouvons-nous les comprendre.‌

1709. (1922) Durée et simultanéité : à propos de la théorie d’Einstein « Appendices de, la deuxième édition »

En même temps se comprend la signification du « retard » que l’accélération imprimerait à une horloge qui se déplace. Elle se comprend, sans qu’il y ait rien à ajouter à ce que nous avons dit en traitant du mouvement uniforme : l’accélération ne saurait créer ici des conditions nouvelles, puisque ce sont nécessairement les formules de Lorentz qu’on applique encore (en général à des éléments infinitésimaux) quand on parle de Temps multiples et ralentis. […] Prenons deux époques t et t + dt du temps du système S, comprises entre les époques tA, et tB auxquelles se produisent, toujours dans le système S lié à M₁, les événements A et B.

1710. (1903) La vie et les livres. Sixième série pp. 1-297

Ainsi comprise, l’histoire devient un roman réel. […] Il n’est pas un Javanais qui ne comprenne cette servitude. […] Les Angolais, gens pratiques, ont très bien compris l’inutilité de la prédication administrative et la toute-puissance des lettres. […] Un savant docteur d’Europe, appelé en consultation, baragouine un grimoire où l’on comprend clairement que la mort est la cessation de la vie. […] L’enfant ne comprend pas encore.

1711. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [1] Rapport pp. -218

Goethe, — car l’Allemagne nous permet l’originalité dans le médiocre, non dans le sublime, — préfère l’auteur du Dieu des bonnes gens à l’auteur des Orientales et des Feuilles d’Automne et, lui-même, notre Henri Heine ne comprend pas ou fait semblant de ne pas comprendre notre Victor Hugo. […] Et pour ceux aussi qui les entendirent lire leurs vers avec l’inflexion du désir d’être compris, pas trop, elle s’y trouve en effet, peut-être, cette âme, un peu. […] Pourtant je crois comprendre les poèmes de ce poète. Non, sans doute, je ne les comprends pas. […] Mais je compris vite pourquoi le cher défunt était triste, pourquoi il en voulait à sa mort.

1712. (1864) Physiologie des écrivains et des artistes ou Essai de critique naturelle

On comprend pourquoi. […] Tout le système nerveux, y compris le cerveau, est d’une extrême activité, et les manifestations de l’intelligence sont d’une vivacité proportionnelle. […] Moreau, « par constitution mélancolique, Aristote comprenait certaine disposition de l’organisme, la plus favorable au développement de la folie. […] Elles s’en reviennent blessées d’amour et d’héroïsme, sans rien comprendre à leur blessure. […] Le ciel était d’or, la terre était d’or. » Une magnificence matérielle, c’est tout ce qu’ils comprirent au commencement.

1713. (1862) Portraits littéraires. Tome II (nouv. éd.) « Delille »

Ces sortes d’amnisties ont surtout leur charme en affaires littéraires, et l’esprit, dont le propre est de comprendre, jouit du plaisir singulier de se rendre compte, après-coup, de ce qu’il avait d’abord nié, et de ce qu’il a, autant qu’il l’a pu, détruit. […] Le Beau, professeur d’éloquence latine au Collège de France, l’appela à professer, comme suppléant d’abord, la poésie qui était comprise dans cette chaire. […] Il ne comprit pas de quelle réparation il s’agissait. […] Quant à nous, de bonne heure adversaire, et qui pourtant le comprenons, sur la tombe de ce talent brillant et spirituel que nous ne croyons pas avoir insulté ni dénigré aujourd’hui, près de l’autel renversé de ce poète qui régna et que nous venons de juger sans colère, en présence de celui50 qui règne après lui, et dont la faveur, si l’on veut, a aussi quelques illusions ; en face de cet autre51 qui ne règne ni ne se soumet, mais qui combat toujours, et nous souvenant de plusieurs encore que nous ne nommons pas, il nous semble hardiment que nous pouvons redire : « Non, dans la tentative qui s’est émue depuis lui, non, nous tous, nous n’avons pas tout à fait erré.

1714. (1870) De l’intelligence. Première partie : Les éléments de la connaissance « Livre deuxième. Les images — Chapitre premier. Nature et réducteurs de l’image » pp. 75-128

Elle comprend deux moments, le premier où elle semble située et extérieure, le second où cette extériorité et cette situation lui sont ôtées. […] En outre, ce qui se comprend très bien chez un psychologue, j’ai contracté l’habitude de remonter en arrière après ces incidents et de suivre à partir d’eux tout le courant des représentations antécédentes. […] Baillarger rêva une nuit que telle personne était nommée directeur d’un certain journal ; le matin, il croyait la chose vraie et en parla à plusieurs personnes, qui apprirent la nouvelle avec intérêt ; toute la matinée, l’effet du rêve persista, aussi fort que celui d’une sensation véritable ; vers, trois heures seulement, comme il montait en voiture, l’illusion se dissipa ; il comprit qu’il avait rêvé ; ainsi le groupe réducteur n’avait repris son ascendant qu’au bout d’une demi-journée. — À cet égard, la minutie et l’intensité d’une image volontaire ont parfois la même puissance que le rêve. […] Arrivés là, nous comprenons sa nature ; en ressuscitant la sensation, elle la remplace ; elle est son substitut, c’est-à-dire une chose différente à certains égards, semblable à d’autres, mais de telle façon que ces différences et ces ressemblances soient des avantages.

1715. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre V. Les contemporains. — Chapitre VI. La poésie. Tennyson. »

Le propre du poëte, c’est d’être toujours jeune et éternellement vierge : Pour nous autres, gens du commun, les choses sont usées ; soixante siècles de civilisation ont terni leur fraîcheur originelle ; elles sont devenues vulgaires ; nous ne les apercevons plus qu’à travers un voile de phrases toutes faites ; nous nous servons d’elles, nous ne les comprenons plus ; nous ne voyons plus en elles des fleurs splendides, mais de bons légumes ; la riche forêt primitive n’est plus pour nous qu’un potager bien aligné et trop connu. […] Il te répondra à propos, et des choses aisées à comprendre… —  Mieux vaudrait que tu fusses morte devant moi, quand je t’aurais tuée de mes mains1524. […] Essayons de les décrire ; on comprendra mieux les fleurs en voyant le jardin. […] Comme ils sont prompts à tout saisir et à tout comprendre !

1716. (1858) Cours familier de littérature. VI « XXXIVe entretien. Littérature, philosophie, et politique de la Chine » pp. 221-315

Vous vous répondrez : C’est celui qui, au lieu de porter des décrets brefs, absolus, non motivés et souvent inintelligibles pour les sujets obligés de les exécuter, raisonne, discute, motive longuement et éloquemment, dans des préambules admirables, chacun de ses décrets, en fait sentir le motif, la nécessité, la justice, l’urgence, en un mot les fait comprendre afin de les faire ratifier par la raison publique. […] et tout cela déjà conçu, écrit, noté, compris, chanté au moment où un peuple en apparence neuf, ou sorti des marais du déluge, se répand pour la première fois sur la terre ? […] » Les Chinois comprenaient déjà alors la royauté de l’intelligence et la souveraineté de la raison. […] Ces temps de désordre et de corruption ne sont pas dignes de nous comprendre ! 

1717. (1858) Cours familier de littérature. VI « XXXVIe entretien. La littérature des sens. La peinture. Léopold Robert (1re partie) » pp. 397-476

Léopold Robert (1re partie) I Vous vous étonnerez peut-être de voir comprendre la peinture dans la littérature, comme vous vous êtes étonnés au premier moment d’y voir comprendre la musique, Mozart et son chef-d’œuvre, l’opéra de Don Juan. […] Telle est l’âme, si je me fais bien comprendre. […] Un pâle Écossais l’écoute par politesse ; il s’enveloppe de son manteau contre la froide écume des vagues beaucoup plus que contre le frisson de l’enthousiasme et de l’amour ; quelques spectateurs regardent sans comprendre.

1718. (1859) Cours familier de littérature. VII « XXXVIIe entretien. La littérature des sens. La peinture. Léopold Robert (2e partie) » pp. 5-80

Racontons ce qu’on sait de ce mystère ; cela nous aidera à comprendre le prodigieux effet des peintures de ce jeune homme, dès qu’elles parurent aux regards du public. […] Son génie, encore énigmatique, jouissait d’être compris par anticipation sur sa gloire. Être compris, pour un artiste, poète, peintre, musicien, statuaire, c’est être obligé. […] Quand on mesure par la pensée tout ce qu’il y a de sensibilité dans ses deux œuvres capitales : les Moissonneurs et les Pêcheurs de l’Adriatique ; quand on le voit passer, comme par une gamme prodigieuse, des impressions humaines de l’excès de vie, de jeunesse, d’amour, de bonheur, dans le char des Moissonneurs, à l’excès de mélancolie et d’abattement dans la barque des Pêcheurs ; quand on parcourt la distance morale qu’il y a de la figure de la fiancée couronnée d’épis et de pavots, dansant devant les bœufs du tableau de la Madonna dell’Arco, à la figure de la jeune épouse transie des frissons du départ, pressant son nourrisson dans ses bras, ou à la figure de la femme âgée et mourante, voyant partir pour la première fois ses deux petits-fils et voyant partir, pour la dernière fois aussi, le mari vieilli de ses beaux jours, qu’elle ne verra plus revenir, on comprend tout ce qu’a dû sentir, dans la moelle de ses nerfs, le peintre capable d’avoir exprimé ainsi les deux pôles extrêmes de la sensibilité humaine : l’excès de la félicité, l’excès de la douleur.

1719. (1922) Enquête : Le XIXe siècle est-il un grand siècle ? (Les Marges)

Intelligere, comprendre : il est plus grand de créer. […] On lui reprocherait plus justement d’avoir été trop intelligent, d’avoir voulu tout connaître, tout comprendre et tout expliquer. […] Stendhal n’est pas de ce siècle (« Je serai compris en 1880 »), et pas plus Baudelaire : eux deux enfantent par l’admirable, le prodigieux Symbolisme, ce xxe  siècle, qui nous annonce un nouvel âge classique. […] Mais ne soyons pas assez fous, assez inhumains, assez anti-français, pour nous amputer brutalement du siècle qui est notre père immédiat, du siècle qui tient encore si intimement à notre chair, et qui, malgré ses défauts, que nous savons comprendre et neutraliser, est le plus proche de notre cœur !

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