/ 3057
361. (1881) Le naturalisme au théatre

Dans tous les arts, le don est nécessaire. […] dans aucun art ! […] Tout l’art n’est pas contenu dans une formule. […] Je préfère la vie à l’art, je l’ai dit souvent. […] le grand art n’est pas l’art monté sur des échasses, l’art en tartines, l’art qui tient de la place et qui fait les grands bras, en roulant les yeux.

362. (1857) Cours familier de littérature. III « XVIe entretien. Boileau » pp. 241-326

La Grèce a la supériorité dans l’art, cette logique de la pensée, de l’imagination et du sentiment. De tout ce que la Grèce touche, divinité, philosophie, politique, poésie, musique, drame, histoire, architecture, marbre, pierre, pinceau, elle fait un art accompli. […] On crut que l’Horace latin de l’Art poétique, des Épîtres et des Satires, s’était incarné de nouveau à Paris pour châtier les lettres et pour amuser un autre Auguste : on se trompait. […] Si nous avions à la définir comme nous la comprenons, nous dirions : la critique est la logique des arts, de l’art de penser et d’écrire comme de tous les autres arts que l’esprit humain a inventés pour exercer les forces de son intelligence ou de ses sens à la gloire de son être. Sans cette logique des arts, qui doit gouverner, à son insu, même le génie, le génie ne serait qu’une sublime démence.

363. (1908) Dix années de roman français. Revue des deux mondes pp. 159-190

Joris-Karl Huysmans vers l’art catholique nous a valu des œuvres fortes et singulières ne relevant presque plus de l’imagination, mais plutôt du genre des mémoires et de l’autobiographie, et qui resteront comme de ferventes études lyriques d’art religieux. […] Qui mieux que Pierre Loti a su atteindre la puissance communicative dans les sensations que son art provoque ? […] Dans son art, néanmoins, la même simplicité des moyens se manifeste toujours. […] De superbes qualités morales, de vigoureuses qualités d’art caractérisent cette odyssée grandiose et frémissante. […] Entre toutes, je dois rendre hommage, ici même, à l’art probe et délicat de Mme Th. 

364. (1900) Le rire. Essai sur la signification du comique « Chapitre I. Du comique en général »

Issue de la vie réelle, apparentée à l’art, comment ne nous dirait-elle pas aussi son mot sur l’art et sur la vie ? […] Son art, qui a quelque chose de diabolique, relève le démon qu’avait terrassé l’ange. […] Mais l’art du conteur et du vaudevilliste ne consiste pas simplement à composer le mot. […] Au-dessous de l’art, il y a l’artifice. C’est dans cette zone des artifices, mitoyenne entre la nature et l’art, que nous pénétrons maintenant.

365. (1898) L’esprit nouveau dans la vie artistique, sociale et religieuse « I — L’avenir du naturalisme »

La méthode expérimentale et la conception qu’elle comporte, sont pour lui aussi compatibles avec l’art du romancier qu’avec la science du médecin. […] On nomme les choses et les êtres par dos vocables artistement choisis, et l’art ne manque jamais d’accorder les plus rudes créatures au bon ton de la société. […] A cet art anti-réel, anti-esthétique, anti-humain, anti-vivant, il oppose, d’un brutal effort, le torrent houleux des matérialités. […] Il reprend par le bas cette immense investigation de la nature et de la vie qu’est au fond toute science, tout art, toute littérature. […] Qu’il nous suffise de citer, en art, la glorieuse école « impressionniste » française, succédant au réalisme quelque peu étroit de la première heure.

366. (1772) Bibliothèque d’un homme de goût, ou Avis sur le choix des meilleurs livres écrits en notre langue sur tous les genres de sciences et de littérature. Tome II « Bibliotheque d’un homme de goût — Chapitre X. Des Livres nécessaires pour l’étude de la Langue Françoise. » pp. 270-314

C’est de ce mot qu’est venu celui de Grammaire, qui est l’Art de bien parler & de bien écrire. […] Cet ouvrage, auquel l’illustre Docteur Arnaud a eu beaucoup de part, contient d’une maniere nette & précise les fondemens de l’art de parler. […] D’ailleurs, il s’énonce par-tout avec tant de précision, de netteté, de pureté même & de clarté, qu’il est à la fois à la mesure des lecteurs les plus exercés dans les discussions de l’art grammatical, & à la portée de tous les autres. […] Les mots qui ont rapport aux sciences, & sur-tout aux arts & aux métiers, ne sont ni clairement définis, ni suffisamment développés. […] Mais s’il ignoroit l’art de penser, il apprit du moins à bien des gens à parler purement.

367. (1767) Salon de 1767 « Peintures — Vien » pp. 74-89

C’est toute la magie secrette de l’art, sans apprêt, sans recherche, sans effort. […] Remarquez, à travers la plus grande intelligence de l’art, qu’il est sans idéal, sans verve, sans poésie, sans mouvement, sans incident, sans intérêt. […] Le module du statuaire est communément grand ; la nature du choix de cet art est exagérée. […] Car à juger du progrès de l’art par la perfection de ces figures, il avoit été poussé fort loin, et l’on a de l’expression longtems avant que d’avoir de l’exécution et du dessein. […] Tout le tableau bien colorié… " oui, aussi bien qu’un artiste qui ne connoit pas l’art des glacis.

368. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Paul-Louis Courier. — I. » pp. 322-340

Ce qu’il est avant tout, en même temps qu’un homme d’humeur, c’est un homme d’art et de goût ; c’est un habile et, par endroits, un exquis écrivain : là est sa supériorité et sa gloire. […] Commandant d’artillerie, il ne croit pas à son métier ni à son art ; et quand il entrevoit, en s’arrêtant un moment dans une bibliothèque, l’occasion de publier et de traduire quelque ancien, il se moque encore de cette gloire-là ; mais il est évident, à la manière dont il en parle, qu’il y croit plus qu’à l’autre. […] Mais Courier va plus loin, il doute de l’art militaire même et du génie qui y a présidé dans la personne des plus grands capitaines ; il doute d’Annibal, il doute de Frédéric, il doute de Napoléon ; lui qui a l’honneur de servir sous Saint-Cyr et qui le reconnaît « le plus savant peut-être dans l’art de massacrer », il ne prend nul goût à s’instruire sous ce maître ; il a l’air de confondre Brune et Masséna ; la première campagne d’Italie pour lui n’est pas un chef-d’œuvre. […] Peu de matière et beaucoup d’art, c’est là toute la devise et le secret du talent de Courier. […] Que Courier laisse donc l’histoire à laquelle il n’a pas confiance et qui est trop vaste pour lui ; mais l’art, mais la nature, mais le beau sous la forme classique et antique, voilà à quoi il excelle.

369. (1824) Discours sur le romantisme pp. 3-28

Ainsi, au milieu des sentiments qui font éclater la joie publique, il existe pour nous un motif particulier de nous réjouir, et d’honorer, dans le père de la patrie, le père des lettres, des sciences et des arts. […] Nous ne voulons pas leur contester, nous avons remarqué comme eux, que les productions des lettres et des arts subissent toujours plus ou moins l’influence des opinions et des habitudes contemporaines. […] La vérité, dans les arts, consiste à représenter d’abord la nature et l’homme, tels qu’ils existent en tout pays et en tout temps ; et secondairement à marquer les différences accidentelles qui modifient leur extérieur, suivant les contrées ou les époques. […] Il est, dans les arts, un excès de naturel qui est la pire des affectations, et un degré de vérité niaise ou abjecte qui ferait préférer une élégante imposture. […] Ils savent que, dans les arts, la partie la plus noble de nous-mêmes veut autre chose que l’imitation de ce qui tombe sous nos sens ; que, dans la poésie particulièrement, l’âme et l’imagination demandent, pour aliment de leur dévorante activité, ces sentiments profonds et en quelque sorte infinis, dont la religion et l’amour sont les deux principales sources ; et que l’esprit même ne saurait être entièrement captivé qu’à l’aide de cet art délicat, qui consiste à ne pas arrêter avec trop de fermeté les formes de certains objets, et à étendre sur quelques autres un voile qui les laisse entrevoir ou seulement soupçonner.

370. (1892) L’anarchie littéraire pp. 5-32

Ils jetaient naïvement l’anathème à la science et croyant l’art incompatible avec le socialisme, ils furent réfractaires. […] Artiste dans la plus forte acception du terme, il exprime sa pensée en phrases irréductibles et ne voit dans l’art que la science du nombre, le secret de la grande harmonie. […] Ainsi le socialisme, qu’un des préjugés régnants disait être la négation de l’Art pour l’Art, en serait au contraire la voie directe, le moyen, l’affirmation. » Beaucoup de Socialistes sont d’origine décadente, symboliste, romantique ou naturaliste. […] Je dois dire que le plus grand nombre de ces écrivains ont du talent et un souci de l’Art que ne connurent point leurs aînés. […] L’Art social est donc la dernière formule vers laquelle tendent toutes les littératures.

371. (1895) Histoire de la littérature française « Quatrième partie. Le dix-septième siècle — Livre I. La préparations des chefs-d’œuvre — Chapitre III. Trois ouvriers du classicisme »

Le cartésianisme, négation de l’art : union du cartésianisme et de l’art dans le classicisme. […] Sa règle n’était pas la bienséance mondaine, mais l’effet d’art ; il effarouchait quelquefois les ruelles par l’emploi de certaines vulgarités pittoresques, qu’il se refusait à supprimer ; si elles étaient amenées, et si elles étaient fondues, il estimait qu’on n’avait rien de plus à demander. […] Et il manque aussi trop absolument du sens de l’art : cet élément essentiel des œuvres antiques, la beauté, il ne le découvre pas ; ces règles dont il fait tant de bruit, sont un mécanisme plutôt qu’une esthétique. […] Mais le cartésianisme, par son caractère rigoureusement scientifique, exclut l’art : il n’y a pas d’esthétique cartésienne, ou, si l’on veut, elle consiste à réduire l’art à la science, à l’y confondre. […] Seulement il ne pouvait sortir du pur rationalisme qu’une littérature scientifique, une sorte de positivisme littéraire, sans caractère esthétique, réduisant l’expression à la notation pour ainsi dire algébrique de l’idée : ni poésie, ni éloquence, ni forme d’art ; un langage sec, abstrait, logique.

372. (1887) La banqueroute du naturalisme

D’abord, parce qu’il est toujours pénible de voir un homme de talent se fourvoyer sans ressource ; et puis, parce qu’il est plus pénible encore de le voir compromettre avec lui, dans son aventure, ce qu’il pouvait y avoir de justesse et de vérité dans les théories d’art auxquelles les circonstances avaient attaché son nom. […] C’est que ceux-ci ont vraiment aimé les humbles et les dédaignés, cette foule anonyme et obscure, que le grand art, l’art officiel et d’apparat, si l’on peut ainsi dire, avait rayée de ses papiers. […] Et s’ils n’ont pas reculé devant la peinture de la laideur et de la vulgarité, c’est qu’ils ont cru que l’on avait inventé l’art pour nous en consoler, en les anoblissant. […] Ayant renouvelé d’abord les moyens de la pornographie, il a pensé que le temps était venu, dans le programme de son art démocratique et social, de renouveler aussi les moyens de la scatologie. […] Zola, lui, a réalisé toutes les craintes qu’il nous inspirait ; et comme il a eu l’art de lier la cause du naturalisme à celle de ses romans, c’est le naturalisme qui paiera pour M. 

373. (1874) Premiers lundis. Tome I « Alexandre Duval de l’Académie Française : Charles II, ou le Labyrinthe de Woodstock »

L’auteur, en commençant, ne se dissimule pas quel courage est nécessaire pour oser en pareil temps exposer des idées saines sur l’art dramatique : mais, en prenant la plume, il s’est résigné à subir les conséquences de sa témérité ; et dût la cabale ameutée immoler à son fanatisme la nouvelle pièce classique qu’il nous promet avant un mois peut-être, la vérité l’emporte, et il va la proclamer hautement. […] Duval, et après avoir constaté l’état actuel de l’art dramatique en France, d’en prévoir l’avenir, d’en conjecturer la chute ou le triomphe, enfin d’indiquer les remèdes et les ressources. […] Jusqu’ici, il est vrai, la politique, qui a tout envahi, a écrasé l’art, et ne lui a pas fait dans l’ordre nouveau une place large, commode, splendide, telle qu’il la mérite et telle qu’il l’aura. […] Aujourd’hui que la victoire semble décidée et que bientôt la sécurité va naître, la politique et l’art se sépareront sans s’isoler ; l’art, retiré du tourbillon, jeune encore et déjà mûr d’expérience, tracera dans la solitude son œuvre pacifique, qu’il animera de toutes les couleurs de la vie, de toutes les passions de l’humanité. […] Charles II, ou le Labyrinthe de Woodstock, comédie en trois actes, en prose, précédée d’une notice sur l’état actuel des théâtres et de l’art dramatique en France ; par M. 

374. (1902) L’humanisme. Figaro

La théorie du Parnasse a été celle de l’art pour l’art, ou plus exactement de la beauté pour la beauté. Agnostiques de l’art, les parnassiens ont restreint le champ de la poésie, comme l’agnosticisme avait restreint le domaine de la philosophie. […] Nous qui venons après eux, instruits par leur exemple, nous rêvons un art plus enthousiaste à la fois et plus tendre, plus intime et plus large, un art direct, vivant, et d’un mot qui résume tout : humain. […] Il renoue heureusement, la tradition avec l’admirable Pléiade, qui, délaissant les allégories du moyen âge, et remontant à l’art antique, source de toute beauté, sut retrouver sous les humanités l’humanité. […] Mais il proclame, lui aussi, avec toutes les âmes jeunes et hardies de notre temps, cette doctrine de l’humanisme, qui s’empare actuellement de toute la civilisation moderne et qui dirige en un sens très déterminé la littérature, l’art, la politique, la sociologie d’aujourd’hui et de demain.

375. (1905) Les œuvres et les hommes. De l’histoire. XX. « La Grèce antique »

Grâce à un sens critique et une sûreté d’érudition dont nous parlerons tout à l’heure, il nous aide merveilleusement à séparer l’art et l’artiste des réalités de l’Histoire. […] L’art de gouverner, la politique, manque à la Grèce. […] Ainsi, quand on l’oppose au nôtre, on peut résumer le monde grec dans une douloureuse infériorité : l’absence de la famille, entraînant nécessairement l’abaissement le plus honteux de la morale, le règne des courtisanes, etc., etc., et l’inhabileté constatée au grand art, le plus digne de la mâle raison de l’homme, la politique, l’art de gouverner. […] Cette forme aimée et poursuivie comme un rêve, et enfin saisie par ces esprits nets et aiguisés, comme la lumière est saisie par les angles du diamant taillé qui la captive, explique la seule supériorité qu’ils eurent, leur force incomparable dans les arts, et surtout dans les arts plastiques, où la conception de l’infini est le moins nécessaire. […] C’est à Lerminier qu’il faudrait appliquer ce mot, écrit par lui de Montesquieu « : Il a la passion de l’impartialité, mais c’est une passion contenue, surveillée, sûre de son désir et de son effort, moins une passion qu’un art réfléchi, calculateur et caché, qui va du rayonnement du Beau jusqu’au rayonnement, plus pur encore, de la Justice, par le fait de cette loi magnifique qui veut que toutes les vérités se rencontrent, à une certaine profondeur. » Nous avons dit qu’après avoir lu cette histoire il n’était plus possible de garder la moindre illusion sur la valeur morale et politique des Grecs, mais, en exprimant une telle opinion, nous n’avons point entendu parler des partis.

376. (1906) Les œuvres et les hommes. Femmes et moralistes. XXII. « Les Femmes et la société au temps d’Auguste » pp. 293-307

Il nous donne les femmes et la société du temps d’Auguste, et pour commencer ses impertinences de dandy, que je ne hais pas, il place Cléopâtre sous Auguste, quoiqu’elle fût à côté, et quoique, des femmes sous Auguste, il n’y en ait dans son livre que deux : Livie et Julie, — plus Horace, qui, selon moi, n’était d’aucun sexe, lui, mais un impuissant de tête et de cœur, habile seulement dans l’art physique de faire des vers. […] Blaze de Bury est un psychologue, et il ne fait si grand cas de Plutarque parmi les historiens de l’Antiquité que parce qu’il est un psychologue, ayant bien plus pour visée le vrai humain que le vrai historique… Pour lui, l’histoire, en fin de compte, n’est qu’un art, comme la peinture et la statuaire, — et comme l’art n’existerait pas et qu’il ne serait qu’une abstraction sans l’artiste, voilà qu’une telle définition tue, d’un seul coup, l’histoire, mais au profit de l’historien ! […] Pour eux, on peut dire justement que l’Histoire est un art… Mais l’Histoire, comprise par les Modernes, dont les besoins de vérité et de moralité sont bien supérieurs à ceux des Anciens, l’Histoire a la noble ambition d’être une science indépendante de l’historien, et d’arriver à l’objet de toute Science, qui est la Certitude, quel que soit le talent ou l’art de celui qui s’est donné fonction de l’écrire. […] Et encore ma comparaison n’en dit pas assez, car le bronze mal venu et le marbre mal taillé ne sont plus de l’art, et il faut recommencer l’œuvre manquée, chercher et atteindre une forme plus savante ou plus idéale ; tandis que l’historien sans talent, sans valeur par lui-même, n’empêche pas l’Histoire qu’il a mal écrite d’être encore de l’Histoire. […] Mais il mêle ce qu’il sait à ce qu’il déduit ou à ce qu’il invente, et il entrelace, avec un art de sorcier, la réalité historique à sa fantaisie individuelle, et il les étreint dans une telle intimité qu’on ne sait bientôt plus où l’on en est, — si c’est chair ou poisson ce qu’on mange.

/ 3057