Casaubon, né à Genève de parents français réfugiés, y professait le grec depuis l’âge de vingt-trois ans ; il était gendre de Henri Estienne, et sa femme, la plus féconde des mères, lui donnait chaque année un enfant ; il y avait quatorze ans déjà qu’il enseignait, et il s’était fait connaître au dehors par des ouvrages de première qualité en leur genre, notamment par ses travaux sur Strabon, sur Théophraste, lorsque le président de Thou eut l’idée, sur sa réputation, et l’estimant le premier des critiques, de l’attirer en France et de le rendre à sa patrie : après les ravages des guerres civiles, les études y étaient comme détruites, et l’on avait bien besoin d’un tel restaurateur des belles-lettres. […] Il est très vrai que les études étaient fort tombées en France après les saturnales de la Ligue ; elles n’avaient pas moins besoin de réparation alors qu’elles n’en eurent besoin plus tard sous l’Empire au sortir des désastres de la Révolution : « Les fureurs de Mars, écrivait en ces années Casaubon à Scaliger, ont presque entièrement éteint dans les âmes le culte et l’amour des muses.
Je ne serais pas étonné que ce fût après avoir entendu quelqu’un des sermons prêchés par l’abbé Legendre que Fénelon ait écrit : « Il serait à souhaiter qu’il n’y eût communément que les pasteurs qui donnassent la pâture aux troupeaux selon leurs besoins. […] Son successeur Retz n’a besoin que d’être nommé : son règne épiscopal ne fut qu’un orage et un long danger. […] Charles Roux qu’ils ont été donnés avec des notes historiques ou biographiques, là où il en était besoin.
Eudore Soulié a eu besoin dans cette odyssée qu’il ne considère pas comme épuisée encore. […] Le théâtre avait besoin de lui, et il avait besoin du théâtre.
La fondation de l’Académie française par Richelieu (1635) ne fut que la reconnaissance publique et, pour ainsi dire, la promulgation officielle de ce besoin des esprits qui réclamait plus ou moins son organe et son Conseil supérieur de perfectionnement en fait d’élocution. […] Avant de passer à d’autres chefs-d’œuvre, elle sentit le besoin de se donner un dernier poli. […] En un mot on n’y perd pas un moment, et Son Éminence le peut croire d’un homme comme moi qui en ai été le promoteur, qui y donne le plus cher de mon temps et qui en passionne l’accomplissement comme y ayant un plus particulier intérêt d’honneur que personne. » Ces lettres, tout en faveur de Vaugelas, prouvent bien en même temps à quel point il y avait réellement besoin et urgence d’un Vaugelas pour épurer et alléger un peu ce style lourd et pesant des doctes Chapelain.
Je le sais, la doctrine du trop, de l’exagération dite légitime, de la monstruosité même, prise pour marque du génie, est à l’ordre du jour : je demande à n’en être que sous toute réserve ; j’habite volontiers en deçà, et j’ai gardé de mes vieilles habitudes littéraires le besoin de ne pas me fatiguer et même le désir de me plaire à ce que j’admire. […] Émotions et raisonnements, toutes les forces et toutes les actions de son âme se rassemblent et s’ordonnent sous un sentiment unique, celui du sublime, et l’ample fleuve de la poésie lyrique coule hors de lui, impétueux, uni, splendide comme une nappe d’or… « Il a été nourri dans la lecture de Spenser, de Drayton, de Shakespeare, de Beaumont, de tous les plus éclatants poëtes, et le flot d’or de l’âge précédent, quoique appauvri tout alentour et ralenti en lui-même, s’est élargi comme un lac en s’arrêtant dans son cœur… « Tout jeune encore et au sortir de Cambridge il se portait vers le magnifique et le grandiose ; il avait besoin du grand vers roulant, de la strophe ample et sonnante, des périodes immenses de quatorze et de vingt-quatre vers. […] Taine ne fait pas cet effort qu’il convient à l’historien littéraire d’exercer au besoin sur lui-même et contre lui-même, et il nous présente, avec une défaveur et une déplaisance marquées, ce poète réputé si longtemps le plus parfait de sa nation et que Byron saluait comme tel encore.
franchement, si ami que je sois de la réalité, je regrette que Mme Roland n’ait pas obéi jusqu’à la fin au sentiment de répulsion instinctive qui lui avait fait ensevelir en elle ce triste détail, et qu’elle ait cru devoir consigner si au long un incident plus que désagréable ; pour l’excuser, pour m’expliquer cette franchise que personne au monde ne lui demandait à ce degré, j’ai besoin de me représenter l’autorité suprême et l’ascendant prestigieux que l’exemple de Rousseau avait pris sur elle et sur les personnes de sa génération. […] À un moment, un ami s’était joint à eux, Lanthenas, une de ces âmes tendres et de ces têtes peu sûres d’elles-mêmes qui ont besoin de s’appuyer et de se donner. […] Mais ce n’était qu’un sentiment, non une passion, — non la passion véritable contre laquelle elle avait eu à lutter et dont elle parle en ses Mémoires comme d’une chose actuelle, disant de l’orage où elle vit et où elle se sent comme enveloppée qu’elle a besoin de toute la vigueur d’un pour sauver à peine l’âge mûr.
Les amis politiques (c’est tout simple) disent du bien d’elle, et ils jetteraient au besoin un voile sur les défauts ; mais les hommes d’un autre parti, les adversaires ou ceux qui ne la voyaient pas sans prévention, s’ils sont d’honnêtes gens, parlent aussi en sa faveur et à son avantage ; ils sont tous d’accord sur le charme et la grâce : nous n’avons qu’à les écouter. […] Elle n’avait pas besoin de parler pour qu’on lui soupçonnât de l’esprit, mais aucune femme que j’aie entendue ne parlait avec plus de pureté et d’élégance. […] L’énergie, le soin et la vigilance dont elles ont eu besoin pour se former et s’élever, pour conquérir l’éducation et la perfection du bien penser et du bien dire, laissent des marques et passent à l’état d’habitude, lors même qu’il n’y a plus d’effort à faire : que vous dirai-je ?
C’est de paroles douces plutôt que sévères que Lisette a besoin ; Lisette est spiritualiste. […] Livrée à elle-même, elle est à l’allégresse ; elle a besoin de s’avertir, de se donner de temps en temps un coup de coude, pour se reprendre aux douleurs communes et aux angoisses. […] J’ai pourtant besoin, en finissant, de revenir à Eugénie de Guérin pour nous reposer sur des tons plus doux et rentrer dans l’harmonie qui nous est plus familière.
Les désastres qu’entraîna le Système réhabilitèrent après coup son administration qui avait besoin de ce repoussoir pour s’embellir. […] L’ambition avait toujours été dans ce courtisan le double besoin d’une âme avide et d’un esprit inquiet. […] Je n’ai pas besoin de dire que cela est léger et injuste ; j’ai rappelé plus haut le mérite de membres éminents de la famille de Noailles dans le xvie siècle.
Chéruel : Saint-Simon, qui n’était à aucun degré militaire, n’a pas su reconnaître ce qui a fait, bien avant Denain, le mérite et la distinction de Villars, ce qu’il avait de hardi dans les conceptions, et aussi d’habile et de prudent au besoin dans les manœuvres. […] Saint-Simon aurait bien eu besoin d’avoir parmi ses amis un bon général de cet esprit et de ce mérite, pour le renseigner ou le redresser sur les faits de guerre. […] Il y a tel homme en renom de nos jours qui, au besoin, servirait à nous expliquer ce problème de M. de Harlay, à nous en rendre compte ; le personnage en soi est rare, il n’est pas introuvable : que de fois n’ai-je pas vu louer ses talents incontestés ?
Ces Suard, ces Morellet, tout académiciens qu’ils sont devenus, n’étaient ni plats ni serviles ; ils savaient au besoin se faire mettre, comme d’autres, à la Bastille ou dans un château fort. […] Hommes d’observation, de sincérité et de hardiesse, ils se sont fait une doctrine à leur usage : ils se sont dit de ne pas répéter ce qui a été dit et fait par d’autres ; ils vont au vif dans leurs tableaux, ils pénètrent jusqu’au fond et aux bas-fonds ; ils veulent noter la réalité jusqu’à un degré où on ne l’avait pas fait encore ; ils tiennent, par exemple, à copier et à reproduire la conversation du jour et du moment, les manières de dire et de parler si différentes de la façon d’écrire, et que les auteurs, d’ordinaire, ne traduisent jamais qu’incomplètement, artificiellement ; ils ne reculent pas au besoin devant la bassesse des mots, fussent-ils dans une jolie bouche et du jargon tout pur, confinant à l’argot ; ils imitent, sans rien effacer, sans faire grâce de rien ; ils haïssent la convention avant tout ; pas d’école : « Aussitôt qu’il y a l’école de quelque chose, ce quelque chose n’est plus vivant. » Ils haïssent la fausse image et le ponsif du beau : « Il y a un beau, disent-ils, un beau ennuyeux, qui ressemble à un pensum du beau. » Très-bien : Je les comprends, je les approuve, je les suis volontiers, ou à très-peu près, jusque-là. […] A un endroit ils nous montrent une entrée de bal, un défilé de femmes au moment où elles arrivent dans le salon : il y en a six, six profils de suite décrits par eux avec un art, un soin, une ciselure, une miniature des plus achevées ; mais les peintres écrivains ont beau faire, ils ont beau dire, ils ont beau multiplier et différencier les comparaisons de médaillons et de camées, je ne me fais pas une idée distincte de ces six têtes, je les confonds malgré moi : six, c’est trop pour mon imagination un peu faible ; la prose n’y suffit pas : j’aurais besoin d’avoir les objets mêmes sous les yeux, ici la confusion des moyens d’expression entre un art et l’autre est sensible.
Le besoin qu’on a en toute chose de vérifier, de remonter aux sources, d’épuiser les documents, de fixer les particularités, conduit à des résultats qui démentent le plus souvent la tradition, qui la déjouent, qui quelquefois n’en laissent rien subsister. […] Les gens d’esprit qui trouvent ont besoin de marquer leur place et de forcer un peu leur manière de voir, afin qu’on la distingue plus aisément. […] Tout cela est dans l’ordre, et je ne vois pas que personne ait manqué de tact ni ait eu besoin d’une leçon.
Au reste, dans une introduction comme celle-ci, l’inconvénient n’existe qu’assez secondaire : ces tableaux généraux ont besoin d’une perspective ; celle que l’auteur trouvait tout naturellement tracée et éclairée par sa foi était la plus magnifique qu’il pût offrir. […] Je ne sais s’il est vrai qu’au sortir d’une conférence de Lacordaire M. de Montalembert se soit laissé aller à dire : « Quand on vient d’entendre de ces choses, on sent le besoin de réciter son Credo ; » mais il est bien certain qu’après avoir entendu un discours ou lu quelque écrit de M. de Montalembert, l’abbé Lacordaire disait : « Cet homme sera donc toujours le disciple de quelqu’un ! […] les années, les souffrances, les échecs et les humiliations de l’amour-propre, tout ce qui aurait dû rabattre de son habitude agressive n’a fait au contraire qu’irriter en lui ces besoin, cette rage d’insulte et d’invective qu’il semble avoir retenus de son premier maître La Mennais et qui fait tache dans son noble talent.
La conduite des femmes d’alors, les plus distinguées par leur naissance, leur beauté et leur esprit, semble fabuleuse, et l’on aurait besoin de croire que les historiens les ont calomniées. […] L’éloignement n’avait fait qu’exalter sa tendresse ; elle n’avait guère autre chose à quoi penser ; les questions, les compliments de tous ceux qu’elle voyait la ramenaient là-dessus ; cette chère et presque unique affection de son cœur avait fini par être à la longue pour elle une contenance, dont elle avait besoin comme d’un éventail. […] Seulement il est besoin de s’entendre : elle ne rêvait pas sous ses longues avenues épaisses et sombres, dans le goût de Delphine ou comme l’amante d’Oswald ; cette rêverie-là n’était pas inventée encore9 ; il a fallu 93, pour que Mme de Staël écrivît son admirable livre de l’Influence des Passions sur le Bonheur.
L’expérience individuelle et le consentement universel, voilà tout ce dont Boileau a besoin, une fois posée l’identité du vrai et du beau, pour donner des lois à la poésie. […] Puis, pour le besoin de sa thèse, il n’hésitait pas à régler ses préférences sur la chronologie, à mettre Lebrun au-dessus de Raphaël, à donner la colonnade du Louvre comme plus belle que le Panthéon ; ignorant l’art gothique, il ne voyait guère hors de la France ni de son siècle ; il ne produisait guère, sans y penser, que des imitations modernes de l’antiquité pour preuve de l’infériorité des anciens. […] Mais si l’on songe que jusque-là, dans l’Art poétique et ailleurs, Boileau n’avait jamais regardé les œuvres littéraires que dans leur relation au genre, sorte de type analogue aux idées platoniciennes, seul élément d’estimation, et seul principe de classification, dont chaque ouvrage tirait et sa raison d’être et sa valeur, selon qu’il le réalisait plus ou moins complètement : si l’on songe qu’il n’avait jamais demandé que la connaissance des règles et le génie pour la création des chefs-d’œuvre poétiques, et ne croyait pas avoir besoin d’une autre considération pour expliquer que la Pucelle n’égale pas l’Iliade, on comprendra tout le chemin que Perrault fit faire à Boileau.
Il a mis en évidence ce qu’il entre d’amour-propre, de besoin de dominer, de « pique », et, après tout aussi, de « jeunesse « et de « nature » dans l’amour ; il a montré comment l’amour-propre encore et, de plus, la méfiance, la timidité, le préjugé social, certain instinct de liberté, font obstacle à l’inclination naissante. […] En même temps s’éveillaient dans les âmes des besoins nouveaux. […] Les Italiens et la Foire La Comédie-Française était seule à jouer des tragédies : elle maintenait au besoin les auteurs dans la tradition.