On est sous le charme quand on lit ces beaux vers que Voltaire admira soixante ans, jusqu’au jour où il eut la faiblesse d’en vouloir à Athalie d’être un sujet chrétien ; mais on est saisi d’étonnement lorsque, dépouillant la pièce de ce magnifique vêtement, on l’étudie dans son plan, dans son nœud, dans les entrées et les sorties, dans la convenance et l’à-propos du langage de chacun, dans le rapport de l’action au temps et au lieu ; en un mot, quand on compare l’art à la vie.
Dans une lettre à Cideville, du 13 août 1731, Voltaire signale le parti qu’on tirait de ces doctrines contre la poésie en général.
Rappelez-vous ce que pensait, et ce qu’a dit Voltaire de ces Mémoires de d’Artagnan, par exemple, d’où nous avons vu sortir en notre temps les Trois Mousquetaires. […] Voltaire avait là-dessus un mot d’un naturalisme trop cru pour que je puisse le citer. […] C’est une des mille manières de redire qu’il faut faire des sacrifices, et que Voltaire a cent fois raison quand il ajoute « que les détails sont une vermine qui ronge les grands ouvrages ».
Guizot, un autre sur les méthodes de l’histoire naturelle appliquées à la critique ; qu’on note çà et là, en cent endroits, de petites phrases qui semblent tombées presque sans intention de sa plume, et qui sont aussi profondes que les meilleurs mots épars dans les ouvrages légers de Voltaire, on y trouvera en raccourci une morale, une esthétique, une politique, même une théologie, en première ligne une psychologie, tout un corps de pensées secrètement unies et soudées, et qui, avec celles de Montaigne, de Molière, de La Rochefoucaud, de Voltaire, de Hume, de tous les analystes anciens et modernes, composent l’une des deux grandes philosophies toujours vivantes, celle qui, rabattant beaucoup d’espérances, réduit l’homme au souci de son espèce et n’admet que l’expérience pour établir la vérité. […] Probablement, dans un siècle, ils seront ce que les Lettres de Voltaire, la Correspondance de Grimm et les meilleurs Mémoires du xviiie siècle sont pour nous aujourd’hui : un magasin et un trésor de biographies, de renseignements et d’enseignements de toute sorte. […] Hôte et correspondant de Voltaire, correspondant de Samuel Romilly, collaborateur, et continuateur de Linguet, rédacteur politique du Mercure de France, à Genève, à Ferney, à Londres, à Bruxelles, à Paris, il pratiquait les philosophes et les hommes d’État, les novateurs et les gens en place, Brissot et M. de Montmorin ; il appréciait les théories en vogue sur l’impôt, sur le commerce, sur la législation, sur le droit des gens, sur les droits de l’homme ; il discutait les plans de bouleversement et les velléités de réforme ; il commentait les grands événements à mesure qu’ils se produisaient, la révolution d’Amérique, le procès d’Hastings, la contre-révolution de Hollande.
Après avoir, au Roman de la Rose, cueilli du bout des doigts les fleurs artificielles de l’amoureuse allégorie ; après avoir soupiré en souriant, non sans grâce, dans les rondels de Charles d’Orléans ; après avoir, d’un geste libertin, troussé, dans les Cent Nouvelles nouvelles, la cotte des servantes ; après avoir, en compagnie de Villon qui, du moins, l’épura jusqu’à la douloureuse pitié de soi-même et des autres, jusqu’à l’éternelle mélancolie des repentirs bohèmes, rôdé devant l’étal des rôtisseurs, une ballade à la lèvre, ou bien, une larme à l’œil, autour du Charnier des Innocents ; après avoir gazouillé comme une oiselle au poing des dames, subtilement et précieusement, sur la pelouse de l’Heptaméron ; après avoir galantisé et madrigalisé, non parfois sans agrément païen, dans les dizains de Marot, il se plaira aux corsages mi-dégrafés et aux jupes mi-soulevées dans les Contes de La Fontaine, deviendra l’ironie des petits vers de Voltaire, sera, joli, Gresset, et, fade, Bernis, sera l’épigramme de Jean-Baptiste Rousseau, de Lebrun, et enfin, modernisé, non, vieilli, agonisera dans la chanson de Béranger, dans les couplets de vaudeville, dizains aussi, dans les « mots » de comédie, dans les nouvelles à la main des journaux. […] et Voltaire fut. […] C’est une de nos gloires d’avoir, — par Voltaire, oui, par Voltaire, encore que son envieux soin d’une dominante et universelle renommée ait bientôt rétracté son admiration, — d’avoir, dis-je, partagé les premiers le divin Shakespeare avec l’Angleterre, et, peut-être, de l’avoir révélé à l’Allemagne ; mais nous ne devions pas le subir, ce Dieu.
Je crois lire dans ce livre des livres : « M. le chanoine, tel jour, sur le quai Voltaire, s’être délecté aux contacts suaves. — Tel autre jour, avoir respiré des parfums chez un libraire du quai des Grands-Augustins… M. le vicaire, Imitation, elzévir petit in-8° : orgueil et concupiscence. » Voilà, à n’en point douter, ce que contient le livre de l’Ange, qui sera lu le jour du jugement dernier. […] Je dirai volontiers avec Voltaire : Réduisez-la à la vérité, vous la perdez, c’est Alcine dépouillée de ses prestiges. […] C’est pour lui que pensaient, observaient, travaillaient Buffon, d’Alembert, Diderot et les encyclopédistes ; pour lui que Voltaire exalta la tolérance, Rousseau la nature, d’Holbach l’athéisme, Mirabeau la liberté. […] Il a vu jouer Shakespeare à Londres et il y a moins compris que n’avaient fait Voltaire, Letourneur et Ducis.
Sans parler de la satire de l’optimisme contenue dans un roman de Voltaire, rappelons les aveux de désespoir secret que faisait une femme, entourée de toutes les ressources de la société et de tous les plaisirs de l’esprit : « Vous voulez que je vive quatre-vingt-dix ans, écrivait Mme du Deffand ; quelle cruelle existence ! […] Il adresse à Voltaire d’amers reproches pour l’œuvre de destruction qu’il a accomplie ; il l’accuse de tous nos maux, de notre scepticisme, de notre égoïsme, et de ce vide du cœur, qui, à défaut des cloîtres dont le monde ne veut plus, ne nous laisse dans le malheur d’autre alternative que le suicide. […] Et cependant il a besoin de connaître la vérité. « Si son cœur fatigué du rêve qui l’obsède » revient un instant à la réalité, il trouve « au fond des vains plaisirs un tel dégoût qu’il se sent mourir. » Toutes les voluptés ne peuvent endormir sa souffrance : « Malgré nous vers le ciel, il faut lever les yeux. » Il interroge donc la philosophie ; il passe en revue, le manichéisme, le théisme, Aristote, Platon, Pythagore, Leibnitz, Descartes, Pyrrhon, Zénon, Voltaire, Spinosa, Locke et Kant ; mais il trouve toutes leurs théories creuses et vides ; et alors se jetant à genoux, il prie ; il prie un peu au hasard, sans être certain « que quelqu’un l’entende », mais avec un profond désir d’être entendu et exaucé ; il chante le sentiment qu’il a de la divinité ; il la supplie de se dévoiler tout entière, pour que l’humanité sèche enfin ses larmes, qu’au bruit d’un concert de louanges s’élevant vers Dieu on voie s’enfuir « le doute et le blasphème », et que « la mort elle-même y joigne ses derniers accents. » Le même sentiment est présenté avec plus de concision et de force encore, dans le sonnet intitulé Tristesse (1840), où Musset fait un amer retour sur sa force, sa jeunesse, sa gaieté perdues, sur ses aspirations vers la vérité si vite trahies ; où il proclame cependant la nécessité de « répondre à Dieu qui nous parle » et trouve pour dernière consolation le souvenir des larmes qu’il a versées. […] Elle a des Pères de l’Église et du Voltaire, et du roman noir dans la tête, et du Byron, et avec cela de brusques éclats de joie enfantine, mais ils sont courts, Marie lit trop, je l’ai dit, el
Le premier, Voltaire est arrivé à cette critique, sèche et médiocre, malgré sa verve, qui ne voit guère dans un prêtre qu’un fripon, et dans un fidèle qu’une dupe. […] Non seulement nous n’avons plus, comme les gens du XVIIe siècle, un credo général, régulateur de toutes les consciences et principe de tous les actes ; mais nous avons perdu même cette force de négation qui fut le credo à rebours du XVIIIe siècle : Toutes les personnes qui, de près ou de loin, se rattachèrent au mouvement de combat dirigé par Voltaire eurent du moins une certitude : elles ont cru qu’elles combattaient l’erreur. […] Au lyrisme fougueux succède l’observation implacable, et la prose précise de Voltaire recommence d’être en vogue.
Voltaire a déjà prononcé deux mots impolis sur son compte, et sur cette matière les sentiments de Voltaire sont maintenant dans le cœur de tout le monde. […] Mais les mœurs de société, continuant leur œuvre, répandirent dans toute la littérature l’esprit fin qu’elles avaient porté dans le théâtre ; il y en eut tant qu’il y en eut trop ; c’est celui des salons décrits par Montesquieu et Duclos ; c’est celui de Montesquieu et de Voltaire ; c’est celui de tout le dix-huitième siècle.
Ainsi, pour ne prendre qu’un exemple, au xviiie siècle, lorsque commença la défaite définitive du christianisme Voltaire eut tort de ne considérer dans les querelles des jésuites avec les jansénistes que le litige byzantin. […] Voltaire, en un conte charmant, la Princesse de Babylone, la raille spirituellement et superficiellement. […] Affalé dans un fauteuil — incontestablement Voltaire — le démon Grymalkin broche des babines, fronce son nez en as de trèfle, se gratte les mollets et lit, à voix psalmodiante, les versets d’un in-folio posé sur ses genoux.
Émile Zola, après avoir fait un certain nombre de lundis, au Bien public et au Voltaire, dans la critique théâtrale, y a renoncé. […] Ne sommes-nous plus les fils de Voltaire ? […] C’est que en effet, on célèbre ce jour-là le centenaire de Voltaire ; on entendra des cantates, des salves d’artillerie et surtout, comme grande attraction et bouquet, un discours du célèbre orateur de Paris, le député Daniel Rochat, le leader des gauches.
Cette définition, assez méprisante dans la pensée de Pascal, fut exagérée encore par Montesquieu : « Les poètes, dit-il, ont pour métier d’accabler la raison et la nature sous les agréments, comme on ensevelissait autrefois les femmes sous leurs parures. » Ces paroles, qui révoltaient Voltaire comme des crimes de « lèse-poésie », et auxquelles pourtant on n’attribuait pas plus d’importance alors qu’à des boutades, paraîtraient aujourd’hui à un grand nombre de savants et de penseurs l’expression exacte d’une vérité. […] si un Voltaire ne s’appliquerait pas plus qu’autrefois aux mathématiques, dans lesquelles il a déjà autrefois montré sa force ? […] De ce qu’une œuvre donnée est belle, par exemple une tragédie de Racine, on ne peut jamais conclure qu’une autre œuvre, construite d’après une méthode analogue, sera belle, par exemple une tragédie de Voltaire : la première œuvre, précisément parce qu’elle a réalisé certaines beautés, a permis d’en entrevoir d’autres par-delà ; elle a changé les conditions mêmes de la beauté.
Il avait pris un autre maître pour Zuzu ; quant à Fofa, on venait de le faire entrer aux Cadets 24… Avenir était assis près de la fenêtre, dans un fauteuil à la Voltaire.
. — Le Voltaire, le Soir, le Journal, le Figaro, la Volonté, les Débats, l’Écho de Paris, l’Ermitage, la Plume, l’Hémicycle, la Revue illustrée, la Chronique des Livres, le Magasin pittoresque, l’Art du théâtre, etc.
Il ne redoute pas, de même que Voltaire, Rousseau, la sincérité d’une verte expression, réminiscence de cette vieille langue française, de laquelle il avait été bercé, mais il se garde de persister sur ce ton.
Ce n’est pas un grand ouvrage, mais c’est l’ouvrage d’un grand peintre ; ce qu’on peut dire toujours des feuilles volantes de Voltaire, on y trouve le signe caractéristique, l’ongle du lion.