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1161. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome I « Mémoires pour servir à l’histoire des gens-de-lettres ; et principalement de leurs querelles. Querelles particulières, ou querelles d’auteur à auteur. — Virgile, et Bavius, Mœvius, Bathille, &c. &c. » pp. 53-62

Tous ces beaux génies vivoient dans la douceur d’un commerce libre & philosophique ; ils s’entr’aidoient à porter le fardeau de la vie, à se consoler des sottises humaines, à conserver sur la terre cette raison saine, ce feu pur & céleste, le partage de quelques ames privilégiées. […] On voulut jetter du ridicule sur toutes ses beautés ; prouver qu’il n’avoit réussi dans aucun genre : Qu’il avoit manqué le pastoral dans ses bucoliques, ouvrage admirable par les graces simples & naturelles, par l’élégance & la délicatesse, par cette pureté de langage qui le caractérisent ; le didactique dans ses géorgiques, poëme le plus travaillé de tous ceux qu’il nous a laissés, & qu’on peut appeller le triomphe de la poësie Latine ; l’épique dans son énéide, chef-d’œuvre de l’esprit humain, qu’Auguste ne pouvoit se lasser de lire, & la tendre Octavie de récompenser, jusqu’à faire compter à l’auteur dix grands sesterces pour chaque vers, ce qui montoit à la somme de 325 000 livres.

1162. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome I « Mémoires pour servir à l’histoire des gens-de-lettres ; et principalement de leurs querelles. Querelles particulières, ou querelles d’auteur à auteur. — L’Empereur Néron, et les trois plus grands poëtes de son siècle, Lucain, Perse & Juvénal. » pp. 69-78

Il est plus d’un exemple de cette contradiction du cœur humain. […] Ce monstre, qui souhaitait que le genre humain n’eût qu’une tête, pour avoir le plaisir de la couper, n’osa faire subir à Perse le sort de Lucain.

1163. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome II « Mémoires pour servir à l’histoire des gens-de-lettres ; et principalement de leurs querelles. Querelles particulières, ou querelles d’auteur à auteur. — Jean-Baptiste Rousseau et M. de Voltaire. » pp. 47-58

Il n’est rien sorti de ses mains qui ne respire l’amour du vrai & de l’humanité, une philosophie lumineuse, les graces du stile, le bon goût, une grande connoissance du cœur humain. […] Ces beautés sans nombre dont la Henriade est remplie ; caractères vrais & soutenus ; tableaux frappans des discordes civiles présentés sans partialité ; amour du bien public recommandé sans cesse ; ressors des passions humaines développés habilement ; intérêt croissant de chant en chant ; magie des vers poussée aussi loin que l’imagination peut aller : tout cela parut un crime aux yeux de Rousseau.

1164. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 46, quelques refléxions sur la musique des italiens, que les italiens n’ont cultivé cet art qu’après les françois et les flamands » pp. 464-478

En effet, le chant des paroles doit imiter le langage naturel des passions humaines, plûtôt que le chant des tarins et des sereins de Canarie, lequel notre musique s’attache tant à contrefaire avec ses passages et ses cadences si vantées. […] L’auteur d’un poëme en quatre chants sur la musique, où l’on trouve beaucoup d’esprit et de talent, prétend que lorsque le genre humain commença, vers le seiziéme siecle, à sortir de la barbarie et à cultiver les beaux arts, les italiens furent les premiers musiciens, et que la societé des nations profita de leur lumiere pour perfectionner cet art.

1165. (1909) Les œuvres et les hommes. Critiques diverses. XXVI. « Le voltairianisme contemporain »

On a beaucoup parlé, sur ce vieux thème que n’ont pas chanté les phraseurs, de l’activité imprimée par la philosophie à l’esprit humain ; mais le caractère particulier de l’action et de l’influence de Voltaire, c’est précisément d’avoir, avec de la légèreté et de l’ironie, dispensé à tout jamais l’esprit humain d’activité et de recherche.

1166. (1909) Les œuvres et les hommes. Critiques diverses. XXVI. « Jean-Jacques Rousseau »

L’anarchie de l’orgueil humain se date du même jour que la chute. […] J’espère qu’on me saura gré de ma modération, car, descendant directement de l’un de ces princes, et peut-être de la branche aînée, que sais-je si, par la vérification des titres, je ne me trouverais pas le roi légitime du genre humain ?

1167. (1909) Les œuvres et les hommes. Critiques diverses. XXVI. « Armand Baschet »

I Pendant que la comédie s’en va mourant sur tous les théâtres de l’Europe, pendant que toutes les pièces qu’on y joue ressemblent — tant elles se copient les unes les autres — au gant retourné de l’escamoteur qui a la prétention de faire des tours différents toujours avec le même gant, il se publie parfois, trop rarement, il est vrai, avec un sang-froid et un sérieux imperturbable, des livres d’un comique profond et achevé qui ne sont plus de la comédie de convention, mais de la bonne et brave comédie de nature humaine. […] II Figurez-vous donc qu’au lieu du précieux, compendieux et sérieux Armand Baschet, qui ne rirait pas pour un empire, nous eussions ici affaire à quelque génie plein d’abandon et de sincérité, à quelque grand caricaturiste historique, — car un caricaturiste peut être un historien, puisque la caricature n’est qu’une certaine manière de regarder la vérité, — figurez-vous donc, par exemple, un esprit comme Thomas Carlyle, que je regarde comme l’Hogarth de l’Histoire, tombant sur l’histoire de Baschet, le Dangeau posthume de Louis XIII, et demandez-vous quels effets grotesques et charmants et quelle conclusion de savoureuse moralité humaine il aurait tirés de ce conte de La Fontaine historique, qui fut une réalité, et, pour les gens intéressés à l’achèvement de ce mariage resté en l’air, la plus plaisante des mélancolies !

1168. (1909) Les œuvres et les hommes. Philosophes et écrivains religieux et politiques. XXV « Auguste Nicolas »

Il n’en est pas qui doive mieux trouver la grande fibre humaine et loger plus aisément dans le cœur l’idée vraie avec un accent plus irrésistible. […] Cette faculté de toucher et de pénétrer, qu’on appellerai le don d’intime séduction, si l’idée du mal ne rampait pas au fond de ce mot trop charmant de séduction, créa sur-le-champ, dans l’opinion des connaisseurs en cœur humain, une grande importance à Nicolas.

1169. (1888) Impressions de théâtre. Première série

Ça lui est tellement égal, tout ce qui est humain ! […] Qu’est devenu cet orgueil, cette joie fière de braver les lois divines et humaines, qui faisait toute sa vertu ? […] Baudry paraît d’une bonté plus qu’humaine, prend les proportions d’une figure symbolique conçue a priori. […] L’a-t-on calomnié, ce pauvre cœur humain ! […] Or, c’est aussi de cela qu’il s’agit toujours dans les drames humains.

1170. (1927) Approximations. Deuxième série

Le romancier excelle à montrer le malaise dans l’être humain. […] De cette terre cependant le rosier jaillit, s’élance : tout ce qui vit, semble murmurer aux humains le même pressant et insidieux appel. […] Casa Magni, nous dit Trelawny, avait plutôt l’air d’un bateau ou d’un établissement de bains que d’une habitation humaine. […] L’élément sableux dans l’être humain, — à quel point Les Profondeurs de la mer ne nous font-elles pas assister à son écoulement ! […] La chair palpitante qu’il crée est aussi et toujours une figure décorative qui fait partie du gigantesque motif de sa tapisserie, tout comme dans Petrouchka les marionnettes sont des êtres humains et les êtres humains des marionnettes.

1171. (1902) La politique comparée de Montesquieu, Rousseau et Voltaire

Il est à croire qu’une constitution qui a réglé les droits du roi, des nobles, du peuple, et dans laquelle chacun trouve sa sûreté, durera autant que les choses humaines peuvent durer. […] J’ose dire que si on assemblait le genre humain pour, faire des lois, c’est ainsi qu’on les ferait pour sa sûreté. […] Cela est aussi ridicule que si l’on voyait des Européens travailler, en faveur de la nature humaine, à blanchir le visage des Africains. […] Barrière toujours bonne lorsqu’il n’y en a point d’autres : car, comme le despotisme cause à la nature humaine des maux effroyables, le mal même qui le limite est un bien. […] Ils disent que votre nation s’est fait de tout temps beaucoup de mal à elle-même et en a fait au genre humain.

1172. (1929) Les livres du Temps. Deuxième série pp. 2-509

Il sous-entend que ces jeux sont les plus nobles emplois de l’activité humaine. […] Sa doctrine de la grâce s’accorde pleinement avec son caractère, qui n’était ni doux ni délicatement humain. […] Dingo avait gardé les saines allégresses de la nature, il était pur de tout contact humain, vierge de toute civilisation. […] Le genre humain se passe bien de livres. […] Quel ennemi du genre humain !

1173. (1949) La vie littéraire. Cinquième série

À petits pas, en de belles promenades, il a visité presque tous les pays de la pensée humaine. […] Tout merveilleuse qu’elle est, elle est profondément vraie ; elle est humaine et prend l’homme au cœur. […] Elle est l’âme des choses humaines. […] Le temps n’existe plus pour moi ; j’ai vu cette convention humaine disparaître avec les autres. […] Elle est humaine.

1174. (1889) Histoire de la littérature française. Tome II (16e éd.) « Chapitre sixième »

Cette règle marque la grandeur de l’esprit français ; car n’est-ce pas dans l’intérêt du genre humain qu’il s’en est imposé les difficultés redoutables, et qu’il s’y soumet ? […] Aucun poète de son temps n’en avait reçu le don plus pleinement ; nouvelle preuve qu’une loi préside à la diversité des talents, et les approprie, selon les temps et les lieux, aux besoins de l’esprit humain. […] Des griefs qui laissèrent l’estime intacte, les misères des amitiés humaines, rompirent ces douces réunions, si utiles à tous. […] Ne regardons pas les fautes : où le bien l’emporte, le mal vient de la faiblesse humaine ; de même, où le mal l’emporte, le bien est de hasard. […] Il faut qu’on sente, à un certain air de sérieux et de grandeur, que l’homme qui les a conçues a en besoin de quelque langage plus grand que l’humain.

1175. (1892) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Cinquième série « Quelques « billets du matin. » »

Le peuple comprend que cet énorme édifice est l’expression la plus concrète, la plus sensible, de toute une période du développement humain. […] Ces bateaux, ce sont les générations humaines. […] Elle a présenté à nos yeux de vives et brillantes images de paix et de fraternité humaine. […] L’héroïsme même de sa mort fut tout humain, sans l’exaltation des martyrs des premiers temps ou des missionnaires. […] Et, à coup sûr, cela est humain, mais cela est misérablement humain.

1176. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « M. de Rémusat (passé et présent, mélanges) »

Je ne sache pas de signe plus frappant de la nature du temps où nous sommes, que cette obligation où se crut un conquérant de se faire sophiste ; singulière combinaison, qui semble à la fois une insulte et un hommage à la raison humaine !  […] Il arriva donc en définitive ce qui arrive si souvent dans les choses humaines : la raison n’eut pas tout à fait tort, elle ne fut qu’en partie déjouée. […] … La liberté, la dignité nationale, cette conséquence de la liberté, de la dignité de l’espèce humaine, est une croyance assez grande et assez belle pour remplir un cœur et relever toute une vie… » Voilà des accents. […] C’est sur ce fatal et sincère aveu que finit ce drame, où s’agite la raison humaine. […] Ce qui en ressort, c’est le besoin qu’a cette raison humaine d’aller en avant toujours et d’aspirer vers la vérité, coûte que coûte, dût-elle ne jamais l’atteindre et rencontrer pour tout prix le martyre.

1177. (1859) Cours familier de littérature. VIII « XLIVe entretien. Examen critique de l’Histoire de l’Empire, par M. Thiers » pp. 81-176

C’est la mémoire du genre humain. […] C’est aussi l’expérience de la race humaine, et par là même c’est une part immense dans la sagesse des nations. […] Si l’on vous disait donc que, de toutes les œuvres écrites de l’esprit humain, il n’y en aurait qu’une à sauver dans un second déluge, nous dirions : Sauvons l’histoire ! […] Toutes les histoires techniques de l’univers ne donneront pas un atome de moralité à l’espèce humaine. […] Thiers, nous le savons bien, mais c’est là où conduirait sa théorie historique de l’intelligence supérieure à tout dans le récit des événements humains.

1178. (1889) L’art au point de vue sociologique « Chapitre dixième. Le style, comme moyen d’expression et instrument de sympathie. »

Les écrits qui manquent de ce vrai style ressemblent à ces pianos mécaniques qui nous laissent froids, même lorsqu’ils répètent de beaux airs, parce que nous ne sentons point venir jusqu’à nous l’émotion et la vie d’une main humaine vibrant sur leurs cordes et les faisant vibrer elles-mêmes. […] Où donc vibre dans l’air une voix plus qu’humaine ? […] En lisant ou écoutant, vous êtes-vous aperçu que Romains rime avec divins, Madeleine avec humaine, rajeunie avec vie ? […] Voici des phrases carrées à quatre membres : Car personne ici-bas ne termine et n’achève ; Les pires des humains sont comme les meilleurs ; Nous nous réveillons tous au même endroit du rêve. […] Il y a de l’inattendu et des heurts dans l’harmonie de la nature, et il y en a aussi dans toute émotion humaine.

1179. (1889) Essai sur les données immédiates de la conscience « Chapitre III. De l’organisation des états de conscience. La liberté »

Ces diverses considérations nous permettent de comprendre pourquoi, a priori, on aboutit à deux conceptions opposées de l’activité humaine, selon la manière dont on entend le rapport du concret à l’abstrait, du simple au complexe, et des faits aux lois. […] L’intelligence humaine n’embrasse-t-elle pas alors, dans le moment présent, une portion aussi grande qu’on voudra de la durée à venir ? […] A vrai dire, quand les empiristes font valoir le principe de causalité contre la liberté humaine, ils prennent le mot cause dans une acception nouvelle, qui est d’ailleurs celle du sens commun. […] D’où résulte enfin, quelque paradoxale que cette opinion puisse paraître, que la supposition d’un rapport d’inhérence mathématique entre les phénomènes extérieurs devrait entraîner, comme conséquence naturelle ou tout au moins plausible, la croyance à la liberté humaine. […] C’est pourquoi toute conception claire de la causalité, et où l’on s’entend avec soi-même, conduit à l’idée de la liberté humaine comme à une conséquence naturelle.

1180. (1900) Molière pp. -283

On y voit, non seulement l’entêtement dans la médecine, mais encore l’entêtement dans tous les genres et dans tout le domaine de l’esprit humain. […] Je sors du genre humain pour que ma pensée (ou du moins la pensée de Goethe) soit plus claire, plus facile à accepter. […] Je ne le trouve nulle part dans les grands auteurs du siècle de Louis XIV ; il n’est pas même dans Voltaire avec ce sens ; je le dis, parce qu’on a accusé Voltaire d’avoir inventé la scène du Pauvre : Voltaire dit l’espèce humaine, le genre humain ; il ne dit pas l’humanité. […] Il y a l’article homme, dans lequel vous trouvez encore les expressions genre humain, espèce humaine, famille humaine ; vous n’y trouvez pas le mot humanité. […] ——— Misère de la condition humaine !

1181. (1739) Vie de Molière

Il est bien difficile de réussir avant cet âge dans le genre dramatique, qui exige la connaissance du monde et du cœur humain. […] Le théâtre n’était point, comme il le doit être, la représentation de la vie humaine. […] En effet, il y a peu de choses plus attachantes qu’un homme qui hait le genre humain dont il a éprouvé les noirceurs, et qui est entouré de flatteurs dont la complaisance servile fait un contraste avec son inflexibilité. […] Le Médecin malgré lui soutint Le Misanthrope : c’est peut-être à la honte de la nature humaine, mais c’est ainsi qu’elle est faite ; on va plus à la comédie pour rire, que pour être instruit. […] Les satires de Despréaux coûtèrent aussi la vie à l’abbé Cassaigne ; triste effet d’une liberté plus dangereuse qu’utile, et qui flatte plus la malignité humaine, qu’elle n’inspire le bon goût.

1182. (1883) La Réforme intellectuelle et morale de la France

L’opinion publique de l’Angleterre, telle qu’elle se produit depuis trente ans n’est nullement germanique ; on y sent l’esprit celtique, plus doux, plus sympathique, plus humain. […] Ou les choses humaines vont changer leur marche, ou ce qui est le meilleur aujourd’hui ne le sera pas demain. […] L’université enseigne tout, prépare à tout, et dans son sein toutes les branches de l’esprit humain se touchent et s’embrassent. […] La crainte de la conquête est ainsi, dans les choses humaines, un aiguillon nécessaire. […] L’imprévu est grand dans les choses humaines, et la France se plaît souvent à déjouer les calculs les mieux raisonnes.

1183. (1895) Les mercredis d’un critique, 1894 pp. 3-382

L’étude prolongée du cadavre humain avait donné au sculpteur le désir de représenter l’animal vivant. […] Il fut l’homme des hommes, la chair de la chair humaine. […] Combien plus heureuses eussent été des milliers de créatures humaines si on ne leur avait pas fait entrevoir un bien qu’on ne pouvait leur donner ! […] J’aurais mis la jeunesse à la fin de l’existence humaine. […] L’art et la littérature devaient trouver aussi place dans l’examen de toutes ces manifestations de l’esprit humain.

1184. (1894) La vie et les livres. Première série pp. -348

Garnier, architecte de l’Opéra, pour apprendre aux Français l’histoire de l’habitation humaine. […] Il a vu, de ses yeux, le terrier où l’animal humain, chassé et chasseur, s’est tapi, tremblant de frayeur, pour éviter les fauves en quête de viande. […] Il observe les lois de l’hospitalité, lorsqu’il entend le tambourin des mendiants et ces trompettes en tibia humain, qui jettent des sons rauques. […] Il tient à la main une faux qu’il aiguise continuellement avec des ossements humains. […] Leconte de Lisle s’est défendu, lui aussi, contre la compassion aux humaines misères et contre les exigences de l’action.

1185. (1817) Cours analytique de littérature générale. Tome IV pp. 5-

Partout la force de cette morale tendante à égaliser les humains, reluit dans chaque épisode. […] Sont-ce les arguments de la raison humaine qui l’aideront à les constater ? […] chante la rédemption de l’homme coupable, accomplie sur la terre par le fils de Dieu, revêtu de la nature humaine. […] D’autres chants jettent la semence du dramatique intérêt qui va toucher les cœurs émus à l’aspect de l’innocence des deux premières créatures humaines. […] Comment l’esprit humain n’a-t-il produit rien qui le surpassât, ou qui du moins l’égalât, depuis une succession de plus de trois mille années révolues ?

1186. (1895) Nos maîtres : études et portraits littéraires pp. -360

Renan — dans la valeur absolue de la raison humaine. […] D’abord elle établit, certainement, l’inégalité des personnes humaines. […] Dans le but de son bonheur humain. […] Jamais, vous le voyez, Pascal ni le comte Tolstoï n’ont si profondément rabaissé l’esprit humain. […] Renan, substituer une physionomie plus humaine.

1187. (1853) Histoire de la littérature dramatique. Tome II « Chapitre IV. Que la critique doit être écrite avec zèle, et par des hommes de talent » pp. 136-215

Cette fois, tous les rôles sont changés dans la vie humaine. […] Hamlet pour le moins est aussi fort que Don Juan ; — il est naturellement plus mécontent de l’esprit humain, et il pense comme un misanthrope. […] Ce n’est pas de ceux-là qu’on peut dire qu’ils ont un génie à part, et qui les élève au-dessus du reste des humains. […] Don Juan, c’est le monde tel qu’il était ; c’est le grand seigneur au-dessus des lois humaines et divines, qui se dit à lui-même : Dieu y regardera à deux fois avant de damner un homme de ma sorte ! […] Tu m’étais la pensée de cette vie remplissant l’univers d’amour et de sainteté, et revêtant de poésie la beauté humaine, etc.

1188. (1898) La poésie lyrique en France au XIXe siècle

Nous ne voyons les choses qu’à notre point de vue humain, c’est-à-dire que nous ne voyons qu’une partie ; il faudrait voir l’ensemble. […] Car qu’est-ce qu’il y a de douloureux dans notre nature humaine ? […] Quelle solitude que tous ces corps humains !  […] C’est Vigny qui a écrit : J’aime la majesté des souffrances humaines. La majesté des souffrances humaines !

1189. (1863) Cours familier de littérature. XV « LXXXVIe entretien. Considérations sur un chef-d’œuvre, ou le danger du génie. Les Misérables, par Victor Hugo (4e partie) » pp. 81-143

Et le monde vous laissera mourir et tomber, parce que le monde laisse tomber et mourir tout ce qui n’est que l’égoïsme, tout ce qui ne représente pas pour le genre humain une vertu ou une idée. […] Il semble que les années de solitude ont apporté au poète, dans son île, la seule note qui manquait à ses concerts avant cette heure, la note paisible, amoureuse, sympathique, celle qui fait rendre au cœur humain les vibrations les plus intimes, celle de Charlotte sous la main de Goethe, celle de Bernardin de Saint-Pierre dans Paul et Virginie, celle de René dans Chateaubriand. […] Les arbres s’étaient baissés vers les ronces, les ronces étaient montées vers les arbres, la plante avait grimpé, la branche avait fléchi, ce qui rampe sur la terre avait été trouver ce qui s’épanouit dans l’air, ce qui flotte au vent s’était penché vers ce qui traîne dans la mousse ; troncs, rameaux, feuilles, fibres, touffes, vrilles, sarments, épines, s’étaient mêlés, traversés, mariés, confondus ; la végétation, dans un embrassement étroit et profond, avait célébré et accompli là, sous l’œil satisfait du Créateur, en cet enclos de trois cents pieds carrés, le saint mystère de la fraternité humaine. […] Nous surtout, qui voulons supprimer la peine irréparable de mort en matière civile, et qui avons eu l’audace de la supprimer même en politique, nous n’aimons pas la peine corruptrice des bagnes, et nous avons, dans nos nombreux discours sur ce sujet, réclamé un pénitentiaire colonial avec une législation spéciale, et des prisons lointaines et graduées, pour donner la sécurité à la société innocente, contre les bêtes féroces de la ménagerie humaine ; mais, la prison pénitentiaire coloniale n’existant pas encore, il faut bien reconnaître à la société le droit sacré de se défendre en attendant et de se séparer de ce qui la menace en la souillant. […] Une aspiration suffit au cœur ; mais à l’économie politique, cette astronomie des forces humaines, il faut le chiffre.

1190. (1887) Journal des Goncourt. Tome I (1851-1861) « Année 1858 » pp. 225-262

Il lui a attribué un caractère de sérénité tout humaine, une espèce de beauté ronde, une santé presque junonienne. […] » J’avais à côté de moi la grande marchande de chair humaine de notre temps : Élisa, la Farcy II. […] * * * Avril. — Nous feuilletons depuis quelque temps une sage-femme, intéressante comme la portière de l’existence humaine. […] Puis cette négation, ce doute de tout, choque les illusions de tous, ou du moins celles que tous affichent : le contentement de l’humanité qui suppose le contentement de soi, — cette paix de la conscience humaine, que le bourgeois affecte de donner comme la paix de sa conscience particulière. […] Où aboutira cette grande avenue de l’histoire qui n’est plus qu’une avenue de monarques, de reines, de ministres, de capitaines, de pasteurs de peuples, montrés dans leurs ordures et leurs misères humaines, — de Rois passant au conseil de révision ?

1191. (1772) Bibliothèque d’un homme de goût, ou Avis sur le choix des meilleurs livres écrits en notre langue sur tous les genres de sciences et de littérature. Tome II « Bibliotheque d’un homme de goût — Chapitre III. Des Livres nécessaires pour l’étude de l’Histoire sacrée & ecclésiastique. » pp. 32-86

Une des plus importantes est celle des Hérétiques, c’est-à-dire, de ces hommes hardis & entreprenans qui ne pouvant plier leur tête orgueilleuse sous le joug de la Foi, ont troublé l’Eglise par des erreurs qui ont fait quelquefois couler le sang humain. […] Personne ne les a exposé avec plus de netteté que M. l’Abbé Pluquet, auteur des Mémoires pour servir à l’histoire des égaremens de l’esprit humain par rapport à la Religion Chrétienne, ou Dictionnaire des hérésies, des erreurs & des schismes ; précédé d’un discours dans lequel on recherche quelle a été la religion primitive des hommes, les changemens qu’elle a souffert jusqu’à la naissance du Christianisme ; les causes générales, les liaisons & les effets des hérésies qui ont divisé les Chrétiens, en deux vol. […] Pinchinat, on ne trouvera point un tableau des égaremens de l’esprit humain, en matiere de Religion, aussi bien fait aussi bien frappé que celui-ci. […] La vieillesse produisit en lui des sentimens plus modérés & une vertu plus humaine. […] SI les Hérésies déshonorent pour la plûpart la nature humaine, les différens Ecrivains que l’Eglise a produit ne peuvent que lui faire beaucoup d’honneur.

1192. (1809) Quelques réflexions sur la tragédie de Wallstein et sur le théâtre allemand

Dans la seconde, la seule qui soit venue jusqu’à nous, Prométhée est puni par les dieux, jaloux des services qu’il a rendus à l’espèce humaine. […] Werner, connu, même en France, par le succès mérité de sa tragédie de Luther, et qui réunit au plus haut degré deux qualités inconciliables en apparence, l’observation spirituelle et souvent plaisante du cœur humain, et une mélancolie enthousiaste et rêveuse, Werner, dans son Attila, présente à nos regards la cour nombreuse de Valentinien, se livrant aux danses, aux concerts, à tous les plaisirs, tandis que le fléau de Dieu est aux portes de Rome. […] En interdisant à nos poëtes des moyens de succès trop faciles, on les force à tirer un meilleur parti des ressources qui leur restent et qui sont bien supérieures, le développement des caractères, la lutte des passions, la connaissance, en un mot, du cœur humain. […] Ils nous les présentent avec leurs faiblesses, leurs inconséquences, et cette mobilité ondoyante qui appartient à la nature humaine et qui forme les êtres réels. […] Nous n’envisageons l’amour que comme une passion de la même nature que toutes les passions humaines, c’est-à-dire ayant pour effet d’égarer notre raison, ayant pour but de nous procurer des jouissances.

1193. (1902) Les œuvres et les hommes. Le roman contemporain. XVIII « Octave Feuillet »

Dans un temps où le sentimentalisme gouverne le monde et a remplacé la religion, la morale et la loi, tous les pleurards qui tètent leur canne en regardant mélancoliquement les corniches, quand on parle des choses du cœur, trouveront admirable un livre dans lequel, à l’honneur de la nature humaine, Berquin bat constamment Borgia, par la très simple raison, du reste, c’est que le Borgia qu’on voulait mettre dans ce livre, en définitive n’y est pas ! […] Je n’ai à discuter ici ni la délicatesse de cette morale, ni l’outrage fait à la nature humaine par l’abjection et la passivité de ce dénouement, parce que ce dénouement ne ressort pas nécessairement du mariage dans le monde qui est le sujet du livre, et dans lequel même un pareil dénouement détonne. […] Il n’est pas, il ne fut jamais, il ne pourrait pas être, un grand écrivain de nature humaine, qui la prend aux entrailles et la secoue avec puissance, mais il est très bien l’écrivain d’une petite société incapable de fortes sensations. […] C’en serait une de plus que l’histoire de l’actrice, si elle était, comme on l’a dit, une vengeance ; mais je connais trop la lâcheté humaine pour croire à des propos qui sont des coups de couteau dans le dos d’un homme. […] J’aurais dit qu’il aurait sacrifié à des besoins et à d’inférieures considérations dramatiques la plus grande forme humaine et littéraire de la pensée au xixe  siècle.

1194. (1773) Discours sur l’origine, les progrès et le genre des romans pp. -

Quoi qu’il en soit, venons aux Romans proprement dits, à ceux qui, dans une narration plus ou moins longue, embrassent la peinture des passions & des foiblesses humaines, développent les replis du cœur, épient ses moindres mouvements, deviennent la peinture des pensées encore plus que celle des actions, & rapprochent beaucoup mieux que l’histoire même le héros de son lecteur. […] De graves Historiens nous attestent ces faits, & il en faut souvent moins pour séduire la crédulité humaine. On sait aussi qu’il y eut chez les Gaulois des demi-Déesses Forestieres, qui communiquoient volontiers avec les humains, & qui avoient de fortes raisons pour ne pas les fuir. […] Vint un autre scrutateur qui parut faire dans le cœur humain de nouvelles découvertes. […] Le ton & les usages du grand monde, les travers & les foiblesses du cœur humain, y sont décrits avec cette sureté d’expression qui atteste la ressemblance des portraits.

1195. (1940) Quatre études pp. -154

La voix de Baudelaire est si étrangement pathétique, qu’elle semble ajouter à la parole humaine des vibrations venues de l’au-delà. […] Ô pavots bienfaisants, qui abolissent en nous le sens cruel de la vie, qui nous mènent vers les léthargies, vers les rêves plus vrais que les prétendues réalités humaines ! […] » L’esprit humain ne saurait les saisir, ces natures mystérieuses dont il pressent l’existence et l’action. […] Et réelles, en ce sens, elles l’ont été pour tout être humain qui, par suite de quelque erreur des sens, s’est cru à un moment quelconque sous l’empire d’une puissance surnaturelle. […] Elle est la vérité même, puisqu’elle saisit les lois éternelles qui, s’inscrivant dans l’esprit par le moyen des sens, finissent par former la raison humaine.

1196. (1913) Le mouvement littéraire belge d’expression française depuis 1880 pp. 6-333

Nous sommes en présence de ce que j’appellerai volontiers la partie la plus humaine de l’Océan. […] Ce Cachaprès, quelle belle bête humaine ! […] Mais l’idée ne manque jamais de noblesse qui met aux prises l’âme humaine impuissante avec la Fatalité. […] C’est, de compte fait, pour l’instant, et malgré tous les efforts de nos volontés, le fond de notre vérité humaine. […] Henri Maubel, le subtil romancier, poursuit, au théâtre, ses études raffinées de l’âme humaine.

1197. (1914) Une année de critique

En un mot, dans ce roman, Rousseau se contredit ; il est encore humain. […] Mais les discours avaient pour conclusion les massacres de Septembre et les amours finissaient… comme la plupart des amours humaines. […] Si tu semblés aider à quelqu’un des gestes humains, ce n’est point que tu le juges meilleur que les autres. […] D’ici là, reste parmi tes semblables, et médite sur l’éminente dignité de la personne humaine, que l’on nous révèle à l’école. […] Car c’est la grandeur du cerveau humain de concevoir l’infini, où l’univers ne montre que le néant.

1198. (1814) Cours de littérature dramatique. Tome I

On veut de l’amour, quelque bon chrétien que l’on soit… Telle est la corruption du genre humain ! […] Les juges pensent si bien de la nature humaine, qu’il ne leur paraît pas vraisemblable qu’une jeune fille très amoureuse sacrifié son devoir à sa passion : rien assurément n’est plus vraisemblable, plus commun et plus conforme à la nature. […] Du moment que la religion passe pour une invention humaine, elle est nulle ; la religion qu’on croit divine et révélée est la seule qui puisse avoir de l’influence sur les mœurs et contribuer au bonheur de la société. […] Il est curieux de voir un cardinal de l’Église romaine consoler la scène des rigueurs de l’Église : ce trait mérite sa place dans l’histoire de l’esprit humain. […] Le cœur humain, dit-on, est partout le même ; mais partout il n’est pas également touché des mêmes choses : il y a plus, la même nation change de sentiments et de préjugés suivant les temps.

1199. (1863) Cours familier de littérature. XVI « XCIIIe entretien. Vie du Tasse (3e partie) » pp. 129-224

Le poète qui chante un de ces récits doit donc le chanter avec les accents et les images que la riche imagination lui prête ; mais il est tenu aussi à le chanter dans un mode sérieux, conforme à la réalité de la nature humaine à l’époque où il la met en scène, conforme surtout à la vérité des mœurs de ses héros ; en un mot, le poème épique, pour être national, humain, religieux, immortel, doit être vrai, au moins dans l’événement, dans la nation, dans le caractère et dans le costume de ses personnages. Sans cette vérité, le poème n’est plus épique, il est romanesque ; le poète ne chante plus, il joue avec son imagination et avec celle de ses auditeurs ; on l’admire encore, on ne le croit plus ; il fait partie des fables, il ne fait plus corps avec les traditions sérieuses, historiques, nationales, religieuses du genre humain. […] « Elle ne se repaît que de ses maux, elle ne s’abreuve que de ses larmes : mais le sommeil, ce doux consolateur des humains, qui leur apporte le repos et l’oubli de leurs peines, vient assoupir ses sens et ses douleurs et la couvre de ses ailes bienfaisantes. […] On conçoit la popularité d’une pareille poésie dans un siècle où le fanatisme des croisades n’était pas encore éteint, où les traditions de la chevalerie subsistaient encore, et où la passion poétique de la renaissance italienne faisait des poètes tels que Dante, Pétrarque, le Tasse, les véritables héros de l’esprit humain. […] Jamais le sort, en effet, n’avait préparé aux poètes futurs une plus saisissante et plus éternelle image de la déception des pensées humaines, que dans ce triomphe où le triomphateur n’assistait que mort à sa victoire, et où la fortune, qui avait tenu si longtemps la couronne suspendue sur le front d’un grand homme, ne livrait cette couronne qu’à un tombeau !

1200. (1864) Cours familier de littérature. XVII « CIIe entretien. Lettre à M. Sainte-Beuve (2e partie) » pp. 409-488

Je crois seulement que je ne crois à rien ; je me trompe cependant, je crois à ce qu’on appelle conscience, soit instinct, soit mauvaise habitude d’idées, soit effet de préjugés et de respect humain. […] À pied, ou sur des chars brillants d’ivoire et d’or, Ou sur une trirème embarquant leur trésor, Ils erraient : Antioche, Alexandrie, Athènes, Tour à tour leur montraient ces lueurs incertaines Qui, dès qu’un œil humain s’y livre et les poursuit, Toujours, sans l’éclairer, éblouissent sa nuit. […] Et, poursuivant toujours, je disais qu’en la gloire, En la mémoire humaine, il est peu sûr de croire ; Que les cœurs sont ingrats, et que bien mieux il vaut De bonne heure aspirer et se fonder plus haut, Et croire en Celui seul qui, dès qu’on le supplie, Ne nous fait jamais faute, et qui jamais n’oublie. […] C’est la loi, c’est le vœu de la sainte Nature ; En nous donnant le jour : « Va, pauvre créature, Va, dit-elle, et prends garde, au sortir de mes mains, De trébucher d’abord dans les sentiers humains. […] Et dans ton sein coulait cette harmonie humaine, Sans laisser d’autre ivresse à ta lèvre sereine Qu’un sourire suave, à peine s’imprimant ; Ton œil étincelait sans éblouissement, Et ta voix mâle, sobre et jamais débordée, Dans sa vibration marquait mieux chaque idée !

1201. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « Œuvres de Frédéric-le-Grand Correspondance avec le prince Henri — II » pp. 375-394

II Lundi, 18 août 1856· Ce n’est pas nous qui nous plaindrons si les lettres de Frédéric et du prince Henri nous les montrent parfois qui se détournent de la politique et du positif des affaires pour discuter sur la morale, sur les divers aspects de la vie, sur la nature humaine, et sur le bien ou le mal qu’on peut en espérer ou en craindre. […] Il se montre toutefois plus tolérant pour les systèmes élevés qu’il n’est ordinaire aux sceptiques et aux empiriques ; dans ces divers systèmes imaginés par les Leibniz, les Malebranche et autres, il n’en est aucun qui n’ait des obscurités et qui n’implique contradiction dans certains endroits : Toutefois, dit Frédéric, il est agréable de connaître et de suivre toutes les routes que l’esprit humain s’est frayées pour parvenir à des vérités qu’il n’a pu découvrir. […] Mais la vraie oraison funèbre, la page immortelle (autant qu’une page humaine peut l’être), c’est cette lettre qu’on vient de lire, écrite dans l’effusion de la douleur par un roi qui ne veut être qu’un homme, un homme affligé, et avec des expressions non cherchées et naïves, dignes par leur tendresse de la jeune et aimable figure qui a disparu. […] Il est curieux de voir, à cette fin de campagne, l’impatience du vieux guerrier qui, arrivé toutefois à son but pour la politique, frémit de colère de n’avoir pu frapper un dernier coup, et de se voir obligé à remettre l’épée dans le fourreau sans s’être vengé une bonne fois de ses ennemis dans une bataille : « En fait de campagne, disait-il en se jugeant avec une sorte d’amertume, nous n’avons fait (cette fois) que des misères55. » Dans les années qui suivent, on retrouve Frédéric et le prince Henri en conversation par lettres, en discussion philosophique sur les objets qui peuvent le plus intéresser les hommes, la religion, la nature humaine et le rang qu’elle tient dans l’univers, les ressorts et mobiles qui sont en elle, et les freins qu’on y peut mettre.

1202. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Madame Swetchine. Sa vie et ses œuvres, publiées par M. de Falloux. »

En fait de sentiments, dépensées portant sur les affections et les passions humaines, j’ai parcouru un cercle immense et creusé jusqu’aux antipodes ; je suis vraiment docteur en cette loi-là… C’est dans l’enceinte de mon propre cœur que j’ai appris à connaître celui des autres, et la seule connaissance de moi-même m’a donné la clef de ces énigmes innombrables qu’on appelle les hommes. » Elle se flatte et s’exagère sans doute un peu cette connaissance universelle, cette clef, ce passe-partout qu’elle croit tenir et qui l’a conduite, en définitive, à la possession d’un monde très-distingué, mais restreint. […] ce n’est pas là un salon ; les quelques jeunes femmes qui y passent, avant de se rendre au bal sous l’aile de maris exemplaires, et qui viennent y recevoir comme une absolution provisoire qui, plus tard, opérera, ne me font pas illusion : c’est un cercle religieux, une succursale de l’église, — donnez-lui le nom que vous voudrez, — un vestibule du Paradis, « une maison de charité à l’usage des gens du monde. » Salon français de tous les temps, d’où me reviennent en souvenir tant d’Ombres riantes, tant de blondes têtes et de fronts graves ou de fronts inspirés, passant tour à tour et mariant ensemble tout ce qui est permis à l’humaine sagesse pour charmer les heures, enjouement, audace, raison et folie, — je ne te reconnais plus ! […] « Rien ne fait échapper à la colère, disait-elle vers ce temps à une spirituelle amie, comme un profond sentiment de l’infirmité humaine. » Je ne sais rien qui lui fasse plus d’honneur, dans tout ce que ses amis nous ont transmis d’elle, que sa manière de sentir et de juger en ces années-là. […] De tels sentiments sont de l’ordre le plus respectable et des plus faits pour honorer la nature humaine : sans eux qu’est la vie, même la plus aimable ?

1203. (1887) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Troisième série « Jules de Glouvet »

Et je suis tenté de croire que, parmi les causes qui nous ont rendus si différents des hommes d’autrefois, même des hommes d’il y a cent ans, il faut tenir grand compte de celle-là, et que cet amour de la nature a profondément modifié l’âme humaine (je ne parle, bien entendu, que d’une élite). […] Au fait, le bonheur final où la race humaine aspire et vers lequel elle croit marcher se conçoit bien mieux sous cette forme que sous celle d’une civilisation industrielle et scientifique. […] M. de Glouvet a eu cette fois la chance rare de dresser en pied une figure humaine qui représente un sentiment très général et très beau sous une forme concrète et dans des conditions très particulières et très pittoresques. […] Ce bouc qui dénoue le drame redouble encore l’impression d’épouvante et de mystère : il convenait qu’un animal eût un rôle, et un rôle humain, dans une histoire d’hommes si voisins de l’animalité primitive.

1204. (1880) Les deux masques. Première série. I, Les antiques. Eschyle : tragédie-comédie. « Chapitre XI, les Suppliantes. »

N’approchez pas de trop près ces personnages qui semblent avoir corps et figure ; leur apparence humaine, déjà si fragile, ne résisterait pas au premier contact. […] — « Je tremble, s’écrie-t-il en les voyant embrasser ces autels. » C’est une figure ingénuement humaine que celle de ce roi primitif : nullement tendu et tout d’une pièce, comme les monarques de nos tragédies, mais peint en pleine franchise de nature, avec ses irrésolutions respectables et sa bonté combattue par la prudence politique. […] » — Elles envient « la poussière qui s’envole sans ailes, dans les airs » ; elles voudraient être transportées « sur la pointe d’une roche escarpée, inaccessible à tout pied humain ». — « De là, je pourrais me précipiter, avant de subir, malgré mon cœur, ces noces détestées. » Tous les bruits de la mer résonnent dans le coquillage que l’on approche de l’oreille, tout un monde d’angoisses retentit aussi dans ce chœur navré. […] La génération de Périclès, que l’enceinte de l’Acropole aurait contenue, n’a-t-elle pas plus vécu que les myriades d’êtres humains qui ont coulé, dans la vallée du Delta, depuis Ménès jusqu’aux Ptolémées, monotones comme les eaux de leur fleuve ?

1205. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « M. Fiévée. Correspondance et relations avec Bonaparte. (3 vol. in-8º. — 1837.) » pp. 217-237

Les principaux personnages y sont vertueux, sensibles, intéressants, et l’on y a affaire à une nature humaine d’Opéra-Comique ou de Gymnase, non pas à la vraie et sincère nature. […] Pour s’exalter, les hommes n’ont besoin que d’un point de réunion : quand ils l’ont, ils bravent, ils dominent l’opinion publique… Les héros de ces rassemblements finissent trop souvent par être plus amis du genre humain que de leur patrie, plus amis de leurs systèmes que du genre humain. […] Jugeant la politique, absurde selon lui autant qu’ingrate, qui avait scindé et désaffectionné les royalistes vers 1823, il disait : « Je ne suis jamais trop sévère contre les bassesses du cœur humain, je le connais trop pour cela, mais je ne pardonne jamais la bassesse quand elle est en dehors de l’intelligence, quand elle est stupide. » Il avait fini par se détacher complètement des personnes en fait de gouvernement, et il ne se souciait plus, disait-il, que des peuples : « Les peuples vont, non parce qu’on les gouverne, mais malgré qu’on les gouverne. » Son bon moment de royalisme avait été lorsqu’il venait le matin dans le cabinet de M. de Chateaubriand aux Affaires étrangères : il y rencontrait M. 

1206. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Franklin. — I. » pp. 127-148

Tandis que ses compagnons étaient hors de l’imprimerie pour prendre leur repas, il y faisait vite le sien qu’il préparait frugalement de ses mains, et il lisait le reste du temps, se formant à l’arithmétique, aux premiers éléments de géométrie, lisant surtout Locke sur L’Entendement humain, et L’Art de penser de Messieurs de Port-Royal. […] C’est ainsi qu’il ramène tout à l’arithmétique et à la stricte réalité, sans faire sa part à l’imagination humaine. […] Si digne d’estime qu’il fût parmi les siens, il eût pourtant été difficile de deviner en lui, à cette date, celui dont lord Chatham un jour, pour le venger d’une injure, parlera si magnifiquement à la Chambre des lords, comme d’un homme « qui faisait honneur non seulement à la nation anglaise, mais à la nature humaine ». […] Un garçon n’est pas un être humain complet : il ressemble à la moitié dépareillée d’une paire de ciseaux qui n’a pas encore trouvé son autre branche, et qui, par conséquent, n’est pas même à moitié aussi utile que les deux pourraient l’être ensemble. » (Lettre de Franklin à M. 

1207. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « Œuvres de Frédéric le Grand (1846-1853). — I. » pp. 455-475

L’esprit humain, pour sortir de la routine où il est sujet à s’endormir et à se rouiller, a de temps en temps besoin d’un précepteur philosophique nouveau : ce précepteur excitateur, qui doit quelque peu se mettre à la portée des gens du monde, varie beaucoup selon les pays et selon les temps : tantôt ce sera La Sagesse de Charron, tantôt La Logique de Port-Royal ou même Malebranche en ses Entretiens, tantôt Locke qui, pour la France, fut toujours trop long. […] Il rappelle plus d’une fois son généreux et plus confiant ami, M. de Suhm, à la réalité et à l’expérience : les Descartes, les Newton, les Leibniz peuvent venir et se succéder, sans qu’il y ait danger pour les passions humaines de perdre du terrain et de disparaître : « Selon toutes les apparences, on raisonnera toujours mieux dans le monde, mais la pratique n’en vaudra pas mieux pour cela. » Dans sa douce et studieuse retraite de Remusberg, regrettant l’ami absent : Il me semble, lui écrit-il (16 novembre 1736), il me semble que je vous revois au coin de mon feu, que je vous entends m’entretenir agréablement sur des sujets que nous ne comprenons pas trop tous deux, et qui cependant prennent un air de vraisemblance dans votre bouche. […] Après quoi, il n’eût pas mieux demandé que de redevenir le roi pacifique, humain et administrateur qu’il avait d’abord rêvé d’être et qu’il fut en définitive. […] Rendre quelqu’un heureux est une grande satisfaction ; mais faire le bonheur d’une personne qui nous est chère, c’est le plus haut point où puisse atteindre la félicité humaine.

1208. (1868) Les philosophes classiques du XIXe siècle en France « Chapitre XI : M. Jouffroy moraliste »

Jouffroy fut la connaissance de la destinée humaine ; il la donna pour but à la philosophie82 ; pour lui les autres recherches ne furent que rentrée de celle-là. […] Aujourd’hui, il a tout perdu, et il faut qu’il relève ce que la fatalité de la fortune a détruit. » II Cette reconstruction est la découverte de la destinée humaine. […] Malebranche est allé plus loin ; il a prouvé, et fort rigoureusement, que Dieu n’a point en vue le bien des créatures, mais sa gloire, qu’il fait tout pour lui et rien pour elles, et qu’il ne serait pas Dieu, s’il était humain. […] Addison, Pope, Swift, le visitaient ; plus tard, Hume lui présenta son Traité de la nature humaine.

1209. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre V. Les contemporains. — Chapitre III. La critique et l’histoire. Macaulay. »

Il ne peut voir paisiblement l’oppression de l’homme ; tout attentat à la volonté humaine le blesse comme un outrage personnel. […] Aussi, lorsque les grands orateurs consentent à écrire, ils sont les plus puissants des écrivains ; ils rendent la philosophie populaire ; ils font monter tous les esprits d’un étage, et semblent agrandir l’intelligence du genre humain. […] Ils demeurent volontiers dans une région moyenne parmi des tirades et des arguments d’avocat, avec une connaissance telle quelle du cœur humain, et un nombre raisonnable d’amplifications sur l’utile et le juste. […] Il est tour à tour économiste, littérateur, publiciste, artiste, historien, biographe, conteur, philosophe même ; par cette diversité de rôles, il égale la diversité de la vie humaine, et présente aux yeux, au cœur, à l’esprit, à toutes les facultés de l’homme, l’histoire complète de la civilisation de son pays. […] Mille après mille, le voyageur cherche en vain des yeux la fumée d’une hutte, ou une forme humaine enveloppée dans un plaid ; il écoute en vain pour entendre les aboiements d’un chien de berger ou le bêlement d’un agneau.

1210. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre XIV. De la plaisanterie anglaise » pp. 296-306

J’examinerai dans un des chapitres suivants par quelles raisons les Français pouvaient seuls atteindre à cette perfection de goût, de grâce, de finesse et d’observation du cœur humain, qui nous a valu les chefs-d’œuvre de Molière. […] Dans les pièces même telles que L’Avare, Le Tartufe, Le Misanthrope, qui peignent la nature humaine de tous les pays, il y a des plaisanteries délicates, des nuances d’amour-propre, que les Anglais ne remarqueraient seulement pas ; ils ne s’y reconnaîtraient point, quelque naturelles qu’elles soient ; ils ne se savent pas eux-mêmes avec tant de détails ; les passions profondes et les occupations importantes leur ont fait prendre la vie plus en masse.

1211. (1870) De l’intelligence. Première partie : Les éléments de la connaissance « Livre premier. Les signes — Chapitre premier. Des signes en général et de la substitution » pp. 25-32

Mais vous savez que sous chacun de ces points sombres ou bigarrés il y a un corps vivant, des membres actifs, une savante économie d’organes, une tête pensante, conduite par quelque projet ou désir intérieur, bref une personne humaine. […] Des couples, tels que le premier terme fasse apparaître aussitôt le second, et l’aptitude de ce premier terme à remplacer l’autre, en tout ou en partie, de façon à acquérir soit une province définie de ses propriétés, soit toutes ses propriétés réunies, voilà, selon moi, l’origine des opérations supérieures qui composent l’intelligence humaine ; on en va voir le détail.

1212. (1889) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Quatrième série « Pronostics pour l’année 1887. »

Robert d’Ancelys, flétri par les turpitudes de la vie de collège, puis régénéré par un crime d’amour, n’aura plus pour principe d’action que la religion de la souffrance humaine. […] Il sera de plus en plus épouvanté de la sottise et de la férocité de l’animal humain.

1213. (1892) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Cinquième série « Contre une légende »

Je ne pense pas que personne, dans aucun temps, ait pris plus sérieusement la vie que ce petit Breton de vingt-cinq ans dont l’enfance avait été si pure, l’adolescence si grave et si studieuse, et qui, au sortir du plus tragique drame de conscience, seul dans sa petite chambre de savant pauvre, continuait à s’interroger sur le sens de l’univers, — et cela, dans un tel détachement des vanités humaines, que ces pensées devaient rester quarante ans inédites par la volonté de leur auteur. […] Il se peut que tout le développement humain n’ait pas plus de conséquence que la mousse ou le lichen dont s’entoure toute surface humectée… » Mais il n’en a pas moins poursuivi l’accomplissement de son devoir.

1214. (1896) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Sixième série « La Tolérance »

Acceptez ce qui est encore principe de vertu pour des millions de créatures humaines et, je puis sans doute le dire pour un certain nombre d’entre vous, acceptez l’âme de vos mères et de vos sœurs. […] Elle implique le respect de la personne humaine.

1215. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — M. — article » pp. 312-324

Quand on est assez aveugle pour ne rien voir de tout ce qui existe, ou pour n’en juger que comme des frénétiques dont les organes sont entiérement dépravés, n’est-ce pas le comble de l’ineptie, que d’oser s’ériger en Précepteurs du Genre humain ? […] Le tableau de tant d’excès ne démontre-t-il pas, que la raison humaine ne sauroit sortir des limites que cette Religion lui prescrit, sans se précipiter dans les plus pitoyables travers ?

1216. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu'en 1781. Tome IV « Les trois siecles de la littérature françoise.ABCD — T. — article » pp. 372-383

… Songez qu’elle est le flambeau de toutes les Sciences, l’ame de toutes les vertus, l’existence réelle des êtres, & que sans elle tout n’est qu’illusion… Je ne me suis attaché, dans ces Réflexions, qu’aux vérités relatives à la marche éclairée de l’esprit humain. […] Le vrai Philosophe, éclairé par les vérités qu’il connoît, est sans cesse enflammé par le désir d’en connoître de nouvelles ; s’il réfléchit sur ce qu’il fait, s’il observe bien, s’il apprécie ce qui l’entoure, c’est depuis la combinaison de ce qu’il sait & de ce qu’il voit, qu’il s’éleve à de nouvelles découvertes, ou dans les profondeurs de la Nature, ou dans les replis du cœur humain.

1217. (1885) Préfaces tirées des Œuvres complètes de Victor Hugo « Préfaces des recueils poétiques — Préface des « Rayons et les Ombres » (1840) »

Lorsqu’il blâmerait çà et là une loi dans les codes humains, on saurait qu’il passe les nuits et les jours à étudier dans les choses éternelles le texte des codes divins. […] Enfin, il relèverait partout la dignité de la créature humaine en faisant voir qu’au fond de tout homme, si désespéré et si perdu qu’il soit.

1218. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Troisième partie. Beaux-arts et littérature. — Livre quatrième. Éloquence. — Chapitre II. Des Orateurs. — Les Pères de l’Église. »

Ce qu’on remarque de plus frappant dans cet ouvrage, c’est le développement de l’esprit humain : on entre dans un nouvel ordre d’idées ; on sent que ce n’est plus la première antiquité ou le bégaiement de l’homme qui se fait entendre. […] C’est du prêtre de Carthage que Bossuet a emprunté ce passage si terrible et si admiré : « Notre chair change bientôt de nature, notre corps prend un autre nom ; même celui de cadavre, dit Tertullien, parce qu’il nous montre encore quelque forme humaine, ne lui demeure pas longtemps ; il devient un je ne sais quoi qui n’a plus de nom dans aucune langue 187 : tant il est vrai que tout meurt en lui, jusqu’à ces termes funèbres par lesquels on exprime ses malheureux restes ! 

1219. (1767) Salon de 1767 « Peintures — Lépicié » pp. 275-278

Il rêve, il se promène, il se rappelle ou les modèles qu’il a vus, ou les phénomènes de la nature, ou les passions du cœur humain, en un mot les expériences qu’il a faites, c’est-à-dire qu’il devient savant. […] Les progrès de l’esprit humain chez un peuple rendent ce plan mobile.

1220. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Première partie — Section 2, de l’attrait des spectacles propres à exciter en nous une grande émotion. Des gladiateurs » pp. 12-24

On peut dire la même chose d’autres nations très-polies et qui font profession de la religion ennemie de l’effusion du sang humain. […] Mais nous avons dans nos annales une preuve encore plus forte que celle-là, pour montrer qu’il est dans les spectacles les plus cruels une espece d’attrait capable de les faire aimer des peuples les plus humains.

1221. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Seconde partie — Section 10, du temps où les hommes de génie parviennent au mérite dont ils sont capables » pp. 110-121

Le poëte tragique doit atteindre le dégré de perfection où il est capable de monter, de meilleure heure que le poëte comique, le génie et une connoissance generale du coeur humain, telle que la donnent les premieres études, suffisent pour faire une tragédie excellente. […] En un mot, il faut connoître à fond le genre humain, et sçavoir la langue de toutes les passions, de tous les âges, et de toutes les conditions.

1222. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « MADAME GUIZOT (NEE PAULINE DE MEULAN) » pp. 214-248

Quand M. de La Rochefoucauld ne fut plus amoureux ni frondeur, il se surfit sans doute un peu la malice humaine, contre laquelle l’excitaient encore sa goutte et ses mauvais yeux Ceux qui l’ont pris d’abord de très-haut avec les choses, et qui ont été d’âpres stoïciens et des rêveurs sombres avant vingt-cinq ans, se rabattent, au contraire, en continuant de vivre, et deviennent plus indulgents, plus indifférents du moins. […] Une femme qui a soutenu avec honneur un nom illustre, Mme de Condorcet, de quinze ans environ l’aînée de Mlle de Meulan, et qui se rattachait plus directement au monde de la Décade, tentait vers cette époque, dans ses Lettres à Cabanis sur la Sympathie, une analyse, à proprement parler philosophique, sur les divers sentiments humains. […] Celle qui, à vingt-cinq ans, avait débuté par se faire personne d’un certain âge ou même douairière du Marais, entre non moins exactement, à mesure qu’elle vieillit, dans les divers personnages de ce petit monde de dix à quatorze ans, en y apportant une morale saine, la morale évangélique, éternelle, qui s’y proportionne sans s’y rapetisser. « Son idée favorite, son idée chérie, est-il dit dans la préface d’une Famille, c’était que la même éducation morale peut et doit s’appliquer à toutes les conditions ; que, sous l’empire des circonstances extérieures les plus diverses, dans la mauvaise et dans la bonne fortune, au sein d’une destinée petite ou grande, monotone ou agitée, l’homme peut atteindre, l’enfant peut être amené à un développement intérieur à peu près semblable, à la même rectitude, la même délicatesse, la même élévation dans les sentiments et dans les pensées ; que l’âme humaine enfin porte en elle de quoi suffire à toutes les chances, à toutes les combinaisons de la condition humaine, et qu’il ne s’agit que de lui révéler le secret de ses forces et de lui en enseigner l’emploi. » Comment Mme Guizot, de raison un peu ironique, d’habitudes d’esprit un peu dédaigneuses qu’elle était, se trouva-t-elle conduite si vite et si directement à cette idée plénière de véritable démocratie humaine ? […] Ce que j’appelle transaction n’était à ses yeux que la vérité même dans son ménagement humain nécessaire, mais sur sa base inébranlable.

1223. (1887) Revue wagnérienne. Tome II « Paris, le 8 mai 1886. »

Dans Gwendoline une moitié est sacrifiée (descriptions, divertissements, aubades) ; une moitié est un visible essai à l’analyse ; essai à suivre une série de sentiments, essai à dire une émotion, essai à faire de l’humain, — chétif et pauvre essai pour qui se rappelle vingt mesures de Parsifal ou de la Missa Solemnis, — mais admirable et superbe effort parmi l’affaissement, l’ignorance des théories, l’incuriosité de toute recherche, le croupissement d’insignifiante badauderie où se complaisent, à la suite de la musique mendelsohnnienne, compositeurs et public. […] Leur ignorance des anatomies réelles était constante, extrême leur souci de l’expression : ils ont peint le corps humain et la nature tels que, dans la disposition précieuse de leurs âmes, ils les voyaient. Puis ce fut avec Raphaël et les Vénitiens un ressaut du réalisme ; le corps humain, naguère ignoré, avait apparu, et ces peintres témoignèrent la vision éblouie qu’ils en avaient reçue. […] Plus tard David recréa la vivante face humaine ; et vinrent ces réalistes. […] Quelle précieuse et prévoyante peinture, en revanche, cette vision antique, une fantaisie de couleurs qui se vont élargissant, et des contours vaguement humains achevant, en des poses languides, l’émotion calme et parfumée du tableau !

1224. (1887) Revue wagnérienne. Tome II « Paris, le 8 novembre 1886. »

Ce serait à ne pas le croire, la Revue wagnérienne nous apprenant que « l’art wagnérien doit recréer la vie humaine ». […] L’ironie qui préside à toute manifestation de la vie humaine a voulu que le lieu de dévotion des vrais fanatiques de Wagner devint ainsi une sorte d’étape dans un voyage hygiénique à quelque ville de bains allemande. […] « Ces prétendus amants, dit Gasperini, sont deux élèves de Kant, de Schopenhauer, de l’école indienne, ce ne sont pas des créatures humaines ; jamais, grâce au ciel, l’amour n’a parlé cette langue ampoulée et barbare ; jamais il ne s’est précipité dans le deuil, dans la mort avec cette rage de délabrement et de submersion. » Va pour leur premier cri d’amour ! […] Il ne suffit pas d’être rompu à la science et de se faire obéir ; il faut être artiste, et cette dispersion de la vie centrale, de l’expression générale dans toutes les parties ce l’édifice commun, ne se fait pas sans un sentiment profond de la vérité et de la passion, où l’âme éclate et rayonne. » En un mot, c’est le génie, et le génie dans ce qu’il a de plus spontané et de plus humain. […] Au moment, dans le grand prologue, où le héros quitte le royaume des Esprits souterrains et abdique, sa royauté pour se vouer corps et âme à l’amour humain, il jure à sa mère de retourner auprès d’elle si jamais « sa couronne serait défleurie, son cœur brisé » ; et c’est !

1225. (1908) Dix années de roman français. Revue des deux mondes pp. 159-190

Lui qui, dans ses délicieux volumes sur le Japon, nous donna des albums d’un pittoresque si aigu, lui qui sut évoquer avec une si lumineuse fidélité des paysages de féerie, des scènes comiques ou attendries, voire des gestes de simple grâce animale, il a découvert ici l’élan aveugle de la brute humaine déchaînée et l’épouvante des tortures ingénieuses, affinées par des siècles de pratique infernale. […] Tout comme le colossal auteur de la Comédie humaine, les plus puissamment musclés d’entre nos écrivains d’imagination ont voulu se mettre eux-mêmes tout entiers dans une œuvre de trame continue ; rassembler de nombreux personnages et poursuivre leurs destinées à travers des compositions successives, les montrer en action, et observer leurs mobiles ou le jeu de leur énergie au milieu des aventures les plus diverses. […] Elle devient infiniment douloureuse quand elle porte sur ces problèmes religieux qui ont fait de tout temps, et qui continuent de faire à travers les siècles, le fond dernier de la vie humaine. […] Artiste délicat et sensitif, assuré d’une influence durable parce que la puissance de son art n’est point violente, — ni même toujours très apparente, — mais qu’elle tient à une observation profonde de l’âme humaine et des mouvements du cœur, M.  […] C’est une sorte de roman artistique, que nous apporte ce retour à la tradition française et à la réalité humaine dans la conception ; au point de vue du style, c’est la revanche des vraies traditions de notre langue, que la brutalité naturaliste, le tarabiscotage psychologique, la bizarrerie décadente et l’influence des littératures scandinaves et des fantaisies symbolistes ont pendant si longtemps déformée et adultérée.

1226. (1900) Le rire. Essai sur la signification du comique « Chapitre II. Le comique de situation et le comique de mots »

Qu’un homme se décide à ne plus jamais dire que ce qu’il pense, dût-il « rompre en visière à tout le genre humain », cela n’est pas nécessairement comique ; c’est de la vie, et de la meilleure. […] Le mécanisme raide que nous surprenons de temps à autre, comme un intrus, dans la vivante continuité des choses humaines, a pour nous un intérêt tout particulier, parce qu’il est comme une distraction de la vie. […] Le comique est ce côté de la personne par lequel elle ressemble à une chose, cet aspect des événements humains qui imite, par sa raideur d’un genre tout particulier, le mécanisme pur et simple, l’automatisme, enfin le mouvement sans la vie. […] Le langage n’aboutit à des effets risibles que parce qu’il est une œuvre humaine, modelée aussi exactement que possible sur les formes de l’esprit humain. […] Mais il n’y a pas d’étang qui ne laisse flotter des feuilles mortes à sa surface, pas d’âme humaine sur laquelle ne se posent des habitudes qui la raidissent contre elle-même en la raidissant contre les autres, pas de langue enfin assez souple, assez vivante, assez présente tout entière à chacune de ses parties pour éliminer le tout fait et pour résister aussi aux opérations mécaniques d’inversion, de transposition, etc., qu’on voudrait exécuter sur elle comme sur une simple chose.

1227. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [1] Rapport pp. -218

Ils pénétrèrent, fécondèrent l’ombre humaine ; et naquit le monde moderne. […] Il n’est pas le camarade des larmes humaines. […] J’accorde qu’il est, plutôt qu’un caractère humain, un paradoxe moral. […] Le mépris des sentiments humains ? […] Tant d’humaine ingénuité et de céleste science déconcerte !

1228. (1890) Nouvelles questions de critique

Le cœur humain de qui ? Le cœur humain de quoi ? Quand le diable y serait, j’ai mon cœur humain, moi ! […] Elles ne sont que moins humaines, moins voisines de la nature, et, n’étant pas historiques, elles ont de plus ce grand désavantage, de n’avoir pas existé. […] Car, autant qu’à la critique, elles appartiennent à l’histoire de l’art, ou plutôt à l’histoire générale, à l’histoire naturelle de l’esprit humain.

1229. (1907) Propos littéraires. Quatrième série

Je crois même qu’il appelle quelque part cette manie une maladie incurable de l’esprit humain. […] La société humaine est moins fondée qu’on ne croit sur la famille, M.  […] Celles qui sont assez éloignées de la forme humaine pour que nous ne songions pas à la forme humaine en les regardant, et qui ne sont pas non plus trop éloignées de la forme humaine, auquel cas nous n’avons plus de terme de comparaison pour les juger. […] Son domaine, comme théâtre des passions humaines, est donc extrêmement limité. […] Défiez-vous du respect humain qui vous empêche de vous reconnaître et qui vous voile à vous-même.

1230. (1863) Causeries parisiennes. Première série pp. -419

L’illustre dominicain aurait-il produit mieux encore que l’œuvre qui honore le plus l’esprit humain ? […] Les belles dames et les beaux messieurs ont tous un cœur humain, sans doute, mais ils le montrent peu à nu. […] Les crimes sont le produit naturel des passions humaines, et ne relèvent que fort indirectement de la politique. […] que de gros lots tirés à la loterie des prospérités humaines ! […] « Ô marche implacable des sociétés humaines !

1231. (1864) Nouveaux lundis. Tome II « Bossuet. Œuvres complètes publiées d’après les imprimés et les manuscrits originaux, par M. Lachat »

Le grand évêque y fut attrapé comme à l’entrevue de Louis XIV et de Mme de Montespan : le cœur humain lui avait joué un tour, l’esprit humain lui en joua un autre. […] Ce soin de chercher, de s’ingénier, de creuser sans cesse, de prétendre reconstruire l’entendement humain de fond en comble, appartient surtout aux esprits tournés en dedans, à parole rentrée et difficile comme Hegel, à parole rare et dense comme Sieyès ou Spinoza.

1232. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « De la poésie en 1865. (suite.) »

Après les éléments, après les astres et les mondes, vient l’homme, un autre atome devant Dieu, mais un atome sentant ; après le soupir de la nature, le soupir du cœur humain : Et moi, ne sais-tu pas ce que mon cœur désire ? […] La poésie pour lui est ailleurs : elle a quitté les déserts, elle s’est transportée et répandue en tous lieux, en tous sujets ; elle se retrouve sous forme détournée et animée dans l’histoire, dans l’érudition, dans la critique, dans l’art appliqué à tout, dans la reconstruction vivante du passé, dans la conception des langues et des origines humaines, dans les perspectives mêmes de la science et de la civilisation future : elle a diminué d’autant dans sa source première, individuelle ; celle-ci n’est plus qu’un torrent solitaire, une cascade monotone, quand tout le pays alentour, au loin, est arrosé, fécondé et vivifié d’une eau courante, souterraine, universelle. […] Non, mais je cherche en toi cette force qui fonde, Cette mâle constance, exempte du dégoût… Il cherche, en un mot, la vertu la plus absente, la qualité la plus contraire au défaut qui s’est trop marqué ; et il se plaît ici, en regard et par contraste, à exposer en disciple d’Hésiode et de Lucrèce, en lecteur familier avec le bouclier d’Achille et avec les tableaux des Géorgiques, l’invention des arts, la fondation des cités, la marche progressive et lente du génie humain, tout ce qui est matière aussi de haute et digne poésie.

1233. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « MADAME TASTU (Poésies nouvelles.) » pp. 158-176

C’est toujours le même génie, La même âme, instrument humain ! […] Est-ce oubli l’un de l’autre et froide indifférence, Envie, orgueil humain ? […] Sans plus chercher au bout la pelouse rêvée, Acceptons ce chemin qui se brise au milieu ; Sans murmurer, aidons à l’humaine corvée, Car le maître, c’est Dieu !

1234. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « HOMÈRE. (L’Iliade, traduite par M. Eugène Bareste, et illustrée par M.e Lemud.) —  second article  » pp. 342-358

L’esprit humain se comporte-t-il donc comme ces enfants qui, dès qu’ils ont un beau jouet, n’ont de cesse qu’ils ne l’aient démonté et mis en pièces ? […] Elle s’est revêtue, sans qu’au fond la sincérité en souffre, de toute sa moralité brillante et d’une teinte de clarté plus continue ; le service envers le genre humain, ce bienfait perpétuel qui émane d’une noble lecture, a été plus complet. […] Aussi, en les abordant, en écoutant cette grande voix du passé par la bouche du chantre que la Muse s’est choisi, on n’a à gagner en toute sécurité qu’un je ne sais quoi de grandeur morale, une impulsion élevée de sentiments et de langage, un accès de retour vers le culte de ces pensées trop désertées qui restaurent et honorent l’humaine nature : c’est là, après tout, et la part faite aux circonstances éphémères, ce qu’il convient d’extraire des œuvres durables, et l’âme vivante qu’il y faut respirer.

1235. (1881) La psychologie anglaise contemporaine « M. Bain — Chapitre I : Des sens, des appétits et des instincts. »

. — La force qui anime l’organisme humain et entretient les courants du cerveau, a son origine dans la grande source première de force vivifiante, le soleil159. » Si nos moyens d’observation et de mesure étaient parfaits, nous pourrions voir comment se consomme la nourriture dans l’être humain, en attribuer une partie à la chaleur animale, une autre à l’action des viscères, une autre à l’activité du cerveau, et ainsi de suite. […] Pris dans leur ensemble, ils constituent tout un ordre de dispositions primitives, toute une structure primordiale qui sert de base à ce que l’être humain deviendra plus tard, au développement du sentiment, de la volition et de l’intelligence.

1236. (1881) La psychologie anglaise contemporaine « M. Bain — Chapitre IV : La Volonté »

La notion du libre arbitre humain apparaît pour la première fuis chez les stoïciens, et plus tard dans les écrits de Philon le Juif : par métaphore, on appelait libre l’homme vertueux, et esclave l’homme vicieux. […] Rien de plus commun que le désaccord des appréciations humaines sur les grandeurs, forces, poids, formes, couleurs… S’il en est ainsi pour les objets des sens externes, quelle raison avons-nous de croire que le sens interne est plus exact ? […] Bain est d’une grande valeur C’est la meilleure histoire naturelle de l’esprit humain qui ait encore été produite, c’est la plus précieuse collection de matériaux bien élaborés.

1237. (1893) Les œuvres et les hommes. Littérature épistolaire. XIII « De Stendhal »

Il eut beau s’éloigner, en effet, des premières fonctions de sa vie, de ses premières préoccupations, il eut beau devenir, à moitié d’existence, un observateur, les bras croisés, de la nature humaine, un pacifique dilettante de beaux-arts, un causeur de Décaméron, un capricieux de littérature qui avait fini par prendre goût aux Lettres dont il avait d’abord médit, son genre de talent, qui brusquait l’expression pour aller au fait, se ressentit toujours de la mâle éducation de sa jeunesse. […] C’est, enfin, toujours le produit du xviiie  siècle, l’athée à tout, excepté à la force humaine, qui voulait être à lui-même son Machiavel et son Borgia, qui n’écrivit pas, mais qui caressa pendant des années l’idée d’un Traité de la Logique (son traité du Prince, à lui), lequel devait faire, pour toutes les conduites de la vie, ce que le livre de Machiavel a fait pour toutes les conduites des souverains. […] Mais lorsque la creuse vague humaine aura cessé de jeter le peu de bruit et d’écume qu’elle jette toujours sur l’écueil d’une tombe quand un homme vient tout récemment d’y descendre, la gloire de Stendhal ne sera guères saluée dans l’avenir que par les esprits plus ou moins analogues au sien par la force.

1238. (1865) Les œuvres et les hommes. Les romanciers. IV « Stendhal » pp. 43-59

Il eut beau s’éloigner, en effet, des premières fonctions de sa vie, de ses premières préoccupations ; il eut beau devenir, à moitié d’existence, un observateur, les bras croisés, de la nature humaine, un pacifique dilettante de beaux-arts, un causeur de Décaméron, un capricieux de littérature qui avait fini par prendre goût aux lettres, dont il avait d’abord médit, son genre de talent, qui brusquait l’expression pour aller au fait, se ressentit toujours de la mâle éducation de sa jeunesse. […] C’est, enfin, toujours le produit du xviiie  siècle, l’athée à tout, excepté à la force humaine, qui voulait être à lui-même son Machiavel et son Borgia ; qui n’écrivit pas, mais qui caressa pendant des années l’idée d’un Traité de logique (son traité du Prince, à lui), lequel devait faire, pour toutes les conduites de la vie, ce que le livre de Machiavel a fait pour toutes les conduites des souverains ; voilà ce que nous retrouvons sans adjonction, sans accroissement, sans modification d’aucune sorte en ces deux volumes de Correspondance, où Stendhal se montre complètement, mais ne s’augmente pas ! […] Mais, lorsque la creuse vague humaine aura cessé de jeter le peu de bruit et d’écume qu’elle jette toujours sur l’écueil d’une tombe, quand un homme vient tout récemment d’y descendre, la gloire de Stendhal ne sera guère saluée dans l’avenir que par les esprits plus ou moins analogues au sien par la force.

1239. (1899) Arabesques pp. 1-223

La bêtise humaine étant un océan dont nulle sonde n’a encore pu trouver le fond, ils réussiront peut-être — au moins pour un temps. […] Ainsi vont les choses — « humaines, trop humaines ». […] Il en va de même pour les races humaines. […] A-t-il compris que l’esprit militaire abêtit et déforme, génération après génération, les troupeaux humains qui peinent pour sa gloire et celle de ses confrères ? […] Le troupeau des humains est stupide et pervers ; ils n’ont guère souci d’être libres, égaux, ni de s’aimer fraternellement.

1240. (1910) Muses d’aujourd’hui. Essai de physiologie poétique

Elle a cherché à retrouver cet état de divine inconscience qui fait que l’être humain participe à la vie générale. […] La poétesse trouvera pour la décrire toutes les images qui évoquent l’amour, la tendresse et la passion humaines. […] On sentie prodige « d’une occulte loi humaine survenue ». […] Une éternité géométriquement humaine, basée sur ce paradoxe invérifiable : une ligne droite prolongée à l’infini est une circonférence. […] Sabine est « passionnée de justice et de pitié humaines.

1241. (1858) Cours familier de littérature. VI « XXXVIe entretien. La littérature des sens. La peinture. Léopold Robert (1re partie) » pp. 397-476

C’est toujours une religion qui enfante un art ; il n’y a que ces grands mouvements de l’esprit humain qui soient de force à surexciter et à concentrer assez les puissances vitales de l’imagination des hommes pour leur faire produire ces monuments populaires de la poésie, de la musique, de la peinture, de la sculpture, de l’architecture surtout. […] Toute la paix des steppes où elles vivent est dans leurs yeux ; ils sont bleus comme le ciel, limpides comme la goutte d’eau que la rosée du matin a laissée au fond de la pervenche qu’elles foulent aux pieds ; leur profondeur n’a point d’abîmes comme les yeux humains. […] L’abrutissante division du travail, qui mécanise l’homme pour enrichir la société et qui fait de l’ouvrier humain une machine à un seul usage, n’était pas encore inventée : l’artisan, le pasteur et le laboureur étaient confondus dans un même homme. […] La figure humaine, dont la Suisse et dont sa propre famille lui offraient les plus beaux types, l’expression des sentiments simples sur les traits, les attitudes, ces gestes de l’âme, furent sa principale étude dans de nombreux portraits. […] Le génie à ses commencements a besoin de larmes pour tremper la plume ou le pinceau dans la tristesse, cette vérité pathétique du cœur humain.

1242. (1860) Cours familier de littérature. IX « LIIIe entretien. Littérature politique. Machiavel (2e partie) » pp. 321-414

Et si, par la persuasion, ou par les alliances, ou par l’habileté, ou même par les armes spirituelles, d’autres provinces de l’Italie romaine se rattachent à cette chaire du pontife, à défaut du trône des Césars, cette chaire deviendra un trône, ce trône recréera un autre empire, cet empire humain laissera longtemps indécis le caractère de sa domination sur l’Italie, autorité spirituelle pour les uns, autorité temporelle pour les autres, ambiguïté favorable aux deux situations. […] XIII Florence sonne bien autrement que Turin dans l’histoire de l’esprit humain et de la liberté italienne. […] Venise lui dut des conquêtes éclatantes, un peuple doux, une politique immuable, des monuments, des arts et des fêtes qui font époque dans les annales de l’esprit humain. […] Je l’ai connu intimement, et je n’ai rien vu d’humain en lui que la forme mortelle : c’était un de ces caractères où la vertu est si naturelle et si modeste qu’elle n’a besoin d’aucun effort et d’aucune ostentation pour se tenir debout dans toutes les fortunes. […] XXVI La maison de Savoie est une des plus anciennes et des plus militaires dynasties de l’Europe, si l’on compte au rang de dynastie ces hérédités féodales de familles possédant des fiefs humains dans les montagnes qui servent de limites aux empires des grands peuples4.

1243. (1888) Journal des Goncourt. Tome III (1866-1870) « Année 1869 » pp. 253-317

Entre les deux Hôtel-Dieu qui vous enserrent le cœur, serré que vous êtes entre ce long parallélisme de la souffrance humaine, on se prend à penser à ce Dieu de bonté, qu’on dit là, au-dessus. […] Alors, un moment, c’est une suspension de respiration qui retient tous les souffles, puis, la mort, cela court, dans un murmure tout bas, sur toutes les lèvres… Dans la surprise sinistre et inattendue de ce « oui » sans circonstances atténuantes, il semble qu’il passe le froid d’une grande terreur, et l’immense frisson de tout le cœur d’une foule, remontant au tribunal, donne à ces froids exécuteurs de la Loi, le contre-coup de l’émoi humain du public. […] Claude Bernard, de son côté, aurait annoncé qu’avec cent ans de science physiologique, on pourrait faire la loi organique, la création humaine, en concurrence avec le Créateur. […] Elle donne la main à un petit frère hydrocéphale, aux bras attachés plus bas que des bras humains, aux mains traînant presque à terre, et tous deux, en le paysage frais et chantant, détachent la silhouette fantastique d’un couple d’enfants nabots, dans un conte de fée, allant chez l’Ogre, ou chez la grand-mère Loup. […] * * * — Nous en sommes venus à appeler le vent, la pluie, la tempête : c’est l’enveloppement et l’assourdissement des bruits humains et animaux.

1244. (1889) L’art au point de vue sociologique « Chapitre onzième. La littérature des décadents et des déséquilibrés ; son caractère généralement insociable. Rôle moral et social de l’art. »

A quoi bon nous perdre dans l’enchevêtrement est la chaîne sans fin qui l’unit aux grands rouages de la société humaine et de l’univers. […] Comme le sable morne et l’azur des déserts, Insensibles tous deux à l’humaine souffrance, Comme les longs réseaux de la boule des mers, Elle se développe avec indifférence. […] « La décadence romaine, dit encore Paul Bourget, représentait un plus riche trésor d’acquisitions humaines. » — Nullement : elle marquait la fin des acquisitions et le commencement des pertes de toute sorte. […] Il serait naïf aux décadents de croire, avec Baudelaire, qu’ils font partie d’une élite sociale, alors qu’ils se rangent volontairement eux-mêmes parmi les « non-valeurs humaines », les stériles, les impuissants, les impropres à la vie sociale, les inaptes et, en définitive, les ineptes. […] Cela l’oblige souvent à travailler sur des sujets « gâtés », à descendre au milieu des misères et des folies humaines. « Aucune besogne ne saurait donc être plus moralisatrice que la nôtre, puisque c’est sur elle que la loi doit se baser… C’est ainsi que nous faisons de la sociologie pratique et que notre besogne aide aux sciences politiques et économiques.

1245. (1885) La légende de Victor Hugo pp. 1-58

Paris, un instant ému, par la promenade du drapeau rouge et les charges policières du Père-Lachaise, qui revivifiaient les souvenirs de la Semaine sanglante, se remit à ne s’occuper que de celui qui fut « le plus illustre représentant de la conscience humaine ». Les journaux n’avaient pas assez de leurs trois pages — la quatrième étant prise par les annonces, — pour exalter « le génie en qui vivait l’idée humaine ». […] Mais la Fraternité hugoïste n’était pas de composition si humaine, elle n’entendait pas suspendre l’action des conseils de guerre, « mais tempérer l’œil du juge par les pleurs du frère… et tâcher de faire sentir jusque dans la punition la fraternité de l’assemblée ». […] Saint-Hilaire et de Lamarck, son maître ; il la fécondait de son vaste savoir et de ses découvertes géniales ; et, triomphante, il l’implantait dans la science naturelle et renouvelait la conception humaine de la création. Hugo, « le penseur du xixe  siècle », que les hugolâtres nomment « le siècle de Hugo » ; Hugo, qui portait dans son crâne « l’idée humaine » vécut indifférent au milieu de ce prodigieux mouvement d’idées.

1246. (1891) Impressions de théâtre. Cinquième série

Peut-être leur devrons-nous les suprêmes transformations de la société humaine en Occident. […] C’est : « Nous mourons tous inconnus », et : « Quelles solitudes que ces corps humains !  […] N’y a-t-il pas, dans la grande mêlée humaine ? […] M.Dumas a beau l’appeler « pauvre chère victime de l’erreur humaine », cela ne me touche ni ne me persuade. […] Pour moi, c’est un mot d’auteur, qui n’a rien de vrai ni d’humain.

1247. (1880) Une maladie morale : le mal du siècle pp. 7-419

Singulière maladie, étrange renversement de la nature humaine que cet éloignement pour son propre bonheur ! […] Jamais la mélancolie maladive n’incarna son image plus complète sur des traits humains que dans cette figure. […] Il se drape dans sa tristesse et dit adieu aux affections humaines, comme s’il avait perdu sans retour la faculté d’aimer. […] Arrière la raison humaine, instrument trop imparfait ; selon lui, et qui se brise entre nos mains débiles ! […] Le doute et le désespoir sont de grandes maladies que la race humaine doit subir pour accomplir ses progrès religieux.

1248. (1826) Mélanges littéraires pp. 1-457

Étrange vicissitude des opinions et des affaires humaines ! […] Rien ne m’a plus donné la juste mesure des événements de la vie humaine et du peu que nous sommes. […] Je ne sais si jamais homme a jeté des regards plus profonds sur la nature humaine. […] Parce que si la parole est d’invention humaine, il n’y a plus de vérités nécessaires, etc. […] Mais (triste enchaînement des erreurs humaines !)

1249. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « Anthologie grecque traduite pour la première fois en français et de la question des Anciens et des Modernes »

Mais je crois, en effet, que les choses humaines sont emportées de plus en plus dans un courant qui les sépare à jamais, et par tout un abîme, du goût et de l’esprit littéraire de l’Antiquité, et qu’il n’y aura dans l’avenir qu’une rare élite à qui il sera donné de conserver la tradition intacte, de préserver le feu sacré et le flambeau. […] Cependant le manuscrit d’Heidelberg trouvé par Saumaise, la source et l’objet de tout ce travail nouveau, avait passé dans la bibliothèque du Vatican, et du Vatican, par un revers étrange des vicissitudes humaines, avait été apporté à Paris comme une des dépouilles de la conquête, à la suite du Traité de Tolentino (1797). […] Dérobe-toi donc à une vie pleines d’orages, et regagne le port, comme moi-même Plhidon, fils de Critus, qui a fui dans le Ténare. » Cette vie humaine qui n’est qu’un point serré et comme écrasé entre les deux infinis rappelle Pascal. […] » Il a nombre d’épigrammes dans un sentiment triste et humain.

1250. (1872) Nouveaux lundis. Tome XIII « Œuvres françaises de Joachim Du Bellay. [II] »

Ce qu’il en est sorti de productions nouvelles, marquées au coin d’un nouveau grand siècle, et dignes de prendre rang dans le trésor humain à la suite et à côté des premières reliques de l’antique héritage, je n’ai pas à le rappeler, les œuvres parlent : cette tradition-là est d’hier, et la mémoire en est vivante. […] Tout d’abord Du Bellay a sur l’origine des langues une idée fausse, abstraite, rationnelle : « Les langues, dit-il, ne sont nées d’elles-mêmes en façon d’herbes, racines et arbres, les unes infirmes et débiles en leurs espèces, les autres saines et robustes, et plus aptes à porter le faix des conceptions humaines ; mais toute leur vertu est née au monde du vouloir et arbitre des mortels. » On voit l’erreur ; c’est déjà la doctrine du rationalisme appliquée aux langues. […] Mais Du Bellay ne pouvait deviner une science de linguistique qui ne datera que du xixe  siècle, et il est peut-être bon que la force humaine, la faculté d’initiative de chacun s’exagère sa vertu et son pouvoir pour arriver et atteindre à tout son effet, à tout son talent. […] Bien qu’il ait annoncé précédemment qu’il ne tracerait pas l’idée complète et exemplaire du poète, il va pourtant le dépeindre et le présenter dans les conditions qu’il estime les plus favorables pour entreprendre une telle œuvre, c’est-à-dire doué d’une excellente félicité de nature, instruit dès l’enfance de tous les bons arts et sciences, versé dans les meilleurs auteurs de l’Antiquité, nullement ignorant avec cela des offices et devoirs de la vie humaine et civile, pas de trop haute naissance surtout ni appelé au régime public, ni non plus de lieu abject et pauvre, afin d’être exempt des embarras et des soucis domestiques, mais tranquille et serein d’esprit par tempérament et aussi par bonne conduite : il est touchant de lui voir définir cette heureuse médiocrité de condition et de circonstances, qui permet mieux en effet toute sa franchise de vocation et tout son essor au génie.

1251. (1870) Portraits contemporains. Tome IV (4e éd.) « HISTOIRE DE LA ROYAUTÉ considérée DANS SES ORIGINES JUSQU’AU XIe SIÈCLE PAR M. LE COMTE A. DE SAINT-PRIEST. 1842. » pp. 1-30

Il pousse plus d’un bout de texte en un sens auquel on n’avait pas songé, et il lui fait rendre de subtiles nuances ; il a des impatiences et des éclairs d’interprétations qu’après tout, en ces matières humaines si complexes, un esprit supérieur a peine à s’interdire, et que le talent se plaît à exprimer. […] L’idée de royauté est originaire de l’Asie ; elle y a son berceau et ses racines avec le genre humain ; elle y a crû, dès l’orgine, comme en pleine terre, et n’a cessé, aux diverses époques, de s’y reproduire dans son luxe de végétation et de puissance. […] Le personnage sanglant de Frédégonde n’est qu’un détail, un accident de la barbarie ; Brunehaut tient à l’histoire de l’esprit humain. […] J’ai sous les yeux deux chansons des rues, en tête desquelles Napoléon sur sa colonne est mis en regard (j’en demande bien pardon) de la plus adorable et de la plus ineffable image de la mansuétude divine et humaine, et, dans le parallèle que déduit au long la complainte bien plutôt niaise que sacrilège, il est dit sérieusement : Napoléon aimait la guerre, Et son peuple comme Jésus !

1252. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « Madame de Krüdner et ce qu’en aurait dit Saint-Évremond. Vie de madame de Krüdner, par M. Charles Eynard »

Oui, mon amie, le Ciel a voulu que ces idées, que cette morale plus pure se répandissent en France, où ces idées sont moins connues… » En écrivant ainsi, elle avait déjà oublié ses propres ressorts humains, et elle rendait grâce de tout à Dieu. […] « La vie ordinaire des hommes est semblable à celle des saints : ils recherchent tous leur satisfaction, et ne diffèrent qu’en l’objet où ils la placent197. — Le cœur humain se retrouve partout avec les mêmes mobiles ; partout c’est le désir du bien-être, soit en espoir, soit en jouissance actuelle, et le parti qui le détermine est toujours celui où il y a le plus à gagner198. […] Eynard, un moraliste qui saurait les tours et les retours, les façons bizarres de la nature humaine ; mais je ne puis qu’indiquer le sens et l’intention de l’analyse, aimant peu pour mon compte à pousser à bout ces sortes de procès. […] Les médecins, quand ils se mêlent d’être charlatans, ne le sont pas à demi ; ils connaissent mieux que d’autres la trame humaine.

1253. (1895) Histoire de la littérature française « Première partie. Le Moyen âge — Livre I. Littérature héroïque et chevaleresque — Chapitre III. L’Histoire »

Après tout, ces rudes et simples âmes de barons sont des âmes humaines, et comme telles, en dépit de l’apparence, souples, et riches, et complexes. […] Les curiosités sont éveillées : 0n ne se résigne plus à « ignorer le genre humain ». […] La pieuse gravité, l’affectueuse et paternelle sollicitude du roi font un contraste avec les sentiments ou trop mondains ou tout humains du sénéchal, avec le vif et plaisant naturel de ses réponses, quand il proteste de ne jamais laveries pieds des pauvres, « ces vilains !  […] Ce récit nous fait surgir devant les yeux un saint Louis intime, familier, souriant, plus aimable et plus « humain » encore que le roi justicier du bois de Vincennes, et que le roi chevalier, qui faisait si fière contenance aux jours de bataille sous son heaume doré.

1254. (1895) Histoire de la littérature française « Quatrième partie. Le dix-septième siècle — Livre III. Les grands artistes classiques — Chapitre II. Boileau Despréaux »

Il avait l’esprit très philosophique, et peu de connaissances ou de curiosité philosophiques ; il n’avait en morale qu’une science commune et superficielle, et ni théoriquement ni pratiquement il n’avait de grandes lumières sur la vie de l’âme humaine : il fait exception dans le xviie  siècle par son manque de sens psychologique. […] Ainsi la tragédie ne peindra pas les individus, Néron ou Auguste, mais des types humains dans les apparences Auguste ou Néron. […] Donc, l’antiquité, c’est la nature ; et imiter l’antiquité, c’est user des meilleurs moyens que l’esprit humain ait jamais trouvés pour exprimer la nature en perfection. […] Il ne regarde pas seulement l’objet ; il regarde aussi l’esprit humain, auquel il veut présenter l’objet ; et tant par une règle d’urbanité mondaine que par une tradition artistique de l’antiquité, il fait effort pour présenter l’objet par ses caractères agréables à l’esprit.

1255. (1895) Histoire de la littérature française « Sixième partie. Époque contemporaine — Livre III. Le naturalisme, 1850-1890 — Chapitre V. Le roman »

Le roman, ainsi, ne sera plus la confidence d’un individu et souvent le jeu de sa fantaisie : il sera ce que sa définition veut qu’il soit, un miroir de l’âme humaine, un tableau de la vie. […] Car toutes les branches de la famille des Rougon-Macquart poussent de tous côtés, à toutes hauteurs, et la série ne me donne pas même cette impression générale que produit la Comédie humaine de Balzac : les récits divergents ne concourent pas à former en moi l’idée d’un vaste ensemble social, où les diverses parties se tiennent et se raccordent. […] Persuadé qu’il tenait tout l’homme, il n’a rien cherché dans la vie humaine au-delà des accidents de la névrose et des phénomènes de la nutrition. […] Des épopées sociologiques, voilà bien en effet ce qu’il a donné, et j’y trouve à peu près autant de document humain que dans les épopées humanitaires de la Légende des siècles.

1256. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre IX. La littérature et le droit » pp. 231-249

C’était chose convenue qu’à l’état actuel des choses humaines, on ne pouvait, sans folie et témérité, opposer un état idéal, considéré comme désirable et possible. […] Puis elle devient thème à discussion passionnée ; la vertu des sacrifices humains est mise en doute ; on se demande si la suppression du criminel est utile et légitime, si au contraire elle ne doit pas être condamnée au nom de l’Évangile, de la pitié, de la justice largement comprise, si la rosée sanglante tombée des échafauds n’est pas une semence de haine et de cruauté. […] » Ainsi tout autour de la peine de mort s’épanouit une abondante floraison d’œuvres littéraires, qui, si elles n’ont pas encore réussi à la faire disparaître, l’ont du moins réduite à se défendre, à se cacher, à reculer devant la lumière du jour et le regard de la conscience humaine. […] Ils concevaient comme supérieure au mariage, attachant de force l’un à l’autre deux êtres humains qui peuvent en être venus à se haïr ou à se mépriser, une union ne reposant que sur l’amour, pouvant se nouer et se dénouer sans l’intervention de l’autorité sociale, et ils voulaient acheminer les intelligences paresseuses vers cet idéal encore lointain.

1257. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre XII. La littérature et la religion » pp. 294-312

L’histoire ne prétend plus dérouler une suite de miracles opérés par la Providence, mais bannit le surnaturel de l’évolution humaine, pousse jusqu’à l’injustice la sévérité envers rëglise, et n’est pas loin de voir une marque de folie dans l’aveugle piété du moyen âge. […] Et quand même on dirait que ces nations sont restées catholiques ou devenues protestantes, parce qu’elles devaient déjà soit à la race, soit au climat, une sorte de prédestination à cette différence de culte ; quand même on ferait ainsi remonter à une cause commune leurs préférences religieuses, politiques, morales, esthétiques, il n’en serait pas moins vrai que leurs croyances sur l’au-delà et sur la destinée humaine, cristallisées dans des institutions permanentes et dans des pratiques séculaires, ne peuvent que maintenir et renforcer leur tempérament primitif. […] Avec lui et avec la plupart des philosophes du siècle dernier la littérature travailla (on sait avec quelle passion et quel succès) à délivrer la raison humaine du joug pesant des dogmes, et c’est pourquoi depuis lors toute réaction religieuse en France s’annonce par un nouvel écrasement posthume de Voltaire et de ses compagnons d’armes. […] Avec Chateaubriand, Lamartine, les adeptes du romantisme commençant, elle a été pour la théologie une auxiliaire d’autant plus efficace qu’elle était moins sermonneuse et plus mondaine ; elle a ramené les indifférents et les tièdes aux offices par le charme de sa parole d’or ; elle a ravivé le sentiment d’angoisse et de mélancolie que l’homme éprouve devant l’énigme de sa destinée, devant la mort qui l’engloutit avec toutes ses ambitions ; elle a poétisé les ruines couronnées de lierre des vieux cloîtres écroulés, la mystérieuse pénombre des cathédrales, la voix lointaine des cloches éveillant même en l’homme qui ne croit plus les souvenirs de sa pieuse enfance ; elle a dit et redit les aspirations inassouvies de l’âme humaine vers l’infini de l’espace et du temps.

1258. (1880) Les deux masques. Première série. I, Les antiques. Eschyle : tragédie-comédie. « Chapitre IV, Eschyle. »

On ne voit pas les héros proportionnés de Sophocle, les personnages tout humains d’Euripide, représentés par des géants masqués, chaussés de piédestaux, aux faces immobiles et marmoréennes. […] Cet aigle ne se trompait guère : si l’on classait les phases de l’esprit humain comme les périodes géologiques de la terre, c’est dans l’âge de pierre qu’il faudrait ranger le génie d’Eschyle. […] Ce qu’il lui fallait pour peupler ses gracieuses montagnes, ses vallées exquises, ses bois clairsemés, ses fleuves exigus, ses détroits qu’un papillon traverse, et les mille anses de ses rivages où la mer se cisèle en s’y insinuant, c’étaient des myriades de divinités souples, plastiques, malléables, inégales de stature et de dignité, mais dont la plus haute ne dépasserait pas l’idéal de la taille humaine. […] La façon mémo dont il conçoit les dieux de son temps dissipe leur figure et détruit leur alliage humain.

1259. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Biographie de Camille Desmoulins, par M. Éd. Fleury. (1850.) » pp. 98-122

On se prend à dire à tout moment, en lisant les folies, les invectives, les bravades bouffonnes de cet insulteur public qui finit un jour par être humain, et qui, ce jour-là, est victime : Nescia mens hominum fati sortisque futurae ! […] Enfant cruel et sans pitié, quand donc aurez-vous l’âge d’homme et sentirez-vous en vous-même ce qui est humain ? […] Je consultai ensuite mes amis, et leur demandai si je devais lui répondre pour confondre ses inepties, le faire rougir de son insigne mauvaise foi, et détruire, autant que je pourrais, le venin dont son nouvel écrit est rempli : ils m’observèrent tout d’une voix que lorsqu’un auteur tronque ou falsifie tout ce qu’il cite, en dénature le sens, vous prête des intentions qu’il est évident que vous n’avez point eues, un homme d’honneur ne doit point lui répondre, parce qu’il est au-dessous d’un homme d’honneur de prendre la plume contre un homme à qui l’on ne peut répondre que par des démentis ; que vouloir le faire rougir est une entreprise folle qui passe tout pouvoir humain ; que détruire ses discours, est inutile, parce que cet homme est trop connu pour être dangereux ; que, même dans ce qu’il appelle son parti, il ne passe que pour un bouffon, quelquefois assez divertissant, et qu’il serait difficilement méprisé par personne plus qu’il ne l’est par ses amis, car ses amis le connaissent mieux que personne. […] Je pourrais citer encore la page suivante de ce numéro 5 du Vieux Cordelier, laquelle est plus irréprochable pourtant, et réellement éloquente : elle commence par ces mots : « Occupons-nous, mes collègues, non pas à défendre notre vie comme des malades… » C’est même la seule vraiment belle de ce Vieux Cordelier, qui, dans la plus désastreuse des crises où ait passé une grande nation, mérite assurément de rester comme un signal généreux de retour et de repentir, mais qui n’obtiendra jamais place parmi les œuvres dont peut s’honorer l’esprit humain.

1260. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Madame de Lambert et madame Necker. » pp. 217-239

C’étaient déjà ou des réflexions fines sur le cœur humain, ou des tours d’expression ingénieux, mais le plus souvent des réflexions. […] La religion y est, pour la première fois, définie à la manière du xviiie  siècle, et on y sent déjà comme un accent avant-coureur de Jean-Jacques : Au-dessus de tous ces devoirs (civils et humains), dit la mère à son fils, est le culte que vous devez à l’Être suprême. […] Ici l’idée de religion s’agrandit ; elle n’est plus un simple sentiment décent, mais la plus haute des convenances humaines, la fin et le terme des devoirs. […] Elle est aussi l’un des premiers moralistes qui, au sortir du xviie  siècle, soient revenus à l’idée très peu janséniste que le cœur humain est assez naturellement droit, et que la conscience, si on sait la consulter, est le meilleur témoin et le meilleur juge : « Par le mot conscience, j’entends, dit-elle à son fils, ce sentiment intérieur d’un honneur délicat, qui vous assure que vous n’avez rien à vous reprocher. » Elle donne, à sa manière, le signal que Vauvenargues, à son tour, reprendra, et qui, aux mains de Jean-Jacques, deviendra un instrument de révolution universelle.

1261. (1889) Écrivains francisés. Dickens, Heine, Tourguénef, Poe, Dostoïewski, Tolstoï « Henri Heine »

Depuis Goethe, personne, en Allemagne, n’a su mettre dans ses vers des figures de femme aussi candides et gaies, aussi individuelles et humaines, dessinées avec un art aussi sur, aussi caché et aussi souple. […] Que l’on ajoute à cette beauté des poèmes les nobles mélodies dont les ont ornés Schumann et d’autres, ces récitatifs lyriques qui font retentir et vivre les mots, les accentuent et les cadencent sur des lèvres humaines, et l’on pourra sentir par quel charme la chanson allemande demeure un genre populaire et exquis, comment elle est la poésie lyrique la plus vivace de toutes les littératures, la seule qui ait renoué avec la musique son ancienne alliance naturelle et profitable. […] L’auteur n’y parle que de lui-même, s’analyse et se déchire, mais le cœur qui palpite sous ses doigts est le cœur de tous et si Heine se montre dans ses doux et méchants vers, il s’y montre humain. […] Aussi, si Heine se connut mieux en s’analysant davantage, il se connut ironiquement, se détesta, se méprisa, se vilipenda, et comme l’on ne sait de l’humanité que soi-même, il advint que son âme fut partagée entre la tristesse et le mépris, qu’il se conçut, même dans les œuvres où s’idéalisant, il s’érigeait en pur exemplaire humain, tantôt comme un malheureux digne de pitié et de justice, tantôt comme un misérable qu’il fallait bafouer et maltraiter.

1262. (1885) Les œuvres et les hommes. Les critiques, ou les juges jugés. VI. « Nisard » pp. 81-110

Le Christianisme, qui fait des âmes tendres aux Barbares, n’a pas eu grand’peine à verser sa tendresse dans une âme qui n’eut jamais rien de bien fauve, qui d’instinct avait la droiture et la délicatesse, et qui, à toute page de ses livres, se préoccupe surtout de ce que le Christianisme a ajouté de bonté à la bonté humaine : car c’est là une des idées qui revient le plus sous la plume de M.  […] Dans ses écrits les plus littéraires, ce n’est pas la grammaire, ce n’est pas même les formes de la composition qui tiennent le plus de place, c’est le cœur, le vieux cœur humain inépuisable ! […] Les armes même dont il était curieux, — mais non à la manière des artistes et des antiquaires, — il ne les aimait que parce qu’elles sont des forces ajoutées à la force humaine, dormant pour s’éveiller, quand il le faut, sous notre main. […] Nisard, « appelle la pitié sur ses mains saignantes des coups qu’il a portés au genre humain ».

1263. (1868) Curiosités esthétiques « VII. Quelques caricaturistes français » pp. 389-419

Son œuvre est un monde, une petite Comédie humaine ; car les images triviales, les croquis de la foule et de la rue, les caricatures, sont souvent le miroir le plus fidèle de la vie. […] Telle était la mode, tel était l’être humain : les hommes ressemblaient aux peintures ; le monde s’était moulé dans l’art. […] L’opiniâtreté des poursuites, l’attitude du gouvernement qui s’était affermi, et une certaine lassitude naturelle à l’esprit humain avaient jeté beaucoup d’eau sur tout ce feu. […] Il a, remarquez bien ce trait, souvent refusé de traiter certains motifs satiriques très-beaux, et très-violents, parce que cela, disait-il, dépassait les limites du comique et pouvait blesser la conscience du genre humain.

1264. (1906) Les idées égalitaires. Étude sociologique « Première partie — Chapitre II. Réalité des idées égalitaires »

Pour les kantiens, il est trop évident que, définissant la moralité par la bonne volonté, et dotant toutes les personnes humaines de volontés également libres, ils décrètent immédiatement, en même temps que l’égalité des devoirs, l’égalité des droits. […] L’anthropologie, apportant — une confirmation inattendue des visions de Rousseau, nous prouverait « scientifiquement » qu’il suffit de remonter aux origines des sociétés humaines pour reconnaître, dans toute sa pureté, l’égalitarisme. […] L’analyse des institutions civiles et juridiques, politiques et économiques des républiques anciennes a fait la preuve que la personne humaine y comptait pour bien peu de chose25. […] Letourneau, L’Évolution politique chez les diverses races humaines, p. 66, 71, 249.

1265. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « AUGUSTE BARBIER, Il Pianto, poëme, 2e édition » pp. 235-242

Barbier s’est permis dans son épilogue, il y avait une grande pensée d’alliance humaine que ce mensonge lui a dérobée. […] Cette seule vue a tout raccommodé ; retour et vicissitudes bizarres des opinions humaines !

1266. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « Études sur Blaise Pascal par M. A. Vinet. »

Vinet et à ses amis, et que les théologiens protestants ont volontiers accueillie, c’est que les Pensées de Pascal, dans l’état où les a mises la controverse récente, et ramenées plus que jamais à l’état de purs fragments grandioses et nus, sont par là même plus propres à un genre de démonstration chrétienne qui prend l’individu au vif, et peuvent devenir la base d’une apologétique véritable, tout entière fondée sur la nature humaine. […] Il me semble qu’après beaucoup d’éloges un peu de sympathie doit vous plaire ; j’offre la mienne à l’emploi que vous faites de votre talent, qui ne s’est pas contenté d’intéresser l’imagination et d’effleurer l’âme, mais qui veille aux intérêts sacrés de la vie humaine ; et moi, qu’une espérance sérieuse a pu seule faire écrivain, je suis heureux que vous ayez reconnu en moi cette intention, que vous l’ayez aimée ; et j’accepte avec reconnaissance les vœux par où vous terminez votre article.

1267. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Première partie. De la littérature chez les anciens et chez les modernes — Chapitre VII. De la littérature latine, depuis la mort d’Auguste jusqu’au règne des Antonins » pp. 176-187

C’est ce genre de progression qui se fait sentir dans les écrivains de la dernière époque de la littérature latine, malgré les causes locales qui luttaient alors contre la marche naturelle de l’esprit humain. […] L’esprit humain, et surtout l’émulation patriotique, seraient entièrement découragés, s’il était prouvé qu’il est de nécessité morale que les nations fameuses s’éclipsent du monde après l’avoir éclairé quelque temps.

1268. (1796) De l’influence des passions sur le bonheur des individus et des nations « Section III. Des ressources qu’on trouve en soi. — Chapitre IV. De la bienfaisance. »

La triste connaissance du cœur humain fait, dans le monde, de l’exercice de la bonté un plaisir plus vif ; on se sent plus nécessaire, en se voyant si peu de rivaux ; et cette pensée anime à l’accomplissement d’une vertu à laquelle le malheur et le crime offrent tant de maux à réparer. […] Toute cette connaissance du cœur humain, dont est née la flatterie des courtisans envers leurs souverains, Almont l’emploie pour soulager les peines de l’infortuné ; plus on est fier, plus on respecte l’homme malheureux, plus on se plie devant lui.

1269. (1887) Discours et conférences « Discours lors de la distribution des prix du lycée Louis-le-Grand »

Des devoirs austères vous attendent, et nous manquerions de sincérité si nous ne vous faisions voir dans les récentes modifications de la société humaine qu’une diminution des obstacles à vaincre et, en quelque sorte, un dégrèvement des charges de la vie. […] jeunes élèves, ce sont les choses humaines qui sont mobiles.

1270. (1881) La psychologie anglaise contemporaine « M. Bain — Chapitre V : Rapports du physique et du moral. »

Bain a publié un livre : On the study of character including an estimate of phrenology, 1861, dans le but de raviver les études analytiques sur le caractère humain, a qui semblent avoir suivi le déclin de la phrénologie. » Après avoir passé en revue les très rares travaux consacrés à la science du caractère avant Gall (Théophraste, la Bruyère, Fourier), et après avoir consacré une moitié de l’ouvrage à la critique détaillée et impartiale des classifications phrénologiques, M.  […] Elle consiste à fonder l’étbologie sur la psychologie, à descendre des lois générales de la nature humaine aux variétés individuelles.

1271. (1904) Prostitués. Études critiques sur les gens de lettres d’aujourd’hui « Chapitre premier. Prostitués »

Elle a tué l’ange chez l’ouvrière en lui volant tout loisir ; elle l’a tué en elle-même en tuant sa liberté, en assujettissant le dieu aux caprices des brutes humaines. […] Trois hommes au moins l’ont connu depuis que les prétendus intellectuels ont perverti l’intelligence humaine, depuis que les sophistes, vendeurs de fausse science, ont triomphé des Socrate, donneurs de vraie sagesse.

1272. (1913) Le bovarysme « Première partie : Pathologie du bovarysme — Chapitre IV Le Bovarysme des collectivités : sa forme imitative »

Une bonne part de l’invention romanesque dont la littérature italienne de la Renaissance a tiré profit est l’œuvre des conteurs français du moyen âge, et le thème des épopées, commun au pays de race franque, germanique et normande, s’est développé dans l’Ile de France, où se résume à cette époque, du ixe au xiie  siècle, l’effort original d’une mentalité humaine qui ne doit encore que peu de chose à la culture antique. […] Suscitant le goût de la recherche et de l’érudition, cette curiosité passionnée aboutissait à la découverte de la beauté antique, et il est permis de penser que si cette trouvaille fut par la suite le moyen de l’un des bonds les plus prodigieux de l’esprit humain, elle fut elle-même la conséquence et l’un des effets d’une activité déjà formée et qui avait sa source en elle-même.

1273. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome I « Mémoires pour servir à l’histoire des gens-de-lettres ; et principalement de leurs querelles. Querelles particulières, ou querelles d’auteur à auteur. — Aristophane, et Socrate. » pp. 20-32

On croyoit qu’il avoit le dépôt de toutes les connoissances humaines, pendant qu’il répétoit continuellement : Je ne sçais qu’une chose ; c’est que je ne sçais rien. […] Il vouloit que la scène fût un remède aux délires de l’esprit humain ; qu’on ne s’armât point de rigueur contre les fanatiques, de quelque espèce qu’ils fussent ; mais qu’on les jouât sur tous les théâtres, même à la Foire & aux Marionettes ; & que, ces jours-là, on donnât gratis la comédie.

1274. (1879) Balzac, sa méthode de travail

Le fameux Vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage semble un conseil de Boileau adressé à Balzac : il est d’une exécution facile pour un poète qui laisse un volume à la postérité ; mais qu’on pense à cette recommandation prise au pied de la lettre et appliquée aux deux ou trois cent mille pages de l’œuvre du peintre de la Comédie humaine. […] L’auteur de la Comédie humaine, qui vivait à une époque où les écrivains se plaisaient à jeter de la poudre aux yeux du public, fut assez satisfait de cet article d’Ourliac, paru primitivement dans Le Figaro, pour le donner tout entier en appendice dans la première édition de César Birotteau.

1275. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Seconde partie — Section 14, comment il se peut faire que les causes physiques aïent part à la destinée des siecles illustres. Du pouvoir de l’air sur le corps humain » pp. 237-251

Du pouvoir de l’air sur le corps humain Ne peut-on pas soutenir pour donner l’explication des propositions que nous avons avancées et que nous avons établies sur des faits constans, qu’il est des païs où les hommes n’apportent point en naissant les dispositions necessaires pour exceller en certaines professions, ainsi qu’il est des païs où certaines plantes ne peuvent réussir ? […] En effet, la machine humaine n’est gueres moins dépendante des qualitez de l’air d’un païs, des variations qui surviennent dans ces qualitez, en un mot, de tous les changemens qui peuvent embarasser ou favoriser ce qu’on appelle les operations de la nature, que le sont les fruits mêmes.

1276. (1905) Les œuvres et les hommes. De l’histoire. XX. « La défection de Marmont »

Il a l’émotion et le tressaillement de la fibre humaine que la Fonction n’a point desséchée. […] Une des plus grandes beautés de la nature humaine sur la terre, c’est de faire son devoir les yeux en larmes et pourtant de le faire d’un cœur ferme.

1277. (1895) Les œuvres et les hommes. Journalistes et polémistes, chroniqueurs et pamphlétaires. XV « Edmond About » pp. 63-72

L’Esprit humain est naturellement lourd. […] mangée aussi par la vermine, — la vermine humaine des voyageurs.

1278. (1890) Les œuvres et les hommes. Littérature étrangère. XII « Leopardi »

Il n’y a dans le monde que deux familles d’esprits, ceux qui ont la puissance du rire, les légers, les aériens, les fiers, les ironiques et les charmants, qui sonnent les fanfares de l’esprit et la marche triomphale des sentiments humains les plus vainqueurs, et les plaintifs, les gémissants, les lourds, les ténébreux, les accroupis dans la lamentation et dans les larmes, les Job enfin, avec plus ou moins de femmes, d’amis, de lèpre et de fumier ! […] qui faisaient contre-sens, mais le grand sens, le sens humain, l’émotion, la profondeur de la pensée, le grandiose de l’image, fût-elle exprimée par une mauvaise plume, comme une tête de buste qu’on déterre est cassée par un extracteur maladroit, nous l’avions pourtant, nous pouvions en juger, — et il y a plus : ce n’est peut-être que dans de mauvaises traductions que l’on peut avoir l’essentiel, l’indestructible, la partie irréductible des grands poètes.

1279. (1904) Les œuvres et les hommes. Romanciers d’hier et d’avant-hier. XIX « Erckmann-Chatrian » pp. 95-105

Mais cette imitation, qui est dans les usages de l’esprit humain, même quand on a du talent, est moins acceptable lorsqu’il s’agit de fantastique que quand il s’agit de toute autre espèce de littérature. […] Comment un tel esprit, rond et éveillé, qui se tient entre deux vins (le nom d’un de ses contes joyeux), et qui ne boit ni d’éther comme Hoffmann, le grêle et le pointu, ni d’opium comme ce frénétique, sombre et froid d’Edgar Poe ; comment ce peintre de genre littéraire, attendri souvent malgré sa gaîté, et qui pleure au fond de son sourire, comme dans cette chose émouvante et charmante : Les Fiancés de Grinderwald ; comment ce moraliste, qui dans dix ans sera bonhomme, la qualité la plus enviable très certainement pour un conteur, a-t-il pu se croire ou voulu être un fantastique, c’est-à-dire le peintre du sinistre, du mystérieux, du morbide et de l’incompréhensible humain ?

1280. (1773) Essai sur les éloges « Chapitre premier. De la louange et de l’amour de la gloire. »

La calomnie siffle dans un coin : mais la gloire parcourt la terre ; elle acquitte la dette du genre humain envers la vertu et le génie. […] En parcourant l’histoire des empires et des arts, je vois partout quelques hommes sur des hauteurs, et en bas, le troupeau du genre humain qui suit de loin et à pas lents.

1281. (1827) Principes de la philosophie de l’histoire (trad. Michelet) « Principes de la philosophie de l’histoire — Livre second. De la sagesse poétique — Chapitre VII. De la physique poétique » pp. 221-230

Les premiers hommes réduisaient toute la machine du corps humain aux solides et aux liquides. […] Dans ces premiers temps où l’esprit humain n’avait point tiré de l’art d’écrire, de celui de raisonner et de compter, la subtilité qu’il a aujourd’hui, où la multitude de mots abstraits que nous voyons dans les langues modernes, ne lui avait pas encore donné ses habitudes d’abstraction continuelle, il occupait toutes ses forces dans l’exercice de ces trois belles facultés qu’il doit à son union avec le corps, et qui toutes trois sont relatives à la première opération de l’esprit, l’invention ; il fallait trouver avant de juger, la topique devait précéder la critique, ainsi que nous l’avons dit page 163.

1282. (1863) Cours familier de littérature. XVI « XCIVe entretien. Alfred de Vigny (1re partie) » pp. 225-319

Je dirai mieux, il l’aurait cimentée d’une de ses larmes, car il avait trop de grandeur pour être envieux, trop de justice pour être exigeant, trop de tendresse pour garder rancune, même à ce qu’il considérait comme une faiblesse humaine. […] En bonne police littéraire, ce devrait être interdit : Dieu et les hommes n’ont pas livré la vérité historique, héritage du genre humain, au caprice adultère de l’imagination des hommes. […] Celui qui vient d’elle est inhabile à tout ce qui n’est pas l’œuvre divine, et vient au monde à de rares intervalles, heureusement pour lui, malheureusement pour l’espèce humaine. […] Au moindre choc elle part, au plus petit souffle elle vole et ne cesse d’errer dans l’espace qui n’a pas de routes humaines. […] — Il n’y a pas de sagesse humaine. — Tu le vois bien, si j’avais raison au fond, j’ai eu tort dans la forme. — Devais-je avertir les enfants de l’erreur légère de leur mère ?

1283. (1885) Préfaces tirées des Œuvres complètes de Victor Hugo « Préfaces des pièces de théâtre — Préface de « Cromwell » (1827) »

Le genre humain dans son ensemble a grandi, s’est développé, a mûri comme un de nous. […] Il n’y avait que la sagesse divine qui dût substituer une vaste et égale clarté à toutes ces illuminations vacillantes de la sagesse humaine. […] En effet, dans la poésie nouvelle, tandis que le sublime représentera l’âme telle qu’elle est, épurée par la morale chrétienne, lui jouera le rôle de la bête humaine. […] L’esprit humain est toujours en marche, ou, si l’on veut, en mouvement, et les langues avec lui. […] Il en est des idiomes humains comme de tout.

1284. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Lamartine — Lamartine, Jocelyn (1836) »

Heureux le poëte lyrique, le frère harmonieux des Coleridge et des Wordsworth, qui peut à temps, et mieux qu’eux, se ménager une œuvre d’ensemble ; une œuvre (s’il est possible) qu’une lente perfection accomplisse ; où ne sera pas plus de génie assurément que dans ces feuilles sibyllines éparses, âme sacrée du poëte, mais une œuvre plus commode à comprendre et à saisir des générations survenantes ; — espèce d’urne portative que la Caravane humaine, en ses marches forcées, ne laisse pas derrière, et dans laquelle elle conserve à jamais une gloire ! […] Mais la difliculté d’une double langue en ce pays, et aussi la sévérité des habitudes catholiques, dans lesquelles l’amour humain chez le prêtre n’a point d’expression permise, n’ont pas laissé naître et grandir jusqu’à l’état de littérature ces instincts poétiques étouffés des pauvres clercs. […] Ces antiques et éternelles géorgiques (ascræum carmen), reprises par une voix chrétienne, ont une douceur nouvelle et plus pénétrante ; la sainte sueur humaine, mêlée à la sueur fumante de la terre, est bénie ; le respect, la religion du travail vous gagne, et, à l’heure de midi, quand la famille épuisée s’arrête et va boire un moment à la source, on s’écrie humainement avec le poëte :   Oh ! […] En parlant de son chien avec effusion, avec charité, il est toujours dans cette large voie humaine, au bout de laquelle, du plus loin, on aperçoit près de leurs maîtres les chiens d’Ulysse et de Tobie. […] La parabole de la Caravane, qui terminera heureusement cette comparaison avec Wordsworth, va nous offrir trente vers qui ne me semblent pouvoir être surpassés, pour l’image et pour l’idée, en aucune poésie : La Caravane humaine un jour était campée  Dans des forêts bordant une rive escarpée. 

1285. (1861) Cours familier de littérature. XII « LXIXe entretien. Tacite (2e partie) » pp. 105-184

Telle est la nature humaine, que l’on considère d’un regard malveillant la récente fortune d’autrui. […] « Nul cependant n’était assez insensible aux vicissitudes des choses humaines pour ne pas s’émouvoir à ce spectacle. […] Grands témoignages, conclut l’historien, de l’instabilité des choses humaines, qui mêle et confond les sommets et les précipices de la fortune ! […] « Les portes du temple s’ouvrirent d’elles-mêmes, raconte Tacite, et on entendit une voix, plus forte que toute voix humaine, dire : Les Dieux s’en vont. […] LXIII S’il y avait par siècle un Tacite, l’histoire suffirait pour faire la leçon, l’exemple, la justice au genre humain.

1286. (1865) Cours familier de littérature. XIX « CXIe entretien. Mémoires du cardinal Consalvi, ministre du pape Pie VII, par M. Crétineau-Joly (3e partie) » pp. 161-219

J’espère que le gouvernement sous lequel le ciel me fera mourir sera assez bon et assez humain pour ne pas mettre obstacle, dans une circonstance aussi indifférente, à l’accomplissement de ces vœux innocents de deux frères que les révolutions purent rendre infortunés, — je parle plutôt de moi que de lui, — mais qui ont toujours été honorés et honorables, et qui ne firent jamais de mal à personne. […] « Ces considérations, qui prenaient leur source dans l’essence de la nature humaine, me faisaient appréhender, je le répète, un accueil favorable, et ce fut avec cette épine dans le cœur que, six jours après mon arrivée, je me rendis à l’audience impériale. […] Consalvi, jeune encore, avait le délire de la musique, cette langue sans parole qui vient du ciel et qui exprime sans mots ce que l’âme rêve et ce qui est le plus inexprimable aux langues humaines ; la musique, langue des anges, quand elle avait touché son âme, y restait à jamais comme le souvenir d’un autre monde, comme une apparition à l’âme d’un sens supérieur aux sens d’ici-bas. […] La musique est la plus immaculée et la plus pure des sensations humaines. […] Il n’eut point le respect humain de l’amitié.

1287. (1867) Cours familier de littérature. XXIII « cxxxive Entretien. Réminiscence littéraire. Œuvres de Clotilde de Surville »

Je vois des braves gens émerveillés, pleurer d’enthousiasme, sur ce qu’ils appellent à bonne foi le progrès indéfini de l’espèce humaine. Je ne demande pas mieux, mais Homère, qui règne depuis quatre ou cinq mille ans sur l’intelligence et sur le cœur humain, n’a pas encore trouvé un rival, et la morale des grands apôtres de religion n’a pas encore reçu un démenti !… Dieu a fait de l’espérance un des aliments de l’esprit humain ; ne le nions pas, soyons-en soutenus sur notre route afin de marcher, mais n’en soyons pas ivres de peur de tomber comme des fous dans le délire du mieux. […] Quant te voyra cestuy dont az receu la vie, Mon jeune espoulx, le plus beau des humains ? […] Tout ce qu’à payne en obtiennent humains À force d’art, de labeur et d’adresse, De soy pondoit soubz leurs heureuses mains : Lors de soulcy n’eurent que leur tendresse ; Et cependant vivoyent dix fois plus Que ne faizons !

1288. (1887) Revue wagnérienne. Tome II « Paris, le 8 septembre 1886. »

Enfin, le 29, le drame attendu de Gœtterdaemmerung, un drame dans la manière de Parsifal, c’est à dire un poème de pure musique disant l’éternel des passions humaines, sous le symbole de quelque vague conte que jouent des gens : — l’amour, Siegfried ; la séduction, Gutrune et Siegfried ; et la douleur, Brünnhilde, par lesquels ces deux premiers actes vivent l’essence de notre vie, jusqu’à la péroraison finale et héroïque, très charmante, du troisième acte. […] Admirons ces effets de « réminiscence » comme touchants et profondément humains à la fois ! […] Il a vu que deux musiques étaient possibles ; l’une personnelle, traduisant, dans le minutieux détail, les émotions d’une âme individuelle ; l’autre exprimant les émotions générales, totales, d’une masse humaine, la résultante d’états multiples, mais surgis en des âmes pareilles de foule. […] Il couvrait un cerveau où furent senties, et vécues, et recrées parfaitement, toutes les douleurs et les espérances et les joies de la nature humaine. […] Entre les deux musiques, dont l’une exprime et analyse les émotions d’un individu, dont l’autre recrée les émotions collectives de masses humaines, Offenbach a, constamment, choisi la seconde : les personnages de ses opérettes n’ont point de nature propre : les plaies mélodies par eux débitées ne traduisent nullement des états d’âme personnels.

1289. (1881) La psychologie anglaise contemporaine «  M. Georges Lewes — Chapitre II : La Psychologie »

De là deux espèces de moteurs : les uns personnels, égoïstes, animaux ; les autres sympathiques, altruistes, humains. La psychologie humaine, c’est-à-dire la science du phénomène psychique, doit donc chercher des données dans la biologie et dans la sociologie. […] Lewes241 la tendance de l’esprit humain à réaliser des abstractions, à leur donner une existence objective et indépendante. […] Cependant le cristal n’est pas moins mystérieux que la plante ; le flux et le reflux des mers ne sont pas moins solennels que le battement du cœur humain. […] Bain nous ont fait pénétrer bien plus avant dans le mécanisme de la conscience humaine, en nous montrant ce double courant d’intégration et de désintégration qui la constitue, cette condition du temps qui s’impose à elle et lui donne la forme d’une succession.

1290. (1707) Discours sur la poésie pp. 13-60

Soit que l’imitation, en multipliant en quelque sorte les événemens et les objets, satisfasse en partie la curiosité humaine ; soit qu’en excitant les passions, elle tire l’homme de cet ennui qui le saisit toujours, dès qu’il est trop à lui-même ; soit qu’elle inspire de l’admiration pour celui qui imite ; soit qu’elle occupe agréablement par la comparaison de l’objet même avec l’image ; soit enfin, comme je le crois, que toutes ces causes se joignent et agissent d’intelligence ; l’esprit humain n’y trouve que trop de charmes, et il s’est fait de tout tems des plaisirs conformes à ce goût qui naît avec lui. […] Mais cette raison tombe encore ; car le poëte épique ne donne pas non plus son ouvrage comme un travail humain, mais comme la révélation de quelque muse. […] J’entens enfin par grande idée, les pensées qui étonnent l’esprit, ou qui flatent l’orgueil humain. […] Qu’on ne dise pas qu’il n’y a plus de pensées nouvelles, et que depuis que l’on pense, l’esprit humain a imaginé tout ce qui se peut dire.

1291. (1861) Les œuvres et les hommes. Les historiens politiques et littéraires. II. « VII. M. Ferrari » pp. 157-193

Dans le cercle de l’esprit humain, la dernière des erreurs est celle qui se trouve le plus près de la vérité, en vertu de l’axiome proclamé par le bon sens séculaire du monde : « Les extrêmes se touchent. » Entre M.  […] Les figures que tout le monde connaît, ces grands hommes qui ont l’honneur d’être la propriété du genre humain et qui ne sont pas seulement de la poudre de sépulcre à laquelle on ordonne de se lever, nous font trembler sur la loyauté historique de l’auteur, par la manière dont ils sont jugés. […] Les troubles, les impuissances, les folies, les crimes des villes italiennes pendant tout le Moyen Âge, de ces rivales les unes des autres, des factions qui se dévorèrent elles-mêmes quand elles n’eurent plus d’ennemis à dévorer, constituent un état de choses si profondément anormal et exceptionnel dans les annales du genre humain, qu’il est impénétrable à une intelligence simplement politique, et qu’il faut entrer plus avant que dans l’histoire pour l’expliquer… Malgré le sang et le fer qui brillent ; malgré le poison, le génie du mal en toutes choses, une richesse d’horreurs, d’abominations et de scélératesses comme on n’en vit chez aucun peuple, toutes ces villes, bourgades et campagnes d’Italie, ne méritent guère, après tout, que quelques lignes d’histoire, et encore le plus souvent c’est trop ! […] Mais l’imagination humaine n’est pas de son avis. […] Athée, puisqu’il est fataliste, il ne croit pas à la justice et il n’a pas, comme nous, pour éclairer les mêlées obscures et sanglantes, la liberté humaine et la Providence qui, toutes les deux, nous font flambeau !

1292. (1886) Revue wagnérienne. Tome I « Paris, 14 mars 1885. »

Entre tous les drames, Tristan et Isolde est le plus humain. […] Tristan et Isolde, est, entre tous les drames, le plus humain : une profonde émotion poignait tous les cœurs, lorsque l’orchestre de M.  […] Apparemment, il a vu cet amour, la plus naturaliste des peintures artistiques ; il a apprécié le merveilleux réalisme du poème, et combien, sous les mythes symboliques est la vie humaine, exactement ; il a entendu cette partition orchestrale, qui, avec une étourdissante richesse d’harmonie, mieux que tous les mots et tous les chants, montre les deux âmes si diverses, mêmement envahies de la passion. […] III Richard Wagner a exprimé dans ses mélodrames les plus hauts et les plus poignants sentiments de l’âme humaine. […] Mais le crime divin a été tel que tout le sang humain n’en pourra laver la souillure.

1293. (1856) Cours familier de littérature. I « Ier entretien » pp. 5-78

C’était l’homme intellectuel couché sur ses œuvres : une litière de pensées humaines sous l’animal pensant ! […] Je suis le fossoyeur des idées humaines, qui en exhume une pour faire place à une autre, et je trouve plus de vie ainsi sous la terre qu’il n’y en a dessus !  […] L’histoire elle-même me semblait mesquine et triviale quand elle ne racontait pas les événements humains avec l’accent surhumain de la philosophie, de la tragédie ou de la religion. […] Je ne m’en dédis pas ; il y a dans les affaires humaines, en apparence les plus communes, un aspect intellectuel et oratoire vers lequel les esprits les plus positifs doivent toujours tendre à leur insu ou sciemment pour dignifier leur œuvre ; ce qui ne peut pas être littérairement bien dit ne mérite pas d’être fait. […] Suis-je assez fou pour croire que je fondrai ou que je taillerai à moi seul en bronze ou en marbre une statue colossale du genre humain, quand Dieu n’a donné pour cela aux plus grands statuaires que du sable ou du limon pour la pétrir ?

1294. (1891) La bataille littéraire. Quatrième série (1887-1888) pp. 1-398

Mais c’est une loi de la nature contre laquelle la créature humaine ne peut rien. […] C’est par l’imagination que l’esprit échappe par instants à la réalité si souvent odieuse, et que tout ce que l’espèce humaine a conquis de beau et de consolant lui est venu. […] Ses personnages sont vivants, leurs sentiments sont vrais et humains ; c’est le livre d’un homme, cette créature qui devient rare par ce temps de nerveux, de hantés ! […] La vanité des choses humaines, les grimaces de convention, tout y est peint avec la grandeur et le scrupule des maîtres. […] Ici Nul être dans la fange et le sang ne se vautre :        La vie humaine a réussi !

1295. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Vicq d’Azyr. — II. (Fin.) » pp. 296-311

Il est évident qu’il y a ici un faux respect humain qui tient en échec et qui arrête l’instinct naturel de Vicq d’Azyr. […] De même pour l’immortalité et pour l’avenir des destinées humaines : rendant compte, dans son Éloge de Buffon, des Époques de la nature et rappelant l’hypothèse finale du grand naturaliste lorsqu’il peint la lune déjà refroidie et lorsqu’il menace la terre de la perte de sa chaleur et de la destruction de ses habitants : Je demande, s’écrie-t-il, si cette image lugubre et sombre, si cette fin de tout souvenir, de toute pensée, si cet éternel silence n’offrent pas quelque chose d’effrayant à l’esprit ; je demande si le désir des succès et des triomphes, si le dévouement à l’étude, si le zèle du patriotisme, si la vertu même, qui s’appuie si souvent sur l’amour de la gloire, si toutes ces passions, dont les vœux sont sans limites, n’ont pas besoin d’un avenir sans bornes ? […] Pardonnons ici à la faiblesse humaine et passons.

1296. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Lettres sur l’éducation des filles, par Mme de Maintenon » pp. 105-120

L’expérience lui avait inculqué pour principe « qu’on ne peut trop compter sur la faiblesse humaine. » Elle se méfiait, elle savait que tout se gâte vite et se dérange dans les éducations les plus admirées comme dans les natures les plus innocentes, dès qu’on cesse de veiller jour et nuit. […] L’une de ces pièces s’adresse à un mort ou à une morte chérie : À un esprit qui s’en est allé Du haut des brillantes étoiles, ou du sein de l’air invisible, ou de quelque monde que n’atteint point l’humaine pensée, Esprit ! […] L’autre pièce que j’ai à citer est intitulée Le Retour, c’est l’être humain (homme ou femme) qui, après avoir vécu, souffert et failli, revient au lieu natal, dans le manoir domestique, et y retrouve tous les anciens témoins de son innocence et de son bonheur : « Nous reviens-tu avec le cœur de ton enfance, un cœur libre, pur, aimant ? 

1297. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Œuvres de Vauvenargues tant anciennes qu’inédites avec notes et commentaires, par M. Gilbert. — I — Vauvenargues et Fauris de Saint-Vincens » pp. 1-16

La vie ne paraît qu’un instant auprès de l’éternité, et la félicité humaine, un songe ; et, s’il faut parler franchement, ce n’est pas seulement contre la mort qu’on peut tirer des forces de la foi ; elle nous est d’un grand secours dans toutes les misères humaines ; il n’y a point de disgrâces qu’elle n’adoucisse, point de larmes qu’elle n’essuie, point de pertes qu’elle ne répare ; elle console du mépris, de la pauvreté, de l’infortune, du défaut de santé, qui est la plus rude affliction que puissent éprouver les hommes, et il n’en est aucun de si humilié, de si abandonné, qui, dans son désespoir et son abattement, ne trouve en elle de l’appui, des espérances, du courage : mais cette même foi, qui est la consolation de misérables, est le supplice des heureux ; c’est elle qui empoisonne leurs plaisirs, qui trouble leur félicité présente, qui leur donne des regrets sur le passé, et des craintes sur l’avenir ; c’est elle, enfin, qui tyrannise leurs passions, et qui veut leur interdire les deux sources d’où la nature fait couler nos biens et nos maux, l’amour-propre et la volupté, c’est-à-dire tous les plaisirs des sens, et toutes les joies du cœur… Vauvenargues avait vingt-quatre ans quand il écrivait ces lignes. […] Gilbert, faisant à merveille son devoir d’avocat et d’ami de Vauvenargues, observe d’ailleurs avec justesse qu’on ne doit pas prendre trop au sérieux une idée en l’air, et dont Vauvenargues avait été le premier à faire bon marché et à rire. — La seule conclusion que je veuille tirer, c’est que nous avons désormais en Vauvenargues un sujet plus compliqué qu’on ne l’imaginait, un sujet plus mélangé et plus humain, et moins pareil (au moral) à une belle statue d’éphèbe.

1298. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Le général Joubert. Extraits de sa correspondance inédite. — Étude sur sa vie, par M. Edmond Chevrier. — I » pp. 146-160

Par un contraste qui n’est point rare, dans le feu de sa plus bouillante valeur il restait bon, humain, ouvert aux meilleurs sentiments ; et, après le récit animé de quelque coup de main audacieux, il ajoutait à ses lettres des post-scriptum tels que celui-ci : Bien des choses à toute la famille. […] Touchantes et humaines paroles, et dignes d’un Vauvenargues dans les camps ! […] Pour désirer des places, il faut une science approfondie du cœur humain, et une conduite politique à l’avenant ; je dédaigne tant de prudence.

1299. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Mélanges religieux, historiques, politiques et littéraires. par M. Louis Veuillot. » pp. 44-63

Ou bien encore : — C’est un autre homme, un philosophe, cette fois, plutôt qu’un naturaliste, c’est un homme qui a médité plus abstraitement sur les causes et les effets, sur les lois de l’esprit humain. Cet homme admet bien, comme vous, l’idée générale de Création, et même il ne saurait concevoir l’idée contraire, celle d’une succession continue à l’infini ; mais après cette idée de Création il s’arrête, il ne peut concevoir ni admettre que l’Intelligence et la Puissance infinie se soit, à un certain jour, incorporée, incarnée dans une forme humaine ; il respecte, d’ailleurs, au plus haut degré, à titre de sage et de modèle moral sublime, Celui que vous saluez d’un nom plus divin ; — et cet homme, parce qu’il ne peut absolument (à moins de se faire hypocrite) admettre votre idée à vous, avec toutes ses conséquences, vous l’insulterez ! […] Pauvre Gil Blas, miroir et tableau fidèle de la vie humaine, il est bien innocent d’une intention si scélérate.

1300. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Mélanges religieux, historiques, politiques et littéraires. par M. Louis Veuillot. » pp. 64-81

Veuillot, un homme d’esprit, fin observateur des choses humaines, et qui a porté sur le caractère français des jugements aussi piquants que sincères. […] Le temps, ce ravisseur de toute joie humaine, Nous prend jusqu’à nos pleurs, tant Dieu veut nous sevrer ! […] De l’humaine misère J’ai porté le fardeau tous les jours….. 

1301. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Les Contes de Perrault »

on n’a pas besoin d’avoir cinquante ans pour jouer en perfection de la flûte et pour s’accompagner de la voix sur la harpe ou la lyre ; à quinze ans, on fait cela bien mieux et plus purement, surtout quand on est de la plus favorisée et de la plus fine des races humaines. […] Quand les aînés de la race humaine partirent en essaims du Mont-Mérou, cette primitive patrie, en emportaient-ils déjà quelque chose ? […] Renan disait, l’autre jour, de ce brave et digne baron d’Eckstein, lequel semblait se ressouvenir confusément des origines scythiques et alpestres de notre race, qu’on le puisse dire, et plus agréablement, de l’enfance ; que plus tard l’homme, le jeune homme ait toujours en lui, par un coin de son passé, une réminiscence de l’âge d’or et des premiers printemps de l’imagination humaine, dût-il ensuite devenir positif, polytechnique, encyclopédique, dût-il être élevé comme le voulait Arago, ou plutôt et mieux comme le voulait Rabelais.

1302. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Mémoire de Foucault. Intendant sous Louis XIV »

De tout temps la nature humaine est ainsi. […] Sa timidité naturelle, dans une entreprise qu’il jugeait périlleuse, est peut-être cause que l’ouvrage des conversions, qui aurait pu réussir par les conférences, soutenues d’autres moyens doux, a causé la ruine d’un si grand nombre de religionnaires et la perte du commerce et des arts. » Contradiction singulière et bizarrerie de la conscience humaine ! […] C’est en petit l’histoire d’Octave Auguste, d’abord proscripteur et triumvir, puis humain.

1303. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Don Quichotte. »

Ticknor et de tout le monde, de revenir sur ce sujet inépuisable, sur le grand homme auteur du chef-d’œuvre, et qui, dans sa vie misérable et tourmentée, a su être, à force de bonne humeur et de génie facile, un des bienfaiteurs immortels de la race humaine : j’appelle ainsi ces rares esprits qui procurent à l’homme de bons et délicieux moments en toute sécurité et innocence. […] Honneur avant tout aux génies inventeurs et féconds, à ceux qui ont réellement enfanté, qui ont augmenté d’un fils ou d’une fille de plus la famille poétique du genre humain ! […] Ce livre, l’un des plus récréatifs et des plus substantiels qui existent, commencé d’abord presque au hasard, ne visant qu’à être une moquerie des romans de chevalerie et d’un faux genre littéraire à bout de vogue est devenu vite en avançant, sous cette plume fertile, au gré de cette intelligence égayée, un miroir complet de la vie humaine et tout un monde.

1304. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « GLANES, PÖESIES PAR MADEMOISELLE LOUISE BERTIN. » pp. 307-327

La plainte, le désir infini, l’espoir, en cette vie humaine toujours gênée, avaient besoin de se raconter au cœur, de s’articuler plus nettement que par de purs sons qui trop vite échappent. […] J’en nommerais bien quelques-uns si je ne craignais (ô vanité humaine ! […] Après tout, le succès humain n’est guère jamais mieux.

1305. (1862) Portraits littéraires. Tome II (nouv. éd.) « Léonard »

Fauriel, dans les ingénieuses Réflexions qui précèdent sa traduction de la Parthénéide de Baggesen, établit que ce n’est point la condition des personnages représentés dans la poésie idyllique qui en constitue l’essence, mais que c’est proprement l’accord de leurs actions avec leurs sentiments, la conformité de la situation avec les désirs humains, en un mot la rencontre harmonieuse d’un certain état de calme, d’innocence et de bonheur, que la nature comporte peut-être, bien qu’il soit surtout réservé au rêve. […] En tous ces morceaux, l’émotion se redouble du contraste de ce qui précède ou de ce qui va suivre, du bruit lointain des combats ou des naufrages, et du cercle environnant de toutes les calamités humaines un moment suspendues. […] Il prend au sérieux la poésie, l’élégie ; il la pratique, il en vit, il en meurt : c’est là une bien grande faiblesse, j’en conviens, mais c’est humain et touchant.

1306. (1887) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Troisième série « Gaston Paris et la poésie française au moyen âge »

Vous imaginez tout ce qu’on peut dire là-dessus : — Oui, sans doute, l’érudition, comme nous la voyons pratiquée par les trois quarts des érudits, est, sous ses airs graves, une des plus futiles entre les occupations humaines. […] L’érudit, confiné dans sa tâche méticuleuse et inféconde, vit en dehors de la réalité, de la grande comédie humaine, et ne se doute pas à quel point elle est amusante et variée. […] Gaston Paris, c’est que ce culte absolu du vrai s’allie chez lui avec les plus beaux et les plus délicats des sentiments humains.

1307. (1913) Les antinomies entre l’individu et la société « Chapitre VII. L’antinomie pédagogique » pp. 135-157

La thèse de l’éducationnisme entraîne un certain nombre de thèses secondaires : dépréciation de l’intelligence naturelle et d’une manière générale de tous les dons innés que l’éducation est impuissante à suppléer ; dépréciation des influences physiologiques ; en particulier dépréciation de l’hérédité physiologique au profit de l’hérédité sociale (éducation, transmission des connaissances d’une génération à l’autre), en résumé dépréciation de tous les facteurs humains irréductibles au déterminisme éthico-pédagogique. […] Durkheim, de dégager et de former dans l’individu humain l’être social. […] Comme le milieu humain est un milieu social, le frein volontaire devra être mis au service de la sociabilité ; il devra donc être manié par l’éducateur de manière à adapter et à plier parfaitement l’individu au milieu social.

1308. (1881) La psychologie anglaise contemporaine « M. Bain — Chapitre II : L’intelligence »

Mais la disposition à passer d’un souvenir, imagination ou idée, à l’action qu’ils représentent, — à produire l’acte et non pas seulement à le penser, — c’est là aussi un principe déterminant dans la conduite humaine. » L’auteur montre combien de faits curieux en psychologie s’expliquent par cette tendance de l’idée à se réaliser : la fascination causée par un précipice, les phénomènes produits par les idées fixes, par le sommeil magnétique, les sensations causées par sympathie. […] Entre la conscience de l’étendue et la conscience d’un plaisir, il y a la ligne de démarcation la plus large que l’expérience humaine puisse tirer dans la totalité de l’univers existant. […] Il s’agit, pour l’artiste, de faire plaisir à la nature humaine, « d’accroître la somme de son bonheur. » Le premier but de l’artiste doit être de satisfaire le goût.

1309. (1904) Prostitués. Études critiques sur les gens de lettres d’aujourd’hui « Chapitre XI. Quelques philosophes »

La justice appartient tout entière au domaine humain ; mais elle est, plus encore qu’une pensée, un instinct. […] Mais l’important c’est que l’effort de réduire l’inconscient universel en inconscient humain est chez Maeterlinck une tendance assez générale pour recevoir le noble nom de méthode. […] Comme les Grecs réduisirent à la beauté humaine les effroyables divinités cosmiques, elle ramène cette métaphysique de pessimisme et d’abstention écrasée à une psychologie presque optimiste et vaillante.

1310. (1906) Les idées égalitaires. Étude sociologique « Première partie — Chapitre III. Les explications anthropologique, idéologique, sociologique »

Une explication proprement ethnologique du succès des idées égalitaires ne sera constituée que le jour où on aura prouvé qu’elles sont comme écrites dans certaines structures cérébrales : les variétés humaines qui posséderaient ces structures seraient déterminées à penser ces idées. […] Mais autre chose est accorder que pour l’adoption d’une idée, il faut à l’organisme humain un certain degré de perfection générale, autre chose prouver que certaines modifications spéciales de cet organisme déterminent les esprits à l’adoption de cette idée : l’anthropologie doit décidément renoncer à franchir ce pas. […] Essai sur l’inégalité des races humaines, 2e éd., I, p. 219.

1311. (1911) Lyrisme, épopée, drame. Une loi de l’histoire littéraire expliquée par l’évolution générale « Chapitre III. Contre-épreuve fournie par l’examen de la littérature italienne » pp. 155-182

Or, sans toucher à la question religieuse, et tout en reconnaissant que l’Église catholique est un monument grandiose de l’esprit humain, il faut bien établir ce fait, sine ira et studio : la Papauté temporelle, à Rome, c’était la négation de la nation italienne. […] Au point de vue humain, ne regrettons pas qu’elle soit autre chose ; elle raconte, il est vrai, l’écroulement d’un idéal politique, elle dit les passions, les haines, et aussi la science scolastique d’une époque, mais elle est avant tout l’épopée de l’âme humaine.

1312. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Première partie. — Chapitre XVI. »

» Mais il faut quelque chose de plus grave aux oreilles romaines que cette mythologie pittoresque, et le poëte reprend alors : « Que dirai-je avant la louange tant répétée du Père souverain, qui régit les choses humaines et divines, l’Océan, la terre et le monde, dans l’ordre varié des saisons, immortel principe, d’où ne sort rien de plus grand que lui, et près de qui ne s’élève rien de semblable ou d’approchant. […] « Père et gardien de la race humaine, fils de Saturne ! […] Après Horace, en effet, à peine verrons-nous briller quelque lueur du génie lyrique sous la forme païenne ; et il faudra le renouvellement, d’abord de la croyance, puis des races humaines, pour que, de siècle en siècle, se ranime la poésie.

1313. (1908) Jean Racine pp. 1-325

Tandis qu’il paraît douter de la liberté humaine, le janséniste n’en montre pas moins une volonté indomptable. […] que cela paraît humain, et va loin dans l’observation de notre abominable cœur ! […] J’en connais peu qui contiennent autant de douleur humaine. […] Mais ce sacrifice humain ! […] Il devait être persuadé que son art était la plus haute des occupations humaines.

1314. (1866) Petite comédie de la critique littéraire, ou Molière selon trois écoles philosophiques « Première partie. — L’école dogmatique — Chapitre premier. — Une leçon sur la comédie. Essai d’un élève de William Schlegel » pp. 25-96

La poésie, comme toute chose de l’esprit, s’adresse à l’esprit, et doit lui offrir, sous sa forme et dans sa langue divines, des idées humaines et des sentiments humains. […] D’ailleurs la politique, cet élément athénien du théâtre d’Aristophane, ne regarde plus aujourd’hui que l’érudition ; ce qui intéresse tous les hommes, c’est l’élément humain, la poésie. […] « Ô vie humaine, et toi Ménandre ! […] La paresse, la luxure, la gourmandise, surtout un certain degré d’ivresse, voilà ce qui met la nature humaine dans l’état de l’idéal comique65. […] Ne suffit-il pas qu’elle le réduise à de belles proportions humaines, et pour le moins à la stature de l’anglais Ben Jonson ou de notre vieil.

1315. (1903) Propos de théâtre. Première série

Le théâtre est surtout un lieu où jouent, sous nos yeux, où se manifestent en leurs aventures diverses, la liberté et la responsabilité humaines. […] L’instant où Néoptolème rend ses armes à Philoctète est un des plus beaux instants de tout le théâtre humain. […] Mais Corneille s’est bien gardé de lui ôter tout caractère humain. […] Il n’y a peut-être pas de drame qui ouvre tout autour de lui de plus profondes perspectives, et qui pénètre plus loin dans l’âme humaine. […] Il offre la matière d’une étude curieuse pour le psychologue et l’historien du cœur humain.

1316. (1889) Ægri somnia : pensées et caractères

Celui-là seul qui a pétri le cœur de l’homme sait jusqu’à quelle profondeur une parole éloquente va remuer la mer humaine. […] Plus les sociétés humaines se rapprochent du plan divin, c’est-à-dire plus la liberté s’y meut dans l’ordre, plus ces sociétés sont grandes et prospères. […] Mêlé à tout, hommes et actes, par sa situation éminente, et comme aux premières loges de ce tragique théâtre de toutes les misères humaines, il ne s’y est rien produit de caractéristique que M.  […] Il savait mieux que personne que l’illusion est le piège de tout savoir humain, et que nul n’est assuré d’y échapper. […] La gloire, c’est l’immortel souvenir que laissent au genre humain des victoires où le courage a plus fait que le nombre, les poitrines que les armes, et qui sont glorifiées même du vaincu.

1317. (1895) Histoire de la littérature française « Quatrième partie. Le dix-septième siècle — Livre IV. La fin de l’âge classique — Chapitre I. Querelle des Anciens et des Modernes »

À travers les détours du dialogue, et les défaillances ou les lacunes de l’exécution, voici l’argumentation qui se reconnaît : la loi de l’esprit humain, c’est le progrès ; dans les arts, dans les sciences, nous faisons mieux, nous savons plus que les anciens ; donc dans l’éloquence aussi, et dans la poésie, nous devons leur être supérieurs. Les anciens étaient des enfants en tout : en tout, les modernes représentent la maturité de l’esprit humain.

1318. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — M — Mistral, Frédéric (1830-1914) »

Parmi ces grands esprits morts ou vivants, il y en a dont le génie est aussi élevé que la voûte du ciel, aussi profond que l’abîme du cœur humain, aussi étendu que la pensée humaine ; mais, nous l’avouons hautement, à l’exception d’

1319. (1920) La mêlée symboliste. I. 1870-1890 « Jules Laforgue » pp. 36-47

Il a épousé le raphaélisme de Lamartine, le paganisme de Gautier, la comédie humaine de Balzac et les pastorales de George Sand. […] Il s’est dépris de Leconte de Lisle pas assez humain, de Cazalis trop dilettante, de Sully Prudhomme trop froid, trop technique, mais il reste envoûté de Baudelaire, ce damné de Paris, du contumace Corbière, du somnambule et magnétique Rimbaud et un peu aussi de Mallarmé, orfèvre du brouillard.

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