Ce qui est conçu se réalisera. » Tristan et Iseult devait venir, quelques années après, justifier magnifiquement cette hardie parole. […] « J’avertis les honorés Patrons des Fêtes de Bayreuth, que l’aimable consentement d’éminents musiciens et chanteurs me permet d’annoncer une grande exécution de la Neuvième Symphonie de Beethoven sous ma direction, à Bayreuth, le jour de la pose de la première pierre du théâtre provisoire, le 22 mai ce cette année. […] La construction même du théâtre, faite dans l’année 1873, n’avait pu être achevée que lorsque Wagner avait réuni l’argent nécessaire, par des efforts personnels, à Berlin, Hambourg et Cologne. Si mille amis s’étaient pu trouver en position de sacrifier trois cents thalers, après deux années nécessaires à l’établissement de l’entreprise, la construction du théâtre et ses représentations auraient été assurées.
Quand, dans l’asile d’Earlswood, un imbécile peut répéter exactement une page de n’importe quel livre, lue bien des années auparavant et même sans la comprendre ; quand un autre sujet peut répéter à rebours ce qu’il vient de lire, comme s’il avait sous les yeux une « copie photographique des impressions reçues » ; quand Zakertorf joue, les yeux bandés, vingt parties d’échecs à la fois, sans regarder autre chose que des échiquiers imaginaires ; quand Gustave Doré ou Horace Vernet, après avoir attentivement contemplé leur modèle, font son portrait de mémoire ; quand un autre peintre copie de souvenir un Martyre de saint Pierre par Rubens avec une exactitude à tromper les connaisseurs, on devine bien que la conservation et la reproduction si exactes des impressions reçues doit avoir ses causes dans les organes. […] Ici encore, nous voyons les sentiments, et surtout ceux des jeunes années, résister mieux que les idées à l’influence destructive de la maladie, tant il est vrai que la sensibilité et la volonté sont le fond de la vie même et conséquemment de la mémoire. […] On a vu en Russie un célèbre astronome oublier tour à tour les événements de la veille, puis ceux de l’année, puis ceux des dernières années, et ainsi de suite, la lacune gagnant toujours, tant qu’enfin il ne lui resta plus que le souvenir des événements de son enfance.
Année 1883 Lundi 1er janvier Dans l’après-midi Daudet, qui vient avec sa femme et ses enfants, me souhaiter le bon an, m’annonce que Gambetta est mort. […] Au temps de la jeunesse du peintre, je l’avais trouvé insupportable, plus tard, et surtout depuis quelque années, où je dînais avec lui chez Sichel, j’avais découvert sous l’enveloppe balourde et grossière de l’homme, un loyal garçon. […] » Lundi 2 avril Un jour, où je devais travailler, donné tout entier, à la première du printemps, à la gaieté riante du premier beau jour de l’année. […] Lundi 31 décembre La patrie de mon esprit, toute cette fin d’année, a été la salle à manger et le petit cabinet de travail de Daudet.
Nous l’avons déjà dit, mais nous le répétons : Villemain a peu écrit relativement aux années et au loisir d’un homme heureux qui ne fut que littérateur, et qui tira de sa littérature jusqu’à ses fonctions politiques ; et cependant, malgré leur petit nombre, les quelques volumes de critique et d’histoire qu’il a publiés ne justifieront point, par leur valeur, le temps qu’il lui a fallu pour les produire. […] Si, de l’adjonction des capacités qu’il regrette, « on en est venu — dit Villemain — à ce qui lui ressemble le moins, le suffrage universel (nous croyons, nous, que c’est ce qui lui ressemble le plus), est-ce une raison pour ne plus souffrir dans le pays un degré supérieur, une aristocratie d’études destinée surtout à la classe aisée, et promettant, par l’habile emploi des premières années de la jeunesse, une recrue certaine d’esprits cultivés ? » Évidemment, si l’on comprend bien, c’est toujours là le gouvernement des classes moyennes, baptisé par Guizot et transporté dans l’instruction publique ; c’est toujours ce gouvernement des Montmorency de la bouteille à l’encre et des Bayards de la leçon d’une heure, qu’il faut reconstituer à tout prix et en vue duquel on demande plaintivement aujourd’hui, mais sans modification d’aucune sorte, le maintien de l’état de choses qui nous a régis tant d’années, sans nous conduire et sans nous diriger. […] C’est l’enthousiaste de la Révolution française, qui eut la bravoure de son enthousiasme, et rompit pour elle avec Burke une amitié de vingt-cinq années !
Bitaubé prit, il y a quelques années, de refondre cette Traduction libre, & d’en donner une entiere & plus fidelle, n’a pas fait revenir les esprits sur cette Production restée médiocre, quoique vantée par les Journalistes ; mais son Poëme en prose sur la fondation des Provinces-Unies, intitulé Guillaume de Nassau, lui a mérité le suffrage & l’estime des Connoisseurs.
Il y avait cette année à la foire un marchand de bosses ; tous ses meubles furent consumés, tous ses plâtres mis en pièces ; il n’y eut que le groupe de L’Amour et de l’Amitié qui resta intact au milieu des flammes et de la chute des murs, des poutres, des toits, en un mot de la dévastation générale qui s’étendit de tous côtés, autour de leur piédestal sans en approcher.
La dévastation et les incendies célèbres qu’entraînèrent ces luttes d’ambition lui causèrent des peines inexprimables : « Quand je songe aux incendies, il me vient des frissons… Toutes les fois que je voulais m’endormir, je revoyais tout Heidelberg en feu ; cela me faisait lever en sursaut, de sorte que je faillis en tomber malade. » Elle en parle sans cesse, elle en saigne et en pleure après des années ; elle en garda à Louvois une haine éternelle : « J’éprouve une douleur amère, écrivait-elle trente ans après (3 novembre 1718), quand je pense à tout ce que M. […] Le peu qui s’est fait de bien dans les dernières années, elle l’attribue à Louis XIV ; tout ce qui s’est fait de mal, elle l’impute à celle qu’elle considère comme un mauvais génie et le diable en personne, à Mme de Maintenon. […] Ce sont des antipathies de race, de condition, d’humeur, et que de longues années passées en présence, dans la vue continuelle et dans une étroite contrainte, n’ont fait que cultiver, fomenter en secret et exaspérer.
Il a touché durant des années au manteau de Bossuet, et il lui en reste quelque chose ; il en retient une vertu. […] Mais le journal que l’abbé Le Dieu s’est avisé de tenir durant des années, et qu’il a commencé quatre ans environ avant la mort de Bossuet pour le poursuivre presque jusqu’à l’époque de sa propre mort (1699-1713), est d’un caractère tout différent, et j’ai peine à ne pas regretter qu’il ait été publié in extenso : car il ne fait honneur à personne. […] L’année d’après nous lisons cet article, qui complète les précédents : Ce samedi 24 (juillet 1706), cet agent (l’agent des Bossuet, Cornuau) m’a envoyé le missel de Meaux, en maroquin, de feu M. de Meaux, que j’avais demandé à l’abbé Bossuet dès Paris, et qu’il ne m’avait accordé qu’à son corps défendant ; mais enfin je le tiens : il faut tirer ce qu’on peut de mauvaise paye.
… » Comme Voltaire l’avait dénoncé d’emblée aux puissances et signalé comme un calomniateur de Louis XIV, de Louis XV et du roi de Prusse, La Beaumelle le rappelait à l’ordre et lui faisait toucher son inconséquence : « Apprenez qu’il est inouï que le même homme ait sans cesse réclamé la liberté de la presse, et sans cesse ait tâché de la ravir à ses confrères15. » Il y a même une lettre assez éloquente, la xiiie , dans laquelle l’auteur suppose un baron allemand de ses amis, qui s’indigne de l’espèce de défi porté par Voltaire, dans son enthousiasme pour le règne de Louis XIV : « Je défie qu’on me montre aucune monarchie sur la terre, dans laquelle les lois, la justice distributive, les droits de l’humanité, aient été moins foulés aux pieds… que pendant les cinquante-cinq années que Louis XIV régna par lui-même. » La réponse est d’un homme qui a souffert dans la personne de ses pères et qui sort d’une race odieusement violentée dans sa conscience, opprimée depuis près de quatre-vingts ans16 et traquée. […] Si ce procédé consistait seulement à corriger les fautes de français de Frédéric, les impropriétés d’expression, on le concevrait, on l’excuserait presque ; on se rappellerait que ce sont là des libertés que se sont permises presque tous les éditeurs de son temps et même du nôtre, si l’on excepte ceux des dernières années. […] [NdA] L’oppression avait commencé bien des années avant la révocation proprement dite de l’Édit de Nantes.
… non pas les amis du Régent, à qui cela était bien égal et qui en pensaient tout autant, mais les partisans de la vieille Cour, les hommes des regrets, les Villeroy, les Fleury, les Polignac, qui en font leur affaire, et qui piquent d’honneur l’Académie où ils se sentent maîtres (ils ne l’étaient plus que là), l’Académie de tout temps vouée à diviniser le grand roi et qui mettait chaque année au concours une de ses vertus. […] La généalogie des fauteuils continuée jusqu’à nos jours, et qui a été inventée, il y a une trentaine d’années, par je sais bien quel professeur d’histoire qui trouvait que cela faisait bon effet dans un tableau synoptique45, est donc fausse comme beaucoup de généalogies. […] Les discours ou morceaux d’éloquence à couronner chaque année n’étaient d’abord, d’après la fondation première de Balzac, que des sermons moraux, de vrais sermons sur un texte donné de l’Écriture, et le discours qui avait le prix ne paraissait qu’avec l’approbation de deux docteurs de Sorbonne.
Mais ce n’était qu’un projet de voyage encore, et qui sommeilla durant quelques années jusqu’à l’hiver de 1765-1766, où seulement il fut mis à exécution. […] Elle eut, durant ces années, des diversions et distractions très vives, des mélancolies même et des chagrins. […] Elle voyagea l’année suivante en Hollande et prit la résolution de mettre son fils (car elle avait un fils de son mari) à l’Université de Leyde, pour y suivre ses études et les y faire meilleures qu’en France ; cette résolution fit beaucoup jaser et prêta à la critique.
La publication de ces seize volumes ne dura pas moins de onze années (1807-1818). […] Il est question d’elle presque dans chaque lettre ; on a, par ce témoin fidèle, et plus exactement encore qu’on ne le savait jusqu’ici, tout le mouvement de ses inquiétudes et de ses anxiétés, toutes ses fluctuations d’âme en ces années dites de l’exil. […] Bonstetten, l’aimable, le léger, l’étourdi, l’éternellement jeune, sur lequel glissent les années et les chagrins, que la douleur n’atteint pas, « car l’imagination est le fond de son être, c’est par elle qu’il est sensible et par elle qu’il est consolé » ; Bonstetten, qui, dans un temps loge avec Sismondi sons le même toit, et qui le taquine souvent ou le désole par ses malices, par ses pétulances, par ses frasques ; à qui ridée prend subitement un jour de demander la mère de son ami en mariage ; Bonstetten qui a au moins vingt-cinq ans de plus que lui, et que Sismondi ne peut s’empêcher cependant de regarder, comme un jeune homme qui lui serait recommandé et confié ; le même « qui oublie, il est vrai, ses amis à tous les moments du jour, mais qui, aussi, ne les abandonne jamais » ; cet espiègle qui communique quelque chose de sa vivacité et de son genre d’esprit à tous ceux qui veulent le définir, Bonstetten n’est qu’un contraste : Schlegel était une antipathie.
. — Une Année dans le Sahel 24. […] Une Année dans le Sahel (1859). […] Voir dans la Gazette des Beaux-Arts (année 1859, tome II, page 293) une belle gravure de ce tableau par Piaud, d’après un dessin d’Ed.
« On ne parle ici que de tout exterminer et de tout détruire, de faire pendre les grands et les petits. » C’est ce qu’un officier français écrivait de Pignerol dès les premiers mois de cette année. […] … Deux ou trois années se passèrent ; le mal du pays tenait à cœur aux Vaudois exilés ; ils se comparaient aux Hébreux en captivité, et, comme le peuple de Dieu, ils croyaient fermement au retour et à la délivrance. […] Deux hommes de grand caractère, un de leurs vieux pasteurs et guerriers, Javanel, depuis des années réfugié à Genève, et Arnaud, leur nouveau conducteur, organisèrent cette marche secrète et savante.
Depuis trois années le champ de la poésie est libre d’écoles ; celles qui s’étaient formées plus ou moins naturellement sous la Restauration ayant pris fin, il ne s’en est pas reformé d’autres, et l’on ne voit pas que, dans ces trois ans, le champ soit devenu moins fertile, ni qu’au milieu de tant de distractions puissantes les belles et douces œuvres aient moins sûrement cheminé vers leur public choisi, bien qu’avec moins d’éclat peut-être et de bruit alentour. […] Du moment en effet qu’il s’agissait de fonder, non pas une poésie dans le xixe siècle, mais la poésie du xixe siècle lui-même ; du moment qu’on s’était mis en marche, non pour jeter quelque part une colonie furtive, mais pour faire une révolution réelle dans l’art, la pensée dramatique avait toute raison de prévaloir ; l’épreuve décisive était et elle est encore dans cette arène ; quiconque ne l’y met pas désespère plus ou moins de cette aimantation poétique du siècle en masse, qui a été le rêve des avant-dernières années. […] Il y a une ou plusieurs épigraphes à chaque pièce : en lisant les poëtes dont les écrits ont eu la vogue dans ces dernières années, Mme Valmore s’en est affectée et teinte peut-être à son insu ; la blonde et grise fauvette a été prise au miroir, et les fleurs du nid, comme elle le dit quelque part, ont lustré son plumage ardé par le soleil.
En 1788746, Mercier déclare que, « depuis quelques années, l’insubordination est visible dans le peuple, et surtout dans les métiers… Jadis, lorsque j’entrais dans une imprimerie, les garçons ôtaient leurs chapeaux. Aujourd’hui ils se contentent de vous regarder et ricanent : à peine êtes-vous sur le seuil, que vous les entendez parler de vous d’une manière plus leste que si vous étiez leur camarade » Aux environs de Paris, même attitude chez les paysans, et Mme Vigée-Lebrun747 allant à Romainville chez le maréchal de Ségur, en fait la remarque : « Non seulement ils ne nous ôtaient plus leurs chapeaux, mais ils nous regardaient avec insolence ; quelques-uns même nous menaçaient avec leurs gros bâtons. » — Au mois de mars ou d’avril suivant, à un concert qu’elle donne, ses invités arrivent consternés. « Le matin, à la promenade de Longchamps, la populace, rassemblée à la barrière de l’Étoile, a insulté de la façon la plus effrayante les gens qui passaient en voiture ; des misérables montaient sur les marchepieds en criant : L’année prochaine, vous serez derrière vos carrosses et nous serons dedans. » — À la fin de 1788, le fleuve est devenu torrent, et le torrent devient cataracte. […] On fait venir les dragons de Provins, les braconniers en tuent un, abattent trois chevaux, sont sabrés ; quatre d’entre eux restent sur la place et sept sont pris. — On voit par les cahiers des États Généraux que, chaque année, dans chaque grande forêt, tantôt par le fusil d’un braconnier, tantôt et bien plus souvent par le fusil d’un garde, il y a des meurtres d’hommes C’est la guerre à demeure et à domicile ; tout vaste domaine recèle ainsi ses révoltés qui ont de la poudre, des balles et qui savent s’en servir.