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171. (1824) Notes sur les fables de La Fontaine « Livre cinquième. »

Tous les fabulistes ont fait parler les animaux ; mais La Fontaine entre, plus qu’eux tous, dans le secret de nos passions, quand il les fait parler. […] La Fontaine se sert exprès de ces expressions qui appartiennent à l’art de raisonner, que l’homme dit être son seul partage, et que Descartes refuse aux animaux.

172. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Divers écrits de M. H. Taine — I » pp. 249-267

C’est un court récit, une vive morale en action, où figurent en général des animaux, des plantes, des êtres plus ou moins voisins de l’homme, et qui représentent ses vices ou ses vertus, ses défauts ou ses qualités. […] Les caractères, suivant lui, les personnages des fables de La Fontaine, quels qu’ils soient, animaux, hommes ou dieux, ce sont toujours des hommes et des contemporains du poète ; et il s’applique à de démontrer, en parcourant les principales catégories sociales, roi, courtisans, noblesse, clergé, bourgeoisie, peuple, et en les retrouvant en mille traits dans sire lion, dans maître renard, maître Bertrand, ours, loups, chats et rats, mulets et baudets, etc., etc. […] Le sol, la lumière, la végétation, les animaux, l’homme, sont autant de livres où la nature écrit en caractères différents la même pensée. » De même, en étudiant l’histoire, il est porté à voir dans les individus, et sans excepter les plus éminents, une production directe, un résultat à peu près fatal du siècle particulier où ils sont venus. […] Je signalerai encore dans ce volume les chapitres où sont décrites les trois régions de hauteurs par les végétaux qui y régnent, les hêtres, les pins, les mousses, et l’on a ensuite, en passant aux animaux et d’une manière plus ou moins correspondante, le gracieux, l’incomparable défilé des chèvres (objet d’une lutte restée indécise entre Doré et M. 

173. (1767) Salon de 1767 « Adressé à mon ami Mr Grimm » pp. 52-65

Ne convenez-vous pas encore que les parties molles intérieures de l’animal, les premières dévelopées, disposent de la forme des parties dures ? […] Convenez donc qu’il n’y a et qu’il ne peut y avoir ni un animal entier subsistant, ni aucune partie d’un animal subsistant que vous puissiez prendre à la rigueur pour modèle premier. […] Voilà le premier pas qui n’a proprement réformé que la masse générale du système animal, ou quelques-unes de ses portions principales.

174. (1868) Les philosophes classiques du XIXe siècle en France « Chapitre II : M. Royer-Collard »

Bon pour l’animal extérieur que j’ai mis à la porte. — Mais, lui dit M.  […] Rien de plus dangereux que de montrer une goutte de sang se transformant elle-même, et par elle seule, en un animal qui vit et qui pense. […] Gardez plutôt la théorie qui déclare les vivants tout formés dans l’ovaire ; dites que l’animal ne se crée pas, qu’il s’accroît ; que, fabriqué tout entier d’avance, il est aussi compliqué au premier qu’au dernier jour, que sa grosseur change, non sa structure ; qu’Ève contenait incluses les unes dans les autres, achevées et complètes, les cent quatre-vingts générations qui d’elle ont transmis la vie jusqu’à nous. […] Le noble animal lui avait tourné le dos.

175. (1864) William Shakespeare « Deuxième partie — Livre V. Les esprits et les masses »

Les animaux vivent, l’homme existe. […] Le but humain n’est pas le but animal. […] Montrer à l’homme le but humain, améliorer l’intelligence d’abord, l’animal ensuite, dédaigner la chair tant qu’on méprisera la pensée, et donner sur sa propre chair l’exemple, tel est le devoir actuel, immédiat, urgent, des écrivains.

176. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 30, de la vrai-semblance en peinture, et des égards que les peintres doivent aux traditions reçuës » pp. 255-265

Il est même beau de pousser la vrai-semblance jusques à suivre ce que nous sçavons de particulier des animaux de chaque païs, quand nous répresentons un évenement arrivé dans ce païs-là. Le Poussin qui a traité plusieurs actions, dont la scene est en égypte, met presque toujours dans ses tableaux des bâtimens, des arbres ou des animaux, qui, par differentes raisons, sont regardez comme étans particuliers à ce païs.

177. (1895) De l’idée de loi naturelle dans la science et la philosophie contemporaines pp. 5-143

Espinas, dans les Sociétés animales, et M.  […] L’antiquité grecque, avec Aristote, a déclaré l’homme un animal politique. […] Spencer, au contraire, la société humaine n’est qu’un cas particulier de la société animale. […] Il faut d’abord être animal pour pouvoir se faire homme. Mais l’homme dirige dans une certaine mesure l’animal qui soutient sa nature humaine.

178. (1856) Cours familier de littérature. I « IIIe entretien. Philosophie et littérature de l’Inde primitive » pp. 161-239

Séduits par quelques analogies scientifiques encore très-douteuses qui leur montrent dans le travail souterrain des éléments qui composent ce petit globe, et dans quelques cadavres d’animaux antédiluviens, des traces d’élaboration progressive et de ce perfectionnement prétendu ou vrai dans les espèces, ces philosophes ont conclu de la matière à l’âme, et de la pierre à l’homme. […] Je n’avais jamais réfléchi encore à ce brutal instinct de l’homme qui se fait de la mort un amusement, et qui prive de la vie, sans nécessité, sans justice, sans pitié et sans droit, des animaux qui auraient sur lui le même droit de chasse et de mort, s’ils étaient aussi insensibles, aussi armés et aussi féroces dans leur plaisir que lui. […] Le pauvre et charmant animal n’était pas mort. […] Elles s’ouvrent pour lui, mais elles se referment devant l’animal. […] Les dieux, attendris de ce sacrifice de générosité, laissent entrer l’animal avec l’homme, et le ciel se referme sur tous les deux.

179. (1767) Salon de 1767 « Peintures — Robert » pp. 222-249

Au milieu des forêts l’animal s’éveille, poursuit sa proie, l’atteint, la dévore et s’endort. […] Autour de ce bassin il y a quelques figures d’hommes et d’animaux. […] Dans l’animal mort, objet hideux à la vue, les formes y sont, la vie n’y est plus. Dans les jeunes oiseaux, les petits chats, plusieurs autres animaux, les formes sont encore envelopées, et il y a tout plein de vie ; aussi nous plaisent-ils beaucoup. […] Sous ces arcades qu’ils ont élevées et où un Verrès déposait les dépouilles des nations, habitent à présent des marchands d’herbes, des chevaux, des bœufs, des animaux, et dans ces lieux dont les hommes se sont éloignés, ce sont des tigres, des serpens, d’autres voleurs.

180. (1881) La parole intérieure. Essai de psychologie descriptive « Chapitre VI. La parole intérieure et la pensée. — Second problème leurs différences aux points de vue de l’essence et de l’intensité »

Nous trouvons là : 1° le son du mot cheval, son que l’animal ne saurait produire et qui ne fait à aucun degré partie de son existence ; 2° le hennissement, le bruit des sabots sur le pavé, bruits dont le cheval est l’auteur, bruits inséparables de l’activité vitale qui lui est propre ; 3° le bruit du fouet, les cris du cavalier ou du cocher qui encourage ou retient l’animal. […] Les uns et les autres ont été donnés à notre expérience sensible avec la forme visible et l’apparence tangible : 1° de l’animal ; 2° des choses inanimées ou des êtres animés qui sont ses compagnons habituels. […] Enfin un animal, un oiseau, ou un instrument bruyant, comme le cric, s’ils sont désignés par leur son spécifique, reçoivent leur nom d’un simple accessoire intermittent de leur essence permanente. […] Rien de tel n’est à craindre avec un signe arbitraire ; quand le oua-oua devient un chien, le cri de l’animal, n’étant plus l’objet d’une attention spéciale, rentre dans le rang par l’effet de l’habitude négative ; l’enfant comprendra mieux dès lors comment il y a des chiens muets, et la définition anatomique de l’animal, à l’intelligence de laquelle l’onomatopée faisait obstacle, pénétrera facilement dans son esprit. […] Bœuf, par exemple, est rattaché scientifiquement à la racine ga ; mais si la racine ga, par l’intermédiaire de bos, bovis, a engendré le mot bœuf plutôt que tel autre, n’est-ce pas que le cri de l’animal a exercé sur la racine une sorte d’attraction ?

181. (1898) L’esprit nouveau dans la vie artistique, sociale et religieuse « I — L’avenir du naturalisme »

L’énergie, le corps, la motte de terre, le sexe, la matière sous toutes ses formes, l’homme primitif, les animaux reprennent vie sous son regard obstiné. De l’être morne, spiritualisé jusqu’à l’anémie, angélisé jusqu’à la presque totale neutralisation sensuelle par l’art du romancier en vogue, il fait jaillir, au libre contact de sa personnalité, l’animal humain dans sa fauve luxuriance ; de l’ensemble du monde pudiquement dissimulé sous un triple voile de convention, d’hypocrisie et d’ignorance, il fait renaître un univers aux forces libres et farouches. L’homme, sanctifié par le spiritualisme, tendait la main à ses frères les anges, se croyant si près d’eux que le monde animal, le monde végétal n’étaient plus rien dans son esprit qu’un décor gracieux planté par le divin régisseur des forces cosmiques. […] Dans l’univers ainsi conçu, il y avait d’une part, les choses nobles : les fleurs, les pierres précieuses, les clairs de lune, l’âme de l’homme, le désintéressement, la virginité, le sacrifice, c’est-à-dire les choses spirituelles ; et d’autre part, les choses basses : la terre, les animaux, l’herbe sauvage, le corps de l’homme, la sensualité, la jouissance, l’instinct, c’est-à-dire les choses matérielles. […] L’animal humain n’apparaît pas pour lui l’acteur isolé dans un site conventionnel, la terre et l’homme se communiquent la même chaude parole, échangent les mêmes fluides, participent au même souffle.

182. (1898) L’esprit nouveau dans la vie artistique, sociale et religieuse « II — L’inter-nationalisme »

L’« animal politique » d’Aristote devient de plus en plus conscient de son rôle social,‌ Les plus significatifs parmi les derniers travaux de la sociologie, en dépit d’énormes divergences, paraissent tendre vers une conception organique de la cité, envisagée désormais comme un « être » véritable, comme un « individu » plus complexe et plus différencié. […] A la condition de ne pas voir dans cette assimilation de l’organisme ou plutôt de l’hyper-organisme social, à l’organisme naturel, une identité formelle, mais une simple analogie, il semble assuré désormais que la conception sociale organique, malgré les énergiques objections qu’elle a suscitées, demeurera dans ses grandes lignes, la conception de l’avenir, et que les hypothèses bio-sociologiques d’aujourd’hui contiennent en germe la vérité de demain. « Cette assertion…, pouvons-nous répéter avec les auteurs d’un livre récent45, ne contrÉdit qu’en apparence ceux qui protestent justement contre des assimilations exagérées et hâtives entre les organismes sociaux et les organismes végétaux ou animaux. […] Alors que l’existence normale de l’animal humain ne peut se concevoir sans une vie du dehors et une vie du dedans, équilibrées suivant le rythme personnel de l’individu, l’animal-cité, ce « grand être » en ébauche, ne peut atteindre non plus son intégralité, s’il ne fait concourir la vie inter-sociale, c’est-à-dire la vie de l’humanité dans toute son ampleur, à son développement interne. […] Ce n’est pas une dégradation qu’engendre cette plasticité de l’organisme animal ou national, mais au contraire une amélioration.

183. (1896) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Sixième série « Guy de Maupassant »

Il est étrange de songer que ce cerveau, en qui la réalité avait reflété des images si nettes, qui avait su interpréter, ramasser, coordonner ces images avec une vigueur et dans des directions si décidées, et nous les renvoyer, plus riches de sens, à l’aide de signes si fortement ourdis, n’ait plus, à partir d’un certain moment, reçu du monde extérieur que des impressions confuses, incohérentes, éparses, aussi rudimentaires et aussi peu liées que celles des animaux, et pleines, en outre, d’épouvante et de douleur, à cause des vagues ressouvenirs d’une vie plus complète ; et que l’auteur de Boule-de-Suif, de Pierre et Jean, de Notre Coeur, soit entré, vivant, dans l’éternelle nuit. […] Je me rappelle les longues fuites de Maupassant hors de la société des hommes, ses solitudes de plusieurs mois, en mer ou dans les champs, ses tentatives de retour à une vie simplifiée, toute physique et tout animale, où il pût oublier l’ennemi sourd, l’ennemi patient qu’il portait en lui ; puis, quand il rentrait parmi nous, cette fièvre d’amusement, et de plaisanteries, et de jeux presque enfantins, qui était encore comme une fuite, une évasion hors de soi… Vains efforts !

184. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 2, de l’attrait des spectacles propres à exciter en nous une grande émotion. Des gladiateurs » pp. 12-24

Il a même rendu capables de se tuer ceux des animaux à qui la nature a voulu refuser des armes qui pussent faire des blessures mortelles à leurs semblables, il leur fournit avec industrie des armes artificielles qui blessent facilement à mort. […] Un grenadier n’est pas plus exposé à l’attaque d’un chemin couvert, que le sont les champions qui combattent ces animaux furieux.

185. (1872) Les problèmes du XIXe siècle. La politique, la littérature, la science, la philosophie, la religion « Livre V : La religion — Chapitre I : Philosophie religieuse de M. Guizot »

Guizot, par ce fait capital que le monde n’a pas toujours été tel qu’il est ; la vie a commencé sur la surface du globe ; les espèces animales ont aussi commencé ; l’homme a commencé également, Or, à moins d’admettre que la vie est le résultat des forces de la matière, et que l’homme, comme toute espèce animale, est le produit d’une lente élaboration des siècles, on est obligé d’avoir recours à la puissance surnaturelle du Créateur ; mais d’une part la doctrine de la génération spontanée, de l’autre la doctrine de la transformation des espèces, sont des hypothèses arbitraires, repoussées par la science. […] Ainsi l’apparition subite de la vie, des espèces animales, de l’homme sur la terre, prouve la création.

186. (1889) L’art au point de vue sociologique « Chapitre huitième. L’introduction des idées philosophiques et sociales dans la poésie (suite). Victor Hugo »

Plus haut, c’est la plante, c’est l’animal, surtout l’animal mauvais et féroce, le monstre. « Il y a des monstres dont l’organisme est une merveille, une perfection en son genre ; et cette perfection a pour but la destruction, elle est comme la perfection du mal même ! […] Cependant, ce caractère symbolique peut s’inférer de la doctrine soutenue par Hugo que tout vit, même les choses, et que les animaux sont les « ombres vivantes » de nos vertus et de nos vices. […] Chacun des individus de l’espèce humaine correspond, selon Hugo, à quelqu’une des espèces de la création animale : « tous les animaux sont dans l’homme et chacun d’eux est dans un homme. […] Les animaux ne sont autre chose que les figures de nos vertus et de nos vices, errantes devant nos yeux, les fantômes visibles de nos âmes. » Ce sont donc des « ombres » plutôt que de pleines réalités. D’ailleurs « le moi visible (de l’homme) n’autorise en aucune façon le penseur à nier le moi latent (chez l’animal)169. » Cette vue platonicienne sur les animaux, ombres de nos vertus et de nos vices, prouve que le mythe renouvelé de l’antique Orient sur la chute des âmes et leurs transfigurations a pour Hugo une valeur en partie symbolique.

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