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1256. (1769) Les deux âges du goût et du génie français sous Louis XIV et sous Louis XV pp. -532

Ce Poëte eut, comme Ronsard, une imagination vive & forte. […] Mais il fallait du génie pour voir de la forte. […] Je vois bien, leur dit-il, que votre oreille efféminée redoute les vers mâles & forts. […] Il trouvait Newton fort honoré, à tous égards, d’avoir eu un pareil commentateur. […] Elle eut le double avantage d’être fort applaudie & de corriger le ridicule qu’elle attaquait.

1257. (1914) Note sur M. Bergson et la philosophie bergsonienne pp. 13-101

Bergson et la philosophie bergsonienne eussent été fort éclairés, (mais voulait-on les éclairer), si on avait consenti à examiner ce que nous entendons par intellectualisme. […] Mais moi qui n’ai aucun système et qui à cause de cela ne ferai aucune fortune, (je dis même intellectuelle), je suis forcé d’avouer que je vois des critiques fort troubles et des pathétiques fort clairs, comme je vois des critiques profonds et des pathétiques fort superficiels. […] Et je vois aujourd’hui que dans l’astronomie et la mécanique et la physique célestes on revient à l’hypothèse des tourbillons cartésiens, et j’en suis fort heureux, car ç’aura été un beau coup de génie, (mais de la divination du génie), et je serai plus heureux encore quand on y sera revenu pour la physique générale. […] Il entendait par là, et fort explicitement, que la déduction ou mathématique ou logique ou métaphysique et généralement philosophique pouvait aboutir et aboutissait quelquefois (ou souvent) à des cas doubles ou multiples, à des cas que Leibnitz eût nommés indifférents, c’est-à-dire à des cas tels que la dernière solution déduite, la solution qui se trouve la dernière dans la voie de la filiation déductive nous laisse pour ainsi dire en suspens devant deux ou plusieurs solutions effectives égales, devant deux ou plusieurs solutions réalisées ou réalisables égales, devant deux ou plusieurs solutions de réalisation du détail. […] C’est que des deux pôles de cette phrase, des deux temps de cette maxime c’est déterminé qui est plus fort que douteuses, c’est déterminé qui est plus important que douteuses, c’est déterminé qui l’emporte.

1258. (1878) La poésie scientifique au XIXe siècle. Revue des deux mondes pp. 511-537

Qu’y a-t-il de plus propre à remuer l’âme d’un poète, à exciter son imagination, à le tirer hors des réalités plates et vulgaires, que la contemplation raisonnée du cosmos à travers les écrits ou les entretiens des savants, l’idée toujours grandissante de l’univers qui va de plus en plus s’étendant, à mesure que les instruments d’observation deviennent plus forts ou plus délicats et que l’expérience, aidée du calcul, recule dans tous les sens les bornes de l’espace ou de la vie ? […] Même dans les plus brillants morceaux où le poète nous donne des fragments de l’œuvre future et des modèles de ce qu’il voudrait faire, à côté de vers superbes et forts, sortis de la source nouvelle qu’il vient de faire jaillir, combien d’autres issus des vieux moules, remplis d’expressions élégantes et vagues qui ne sont que des artifices pour éluder le mot propre et tromper l’idée précise ! […] Le Chercheur représente la science ; il est décidé à s’armer pour savoir, à se rendre fort contre toutes les illusions et tous les prestiges qui pourraient amollir son cœur. […] La conservation du fort y est assurée par son propre égoïsme, et celle du faible par des instincts dérivés de l’égoïsme, qui lient l’intérêt des forts aux siens. — A défaut de bonté, la Nature a de la prudence. […] Et y a-t-il au monde contradiction plus forte que la forme du sonnet avec la largeur de l’inspiration que réclamait l’audace du sujet ?

1259. (1888) Les œuvres et les hommes. Les Historiens. X. « H. Forneron » pp. 149-199

Car il y a beaucoup de vérité dans cette histoire ; car le souffle qui y passe et qui l’anime est très fort et très pur. […] Les entrailles de ce faible, qui ne fut qu’un artiste, furent plus fortes que l’intelligence, et depuis lui, personne, parmi nous, n’a osé toucher sans épouvante à ce sujet, qui fait dire tant de sottises aux adversaires de l’Église et tant de lâchetés à ses défenseurs ! […] Mais ses vices étaient moins forts que sa foi et ne purent arracher jamais de son âme Dieu et l’Église, qu’y avait gravés la main de sa mère et que son âme garda, comme un marbre son inscription. […] Philippe II échappe de toute la profondeur de sa conscience aux petits détails biographiques, et sur un homme comme lui, et pour descendre dans ce clair-obscur, ce ne serait pas trop qu’une forte étude psychologique. […] Pour mon compte, je maintiens qu’il n’y a qu’un catholique qui puisse écrire profondément et intégralement l’histoire de Philippe II et de son siècle, et encore un catholique assez fort (cherchez-le dans le personnel du catholicisme actuel, et trouvez-le, si vous pouvez !)

1260. (1889) Ægri somnia : pensées et caractères

Dans l’un ou l’autre cas, vous risquez fort de lui paraître indiscret. […] S***, ennuyeux discoureur, a le sien, d’ailleurs fort respectable. […] Thiers, me dit-il, en a été fort peiné. […] Mais, de ma dette envers eux, la plus forte part est envers Pasteur. […] Qu’avons-nous besoin de poésie, d’art, d’esprit, d’œuvres fortes ou charmantes ?

1261. (1730) Des Tropes ou des Diférens sens dans lesquels on peut prendre un même mot dans une même langue. Traité des tropes pp. 1-286

L’aigle qui est le plus fort des oiseaux de proie, étoit le symbole de la victoire chez les egyptiens. […] L’allégorie est fort en usage dans les proverbes. […] Les énigmes sont aussi une espèce d’allégorie : nous en avons de fort belles en vers françois. […] On dit encore qu’un bois sacré est apelé (…), par antiphrase : car ces bois étoient fort sombres, (…), c’est par une raison contraire à l’antiphrase ; car come il n’étoit pas permis par respect de couper de ces bois, ils étoient fort épais et par conséquent fort sombres, ainsi le besoin, autant que la superstition avoit introduit l’usage d’y alumer des flambeaux. […] Les adjectifs se prènent aussi fort souvent adverbialement, come je l’ai remarqué en parlant des adverbes ; par exemple : parler haut, parler bas, parler grec et latin, (…) : penser juste, sentir bon, sentir mauvais, marcher vite, voir clair, fraper fort, etc.

1262. (1856) Le réalisme : discussions esthétiques pp. 3-105

je l’avais méconnu, cet ami solitaire, fidèle et consolant que doivent rechercher les forts. […] S’il entend par là l’art idéal, je suis fort de son avis, mais avec moins de regrets. […] Courbet se trouve assez artiste tel qu’il est, et, loin de revenir sur ses pas, il va tous les jours de plus fort en plus fort, comme chez Nicolet. […] Par une coïncidence assez singulière, mais fort explicable, on s’est mis alors à faire des bucoliques. […] Voilà qui est un peu fort !

1263. (1881) La parole intérieure. Essai de psychologie descriptive « Chapitre III. Variétés vives de la parole intérieure »

A l’intensité se rattache, quant la parole intérieure nous paraît la nôtre, la présence du tactum buccal, plus ou moins nettement imaginé, selon que le son intérieur est plus ou moins fort, plus ou moins semblable à un son extérieur. L’image du tactum buccal est le complément naturel de la parole intérieure quand elle simule l’extériorité ; cette illusion que l’âme passionnée subit, que l’âme en verve d’imagination se donne à elle-même, serait incomplète sans la présence de ce phénomène, associé constant de l’état fort que nous avons l’habitude de juger extérieur à nous. […] Il faut savoir nager quand on est marinier. » Je marchais fort vite vers l’Ecole militaire. […] Si nous sommes en train de parler à haute voix, les mêmes phénomènes se produisent sous l’influence des mêmes causes : la parole devient plus forte et plus accentuée, elle s’accompagne de gestes. […] Ensuite, les esprits exercés à la méditation savent se passer de ce secours d’un état fort [voir plus haut, § 3], ou bien, s’il leur faut absolument associer une sensation à leur pensée du moment, ils remplacent avec avantage les sons par l’écriture, qui conserve les idées pour l’avenir, après les avoir aidées à naître.

1264. (1895) Les mercredis d’un critique, 1894 pp. 3-382

S’il s’est intéressé à ma pièce, sa pièce, à lui, m’a fort amusé. […] Bien qu’on ait fraternisé, on n’a pas fait le sacrifice de l’amour-propre national et, voyant un fort italien perché sur une cime, des soldats français ont l’idée de planter le drapeau français au sommet d’un mont bien plus élevé, juste en face le fort italien ; le projet est accompli avec une extrême audace et l’on bat des mains. […] Je vais la piquer tout à l’heure en Bourse au tableau des sinistres : « Vigie ayant signalé forte épave, visible du fort de Paceira, deux barques ont mis voiles dessus et reconnu carène chavirée de trois-mâts français Gladiateur. […] « Ce prince de vingt ans, et fort sensible aux femmes, s’émut sincèrement d’une telle vexation. […] Il n’y avait pas même huit jours lors de notre arrivée, que, fort avancé avec quelques fantassins, il fut chargé par la cavalerie autrichienne.

1265. (1895) Nos maîtres : études et portraits littéraires pp. -360

Wagner, après Beethoven, l’exerça dans la maîtrise de son fort génie. […] L’histoire est fort ancienne, si elle est vraie. […] Mais la Grèce antique, déjà fort civilisée, et tard venue dans l’humaine évolution, a été la terre privilégiée des lettres. […] Voici déjà, exprimées par Christophe Gluck, de fortes émotions d’une grandeur quasi antique. […] Les plus forts, les plus aptes à vivre, survivent, tandis que périssent, par millions, les êtres plus faibles à cette bataille.

1266. (1862) Notices des œuvres de Shakespeare

Sa tragédie, en effet, ressemble fort peu en général à celle de l’Eschyle anglais. […] C’est la poésie suave et brillante du Midi à côté de l’imagination forte, rude et heurtée du Nord. […] Gillette fut trouver la mère de sa rivale, se découvrit à elle et lui promit une forte récompense si elle voulait favoriser ses projets. […] De la même expédition était un officier fort aimé du More ; il allait très souvent dans la maison du More, et prenait ses repas avec lui et sa femme. […] Othello est bien autre chose qu’un mari jaloux et aveuglé, et que la jalousie pousse au meurtre ; ce n’est là que sa situation pendant la pièce, et son caractère va fort au-delà de sa situation.

1267. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « [Appendice] » pp. 417-422

» Et quoiqu’elle fût fort aimable, Tout le monde la laissoit là. […] Le vol qu’on veut me faire de quelques vers que j’ai faits autrefois me touche fort peu.

1268. (1874) Premiers lundis. Tome I « Mémoires de madame de Genlis sur le dix-huitième siècle et la Révolution française, depuis 1756 jusqu’à nos jours — III »

Pourquoi faut-il que l’exposition de ces études inoffensives soit tant de fois interrompue par des jugements dans lesquels l’aigreur témoigne si fort la prévention ? […] L’une épouse, l’autre fille d’un ministre, elles furent portées dans la vie publique, plutôt qu’elles ne s’y jetèrent ; élevées, l’une dans le recueillement des mœurs bourgeoises, et l’autre au bruit des discussions philosophiques, elles avaient contracté dès l’enfance de fortes et sérieuses habitudes d’esprit, qu’elles déployèrent dans l’occasion avec toute l’énergie de la jeunesse et de la vertu.

1269. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Quatrième partie. Élocution — Chapitre X. De la simplicité du style »

Les femmes qui pensent ou qui font du style ressemblent fort aux écoliers : et de là vient que, dans notre littérature, celles qui n’ont pas cru faire œuvre d’écrivains, se sont mises au-dessus des autres. […] Les discours simples se trouvent être ainsi les plus forts, les plus expressifs, les plus persuasifs.

1270. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome III « Les trois siècle de la littérature françoise. — Q. — article » pp. 572-580

J’ajouterai même que, dans le temps où j’écrivois contre lui, nous étions tous deux fort jeunes, & qu’il n’avoit pas fait alors beaucoup d’Ouvrages qui lui ont acquis dans la suite une juste réputation* ». […] « Ce Couplet vaut mieux peut-être, dit M. de Voltaire, que toute la Médée de Séneque, de Corneille, & de Longepierre, parce qu’il est fort & naturel, harmonieux & sublime ».

1271. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre III. L’âge classique. — Chapitre III. La Révolution. »

Quand lord Bute, en dépit de l’opinion populaire, est mis à la place de Pitt, il est assailli de pierres et obligé d’entourer sa voiture d’une forte garde de boxeurs. […] L’instinct s’émeut dangereusement dans cette race trop forte et trop nourrie. […] Les professeurs d’irréligion, Toland, Tindal, Mandeville, Bolingbroke, rencontrent des adversaires plus forts qu’eux. […] En somme, il s’interdit les hautes questions et se trouve fort porté à nous les interdire. […] Ils sont déchaînés, ils se livrent, ils se lancent, et s’ils se contiennent, ce n’est que pour frapper plus impitoyablement et plus fort.

1272. (1923) Critique et conférences (Œuvres posthumes II)

d’avoir dit qu’il avait (Rimbaud) un visage parfaitement ovale d’ange en exil, une forte bouche rouge au pli amer et (in cauda venenum !) […] Une très forte amitié s’était formée entre nous deux durant les trois semaines environ qu’avait duré le passage chez moi de l’intéressant pèlerin. […] vous ne trouverez ici qu’émotion réelle dans une langue parfaite, langue formée aux fortes études classiques, puis d’ensuite, les plus décisives peut-être, du moins dans les cinq sixièmes des cas. […] Je vis un homme d’âge moyen, d’un visage chevalin, nez fort, barbe pointue, cheveux rares, châtain, aux yeux d’une très grande douceur, mais observateurs et comme matois de Normand. […] J’y arrivai, moi, gamin de dix-huit ans, ayant thésaurisé la forte somme.

1273. (1859) Cours familier de littérature. VIII « XLVIe entretien. Examen critique de l’Histoire de l’Empire, par M. Thiers (3e partie) » pp. 249-336

Il les engagea fort à se tenir en garde contre la cavalerie prussienne, et à la recevoir en carré avec leur fermeté ordinaire. […] Faisant la route à cheval, il fut surpris par un orage violent, bien que le temps n’eût cessé d’être fort beau depuis le commencement de la campagne. […] « Les Russes étaient rangés sur deux lignes fort rapprochées l’une de l’autre, leur front couvert par trois cents bouches à feu, qui avaient été disposées sur les parties saillantes du terrain. […] Une forte réserve d’artillerie était placée à quelque distance. […] Cette coalition de l’Allemagne contre la Russie était un suicide, puisque l’Allemagne allait ainsi anéantir le seul appui indépendant qu’elle pouvait espérer de retrouver un jour contre l’omnipotence de son oppresseur Napoléon ; mais il était si fort des souvenirs d’Austerlitz, d’Iéna, de Wagram, qu’il pouvait tout commander à l’Allemagne, même le suicide.

1274. (1856) Jonathan Swift, sa vie et ses œuvres pp. 5-62

Il accueillit Swift avec bonté, le fit son secrétaire, et n’eut pas de peine à reconnaître sous cette éducation incomplète une vive et forte intelligence. […] Deux ans plus tard, n’obtenant de lui d’autre promesse que celle d’un emploi fort modeste dans l’administration de l’Irlande, il prit le parti de le quitter et d’entrer dans l’Église. […] L’antiquité est bien comprise dans cette étude, qui abonde en vives et en fortes images. […] La découverte fut fort applaudie et la recherche commença. […] For example 20 d. of that money fort a quart of ale and so in all things else.

1275. (1892) Boileau « Chapitre I. L’homme » pp. 5-43

Despréaux mit son frère dans une de ses satires en fort mauvais lieu, et rima des épigrammes contre lui : il eut tort sans doute ; au moins ne l’accusera-t-on pas de souplesse intéressée. […] Au dedans un lit et un balustre avec un grand fauteuil dans lequel étoit assis M. le duc du Maine fait en cire fort ressemblant. […] Outre qu’il était difficile de voir et d’écrire la vérité sur Louis XIV de son vivant, on n’avait pas en France au xviie  siècle une idée fort juste des qualités et des devoirs de l’historien : quelques bénédictins savaient seuls alors ce qu’il faut de science, de critique et de détachement pour en bien faire le métier. […] Il ne faut pas croire que la maladie rendît Despréaux fort morose. […] De là, en 1703, un article malveillant du père Buffier dans le Journal de Trévoux, auquel Boileau riposta par des épigrammes plus fortes que spirituelles.

1276. (1883) Souvenirs d’enfance et de jeunesse « Chapitre I. Le broyeur de lin  (1876) »

Une forte couleur monacale était le trait dominant de ce christianisme britannique. […] C’était une belle et grande fille (tu ne l’as vue que fanée) ; elle avait de la sève de nature, un teint splendide, un sang pur et fort. […] Des désordres de plus en plus graves se produisaient dans cette organisation forte et qui ne souffrait pas d’être déviée. […] L’émotion, avait été trop forte pour cette simple femme. […] Il était si fort, qu’il résista huit ou dix ans à cette morne agonie.

1277. (1870) Causeries du lundi. Tome XIV (3e éd.) « Vie militaire du général comte Friant, par le comte Friant, son fils » pp. 56-68

Depuis lors, le fils du général Friant, dans une pensée de piété domestique, a publié une Vie militaire fort exacte de son glorieux père, auprès duquel il a servi lui-même durant des années, et il nous est maintenant permis de nous faire une idée précise du genre de mérite et d’héroïsme de ce modèle des divisionnaires. […] « La rapidité et la précision de votre marche, lui écrivait le général Bonaparte, vous ont mérité la gloire de détruire Mourad Bey. » Mais Mourad Bey détruit renaissait sans cesse. « Je désire fort, lui récrivait le général Bonaparte, que vous ajoutiez aux services que vous n’avez cessé de nous rendre, celui bien majeur de tuer ou de faire mourir de fatigue Mourad Bey. […] Après la mort de Kléber, Friant fort apprécié de Menou, qui lui écrivait : « Soyez assuré que nous ferons de bonne besogne toutes les fois que l’on emploiera, comme vous, activité et moralité » ; fut moins content sans doute de ce général en chef qui, avec des qualités estimables, n’était pas à la hauteur de sa position et qui ne sut pas accueillir les bons conseils.

1278. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « À M. le directeur gérant du Moniteur » pp. 345-355

Je vous remercie de m’encourager ainsi et de m’enhardir, et bien réellement j’avais si fort besoin d’être rassuré que je ne vous écris ceci que pour vous dire comme quoi je n’ose, même après votre mot aimable, venir parler de Catherine. […] » Mais comme cet éloquent confrère est le même qui nous propose d’admirer en 1860 les romans de Mlle de Scudéry, peut-il trouver étonnant qu’à de tels caprices rétrospectifs le public oppose ses caprices présents, qu’il y ait des représailles bien légitimes de l’esprit moderne plus positif, et qu’aux fades abstractions quintessenciées on préfère les réalités, fussent-elles un peu fortes ? […] Feydeau compose ses livres et ne les écrit pas au fur et à mesure, par feuilletons), le style qui, avec ses défauts, est si marqué et si expressif, n’ont pas obtenu l’attention qui était due ; on n’a pas rendu justice, non seulement à de très beaux tableaux très bien exécutés, tels que l’incendie et des paysages de marine, mais à des scènes dramatiques fort vigoureuses, à celles de la falaise entre Daniel et Louise, entre Daniel et Cabâss, à la scène de la dernière partie dans laquelle Daniel, comptant n’avoir affaire qu’à sa belle-mère, rencontre chez elle tous ses ennemis réunis et en a raison un à un, s’en débarrasse successivement, les culbute et les évince, jusqu’à ce qu’il ait réduit le débat à n’être que ce qu’il devait être d’abord, un duel à deux et sans témoins.

1279. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Waterloo, par M. Thiers (suite) »

Mais Wellington n’avait pas l’idée de se dérober ; il avait étudié en avant de la forêt la forte position du Mont-Saint-Jean : il l’occupa, solidement et nous y attendit La nuit arrivée, Napoléon donna les ordres pour la bataille du lendemain, quoiqu’il en doutât encore. Il ne fut rassuré que lorsqu’à une heure du matin, fort préoccupé de ses sombres pensées et du danger qu’aurait pour la France, menacée du côté du Rhin, tout retard dans la décision de cette campagne projetée par lui en deux coups de foudre, il fut sorti à pied, accompagné seulement du grand maréchal. […] Ce plan de Napoléon consistait à se porter avec toute sa droite au complet sur la gauche des Anglais, la moins forte, à la culbuter sur leur centre qui occupait la grande chaussée de Bruxelles, et à leur fermer la route ouverte par la forêt de Soignes.

1280. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « JULES LEFÈVRE. Confidences, poésies, 1833. » pp. 249-261

Quel que soit le jugement définitif qu’on porte à ce propos, il faut rendre hommage à tant de conscience et d’étude dans un homme qui est, du reste, évidemment poëte, qui a un sentiment profond des choses, l’amour de la gloire, et le foyer des fortes passions. […] Son œuvre, en style de lapidaire, peut assez bien se comparer à un diamant d’une bonne grosseur, d’un fort poids, d’une matière riche, mais non pas d’une belle eau ; sans transparence et sans limpidité ; avec de chauds éclairs intérieurs qui ont peine à jaillir par une surface embrouillée et grenue. […] Il avait débuté, comme on l’a dit, au premier rang et à la première heure de la jeune école poétique ; il en eut toutes les ambitions et tout le courage, et il semblait des mieux munis, par son érudition poétique étendue et forte, pour la lutte et pour la conquête.

1281. (1874) Premiers lundis. Tome II « Thomas Jefferson. Mélanges politiques et philosophiques extraits de ses Mémoires et de sa correspondance, avec une introduction par M. Conseil. — I »

Appelons de tous nos efforts l’heure de cette majorité féconde et forte, plus conservatrice, plus morale, même dans les carrefours de nos grandes villes, que Jefferson ne paraissait le croire et qu’il n’y était autorisé de son temps ; agissons d’avance sur elle, attaquons-nous à elle pour qu’elle soit préparée. […] Des troubles assez graves qui survinrent dans le Massachussets achevèrent de mettre en évidence l’insuffisance de la première forme adoptée, et une Convention générale fut convoquée à Philadelphie, le 25 mai 1787, à l’effet d’établir une constitution plus forte et plus efficace. […] « Notre gouvernement, dit-il, avait besoin d’un lien plus fort ; mais il faut bien nous garder de passer d’un extrême à l’autre et de resserrer le nœud outre mesure. » Il regrette l’absence d’une déclaration explicite de droits ; il craint aussi que l’abandon absolu du principe de rotation pour les fonctions de président et de sénateur ne dégénère en abus, et que ces magistrats, perpétuellement rééligibles, ne soient par là même réélus indéfiniment. à son retour d’Europe, en mars 1790, Jefferson, arrivant à New-York, et entrant, comme secrétaire d’État, dans le Conseil de Washington, trouva déjà d’étranges idées ébauchées sur la représentation et l’étiquette, sur la centralisation et la pondération des pouvoirs.

1282. (1875) Premiers lundis. Tome III « Nicolas Gogol : Nouvelles russes, traduites par M. Louis Viardot. »

Aujourd’hui il s’agit d’un romancier, d’un conteur, dont le nom, fort en estime dans son pays, n’avait guère encore percé en France. […] Gogol ; j’étais dans ce cas comme tout le monde ; j’avais un avantage pourtant que je réclame, c’était d’avoir rencontré autrefois, sur un bateau à vapeur, dans une traversée de Rome à Marseille, l’auteur en personne, et là j’avais pu, d’après sa conversation forte, précise, et riche d’observations de mœurs prises sur le fait, saisir un avant-goût de ce que devaient contenir d’original et de réel ses œuvres elles-mêmes. […] C’est une qualité propre à la race slave, race grande et forte, qui est aux autres races ce que la mer profonde est aux humbles rivières.

1283. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome second — Livre septième. Les altérations et transformations de la conscience et de la volonté — Chapitre premier. L’ubiquité de la conscience et l’apparente inconscience »

Beaucoup de faits qu’on prétendait naguère inconscients ne tarderont pas à s’expliquer, croyons-nous, par l’association d’états de conscience faibles et indistincts avec d’autres états de conscience plus forts et plus distincts. […] L’association des états de conscience faibles entre eux ou avec des états de conscience forts suffit ainsi à expliquer la plupart des états ou actes prétendus inconscients. […] Tous ces phénomènes confirment ce principe que chaque état psychique a pour corrélatif un état moteur particulier ; « notion fort importante, dit avec raison M. 

1284. (1867) Le cerveau et la pensée « Chapitre VII. Le langage et le cerveau »

Un enfant qui est fort en thème ne l’est pas nécessairement en version, et réciproquement. […] Bouillaud, ils nous ont paru, pour la plupart, fort peu démonstratifs. […] L’argumentation si forte de M. 

1285. (1872) Les problèmes du XIXe siècle. La politique, la littérature, la science, la philosophie, la religion « Livre II : La littérature — Chapitre I : Une doctrine littéraire »

Tels sont les doutes que nous éprouvions en relisant dans une nouvelle édition améliorée cette œuvre sérieuse et forte, qui nous agrée par un endroit, nous refroidit par un autre, où les jugements, toujours solidement motivés, ne répondent pas toujours à nos propres impressions. […] Représentez-vous le sens commun de l’antiquité dans quelqu’un de ses plus solides et de ses plus ingénieux représentants, et mettez entre les mains de cet excellent esprit l’un de ces écrits fugitifs, rapides, concis et obscurs, que l’apôtre enflammé d’une secte nouvelle envoyait alors à ses frères dispersés ; en un mot, donnez à lire à Quintilien ou à Pline le Jeune les épîtres de saint Paul : ou je me trompe fort, ou ces étranges écrits, si éloquents pour nous malgré le mystère dont ils sont voilés, paraîtront au philosophe et au rhéteur antiques des prodiges de folie. […] Quand il applique le premier, c’est-à-dire quand il se contente de rechercher dans les écrits les vérités qu’ils contiennent, sans distinguer si ce sont des vérités de tradition ou des vérités d’invention, des vérités de discipline ou des vérités de liberté, sa critique est large et sûre, à la fois souple et forte : elle rajeunit les sujets les plus épuisés par la manière mâle et solide dont elle les relève ; mais, quand il applique le second de ces principes, le principe de la discipline, sa critique prend quelque chose de partial, de jaloux, je dirais presque d’étroit : on sent que ce n’est plus de la critique absolue, mais de la critique relative faite pour un temps, pour combattre certaines passions, pour défendre certains écrits : c’est une critique de combat.

1286. (1853) Histoire de la littérature dramatique. Tome II « Chapitre II. Mademoiselle Mars a été toute la comédie de son temps » pp. 93-102

. — Et justement voilà pourquoi Célimène, fidèle au rôle qu’elle s’est imposée, est si prodigue envers les uns et les autres de bonnes paroles, de tendres regards, de billets doux ; là est sa force, et elle a besoin d’être forte pour se défendre. […] Rare esprit, âme plus rare encore ; âme tendre et forte qui n’a peur de rien, pas même du ridicule ; dévouement sincère, amour passionné, bonne foi complète, Alceste, en un mot. […] « Quant à mademoiselle Mars, est-il besoin de vous dire… oui, certes, il est besoin de répéter que, d’un bout à l’autre de son rôle, mademoiselle Mars était charmante, alerte, animée, agaçante, éloquente ; c’était merveille de l’entendre, et merveille de la voir attentive à toutes choses, vive à la repartie, hardie à l’attaque, railleuse toujours, passionnée quelquefois, forte contre tous, faible seulement contre Alceste : jamais la comédie n’a été jouée avec cette inimitable et incroyable perfection.

1287. (1772) Bibliothèque d’un homme de goût, ou Avis sur le choix des meilleurs livres écrits en notre langue sur tous les genres de sciences et de littérature. Tome II « Bibliotheque d’un homme de goût — Chapitre VIII. Des romans. » pp. 244-264

Quoi qu’il en soit, nous avons de fort jolis Romans du censeur de M. de Marivaux. […] Au défaut d’uniformité de style qui caractérise ces lettres, il faut joindre celui de déclamer fort souvent & d’allonger par-là leur morale & leurs récits. […] Ce genre est fort à la mode depuis qu’un homme de beaucoup d’esprit, M. de Marmontel, donna les siens en 1761. en deux vol.

1288. (1733) Réflexions critiques sur la poésie et la peinture « Troisième partie — Section 2, de la musique rithmique » pp. 20-41

Voila pourquoi la plûpart des auteurs grecs et latins qui ont écrit sur la musique, traitent fort au long de la quantité des sillabes, des pieds et des figures du vers ; ainsi que de l’usage qu’on en peut faire, pour donner plus d’agrément et plus d’expression au discours. […] Nous parlerons fort au long de ces semeia, quand nous expliquerons comment les anciens écrivoient en notes le chant musical, ou le chant proprement dit, et ce chant qui n’étoit qu’une déclamation. […] Nous apporterons ci-dessous un de ces passages dans lequel Quintilien parle fort au long du soin qu’avoient ces artifices pronuntiandi, de donner à chaque comedien un masque assortissant au caractere du personnage qu’il devoit representer.

1289. (1860) Ceci n’est pas un livre « Le maître au lapin » pp. 5-30

La somme suffisait largement aux exigences du ménage, si bien qu’ils eussent été fort embarrassés — m’a-t-il dit depuis — de l’emploi du surplus, s’il y avait eu un surplus. […] On entrevoit à l’arrière-plan, au milieu des arbres, une ville orientale (Bethléem sans doute) avec ses fortifications crénelées. — Pour le moment, Joseph est fort occupé à tresser une couronne de fleurs sauvages pour amuser le petit Jésus : ce détail familier, avec de tels personnages, n’est-ce pas là une idée touchante et hardie ? […] Ce journaliste, ayant vu je ne sais quel dessin de Rodolphe, écrivit sur lui quelques lignes fort élogieuses dans un journal de la ville.

1290. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Chapitre XV. Mme la Mise de Blocqueville »

Là elle toucha à Chateaubriand et à Sainte-Beuve et s’en mit une goutte dans son verre d’eau claire, où depuis tombèrent des larmes qui firent reprendre au verre d’eau sa limpidité et sa clarté premières… Mme Swetchine, sans sa piété vraie et avec son éducation pédantesque, aurait été un bas-bleu de forte espèce, parfaitement caractérisé, et Mme de Blocqueville tient beaucoup plus d’elle que d’Eugénie de Guérin, sous le charme de laquelle elle se débat un peu, comme elle se débat, mais plus convulsivement, sous la puissance magique de cet enchanteur à poison qui s’appelle Henri Heine, et qui est le péché mignon de la haute Dévote de son livre, — la duchesse Eltha, qui pourrait bien, au fond, n’être qu’une marquise… Mme de Blocqueville a beau assurer dans sa préface, avec des airs oraculaires et mystérieux, qu’Eltha et Lucio, qui se font l’amour tout le temps du livre, ne sont pas des amants et qu’elle ne peut pas en dire davantage. […] Les forts conversationnistes de ses Soirées, qui s’y donnent la réplique, prennent les questions par tous les bouts qu’elles ont et qu’elles n’ont pas. […] pour cette forte tête, virilisée encore par l’étude et par la réflexion, le peignoir a peut-être une poésie cachée, et pense-t-elle qu’il lui donne l’air plus prêtresse, plus prophétesse et plus Muse ?

1291. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Chapitre XXV. Mme Clarisse Bader »

Les pédants, qui se moquent de nous, ont glosé fort à leur aise sur Hypatia, l’Alexandrine, dont les écrits n’existent plus, et qui, d’ailleurs, n’avait écrit que des Commentaires sur Diophante et les Coniques d’Apollonius de Perge, Travail à la suite ! […] ) qu’elle ait découvert, affermi ou purifié par une critique forte. […] Elle se met derrière Aristote, — non pas comme Sganarelle dans son chapitre des Chapeaux, mais dans sa Politique, quand elle dit que c’est chez les peuples guerriers que la femme a le plus d’influence, parce que plus on est fort, moins on est jaloux de son autorité.

1292. (1906) Les œuvres et les hommes. À côté de la grande histoire. XXI. « L’ancien Régime et la Révolution »

L’ancien Régime et la Révolution28 I Il faut être terriblement fort, à ses propres yeux ou à ceux des autres, pour se permettre d’écrire un volume — ou plusieurs — de simples généralités sur l’histoire. […] Cela conduisit, affirme-t-il, aux conséquences les plus singulières, et il en cite quelques-unes, qui sont fort simples, et qui peuvent se ramener à ceci : qu’on ne s’entendit pas. « La nation — dit-il alors avec une superficialité inouïe — ne tenant plus debout dans aucune de ses parties, un dernier coup put la mettre en branle… et produire le plus vaste bouleversement et la plus grande confusion qui ait jamais existé. » Telle est la thèse de Tocqueville, et, comme on le voit, elle est assez mince. […] Quoique Tocqueville ne soit pas trempé pour le pamphlet, quoiqu’il soit parfaitement incapable de mettre en grisaille les Lettres persanes, s’il a pu y mettre l’Esprit des lois, on n’en sent pas moins dans son ouvrage la bonne volonté des attaques réfléchies et couvertes contre un gouvernement fort qui a su résoudre le problème, qu’on croyait insoluble depuis quarante ans, d’une grande autorité populaire.

1293. (1885) Les œuvres et les hommes. Les critiques, ou les juges jugés. VI. « Rigault » pp. 169-183

On savait que de forts cerveaux se mettaient à deux ou à trois, selon le tirage, pour la confection en commun d’un livre, soit roman, soit drame, — mais vingt-deux personnes à la file, toute une multitude, toute une tribu, cela ne s’était pas encore vu dans ce temps d’association facile, et on ignorait cette littérature à l’Adam Smith, où chacun faisait son vingt-deuxième de traduction. […] Grâce à la mort de son auteur, la seule chose dont elle soit ornée, cette notice profitera peut-être à la publicité de cette traduction d’Horace : mais profitera-t-elle à Horace lui-même, à Horace, le poète de tous les égoïstes qui veulent passer pour sages et de tous les pédants qui veulent qu’on les croie très forts en latin ? […] Tels ont été les faiseurs pour le compte d’Horace… Tels les singuliers sacristains de sa petite chapelle païenne, tels les entreteneurs en huile de la petite lampe allumée sur son tombeau que le vent du Moyen Âge, cette tempête d’âmes et de choses fortes, a bien des fois failli souffler, mais que la robe de quelque abbé qui se trouvait là, païen littéraire ou de mœurs, sauva en se gonflant sur elle.

1294. (1885) Les œuvres et les hommes. Les critiques, ou les juges jugés. VI. « Louis Vian » pp. 373-387

Ce n’est pas pour moi une recommandation très forte d’être avocat, quand on est écrivain. […] La biographie de Nelson, si fort admirée en Angleterre, est moins épique que son héros et même que le visage de son auteur, la seule chose épique qu’il y eut en Southey, disait lord Byron. […] En procès, Montesquieu fut plus fort et plus heureux qu’en science.

1295. (1906) Les œuvres et les hommes. Femmes et moralistes. XXII. « Madame de Sévigné » pp. 243-257

La notion de l’esprit est maintenant fort gâtée. […] Il l’est même si fort qu’il a écrit sur elle de ces mots poétiques et idéalisants qui la déguisent, et que je suis fâché de trouver sous cette plume de goût, qui devrait peindre ressemblant, en parlant d’une femme aussi connue que cette blonde espiègle : « À quinze ans, — dit-il, — Marie (c’est madame de Sévigné) n’avait rien de cette timidité virginale, ou, si l’on veut, de cette gaucherie innocente que les jeunes filles rapportent du couvent dans les plis de leur robe montante. » Et cela, je crois bien que c’est vrai ; mais que dirons-nous de ce qui suit ? […] Ne doit-ce pas être là le plus fort de mes étonnements ?

1296. (1861) Les œuvres et les hommes. Les historiens politiques et littéraires. II. « IV. M. Henri Martin. Histoire de France » pp. 97-110

Henri Martin a, dit-on, fort pesé, pour les faire disparaître, sur les marques des philosophies d’où il est sorti : mais, s’il a gratté et regratté, il ne les a pas effacées. […] Henri Martin ne me paraît pas ce qu’on peut appeler une tête très forte. […] III Sans cette haine et sans ce dessein contre le christianisme, la bouffonnerie du druidisme aurait paru trop forte, même à M. 

1297. (1895) Les œuvres et les hommes. Journalistes et polémistes, chroniqueurs et pamphlétaires. XV « Émile de Girardin » pp. 45-61

Quoique fort entichée de noblesse, cette marquise a compris qu’il y avait un mariage à faire entre son fils et mademoiselle Caroline Adam, et elle s’aide, pour arriver à la réussite de ce beau projet, d’un certain baron, sigisbé discret de sa jeunesse, ami ou plutôt parasite de Μ.  […] Cela est plus fort, évidemment. […] Μ. de Girardin, journaliste en retraite et socialiste en démolition, nous était fort indifférent· Nous l’eussions miséricordieusement laissé mourir, comme un pieux Indien tenant la queue de sa vache, la queue du veau d’or dans la main.

1298. (1893) Les œuvres et les hommes. Littérature épistolaire. XIII « Horace Walpole »

Le poète, chez Byron, était plus fort que le dandy, tandis que dans les lettres de Walpole rien n’est plus fort que le dandysme, et on se demande ce qu’elles seraient, ces lettres, sans cet accent dandy qui y vibre et qui y circule ! […] Cette goutte, qui le prit de bonne heure comme Pitt, et l’envahit des pieds aux mains, n’empêcha que fort peu sa main d’écrire.

1299. (1893) Les œuvres et les hommes. Littérature épistolaire. XIII « Le roi Stanislas Poniatowski et Madame Geoffrin »

C’est le sentiment qui les anime et surtout, surtout, le fond d’âme auquel il correspond… Et que m’importent, à moi, l’impuissante royauté de Poniatowski et les orages de la Pologne, de cette nation qui ne fut jamais qu’un sublime régiment contre les Turcs, mais qui ne fut jamais non plus un peuple dans l’unité de ce magnifique sentiment qui fait les peuples dignes et forts, et qui est plus haut que l’amour, très souvent anarchique, de la patrie ! […] elle aima, cela est certain et ressort et jaillit pour moi de toutes les lettres de la Correspondance que voici ; mais son amour ne fut pas plus fort que sa raison, restée imperturbablement la maîtresse de son logis et la faiseuse de son ménage ; et si cet amour, qui lui vint tard, fut fou, — car tout amour est fou, — ses folies ne dépassèrent point les limites de son pauvre cœur, résolu à être aussi sage que sa tête, mais qui ne le fut pas toujours… Elle aima, tout l’atteste. […] Madame Geoffrin fut de celles-là… Le don de séduction qui était en Poniatowski, ce séducteur d’impératrice, ne rencontra pas d’obstacle à sa toute-puissance dans la raison de cette femme dont le mâle esprit, inaccessible aux engouements de son époque, toisait, toute petite bourgeoise qu’elle fût, et le grand Frédéric, et Catherine-le-Grand, et Voltaire, avec une toise d’une telle précision que les plus forts de ce temps-ci (Joseph de Maistre, par exemple, sur le grand Prussien Frédéric de Prusse), n’ont eu besoin ni de la raccourcirai de l’allonger… Stanislas Poniatowski n’était pas, en effet, un séducteur des temps corrompus où il vivait et dont Madame Geoffrin aurait pu dire, comme de la politique de ces temps : « Ce sont les profondeurs de Satan ! 

1300. (1890) Les œuvres et les hommes. Littérature étrangère. XII « Nicolas Gogol »

Il paraîtrait que c’est une loi : les réalistes, comme les ours, viendraient mieux et seraient plus forts vers les pôles… Cette locution d’Âmes mortes, qu’on pense tout d’abord être une manière de dire poétique et funèbre, toute pleine d’attirants mystères, n’est qu’un terme usuel en Russie, un terme vulgaire et légal. […] … Il l’a dit un jour à Pouchkine : « Nous connaissons tous fort peu la Russie. […] Au lieu de s’abattre de haut et de gauler fort et ferme sur tout ce qui fait que la Russie est la Russie, Gogol, dans la seconde partie des Âmes mortes, rabat sa manche, pédantise, devient utilitaire, et le satirique disparaît derrière l’utopiste.

1301. (1860) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (première série). I « XXIX. M. Eugène Pelletan »

à la stricte condition d’avoir établi la foi au progrès sur une théorie assez forte pour démentir l’histoire ou pour se passer de l’histoire, et c’est là précisément ce que M.  […] Seulement, pour insinuer dans les esprits honnêtes et confiants qui vous lisent ces conséquences voilées, la main, qui n’est pas très forte, tremble un peu… tâtonne dans les faits qu’elle mêle et se blesse à des inconséquences mortelles. […] Nous sentons battre le cœur sous toutes ces cuirasses, quand il bat fort, comme celui de M. 

1302. (1887) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (deuxième série). IX « M. Th. Ribot. La Philosophie de Schopenhauer » pp. 281-296

Je crois très fort qu’on peut se fier à lui. […] Ribot, était un fort commerçant, qui voulait faire de son fils un marchand comme lui, et sa mère, un bas-bleu, sans cœur et sans bon sens comme tous les bas-bleus, qui voulut peut-être qu’il fût un homme de lettres… comme elle ! […] Ils étaient parfaitement incapables de cet effort de respiration prodigieux sous la machine pneumatique de la métaphysique, où les plus forts esprits perdent, à certains moments, connaissance.

1303. (1887) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (deuxième série). IX « Lacordaire. Conférences de Notre-Dame de Paris » pp. 313-328

de toutes les œuvres que la vérité ne soutient pas de sa pure et forte substance. […] C’est une vaste polémique engagée et soutenue du haut de la chaire, mais qui n’en est ni moins forte, ni moins victorieuse parce qu’elle en est descendue, parce que nous la retrouverons toujours à portée de notre main quand, lassés, nous voudrons nous appuyer, pour reprendre haleine, contre le mur de l’orthodoxie, et revoir de là la défaite de l’ennemi vaincu… Modèles d’apologie et de discussion, elles furent prononcées pour rappeler aux pieds de notre Dieu abandonné les générations actuelles, et elles ont fait leur moisson sans doute, mais le confessionnal le sait seul et ne parle pas, ce tombeau de la pénitence ! […] Des esprits plus sévères que justes ont, je ne l’ignore pas, reproché au révérend père Lacordaire ce qui m’a toujours semblé la meilleure raison de son influence sur les esprits, je veux dire cette hardiesse de langage qui soit quand il s’agit d’idées philosophiques, soit quand il s’agit des passions, n’hésite jamais ni sur le mot, ni sur la pensée, et parle volontiers des choses du monde, et de manière à ce que ce monde, dans l’insolence de son dédain, ne renvoie pas le dominicain à son couvent comme un pauvre religieux fort estimable sans doute, mais qui ne sait rien de la vie !

1304. (1862) Les œuvres et les hommes. Les poètes (première série). III « M. Edgar Quinet. L’Enchanteur Merlin »

Peu importe que le fond de ces deux ouvrages soit, sous deux noms différents, le même prétexte ou le même procédé pour nous faire voir le monde merveilleux ou historique des légendes et nous réverbérer, en le concentrant dans notre âme, ce prodigieux panorama ; mais il importe fort pour le mérite du poète et son progrès, pour l’intérêt et pour l’émotion du lecteur, que la forme et la manière de l’un ne soient pas par trop identiquement la forme et la manière de l’autre ! […] Le panthéisme avait son évangile pour les raisons fortes, mais M.  […] lesquels prouvent bien, comme vous voyez, que dans ce tout-puissant xixe  siècle il naît et se combine des créatures si fortes, qu’elles peuvent réunir en elles, sans éclater, Pradon et Gongora… L’amour commence, Tout est divin !

1305. (1889) Les œuvres et les hommes. Les poètes (deuxième série). XI « Madame Ackermann »

Elle y souffre comme toutes les âmes fortes, qui périssent d’orgueil, déchirées dans leur force vaine. […] Nous n’ébrécherons pas, en la rompant ici et là, cette citation de madame Ackermann qui va vous échantillonner une poésie belle surtout d’ensemble, et qui, quelle que soit son étendue, va jusqu’au bout d’une pleine et forte coulée. […] Qu’ils vibrent donc si fort, mes accents intrépides, Que ces mêmes cieux sourds en tressaillent surpris !

1306. (1889) Les œuvres et les hommes. Les poètes (deuxième série). XI « Hector de Saint-Maur »

Byron a souvent écrit dans sa Correspondance et dans les préfaces de ses Poèmes que c’était son dernier chant aussi, mais l’Inspiration était la plus forte, et il repartait d’un chef-d’œuvre ! […] on aime toujours trop, quand on veut rester fort… L’amour a passé par là, disait Fontenelle, quand il voyait une femme pâlie et défaite. […] Le poète du Dernier Chant a dit, avec un tour triste et gai en même temps, et qui n’est qu’à lui : Quand elle veut, la femme est bien forte, — elle oublie !

1307. (1859) Essais sur le génie de Pindare et sur la poésie lyrique « Première partie. — Chapitre IV. »

J’en croirai d’autant plus l’Hymne à Apollon fort authentique, sinon quant à l’auteur, au moins quant à l’ancienneté. […] Rendez-vous fort au plus vite, en chassant loin de vous la plainte efféminée. » On le voit, avec la mobilité du génie grec, cet Archiloque, banni de Sparte pour avoir plaisanté du courage, savait l’inspirer par ses vers et s’en armait contre le mépris excité par ses fautes47 : « Ô mon âme, dit-il, battue de maux intolérables, souffre avec fermeté ; et, la poitrine jetée au-devant des ennemis, repousse-les, en restant inflexible sous leurs coups : victorieuse, ne t’enorgueillis pas ; et vaincue, ne demeure pas dans l’ombre à pleurer ; mais, dans le bonheur et dans les revers, triomphe ou afflige-toi modérément ; puis reconnais quel courant fatal entraîne les hommes. » Le poëte capable de ces mâles et sévères accents pouvait redire les hauts faits. […] Souvent, du milieu des maux, ils relèvent les hommes abattus sur le sol noir de la terre ; souvent ils renversent et courbent, la tête en bas, ceux qui prospéraient ; puis arrivent de nouvelles misères ; et l’homme vague au hasard entre la vie qui lui manque et la raison d’où il s’écarte. » Ailleurs, c’est seulement un éclat d’images qui rappelle la forte poésie d’Horace et ses allégories si courtes et si vives : « Regarde, avait dit Archiloque51 : la mer profonde est soulevée dans ses flots.

1308. (1924) Intérieurs : Baudelaire, Fromentin, Amiel

Il n’est pas de page de Fromentin où l’on ne voie de façon continue que c’est un homme fort intelligent qui parle. […] Celui qu’a fait Taine est fort beau. […] « En France, toute toile qui n’a pas son titre et qui par conséquent ne contient pas un sujet risque fort de ne pas être comptée pour une œuvre ni conçue ni sérieuse. […] Dans les deux cas il n’y a d’œuvre forte que celle qui repose sur une vie intérieure. […] Dix volumes de voyages en Afrique et en Asie eussent fort peu ajouté à l’idée de l’Orient et à l’idée de la lumière qu’il a exprimées dans ses deux livres algériens.

1309. (1886) Le roman russe pp. -351

Tsarskoé-Sélo ne fut point un foyer de fortes études. […] Cette opinion hétérodoxe indignera les compatriotes du poète, fort susceptibles à son endroit. […] Avec Lermontof, nous rentrons au plus fort du courant romantique. […] Les plus forts, les plus grands, parviennent rarement à l’achever. […] Le malheureux Gogol comprit qu’il avait frappé trop fort.

1310. (1860) Cours familier de littérature. IX « LIIIe entretien. Littérature politique. Machiavel (2e partie) » pp. 321-414

Par la paix avec l’Autriche, il fixe ses victoires en les bornant, il annexe une partie de l’Italie, le Piémont, la Savoie, la Lombardie à la France ; il montre en lui à sa patrie fatiguée de guerres une ère de paix républicaine, un Washington de vingt-sept ans, maître de lui, plus fort de modération que d’élan, plus glorieux que sa gloire ! […] Revenus plus irrités et plus forts pour y venger leurs compatriotes massacrés, ils s’emparèrent de Nicosie, capitale de Chypre, et ils épargnèrent généreusement les femmes et les filles des Cypriotes tombées dans leurs mains. […] La maison de Savoie s’allia, comme de coutume, au plus fort : ce n’est pas la moralité, mais c’est l’habitude des petites puissances. […] La protestation, éteinte par le canon des forts occupés par les Piémontais, fut étouffée dans le sang des Génois. […] La république française, qui n’est que la loyauté nationale d’un peuple fort, mais modéré dans sa force, n’a pas deux paroles, une parole publique, une parole à demi-voix.

1311. (1864) Cours familier de littérature. XVIII « CVe entretien. Aristote. Traduction complète par M. Barthélemy Saint-Hilaire (3e partie) » pp. 193-271

Aristote trouve cette opinion fort singulière, et il signale Platon comme le seul parmi les philosophes qui l’ait adoptée. […] Sa raison de plus en plus soumise devient de plus en plus forte, et le terrain sur lequel elle s’appuie, de plus en plus inébranlable et fécond. […] Elle peut être plus puissante et plus claire dans telle conscience que dans telle autre ; mais elle est dans toutes à un degré plus ou moins fort. […] Les âmes vertueuses sont en général fort résignées. […] On ne peut pas être si longtemps le disciple d’un tel maître sans recevoir beaucoup de lui, quelque indépendant et quelque fort qu’on puisse être par soi-même.

1312. (1767) Salon de 1767 « Peintures — La Grenée » pp. 90-121

On voit à gauche un petit Mars de quinze ans dont le casque rabatu, fort à propos, dérobe la physionomie mesquine. […] Il est gras, empâté, séduisant ; mais en sortira-t-il jamais une vérité forte ? […] Approchez votre main de la toile, et vous verrez que l’imitation est aussi forte que la réalité, et qu’elle l’emporte sur elle par la beauté des formes. […] Celui-cy répondit que ce projet de tableau étoit fort beau, mais qu’il ne se sentoit pas le talent d’en faire quelque chose. […] Lorsque la peinture attaquera la poésie sur son pailler, il faudra qu’elle cède ; mais elle sera sûrement la plus forte, si la poésie s’avise de l’attaquer sur le sien.

1313. (1915) Les idées et les hommes. Deuxième série pp. -341

Nous y rencontrions, fort souvent, Monseigneur, en promenade avec son grand vicaire. […] Ils la ridiculiseraient plutôt que de l’embellir et plutôt même que de lui être fort attentifs. […] Elles vous gâtent le lecteur : ensuite, il refuse une nourriture plus forte. […] L’inspiration n’est pas très forte, chez la plupart d’entre nous. […] Avec de la cire pétrie dans ses fortes mains, il bouche les oreilles de ses compagnons.

1314. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Le prince de Ligne. — II. (Fin.) » pp. 254-272

Cela dit, prenons-le par ses bons côtés, par ses saillies qui souvent vont fort loin dans le vrai et dans le sérieux, prenons-le dans sa parfaite connaissance de la vie, du monde et des hommes. […] On était allé fort loin et fort vite dans les projets anticipés de partage entre souverains, et, du milieu de ces enchantements de Crimée, on en était déjà à se demander : « Que diable faire de Constantinople ?  […] Tout en s’ennuyant de ne rien faire, le prince de Ligne a son quartier à Iassy ; il y voit les boyards et les femmes des boyards, les belles Moldaves, les indolentes Phanariotes, les Grecques à demi asiatiques qu’il décrit avec leur grâce, leur nonchaloir et leurs danses : « On se fait des mines, on se sépare presque, on se retient, on s’approche, je ne sais comment ; on se regarde, on s’entend, on se devine, on a l’air de s’aimer… Cette danse-là me paraît fort raisonnable. » On y voit les jolies femmes de Iassy recevant le ton de Constantinople et préoccupées de l’idéal de beauté turque, qui consiste à être grasse et à avoir du ventre.

1315. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Massillon. — I. » pp. 1-19

Joubert) a dit de lui : « Le plan des Sermons de Massillon est mesquin, mais les bas-reliefs en sont superbes. » Je sais de plus que les hommes du métier, et qui ont fait une étude approfondie de ces orateurs de la chaire, mettent Bourdaloue fort au-dessus de Massillon pour l’ordonnance et pour le dessin des ensembles. Toutefois j’avoue que les plans de ces Sermons de Massillon ne me paraissent point particulièrement mesquins, ils sont fort simples, et en ces matières c’est peut-être ce qui convient le mieux : le mérite principal et le plus touchant consiste dans l’abondance du développement qui fertilise. […] Louis XIV, qui avait des mots si justes quoique trop rares, disait à Massillon un jour, au sortir d’un de ses sermons : « Mon père, j’ai entendu plusieurs grands orateurs, j’en ai été fort content ; pour vous, toutes les fois que je vous ai entendu, j’ai été très mécontent de moi-même. » On a cité des exemples de conversions soudaines opérées par l’éloquence de Massillon. […] Massillon avait dans le talent une puissance d’onction plus forte, si je puis dire, que son caractère.

1316. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Nouvelles lettres de Madame, mère du Régent, traduites par M. G. Brunet. — II. (Fin.) » pp. 62-79

» Tout le monde se mit si fort à rire qu’il fallut qu’il s’en allât. […] Au milieu de cette grande cour, je me suis retirée comme dans une solitude, et il y a fort peu de gens avec lesquels j’aie de fréquents rapports ; je suis de longues journées entières toute seule dans mon cabinet, où je m’occupe à lire et à écrire. […] Cependant « Le Malade imaginaire n’est pas celle des comédies de Molière que j’aime le mieux, disait-elle ; Tartuffe me plaît davantage. » Et dans une autre lettre : « Je ne puis vous écrire plus long, car on m’appelle pour aller à la Comédie ; je vais voir Le Misanthrope, celle des pièces de Molière qui me fait le plus de plaisir. » Elle admirait Corneille, elle cite La Mort de Pompée ; je ne sais si elle goûta Esther : elle aurait aimé Shakespeare : « J’ai souvent entendu Son Altesse notre père, écrivait-elle à sa demi-sœur, dire qu’il n’y avait pas au monde de plus belles comédies que celles des Anglais. » Après la mort de Monsieur et durant les dernières années de Louis XIV, elle avait adopté un genre de vie tout à fait exact et retiré : « Je suis ici fort délaissée (5 mai 1709), car tous, jeunes et vieux, courent après la faveur ; la Maintenon ne peut me souffrir ; la duchesse de Bourgogne n’aime que ce que cette dame aime. » Elle s’était donc faite absolument ermite au milieu de la Cour : Je ne fraye avec personne si ce n’est avec mes gens ; je suis aussi polie que je peux avec tout le monde, mais je ne contracte avec personne des liaisons particulières, et je vis seule ; je me promène, je vais en voiture ; mais depuis deux heures jusqu’à neuf et demie, je ne vois plus figure humaine ; je lis, j’écris, ou je m’amuse à faire des paniers comme celui que j’ai envoyé à ma tante. […] Bref, elle aimait fort ce jeune homme, qu’elle appelait son abbé de Saint-Albin, qui fut depuis archevêque de Cambrai, et lorsqu’il soutint sa thèse en Sorbonne (février 1718), elle y voulut assister en grande cérémonie, déclarant ainsi à la fois et honorant la naissance illégitime de cet enfant.

1317. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Léopold Robert. Sa Vie, ses Œuvres et sa Correspondance, par M. F. Feuillet de Conches. — I. » pp. 409-426

Il nous en est resté une si forte impression qu’entre nous-mêmes nous n’avons jamais eu un compte en litige, et nous n’en avons jamais. […] Je vous avouerai, cher ami, qu’en faisant ces observations, je ne pouvais m’empêcher de trouver l’immortel Raphaël bien au-dessous de la nature, et il me semble qu’avec son sentiment sublime, il aurait frappé bien plus fort s’il eût donné à tous ses sujets juifs tout le caractère que la nature offre. […] Raphaël a pour loi et pour règle secrète un caractère suprême d’unité et d’adorable fusion ; il tient moins, en un mot, à frapper fort qu’à toucher divinement. […] Marcotte, et l’assurant que son amitié et les tendres preuves continuelles qu’il en recevait étaient pour lui le plus puissant des motifs, il disait : Tous les avantages que les autres recherchent, je les comprends, mais ils ne sont pas capables d’agir sur moi, ils ne sont pas un stimulant assez fort ; il me faut une autre chose que vous avez trouvée : c’est votre affection, cette amitié qui m’émeut et qui me fera continuer ma carrière avec la même persévérance et le même désir.

1318. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « Santeul ou de la poésie latine sous Louis XIV, par M. Montalant-Bougleux, 1 vol. in-12. Paris, 1855. — I » pp. 20-38

Santeul, le poète latin si fier de ses vers, si heureux de les réciter en tous lieux ou de les entendre de la bouche des autres, et qui aimait encore mieux qu’on dît du mal de lui que si l’on n’en avait rien dit du tout ; Santeul, qui dans une de ses plus grosses querelles écrivait à l’abbé Faydit, qui l’avait attaqué sur son épitaphe d’Arnauld : Je fais le fâché par politique, mais je vous suis redevable de ma gloire ; vous êtes cause qu’on parle de moi partout, et presque autant que du prince d’Orange ; vous avez rendu mes vers de l’épitaphe de mon ami plus fameux que l’omousion du concile de Nicée ; ceux des autres poètes sur le même sujet sont demeurés ensevelis avec le mort, faute d’avoir eu comme moi un Homère pour les prôner et les faire valoir ; — Santeul, qui était si fort de cette nature de poète et d’enfant qui tire vanité de tout, serait presque satisfait en ce moment. […] Il fut très remarqué de ce dernier, qui l’encouragea fort, admira ses premiers essais de vers latins (la pièce sur la Bulle de savon), et lui donna, à travers ses louanges, toutes sortes de conseils qu’il ne suivit qu’à demi. […] Six forts chevaux tiraient un coche. […] » Or, cette prière qui est, je l’ose dire, plus forte et plus pénitente que Santeul, et qui a trouvé grâce auprès de ceux mêmes qui ont parlé de lui le moins favorablement, c’est M. 

1319. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « Œuvres inédites de P. de Ronsard, recueillies et publiées par M. Prosper Blanchemain, 1 vol. petit in-8°, Paris, Auguste Aubry, 1856. Étude sur Ronsard, considéré comme imitateur d’Homère et de Pindare, par M. Eugène Gandar, ancien membre de l’École française d’Athènes, 1 vol. in-8°, Metz, 1854. — I » pp. 57-75

Ce qui était bien certain pour ceux qui tentaient la pratique de l’art en vers, et surtout dans l’ordre lyrique, c’est que les dernières sources trop fréquentées du xviiie  siècle, sources de tout temps mélangées et fort minces, étaient taries et épuisées, et qu’il fallait se retremper ailleurs, non pas tant pour les sentiments (on les avait en soi) que pour l’expression, pour la couleur, pour le style. […] Mais le style de la poésie lyrique était fort déchu ; il était entravé et gêné de toutes parts, jeté à froid dans des moules usés ; les heureuses tentatives de quelques jeunes poètes tendaient à le restaurer, à l’étendre, et à ceux qui s’en étonnaient et s’en irritaient comme d’une innovation inouïe, je rappelais qu’on l’avait déjà essayé et sans tant de maladresse et de malheur qu’on l’avait bien voulu dire. […] Rempli de la poésie des anciens et particulièrement des Grecs, la goûtant dans ses hardiesses les plus harmonieuses et les plus naturelles Fénelon savait tout le faible de la poésie moderne et de la nôtre en particulier ; il l’a indiqué encore en d’autres endroits de cette lettre, et on n’a jamais dit à une Académie accoutumée à se célébrer elle-même, ainsi que sa propre langue, des vérités plus fortes d’une manière plus douce. […] Car il eut le tort d’y vouloir répondre, et en vers latins, ce qui n’était pas son fort.

1320. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Correspondance de Lammenais » pp. 22-43

Les conversions, les versatilités éclatantes de Lamennais et de quelques autres personnages célèbres, ont fort étonné de nos jours ; mais il ne faut pas croire que notre siècle ait eu le privilège de ces singuliers spectacles. […] On a fort discuté pour savoir si Lamennais, à un moment de sa jeunesse, et avant d’entrer dans l’état ecclésiastique, avait cessé entièrement de croire. […] Dans une lettre à Mme de Senfft, au plus fort des luttes (19 décembre 1827) : « Je prends un plaisir extrême à voir cette vie passer comme l’oiseau qu’on entrevoit à peine, et qui ne laisse point de trace dans les airs. […] Il a, dans tous les cas, de bien grandes et fortes paroles sur le silence dont là-bas on l’accueille, sur le sentiment de cette immobilité invincible, de ce peu de réponse et d’écho, de cette neutralité si prolongée qui était sans doute une sagesse relative, mais qui différait tant de la grande sagesse et de la haute politique d’autrefois : « Combien de temps Dieu permettra-t-il encore qu’on se taise là ?

1321. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Correspondance de Béranger, recueillie par M. Paul Boiteau. »

Ernest Renan, dans le Journal des Débats (17 décembre 1859), en s’en prenant à Béranger, dont il déclara n’avoir lu les chansons que fort tard et comme document historique, faisait le procès à l’esprit français lui-même, et s’attaquait à un coin radical de cet esprit, la goguette, la gaudriole, la malice narquoise et gauloise, se glissant en tout sujet et se gaussant des choses les plus graves. […] Cette part de sa vie était donc fort gaie, d’une gaîté naturelle et saine, sans orgie et sans débauche. […] L’homme de lettres, s’il avait été un moment primé par l’homme de passion et de combat, se réveilla alors en lui avec toutes ses inquiétudes, et il essaya de donner un dernier témoignage de soi, de ses idées et de son talent dans une production suprême ; il y réussit en 1833 par quelques pièces fort belles du Recueil qu’il publia, et qui, moins populaire que les précédents, eut un succès poétique et littéraire. […] Béranger l’arrête à temps, lui prêche la patience ; il en avait le droit, car il pouvait lui dire ce qu’il redira à d’autres : « A quarante-deux ans, je n’avais pas de feu dans mon taudis, même au plus fort de l’hiver.

1322. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Connaissait-on mieux la nature humaine au XVIIe siècle après la Fronde qu’au XVIIIe avant et après 89 ? »

Il y eut en effet au xviie  siècle une génération puissante et forte, et en quelque sorte privilégiée : c’est celle qui ayant vu la fin du régime de Richelieu, de ce despotisme patriotique qu’on détesta de près sans le comprendre, se trouva jeune encore pour jouir de la régence d’Anne d’Autriche, et qui ensuite assista ou prit part à la Fronde : elle put avoir elle-même ses illusions, elle fit ses fautes, elle commit bien des actes odieux ou ridicules ; elle les vit passer du moins et les toléra ou y trempa ; mais elle y gagna de l’expérience, et, quand l’autorité de Louis XIV fut venue enfin tout pacifier et tout niveler, elle conserva quelque temps sous ce règne égal et superbe un vif ressouvenir du passé, qui lui permit de faire tout bas des comparaisons et des réflexions dont les écrits, indirectement, profitèrent. […] Weiss que Vauvenargues soit si fort au-dessous de La Bruyère et de La Rochefoucauld. […] La Révolution était trop forte pour permettre des observateurs et des curieux ; on était vainqueur ou vaincu, bourreau ou victime. […] La Fronde, à ce point de vue, a été une espèce d’école de morale très suffisante, très complète et pas trop forte.

1323. (1865) Nouveaux lundis. Tome III « Le Mystère du Siège d’Orléans ou Jeanne d’Arc, et à ce propos de l’ancien théâtre français (suite.) »

Il me semble, dès à présent, que quelque chose ici fera défaut, ne fut-ce que la langue ; il serait fort singulier, on en conviendra, qu’un chef-d’œuvre commençât de la sorte. Décidément les érudits se sont fort monté la tête sur ce drame non publié. […] Cet endroit, qui est en partie de l’arrangeur Jean Michel, nous est cependant signalé comme une addition et une variation bucolique fort heureuse. […] Au tome I, page XL de l’ouvrage, d’ailleurs fort louable, intitulé : Toiles peintes et Tapisseries de la ville de Reims, ou la mise en scène du Théâtre des Confrères de la Passion ; 2 vol. in-4°, 1843.

1324. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Seconde partie. De l’état actuel des lumières en France, et de leurs progrès futurs — Chapitre II. Du goût, de l’urbanité des mœurs, et de leur influence littéraire et politique » pp. 414-442

Le peuple se moque du peuple tant qu’il n’a point reçu l’éducation de la liberté, et l’on n’aurait fait que se rendre ridicule en France si, même avec des idées fortes, on eût voulu s’affranchir du ton qui était dicté par l’ascendant de la première classe. […] Ces esprits forts d’un nouveau genre se vantent de leur honte, et se croient d’autant plus spirituels, qu’ils ont excité plus d’étonnement autour d’eux. […] La république développant nécessairement des passions plus fortes, l’art de peindre doit s’accroître en même temps que les sujets s’agrandissent ; mais par un bizarre contraste, c’est surtout dans le genre licencieux et frivole qu’on a voulu profiter de la liberté que l’on croyait avoir acquise en littérature. […] D’ailleurs il faut, pour réussir dans ce genre dangereux, qui réunit la grâce des formes à la dépravation des sentiments, une finesse d’esprit extraordinaire ; et l’exercice un peu fort de ses facultés auquel on est appelé dans une république, fait perdre cette finesse.

1325. (1895) Histoire de la littérature française « Sixième partie. Époque contemporaine — Livre III. Le naturalisme, 1850-1890 — Chapitre VI. Science, histoire, mémoires »

Pour la métaphysique et la psychologie, un homme qui reste amateur en philosophie choisira, parmi la multitude des essais historiques, dogmatiques ou critiques, les forts écrits de M.  […] Mais l’esprit dominant ne portait pas à l’abstraction ; la science expérimentale, le naturalisme littéraire maintinrent dans l’histoire le goût de la réalité concrète et le sens de la vie : d’autant que le développement des sciences auxiliaires, diplomatique, épigraphie, archéologie, faisait sans cesse jaillir une multitude de faits précis, individuels, sensibles, qui menaçaient même d’inonder l’histoire et de noyer toutes les idées ; ces matériaux, du moins, facilitaient la restitution intégrale de la vie et donnaient aux plus forts esprits la tentation de l’essayer. […] Mais enfin je ne sais rien de plus pénétrant et de plus fort que les études de Fustel sur les institutions d’Athènes, de Sparte, de Rome, sur la monarchie franque et la transformation de la société gallo-romaine en féodalité française. […] Mais on lui fait injustice de ne vouloir souvent voir en lui qu’un incomparable amuseur, un dilettante prestigieux, et comme le plus fort acrobate de l’esprit qui ait existé.

1326. (1854) Histoire de la littérature française. Tome I « Livre I — Chapitre quatrième »

La foi du théologien transporte saint Bernard si loin et si au-dessus de la vie, qu’il néglige ces indications si lumineuses ; et quand il se rencontre dans les livres saints quelques fortes peintures ou des récits attachants de la vie, il les tourne à la figure, comme pour mettre une ombre mystique entre la réalité et lui. […] On est lié au Rédempteur par la corde, quand, sous le trouble d’une forte sensation, on ne cesse pas néanmoins d’avoir en vue son honneur et la mémoire de la promesse. […] Ce sont des souvenirs du passé, presque toujours plus forts que les esprits qui s’en inspirent ou s’en autorisent. […] Mais pour les idées générales de l’ordre littéraire, pour celles qui seules développent les langues, je crois que les grands clercs de cette époque en ont fort peu fourni.

1327. (1889) Le théâtre contemporain. Émile Augier, Alexandre Dumas fils « Alexandre Dumas fils — Chapitre XIII »

Quoi qu’il en soit, Lebonnard, qui a écouté, de son air narquois, cette palinodie, approuve fort M. de Cygneroi d’enterrer si lestement son amour défunt. […] Que l’amour, plus fort que la mort, soit aussi plus fort que le mépris, ce phénomène humiliant est prouvé par d’innombrables exemples. […] un drame lancé d’une main si forte et si sûre, et qui s’abat sur lui-même, en touchant le but !

1328. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Lettres inédites de l’abbé de Chaulieu, précédées d’une notice par M. le marquis de Bérenger. (1850.) » pp. 453-472

Saint-Simon, qui conteste la noblesse de tout le monde, a contesté celle de Chaulieu : il l’a qualifié « homme de fort peu, mais de beaucoup d’esprit, de quelques lettres, et de force audace ». […] Chaulieu put s’apercevoir, dès lors, de ce que valent, au fond, les protections et les promesses de cour : Tout le monde, écrit-il à sa belle-sœur, va à son intérêt, sans songer à ceux des autres ; et les services et les bienfaits ne sont, ma belle dame, que de fort méchants titres pour obliger les gens à faire quelque chose qui choque, de fort loin seulement, le moindre de leurs desseins. […] Ceux qui, à en juger par une lecture légère, croiraient Chaulieu un petit poète abbé, musqué et mythologique, se tromperaient fort : c’était une nature brillante et riche, un génie aisé et négligé, tel que Voltaire nous l’a si bien montré dans Le Temple du goût.

1329. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Pline le Naturaliste. Histoire naturelle, traduite par M. E. Littré. » pp. 44-62

J’ai là sur mon bureau des livres qui sont fort dignes qu’on s’en occupe et qu’on les recommande aux lecteurs studieux : et, par exemple, un Essai sur l’histoire de la critique chez les Grecs, dans lequel M.  […] Littré ne me paraît pas avoir assez dégagé peut-être la nature de l’esprit de Pline, esprit qui est tout voisin du nôtre, qui est à bien des égards notre contemporain, tandis que celui du bon chapelain de saint Louis aurait fort à faire pour le devenir2. […] Ce que je tiens à marquer, c’est que des pensées comme celles que j’indique, et rendues avec une si forte expression, suffisent à classer un esprit, quoi qu’il puisse dire ensuite et avoir l’air d’accueillir ou de croire. […] Ce xviiie  siècle des anciens a commencé de très bonne heure et a duré fort longtemps, et Pline, si l’on va au fond, en était.

1330. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Lettres inédites de la duchesse de Bourgogne, précédées d’une notice sur sa vie. (1850.) » pp. 85-102

Elle a la meilleure grâce et la plus belle taille que j’aie jamais vue, habillée à peindre et coiffée de même ; des yeux très vifs et très beaux, des paupières noires et admirables, le teint fort uni, blanc et rouge, comme on peut le désirer ; les plus beaux cheveux blonds que l’on puisse voir, et en grande quantité. Elle est maigre, comme il convient à son âge ; sa bouche fort vermeille, les lèvres grosses, les dents blanches, longues et mal rangées ; les mains bien faites, mais de la couleur de son âge. […] Mme la duchesse de Bourgogne m’a dit qu’elle ne réussirait pas, que c’était une pièce fort froide, que Racine s’en était repenti, que j’étais la seule qui l’estimait, et mille autres choses qui m’ont fait pénétrer, par la connaissance que j’ai de cette cour-là, que son personnage lui déplaît. […] La Fare, dans ses mémoires écrits vers 1699, a très bien remarqué que depuis la mort de Madame Henriette, duchesse d’Orléans (1670), le goût des choses de l’esprit avait fort baissé dans cette cour brillante de Louis XIV : « Il est certain, dit-il, qu’en perdant cette princesse, la Cour perdait la seule personne de son rang qui était capable d’aimer et de distinguer le mérite ; et ce n’a été, depuis sa mort, que jeu, confusion et impolitesse. » Voltaire, qui voit le siècle de Louis XIV à travers le prisme de son enfance, se récrie contre une telle assertion.

1331. (1912) Le vers libre pp. 5-41

(Conférence donnée à la Maison des Étudiants) Messieurs les Étudiants, C’est avec plaisir que je viens au milieu de vous, avec joie que je vous entretiendrai d’un sujet qui me tient fort à cœur : le vers libre. […] Qu’on veuille bien remarquer que, sauf le cas d’élision, cet élément, l’e muet, ne disparaît jamais même à la fin du vers ; on l’entend fort peu, mais on l’entend. […] En tout cas, ne nous dissimulons pas qu’elle serait fort difficile à faire, car les cas de rythmique, choisis déjà dans la langue par les vers-libristes, sont nombreux, il en est de ténus, de délicats, il en est d’éphémères. […] Dès les premiers jours, forts de la vérité de l’instinct lyrique, nous avons dit que les travaux de laboratoire donneraient raison à nos théories, et l’on ne peut que savoir gré à Robert de Souza de son application à en essayer la laborieuse confirmation.

1332. (1912) L’art de lire « Chapitre VIII. Les ennemis de la lecture »

Que de lecteurs ayant compris que Flaubert se moque d’Homais se sont dit : « Se railler d’un homme parce qu’il est anticlérical, ce n’est pas très fort ; après tout, moi je le suis et je ne suis pas si ridicule. […] Et si l’auteur doit l’être lui-même, ce que Nietzsche lui-même avoue, n’est-il pas vrai à plus forte raison qu’il faut que le lecteur le soit pour son plus grand plaisir, qui est l’admiration intelligente, l’admiration consciente, l’admiration qui sait pourquoi elle admire ? […] En dehors même de cette impatience des supériorités dont j’ai parlé plus haut, l’instinct de taquinerie est une des formes de l’instinct querelleur, qui est extrêmement fort dans l’humanité. […] Encore l’on sait fort bien que les esprits « forts » et les esprits « délicats » ne rient pas plus qu’ils ne pleurent et, quand il y a matière à hilarité, se contentent de sourire, rire à gorge déployée n’étant pas beaucoup moins que pleurer signe que l’on est conquis et en possession de l’auteur.

1333. (1868) Les philosophes classiques du XIXe siècle en France « Chapitre IX : M. Jouffroy écrivain »

Le coup avait été si fort, que le contrecoup lointain l’emporta jusque dans la poésie ; son récit fut un drame, presque lyrique ; son style sévère et contenu s’épancha tout d’un coup en images passionnées et pressées. […] En vain je m’attachais à ces croyances dernières comme un naufragé aux débris de son navire ; en vain, épouvanté du vide inconnu dans lequel j’allais flotter, je me rejetais pour la dernière fois avec elles vers mon enfance, ma famille, mon pays, tout ce qui m’était cher et sacré ; l’inflexible courant de ma pensée était plus fort : parents, famille, souvenirs, croyances, il m’obligeait à tout laisser ; l’examen se poursuivait, plus obstiné et plus sévère à mesure qu’il approchait du terme, et il ne s’arrêta que quand il l’eut atteint. […] La révolution qu’il avait soufferte subsistait en lui par des retentissements si forts qu’il y voyait l’explication de tout le présent et la prédiction de tout l’avenir55. […] Les réfutations, principalement, sont admirables ; il est impossible de mieux posséder son sujet, de pénétrer plus complètement le fort et le faible des systèmes, de mettre plus exactement et plus visiblement le doigt sur l’origine des sophismes, de démêler et de corriger plus sûrement les déviations par lesquelles une doctrine vraie fléchit et va se perdre dans l’erreur.

1334. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre IV. L’âge moderne. — Chapitre II. Lord Byron. » pp. 334-423

L’Angleterre était au fort de sa guerre avec la France, et croyait combattre pour la morale et la liberté. […] Je ne ferai point défaut, quoique je ne les croie pas assez forts de nombre et de cœur pour faire grand’chose ; mais en avant ! […] La preuve en est qu’à cet âge-là j’étais obligé de jouer ou de boire, ou d’avoir une excitation quelconque, sans quoi j’étais misérable… À présent, ce qui m’envahit le plus, c’est l’inertie, et une sorte d’écœurement plus fort que l’indifférence. […] Sa plus forte action est de séduire une grisette et d’aller danser la nuit en mauvaise compagnie, deux exploits que tous les étudiants ont accomplis. […] Trop fort et partant effréné, voilà le mot qui à son endroit revient toujours : trop fort contre autrui et contre lui-même, et tellement effréné qu’après avoir employé sa vie à braver le monde et sa poésie à peindre la révolte, il ne trouve l’achèvement de son talent et le contentement de son cœur que dans un poëme armé contre toutes les conventions humaines et contre toutes les conventions poétiques.

1335. (1930) Physiologie de la critique pp. 7-243

De fort bons esprits affirment que ce serait plutôt le contraire. […] Et la forte critique, la valeur maîtresse, c’est une critique à cran d’arrêt. […] En journalisme « il ne s’agit que de frapper fort. […] Or savoir et voir sont deux opérations fort distinctes. […] Et à ces deux divisions classiques s’en ajoutent bien d’autres fort compliquées.

1336. (1898) Essai sur Goethe

L’on y chercherait en vain quelque trait de sentiment fort, de passion profonde. […] Il y eut une épidémie de suicides : en 1778, une jeune fille se jeta dans l’Inn, accident dont Goethe se montra fort ému. […] On ne saurait méconnaître que cette image est fort belle. […] Une telle situation à la longue doit énerver l’homme le plus fort. […] Ses lettres à Schiller montrent qu’il estimait fort Les Entretiens.

1337. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Lettre sur l’orthographe » pp. 427-431

Je n’ai ni la plume ni le fonds de Charles Nodier ; je suis fort peu grammairien, et, de plus, je sens qu’un disciple de Franklin, de cet ingénieux utilitaire, trouverait mieux que moi ce qui est à dire sur l’épargne du temps, sur la simplification des moyens, sur la mise de toutes choses en petite monnaie à l’usage de tous. […] Duclos, le philosophe cynique, soutenait un jour qu’on pouvait se permettre bien plus de libertés en paroles devant les honnêtes femmes que devant celles qui ne le sont pas ; il était alors entre deux femmes de la Cour, et il se mit à leur faire un conte si fort et si salé que l’une d’elles s’écria : « Ah !

1338. (1862) Portraits littéraires. Tome II (nouv. éd.) « Appendice à l’article sur Gabriel Naudé »

. — Le 19 mai, un samedi après midi, ai visité aux Jacobins réformés du faubourg Saint-Honoré un Père italien, réputé fort savant homme, nommé Campanella, avec lequel j’ai parlé de disputes plus de deux heures. […] Voici une de ces remarques qui porte sur l’ensemble de mon œuvre critique : « J’ai beaucoup écrit, on écrira sur moi, on fera ma biographie, et les critiques chercheront à se rendre compte de mes ouvrages fort différents ; je veux leur épargner une partie de la peine et leur abréger la besogne, en expliquant ma vie littéraire telle que je l’ai entendue et pratiquée.

1339. (1874) Premiers lundis. Tome I « Anacréon : Odes, traduites en vers française avec le texte en regard, par H. Veisser-Descombres »

Muses, déesses des chansons, Quand il faudroit quatre rançons, Pour mon enfant je les apporte ; Délivrez mon fils prisonnier. » Mais les Muses l’ont fait lier D’une chaîne encore plus forte. […] Ce n’était pas le talent qui lui manquait, car Belleau a fait d’ailleurs de fort jolies choses.

1340. (1835) Mémoire pour servir à l’histoire de la société polie en France « Chapitre XXXIV » pp. 394-401

L’on qui suit regarde le roi : « On (le roi) joue fort gaîment, quoique la belle garde sa chambre. » Le 30 septembre, madame de Sévigné écrit à sa fille : « Tout le monde croit que l’ami (le roi) n’a plus d’amour, et que Quanto (madame de Montespan) est embarrassée entre les conséquences qui suivraient le retour des faveurs, et le danger de n’en plus faire, crainte qu’on n’en cherche ailleurs. […] Et cependant madame de Maintenon n’était point heureuse : on devinera aisément pourquoi, en lisant ce qu’elle écrivait à son frère après un nouveau séjour à Maintenon, « Maintenon, dit-elle, est fort embelli ; en entrant dans la galerie, la première chose que j’ai vue, c’est le portrait du maréchal d’Albret : j’ai pleuré.

1341. (1781) Les trois siecles de la littérature françoise, ou tableau de l’esprit de nos écrivains depuis François I, jusqu’en 1781. Tome II « Les trois siècles de la littérature françoise. — D. — article » pp. 169-178

Ce n’est pas qu’on ne trouve dans ses Ouvrages des étincelles de lumieres, des maximes fortes, des traits hardis, des morceaux pleins de force & de vigueur ; mais ces découvertes ne se font que par intervalles, & souvent les intervalles sont très-longs. […] Je ne crois pas, disoit un Académicien du dernier siecle, que ceux qui sont si inintelligibles, soient fort intelligens.

1342. (1899) Esthétique de la langue française « Esthétique de la langue française — Chapitre IV »

Cette abréviation, plus laide encore que le mot complet, est fort usitée ; kilo et kilomètre sont même à peu près les deux seuls termes usuels que le système métrique ait réussi à introduire dans la langue, puisque litre sous cette forme et sous celle de litron existait déjà en français44. […] Le nom de jet-d’eau donné à une sorte de rabot est fort joli par l’image évoquée des copeaux qui surgissent au-dessus du contre-fer ; il semble nouveau dans cette signification47, mais la langue des métiers toujours vivante et si inconnue est en perpétuelle transformation.

1343. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Le maréchal de Villars — II » pp. 57-80

On les vendit, l’un portant l’autre, à Ulm, cent cinquante livres : par conséquent, le gain sur les chevaux défraya le reste du voyage. » Le roi loua fort le bon esprit et le bon ordre de Viliars… Aussi n’est-ce point d’avoir raconté au roi la chose, qu’on peut blâmer Villars ; il répondait par là d’avance à plus d’une accusation, et montrait que, sous son faste et son apparente profusion, il savait calculer juste. […] Villars paraît s’être acquitté fort convenablement de sa mission délicate d’ambassadeur auprès d’une cour naturellement très mécontente de Louis XIV et très alarmée de l’ambition qu’il témoignait à l’égard de la succession d’Espagne ; il sut y soutenir avec fierté et hauteur la dignité du roi son maître, amuser et contenir les ministres de Léopold, et suspendre, arrêter à temps la prise de possession provisoire, par les armées impériales, des états espagnols en Italie, tandis que le roi d’Espagne vivait encore et dans un moment où il s’y prêtait. […] Si vous vous trouvez à portée de faire quelque entreprise, n’appréhendez point que je vous rende garant du succès ; je prends sur moi tous les événements, et vous donne un plein pouvoir d’attaquer les ennemis et de les combattre forts ou faibles, lorsque vous les trouverez, en cas que vous le jugiez à propos ; tout ce que j’appréhende, c’est que vous ne vous retiriez en les laissant maîtres de l’Alsace et de la Sarre. […] Il eut peine à le croire, et poussa plus d’une demi-lieue, et trouva qu’il était vrai. — On trouva fort ridicule l’envoi du comte d’Ayen pour apporter les drapeaux pris, et qu’il en eût accepté la commission, ne s’étant pas trouvé du tout à la bataille. […] Il allait avoir fort à faire encore malgré sa victoire ; l’électeur de Bavière n’était pas à portée pour qu’on pût songer à le joindre, et il fallait ajourner l’exécution de ce principal dessein.

1344. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Lamennais — L'abbé de Lamennais en 1832 »

Qu’ils sont rares ceux qui, dans l’ordre de la pensée, se fixent à temps et adhèrent sans réserve à la vérité reconnue par eux perpétuelle, universelle et sainte ; qui, non contents de la reconnaître, s’y emploient tout entiers, y versent leurs facultés, leurs dons naturels : riches leur or, pauvres leur denier, passionnés leurs passions ; orgueilleux s’y prosternent, voluptueux s’y sèvrent, nonchalants s’y aiguillonnent, artistes s’y disciplinent et s’y oublient ; qui deviennent ici-bas une volonté humble et forte, croyante et active, aussi libre qu’il est possible dans nos entraves, une volonté animant de son unité souveraine la doctrine, les affections et les mœurs ; véritables hommes selon l’esprit ; sublimes et encourageants modèles ! […] Il n’en fut donc pas le seul, l’essentiel auteur, et on peut expliquer ainsi, s’il en est besoin, l’espèce de contradiction, d’ailleurs fort légère, qu’on s’est plu à faire remarquer entre certaines opinions énoncées par lui dans la suite, et un ou deux passages du discours préliminaire de ce livre. […] J’ai bien peur que l’heureuse révolution ne se borne à l’échange d’un despotisme fort contre un despotisme faible. […] Nous avons été assez favorisé pour entendre, durant plusieurs jours de suite, les premiers développements de cette forte recherche : ce n’était pas à La Chênaie, mais plus récemment à Juilly, dans une de ces anciennes chambres d’oratoriens où bien des hôtes s’étaient assis sans doute depuis Malebranche jusqu’à Fouché : je ne me souvenais que de Malebranche. […] Nulle ressource, même pour le fort, n’est de trop en de tels moments ; ce qu’il y a de plus haut et ce qu’il y a de plus humble : composer la Théodicée et lire son bréviaire. — M. de La Mennais n’a rien écrit en fait de pure imagination ou de poésie que de petits fragments, des espèces d’Hymnes ou de Proses, qui sommeillent dans ses papiers.

1345. (1875) Premiers lundis. Tome III «  À propos, des. Bibliothèques populaires  »

Nous avons fort reculé, monsieur le Président, sur le Sénat du premier Empire, qui comptait parmi ses membres La Place, La Grange, Sieyès, Volney, Cabanis, Tracy… Ne serait-il donc plus permis d’être de la religion philosophique de ces hommes ? […] M. le rapporteur, après quelques considérations générales sur l’instruction des classes laborieuses et sur l’institution des bibliothèques populaires, disait : « Au lieu de vous donner un exposé des faits, nous abrégerons en vous lisant la pétition : elle est courte et rédigée en termes si modérés et si convenables que vous aurez désiré la connaître. » Or, cette pétition, dont il donna lecture, contenait une liste d’auteurs et d’ouvrages forts mélangés, tous également présentés comme répréhensibles. […] Nous vivons à une époque fort mêlée en tout genre, où les opinions les plus sincères peuvent être diamétralement opposées sur les questions les plus importantes ; où le vrai, dans tout ce qui n’est pas matière de science, se distingue malaisément du faux, et où, même en se bornant à ce qui est de l’utilité politique, on peut hésiter entre différentes voies et différents moyens. Que l’on vienne, dans une bibliothèque populaire, distribuer à des lecteurs inexpérimentés des aliments ou malsains, ou trop forts et d’une digestion intellectuelle difficile, ce n’est pas, vous le sentez bien, ce que je m’efforcerai de justifier ; mais ce qui me paraît d’autre part excessif, injustifiable, c’est qu’on prenne occasion de ce qui peut être un fait controversable ou blâmable, pour venir afficher une sorte de jugement public et officiel d’ouvrages et de noms livrés à la dispute des hommes, établir contre eux une sorte de sentence définitive et sans appel, les frapper d’une note odieuse de censure, et instituer dans notre libre France une sorte d’index des livres condamnés, comme à Rome. […]  » (Suétone, Vesp., IX.) — « Il ne faut point dire de parole mal sonnante à un sénateur ; mais s’il en dit une lui-même, il est permis de lui bien répliquer. » Or, c’était à l’occasion du démêlé d’un chevalier avec un sénateur que Vespasien rendait cet arrêt : à plus forte raison est-ce vrai de sénateur à sénateur.

1346. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre cinquième. Le peuple. — Chapitre I »

Ainsi, pour le premier quart du siècle qui précède la Révolution, la peinture, bien loin d’être trop forte, est trop faible, et l’on va voir que pendant un demi-siècle et davantage, jusqu’à la mort de Louis XV, elle demeure exacte ; peut-être même, au lieu de l’atténuer, faudrait-il la charger. […] J’ai plusieurs de mes paroisses où l’on doit trois années de taille ; mais, ce qui va toujours son train, ce sont les contraintes… Les receveurs des tailles et du fisc font chaque année des frais pour la moitié en sus des impositions… Un élu est venu dans le village où est ma maison de campagne, et a dit que cette paroisse devait être fort augmentée à la taille de cette année, qu’il y avait remarqué les paysans plus gras qu’ailleurs, qu’il avait vu sur le pas des portes des plumages de volaille, qu’on y faisait donc bonne chère, qu’on y était bien, etc  Voilà ce qui décourage le paysan, voilà ce qui cause le malheur du royaume. » — « Dans la campagne où je suis, j’entends dire que le mariage et la peuplade y périssent absolument de tous côtés. […] Une femme avec deux enfants au maillot, « sans lait, sans un pouce de terre », à qui l’on a tué ainsi deux chèvres, son unique ressource, une autre à qui l’on a tué sa chèvre unique et qui est à l’aumône avec son fils, viennent pleurer à la porte du château ; l’une reçoit douze livres, l’autre est admise comme servante, et désormais « ce village donne de grands coups de chapeau, avec une physionomie bien riante »  En effet, ils ne sont pas habitués aux bienfaits ; pâtir et le lot de tout ce pauvre monde. « Ils croient inévitable, comme la pluie et la grêle, la nécessité d’être opprimés par le plus fort, le plus riche, le plus accrédité, et c’est ce qui leur imprime, s’il est permis de parler ainsi, un caractère de souffre-douleur. » En Auvergne, pays féodal, tout couvert de grands domaines ecclésiastiques et seigneuriaux, la misère est égale. […] Mais en pratique, par nécessité et routine, on le traite, selon le précepte du cardinal de Richelieu, comme une bête de somme à qui l’on mesure l’avoine, de peur qu’il ne soit trop fort et regimbe, « comme un mulet qui, étant accoutumé à la charge, se gâte plus par un long repos que par le travail ». […] (Il ne s’agit ici que des pays d’élection ; mais, dans les pays d’états, l’augmentation n’est pas moins forte.) — Archives nationales, H2, 1610 (paroisse du Bourget, en Anjou).

1347. (1895) Histoire de la littérature française « Troisième partie. Le seizième siècle — Livre IV. Guerres civiles conflits d’idées et de passions (1562-1594) — Chapitre III. Montaigne »

« Cette farcissure est un peu hors de mon thème, disait-il joliment un jour qu’il avait fait un écart un peu fort : je m’égare, mais plutôt par licence que par mégarde ; mes fantaisies se suivent, mais parfois c’est de loin, et se regardent, mais d’une vue oblique… J’aime l’allure poétique, à sauts et à gambades… Mon esprit et mon style vont vagabondant de même230… Je n’ai point d’autre sergent de bande à ranger mes pièces que la fortune : à mesure que mes rêveries se présentent, je les entasse ; tantôt elles se pressent en foule, tantôt elles se traînent à la file231. » Il se couvrait de Plutarque, coutumier aussi de ces « gaillardes escapades », et il avait fini par trouver que ce désordre, qui ne lui donnait pas de peine, était l’ordre même de son sujet. […] Montaigne nous en donne un peu à garder ici : il a corrigé, plus d’une fois, et fort heureusement, non pas même toujours pour la justesse de l’idée, mais pour la beauté de l’expression. Il savait bien son fort et son faible : et nous ne pouvons mieux faire pour mettre en lumière les charmantes qualités de sa forme que de les lui demander à lui-même. […] Nous apprenons ainsi (je vous fais grâce de ses ascendants) qu’il était né à onze mois, fut mis en nourrice au village, apprit le latin avant le français, était éveillé en son enfance au son des instruments, reçut les verges deux fois, joua des comédies latines au collège de Guyenne ; qu’il était de taille au-dessus de la moyenne, assez peu porté aux exercices du corps et à tous les jeux qui demandent de l’application physique, qu’il avait la voix haute et forte, un bon estomac, de bonnes dents, dont il perdit une passé cinquante ans, qu’il aimait le poisson, les viandes salées, le rôti peu cuit, le vin rouge ou blanc indifféremment, et trempé d’eau ; qu’il était sujet au mal de mer, et ne pouvait aller ni en voiture, ni en litière sans être malade, mais en revanche faisait de longues traites à cheval, même en pleine crise de coliques néphrétiques ; qu’il ne prenait pas de remèdes, sauf des eaux minérales, et qu’il gémissait sans brailler, quand la gravelle le tenait. […] Il y a loin de l’effrayant programme de Rabelais au léger bagage de Montaigne, et la réaction est vraiment trop forte contre l’érudition encyclopédique.

1348. (1854) Histoire de la littérature française. Tome I « Livre II — Chapitre troisième »

Les propositions de Nicolas Cop furent dénoncées ; il se défendit, et maintint sa doctrine ; mais la Sorbonne était la plus forte, et Cop dut pourvoir à son salut par la fuite. […] Le plus fort était l’élu le plus faible le réprouvé. […] C’est aux endroits où ils sont modérés, où leur humeur n’est pas plus forte que leur raison, qu’on reconnaît une première image complète de cet esprit français, le plus libre et le plus discipliné qui soit au monde. […] Que de vérités, que de rapports généraux, qui n’avaient point encore pris place dans l’esprit français ; et quelle nouveauté que cette forme sérieuse forte, proportionnée sous laquelle les présentait Calvin ! […] Je reconnais là le logicien de la prédestination, le Caïn du parti de la vieille Genève, lequel, en se qualifiant de chiens de Calvin, témoignait par là une haine si forte, qu’elle ne prenait aucun souci de s’ennoblir.

1349. (1889) Histoire de la littérature française. Tome IV (16e éd.) « Chapitre huitième »

Mais, étudiés dans leur ordre, les chefs-d’œuvre de ces deux grandes époques seront toujours la plus forte école où notre nation puisse apprendre à se continuer, en valant mieux. […] Si Rome a prospéré tant que l’obéissance aux lois y a été une passion, le jour où une autre passion s’y est rendue plus forte, ce jour-là la décadence a commencé. […] Il y a peut-être plus de mérite à défendre l’esprit de conservation ; car le présent paraissant plus fort que l’avenir, on risque, en prenant sa défense, de passer pour être du parti du plus fort, et l’appui même qu’on reçoit des choses établies compromet le défenseur plus qu’il ne le recommande. […] On ne croit pas manquer à Montesquieu en disant que, pour s’être si gravement mépris sur le rôle des Pères de l’Eglise dans leur temps, et sur leur autorité dans toute science sociale, il faut qu’il les ait fort peu lus.

1350. (1889) Le théâtre contemporain. Émile Augier, Alexandre Dumas fils « Émile Augier — Chapitre VIII »

Le fils des croisés s’est transformé en manieur d’argent, l’amoureux n’est plus qu’un libertin sceptique, fort allumé, à l’heure qu’il est, par le chignon pourpre de Blanche de Montgiars, une petite dame appelée Baronnette de son nom de guerre, à qui il a envoyé, la veille, un peigne de saphirs enveloppé dans un madrigal. […] La pièce lui retire cette unique excuse, et il n’en crie que plus fort ! […] Quel contraste que la modestie de ce grand talent concevant son oeuvre en silence, et la livrant sans bruit au public, avec le vacarme charlatanesque si fort en vogue aujourd’hui ! […] Pour le coup, l’armateur se redresse : prêter de l’argent, passe encore ; mais donner son temps à un étranger, compromettre peut-être sa situation pour relever celle d’un homme qui est à peine son ami, l’exigence est vraiment trop forte, la sollicitude trop étrange. […] Tel est ce drame sain et fort, saisissant et vrai, d’une exécution supérieure, d’une moralité haute et neuve.

1351. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « André Chénier, homme politique. » pp. 144-169

La forte impulsion donnée à une si pesante masse la fait vaciller quelque temps avant de pouvoir prendre son assiette. […] Il se fait leur dénonciateur déclaré et commence contre eux sa guerre à mort : Comme la plupart des hommes, dit-il, ont des passions fortes et un jugement faible, dans ce moment tumultueux, toutes les passions étant en mouvement, ils veulent tous agir et ne savent point ce qu’il faut faire, ce qui les met bientôt à la merci des scélérats habiles : alors, l’homme sage les suit des yeux ; il regarde où ils tendent ; il observe leurs démarches et leurs préceptes ; il finit peut-être par démêler quels intérêts les animent, et il les déclare ennemis publics, s’il est vrai qu’ils prêchent une doctrine propre à égarer, reculer, détériorer l’esprit public. […] Ce n’est pas le temps de se taire… Élevons tous ensemble une forte clameur d’indignation et de vérité. C’est cette forte clameur qui manqua et qui manquera toujours en pareille circonstance, quand les choses en seront venues à ces extrémités ; car, ainsi que lui-même le remarque tout à côté, « le nombre des personnes qui réfléchissent et qui jugent est infiniment petit ». […]   A lui demandé commant il sapelloit A répondu quil senomoit André Chenier natife de Constentinoble âgé de trente et un ans demeurant à Paris rue de Clairy section de Brutus A lui demandé de quelle ané il demeuroit rue de Clairy A lui répondue depuis environ mil sept cent quatre vingt douze au moins A lui demandé quel son ses moyent de subsisté A lui répondu que de puis quatre vingt dix quil vie que de que lui fait son père12 A lui demandé combien que lui faisoit son père A répondu que son père lui endonnoit lorsquil luy endemandoit A lui demandé s’il peut nous dire a combien la somme quil demande à son pere par an se monte A repondu quil ne savoit pas positivement mais environ huit cent livre à mille livre par année A lui demandé sil na auttre chose que la somme quil nous déclare cy-dessus A repondu qu’il na pas d’auttre moyent que ce quil nous a déclarée A lui demande quelle manierre il prend son existance A repondu tenteau chez son père tenteau chez ses amis et tentot chez des resteaurateurs A lui demandé quel sont ses amis ou il va mangé ordinairement A répondu que cetoit chez plusieurs amis dont il ne croit pas nécessaire de dire lenom A lui demandé s’il vien mangé souvent dans la maison ou nous lavons aretté A repondu quil ne croyoit n’avoir jamais mangé dans cette maison ou il est aresté, mais il dit avoir mangé quelque foy avec les mêmes personnes apparis chez eux A lui demandé sil na pas de correpondance avec les ennemis de la République et la vons sommé de nous dire la vérité A repondu au cune A lui demandé sil na pas reçue des lettre danglaitaire depuis son retoure dans la République A repondu quil en a recue une ou deux ducitoyent Barthelemy àlorse ministre plénipotensiêre en Anglaitaire et nen avoir pas reçue dauttre A lui demandé à quelle épocque il a recue les lettre désigniés sy dessus sommé a lui denous les representés A répondue quil ne les avoit pas A lui demandé ce quil en àfait et le motife quil lat engagé à sendeffaire A repondu que ce netoit que des lettre relative à ses interrest particulier, comme pour faire venire ses livres et auttre effest laissé en Anglaitaire et du genre de celle que personne ne conserve A lui demandé quel sorte de genre que personne ne conserve et surtout des lettre portant son interest personnelle13 sommé de nous dire la vérité A répondu il me semble que des lettre qui énonce l’arrivé des effest désigniés cy-dessus lorsque ses effest son reçue ne son plus daucune valeure A lui representé quil nest pas juste dans faire réponse, dautant plus que des lettre personnelle doive se conserver pour la justification de celui qui à En voyé les effet comme pour celui qui les à reçue A repond quil persite à pensé quand des particulier qui ne mettre pas tant dexactitude que des maison de commerce lorsque la reception des fait demandé est accusé toute la correspondance devient inutisle et quil croit que la plus part des particuliers en use insy A lui représenté que nous ne fond pas des demande de commerce sommé à lui de nous répondre sur les motifes de de son arestation qui ne sont pas affaire de commerce14 A repondu quil en ignorest du faite A lui demandé pourquoy il nous cherche des frase et surquoy il nous repond cathegoriquement15 A dit avoir repondue avec toute la simplicité possible et que ses reponse contiene lexatte veritté A lui demandé sil y à longtemps quil conoit les citoyent ou nous l’avons aresté sommé a lui de nous dire depuis quel temps A repondu quil les connaissoit depuis quatre ou cinqt ans A lui demandé comment il les avoit conu A repondu quil croit les avoir connu pour la premiere fois chez la citoyene Trudenne A lui demandé quel rue elle demeuroit alors A repondu sur la place de la Revolution la maison à Cottée A lui demandé comment il connoit la maison à Cottée16 et les-citoyent quil demeuroit alors A repondu quil est leure amie de l’anfance A lui represanté quil nest pas juste dans sa reponse attendue que place de la Revolution il ny a pas de maison qui se nome la maison à Cottée donc il vien de nous déclarés A repondue quil entandoit la maison voisine du citoyent Letems A lui représentes quil nous fait des frase attandue quil nous a repettes deux fois la maison à Cottée A repondue quil a dit la vérité A lui demandée sil est seul dans lappartement quil occuppe dans la rue de Clairy nº quatre vingt dix sept A repondue quil demeuroit avec son père et sa mère et son frère ainée A lui demandée sil na personne pour le service Il y à un domestique commun pour les quatre qui les sere A lui demandée ou il étoit a lepoque du dix aoust mil sept cent quatre vingt douze A répondue a paris malade d’une colique nefretique A lui demandee sy cette colique le tient continuellement et sil elle tenoit le jour du dix aoust quatre vingt douze A répondue quil se rétablissoit a lors d’une attaque et que cette maladie le tiend presque continuellement depuis lage de vingt ans plus ou moins fortes A lui demandés quelles est cette malady et quelle est le chirurgient quil le traitoit alors et sy cest le même qui letraitte en core A repondu le médecin Joffroy latraitté au commancement de cette maladie et depuis ce temps jai suis un régime connue pour ses sorte de meaux A lui demandée quelle difference il fait d’une attaque de meaux ou de maladies.

1352. (1887) Journal des Goncourt. Tome I (1851-1861) « Année 1859 » pp. 265-300

Mais la paresse du corps m’envahit tout à fait, la paresse du corps qui devient plus forte, à mesure que ma pensée s’active. » — Monsieur Guillaume ? […] Voilà avec quoi Napoléon se faisait fort de fonder une société civilisée en Égypte. […] Ç’a été une douleur au cœur, et le sang si fort à la tête que je craignais à tout moment de tomber. […] Il n’a guère fait qu’une sortie pour aller acheter 300 francs de plantes à l’exposition d’horticulture. « C’est ma grande passion, dit-il, cela n’a cependant aucun rapport avec mes idées, avec les mathématiques. » Pourtant cette chinoiserie, comme il l’appelle, est si forte en lui qu’il a été transporté par la lecture d’un catalogue de pépiniériste d’Angers, et qu’il songe, lui si casanier, à faire le voyage par amour d’une plante annoncée : le lierre à feuilles de catalpa. […] Avec cela il est socialiste, et fort monté contre les rentiers et les propriétaires.

1353. (1772) Bibliothèque d’un homme de goût, ou Avis sur le choix des meilleurs livres écrits en notre langue sur tous les genres de sciences et de littérature. Tome I « Bibliotheque d’un homme de goût. — Chapitre II. Des poëtes étrangers. » pp. 94-141

Mais à force d’esprit, l’auteur d’Hudibras a trouvé le secret d’être fort au-dessous de Dom-Quichote. […] On y remarquera un comique riant, fort éloigné du fade burlesque, des allusions satyriques, sans être offensantes, des plaisanteries hardies sans être trop libres ; & des railleries délicates sur le beau sexe, peut-être plus capables de lui plaire, que toutes les fleurettes de nos Madrigaux & de nos bucoliques modernes. […] On y trouvera aussi un grand nombre d’autres ouvrages dont il est inutile de faire le détail, parce que ce recueil est fort commun. […] Le rôle de Caton est fort au-dessus de celui de Cornelie dans le Pompée de Corneille ; car Caton est plus grand sans enflure & Cornelie, qui d’ailleurs n’est pas un personnage nécessaire, vise quelquefois au galimatias. […] Les Chinois ont aussi des Tragédies ; mais elles sont fort différentes des nôtres.

1354. (1938) Réflexions sur le roman pp. 9-257

Bordeaux à l’égard des familles, des éternelles et fortes familles ! […] Les journaux nous donnaient récemment le texte de la lettre fort aimable que Pie X a écrite à M.  […] Estaunié est fort intéressant. […] Benoit est un artiste adroit, tout cela demeure fort acceptable. […] Le roman, fort intelligent, de M. 

1355. (1765) Articles de l’Encyclopédie pp. 7172-17709

Les Latins ne donnoient à la lettre g que le son foible de k, comme nous le prononçons dans guerre : ainsi ils prononçoient agitum, legitum, comme notre mot guitarre se prononce parmi nous : ajoûtez que la voyelle i étant breve dans la syllabe gi de ces supins, les Latins la prononçoient avec tant de rapidité qu’elle échappoit dans la prononciation, & étoit en quelque sorte muette ; de maniere qu’il ne restoit qu’agtum, legtum, où la foible g se change nécessairement dans la forte c, à cause du t qui suit, & qui est une consonne forte ; l’organe ne peut se prêter à produire de suite deux articulations, l’une foible & l’autre forte, quoique l’orthographe semble quelquefois présenter le contraire. […] Avant l’introduction de cette lettre dans l’alphabet romain, le c représentoit les deux articulations, la forte & la foible, que & gue ; & l’usage faisoit connoitre à laquelle de ces deux valeurs il falloit s’en tenir : c’est à-peu-près ainsi que notre s exprime tantôt l’articulation forte, comme dans la premiere syllabe de Sion, & tantôt la foible, comme dans la seconde de vision. […] C suivi de la lettre h est le type de l’articulation forte, dont la foible est exprimée naturellement par j : ainsi les deux mots Japon, chapon, ne different que parce que l’articulation initiale est plus forte dans le second que dans le premier. […] Jugeons donc du latin par le latin même, & nous ne trouverons ici ni contre-sens, ni hypallage ; nous ne verrons qu’une phrase latine fort ordinaire en prose & en vers. […] Ce tems en effet est fort souvent monosyllabe dans la plûpart des langues : & lors même qu’il n’est pas mono-syllabe, il est moins chargé qu’aucun autre, des additions terminatives ou préfixes qu’exigent les différentes idées accessoires, & qui peuvent empêcher qu’on ne discerne la racine premiere du mot.

1356. (1870) Portraits contemporains. Tome IV (4e éd.) « M. DAUNOU (Cours d’Études historiques.) » pp. 273-362

« Un style grave, sérieux, scrupuleux, va fort loin, » dit La Bruyère ; cela peut parfaitement s’appliquer au style de M. […] Daunou n’avait pas le principe de curiosité, ou bien quelque chose de plus fort en lui le réprimait. […] L’esprit de l’homme y tourne dans un cercle fort étroit ; il peut bien varier les aspects, mais ce sont toujours les mêmes objets qu’il contemple, et par conséquent les mêmes notions qu’il exprime par différents signes. […] En latin, de même : il goûte fort Sénèque, mais sans préjudice de Cicéron ; il adore Tacite, mais sans moins apprécier Tite-Live. […] Nisard l’avait fort remis en train et en humeur sur ces sujets ; il était très-frappé de ce livre de M.

1357. (1894) Critique de combat

— Monsieur l’auteur, la naïveté est un peu bien forte. […] La science prouve que les faibles sont la proie prédestinée des forts, que la misère est le lot nécessaire d’une partie de l’humanité. […] C’est fort joli d’opposer infatigablement l’Etat et l’lndividu ! […] Il y a de fort honnêtes gens qui n’en sont pas ravis non plus. […] C’est égal, Voltaire n’a pas du commettre beaucoup de légèretés plus fortes que celle-là.

1358. (1892) Les idées morales du temps présent (3e éd.)

Il était extrêmement honnête et fort spirituel. […] Se croyant très fort, parce qu’il était très corrompu, mais dans le fond un pur philistin. […] Il y en avait beaucoup au commencement du siècle, il y en a fort peu aujourd’hui. […] En soi, en effet, le pessimisme est plutôt une doctrine saine et forte : M.  […] vers la Justice forte et claire !

1359. (1896) Les Jeunes, études et portraits

Les âmes sont plus fortes et ont tout leur jeu. […] Il n’était ni fort exubérant, ni même bavard. […] Mais la réponse est fort simple. […] Mais c’était là une conception fort grossière. […] N’est-elle pas plus forte que sa pensée ?

1360. (1892) Sur Goethe : études critiques de littérature allemande

La rue Saint-Denis elle-même se fût révoltée ; la basoche eût crié à l’invraisemblance plus fort que Versailles. […] Quelle arme si forte avait-il contre les tentations ? […] Elle sait que trop de fatalité capricieuse se mêle à nos sentiments les plus forts. […] l’impression produite n’en est que plus forte. […] L’auteur de ce travail ne s’éloigne encore que fort peu de l’original.

1361. (1890) Les romanciers d’aujourd’hui pp. -357

C’est par là qu’elle plaît si fort aux féminins. […] Par exemple, monsieur, bon garçon, et dur et fort comme rouvre. […] Elle est bien gracieuse, souvent, et fort peu exacte, toujours. […] On a fort joliment remarqué (qui donc, déjà ?) […] Ce sont des exceptions fort honorables, sans doute, que M. 

1362. (1856) Réalisme, numéros 1-2 pp. 1-32

Ces traits vous voyez qu’ils frappent fort… dans le vide. […] Les naïfs comme les forts ne veulent pas être bernés. […] Mais il y en a de mille sortes et de fort basses. […] Ces traits, vous voyez qu’ils frappent fort… dans le vide. […] Il revient au reste fort cher, tout le monde ne pourrait s’y livrer.

1363. (1927) Quelques progrès dans l’étude du cœur humain (Freud et Proust)

Pour vaincre une illusion si forte (est-ce une illusion ?) […] Mais-il me semble qu’il y manquait tout de même un élément important de la passion ; le besoin de se donner au sens fort, la préférence de l’autre être à soi-même. […] Et c’est là encore un autre élément de l’amour que Proust semble avoir négligé, ou voulu ignorer : le besoin de saisir, de captiver au sens fort. […] Il avait donné déjà une assez forte secousse avec Racine, dont il aurait peut-être brisé la frêle et sensuelle organisation, s’il n’y avait pas eu près de lui Boileau et Louis XIV. Comme un instrument où passerait tout à coup un souffle trop fort si le constructeur n’en avait été justement encore plus fort et ne l’avait fait à l’avance résistant à toute épreuve.

1364. (1860) Cours familier de littérature. IX « LIIe entretien. Littérature politique. Machiavel » pp. 241-320

Ces derniers actes de la tragédie humaine sont les plus fortes scènes du drame humain, celles qui se gravent le mieux dans la mémoire des peuples. […] La littérature politique, illustrée en Grèce par Aristote, n’était pas née en Italie ; elle y naquit forte et souveraine avec Nicolas Machiavel. […] Le lion vieilli, dompté par l’amour, en relief sur les vases étrusques, est le symbole de cette puissance de souffrir et de jouir en même temps qui caractérise cette forte race d’Étrurie. […] En réalité les papes règnent avec une forte réalité sur ces ombres mouvantes. […] Florence disparaît sous cette forte main, digne de manier l’histoire de tous les empires et de tous les siècles.

1365. (1869) Cours familier de littérature. XXVII « CLVIIIe Entretien. Montesquieu »

Il n’est pas inouï de voir des États hypothéquer leurs fonds pendant la paix même, et employer pour se ruiner des moyens qu’ils appellent extraordinaires, et qui le sont si forts, que le fils de famille le plus dérangé les imagine à peine. […] Dans les pays froids, le tissu de la peau est resserré et les mamelons comprimés, les petites houppes sont en quelque façon paralytiques ; la sensation ne passe guère au cerveau que lorsqu’elle est extrêmement forte et qu’elle est de tout te nerf ensemble. […] L’Auteur de la nature a établi que cette douleur serait plus forte à mesure que le dérangement serait plus grand : or, il est évident que les grands corps et les fibres grossières des peuples du Nord sont moins capables de dérangement que les fibres délicates des peuples des pays chauds ; l’âme y est donc moins sensible à la douleur. […] « De là il suit qu’en Asie les nations sont opposées aux nations du fort et du faible ; les peuples guerriers braves et actifs touchent immédiatement des peuples efféminés, paresseux, timides : il faut donc que l’un soit conquis, et l’autre conquérant. En Europe, au contraire, les nations sont opposées du fort au fort ; celles qui se touchent ont à peu près le même courage.

1366. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome second — Livre sixième. La volonté — Chapitre troisième. La volonté libre »

Si, dans les causes passées et présentes d’un acte tout n’est pas pour nous déterminé, à plus forte raison en est-il de même quand il s’agit de l’avenir. […] Si cette idée nouvelle agit dans le même sens que l’idée précédente, les deux impulsions finissent par s’ajouter et se fusionner ; ce qui entraîne à la fin une inclination plus forte. […] A plus forte raison la confiance en soi est-elle dynamogène et, pour ainsi dire, tonique. […] A plus forte raison quand le point d’application de la volonté est intérieur ; bien plus, quand il est la volonté même. […] Si donc l’idée chimérique d’indépendance absolue n’est pas sans entraîner certains effets, par le reste d’éléments admissibles qu’elle renferme encore à côté des éléments inadmissibles, à plus forte raison l’idée d’indépendance relative est-elle parfaitement réalisable.

1367. (1909) Nos femmes de lettres pp. -238

Il n’en eut pas moins, ce don, des conséquences fort naturelles, conformes à l’ordre habituel des choses en général, aux exigences du tempérament féminin en particulier. […] Peut-être eût-elle ressenti des ardeurs aussi fortes, plus fortes, qui sait ? […] « La Haine emporte tout », observa-t-on justement, puisque la haine est entre les hommes un lien plus fort encore que l’amour. […] Aurai-je atteint à marquer la forte assise intellectuelle qui permet des déductions de cette rigueur, et que par là du moins, le don littéraire de Mme Marcelle Tinayre s’affirme en un saisissant contraste avec celui de ses rivales ? […] Aussi sommes-nous conduits à transposer dans l’art les conditions mêmes de la vie, et comme c’est une question vitale, suffisant à créer l’intérêt d’un ouvrage, de savoir qui sera le plus fort, qui triomphera dans la passion qui l’anime.

1368. (1870) De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés « De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés — Chapitre IV : Sélection naturelle »

Mais l’existence de cette loi est au contraire fort loin d’être aussi évidente chez les hermaphrodites. […] Si donc des variétés différentes se croisent si aisément entre elles par ce seul fait qu’elles croissent les unes auprès des autres, il faut supposer que le pollen d’une variété distincte peut être doué d’un pouvoir fécondant plus fort que le propre pollen de la plante ainsi fécondée. […] Cette objection a quelque valeur ; mais la nature y a suffisamment répondu en donnant aux arbres une forte tendance à porter des fleurs unisexuelles. […] Nous pouvons supposer de même que, dès les temps les plus reculés, certains individus ont préféré les Chevaux les plus vites, et d’autres, les Chevaux les plus trapus et les plus forts. […] Ainsi, il est fort douteux que les Marsupiaux australiens, divisés, comme ils sont, en groupes peu tranchés, qui représentent faiblement, ainsi que M. 

1369. (1884) La légende du Parnasse contemporain

Aujourd’hui les bibliophiles la recherchent fort et ne la trouvent que difficilement. […] Mais fort de l’Esprit de progrès, de quels problèmes l’Homme ne parviendrait-il pas à trouver la solution ? […] Or, il est fort heureux que le vrai n’existe pas dans l’art. […] Philoméla, en toute sincérité, me paraît un ouvrage fort médiocre. […] Elle avait dans l’âme L’indomptable fierté des forts.

1370. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « [Note de l’auteur] » pp. 422-425

 Les autres, au contraire, trouvent ce traité fort utile, parce qu’il découvre aux hommes les fausses idées qu’ils ont d’eux-mêmes, et leur fait voir que, sans la religion, ils sont incapables de faire aucun bien ; qu’il est toujours bon de se connaître tel qu’on est, quand même il n’y aurait que cet avantage de n’être point trompé dans la connaissance qu’on peut avoir de soi-même. […] Plus rien de ce second paragraphe : « Les uns croient que c’est outrager les hommes, etc. » Après la fin du premier, où il est question des jugements bien différents qu’on a faits du livre, on saute tout de suite au troisième, en ces termes : « L’on peut dire néanmoins que ce traité est fort utile, parce qu’il découvre, etc., etc. » Les autres petits changements ne sont que de style.

1371. (1876) Chroniques parisiennes (1843-1845) « LXVI » pp. 256-263

Béranger qui aurait autant aimé qu’on n’admirât pas si fort André Chénier (c’est une petite faiblesse chez un grand poëte), se faisait volontiers sous cape l’écho de ces inventions très-flatteuses pour l’éditeur. […] Au plus fort de ses affectations rustiques, il rédigeait le Mercure de France ou le Figaro.

1372. (1874) Premiers lundis. Tome II « Étienne Jay. Réception à l’Académie française. »

Quant aux bancs des académiciens, les honorables membres y étaient fort irrégulièrement semés ; on cherchait beaucoup de fronts illustres qu’on n’y trouvera plus : la mort, depuis quelques mois, a cruellement sévi. — M. de Chateaubriand n’y était pas. […] Arnault et Jay, dans la séance d’aujourd’hui, ont tiré fort au clair ce problème.

1373. (1875) Premiers lundis. Tome III «  Chateaubriand »

Le roman qui est propre à René, cette passion d’une sœur pour un frère, n’est fort heureusement qu’un cas particulier ; mais chaque jeune homme qui a du René en soi trouve moyen, à son heure, de s’exagérer son cas particulier de passion et de s’en faire quelque chose d’étrange, quelque chose d’unique. La religion de René, qui n’est que dans l’imagination et qui ne régénère pas le cœur, ressemble fort aussi à celle qui a régné dans le premier tiers de ce siècle ; on en était aux regrets du passé et à ne plus le maudire ; on n’avait plus pourtant la force ou la faiblesse de croire, on aspirait à un avenir incertain dont on ne se formait pas l’idée, et l’on se berçait ainsi, avec soupirs et gémissements, sur un nuage de sentiments contradictoires qui ne donnaient aucun fonds à la vie, aucun point d’appui à l’action.

1374. (1890) Conseils sur l’art d’écrire « Principes de composition et de style — Première partie. Préparation générale — Chapitre II. De la sensibilité considérée comme source du développement littéraire »

Elle n’est pas plus vraie, plus forte, plus naturelle, pour être exprimée gauchement, puérilement, par des images étranges, par des symboles ridicules, mêlés de niaiseries inattendues et de plats coq-à-l’âne. […] Elles ont des impressions fortes, des émotions vives, et elles ne trouvent rien à dire, rien à écrire.

1375. (1889) Les contemporains. Études et portraits littéraires. Quatrième série « Jean Lahor (Henri Cazalis). »

Et toute la dernière pièce, Vers dorés : Sois pur, le reste est vain, et la beauté suprême, Tu le sais maintenant, n’est pas celle des corps : La statue idéale, elle dort en toi-même ; L’œuvre d’art la plus haute est la vertu des forts. […] L’Illusion est un fort beau livre, plein de tristesse et de sérénité.

1376. (1903) Le mouvement poétique français de 1867 à 1900. [2] Dictionnaire « Dictionnaire bibliographique et critique des principaux poètes français du XIXe siècle — D — Delavigne, Casimir (1793-1843) »

Si j’en avais le loisir, je chercherais quelque détour pour vous faire entendre, sans vous le dire, que nous nous sommes fort ennuyés… C’est au point que cette impression d’ennui est à peu près tout ce que j’ai retenu de la pièce. […] Eugène Lintilhac Le Paria (1829), dont les chœurs sont fort beaux et annoncent la poésie des Poèmes antiques d’Alfred de Vigny ; Marino Faliero (30 mai 1829), dont les audaces sont antérieures à celles d’Hernani, et en sont toutes voisines, puisque le poète s’y affranchit de l’unité de lieu et admet le mélange du comique dans le dialogue… ; Louis XI, d’un effet si sûr à la scène ; les Enfants d’Édouard, si adroitement découpés dans Shakespeare… [Précis historique et critique de la littérature française (1895).]

1377. (1863) Histoire des origines du christianisme. Livre premier. Vie de Jésus « Chapitre XXVI. Jésus au tombeau. »

Il était tard, et tout cela se fit fort à la hâte. […] Disons cependant que la forte imagination de Marie de Magdala 1216 joua dans cette circonstance un rôle capital 1217.

1378. (1827) Génie du christianisme. Seconde et troisième parties « Seconde partie. Poétique du Christianisme. — Livre second. Poésie dans ses rapports avec les hommes. Caractères. — Chapitre X. Suite du Prêtre. — La Sibylle. — Joad. — Parallèle de Virgile et de Racine. »

Les tours négatifs sont particuliers à Virgile, et l’on peut remarquer, en général, qu’ils sont fort multipliés chez les écrivains d’un génie mélancolique. […] Le second est en général supérieur au premier dans l’invention des caractères : Agamemnon, Achille, Oreste, Mithridate, Acomat, sont fort au-dessus des héros de l’Énéide.

1379. (1887) La Terre. À Émile Zola (manifeste du Figaro)

Trop peu d’années s’étaient écoulées depuis l’apparition de l’Assommoir, depuis les fortes polémiques qui avaient consolidé les assises du Naturalisme, pour que la génération montante songeât à la révolte. […] On l’avait vu si fort, si superbement entêté, si crâne, que notre génération, malade presque tout entière de la volonté, l’avait aimé rien que pour cette force, cette persévérance, cette crânerie.

1380. (1861) Les œuvres et les hommes. Les historiens politiques et littéraires. II. « I. Historiographes et historiens » pp. 1-8

— que cette plume était officielle et choisie ; et le préjugé révolutionnaire contre toute institution du Pouvoir est si fort, que ce qui aurait dû être une raison d’authenticité et de créance, fut une raison de croire à l’imposture de l’historiographe ou de douter de la probité de son récit. […] au profit des plus égoïstes passions ou des plus ineptes systèmes ; mais ce n’est pas tout : ils en ont faussé la notion même… L’histoire, proprement dite, devait être un monument de bronze érigé par l’État, et sur lequel une main éprouvée, assez forte et assez honorée pour tenir le burin de l’Ordre social, écrirait les actes législatifs, les faits d’armes et les faits de conscience des personnalités caractéristiques du temps présent ou du passé.

1381. (1917) Les diverses familles spirituelles de la France « Chapitre viii »

Par exemple, il existe un équilibre de force entre les puissances sociales, et le fort domine toujours le faible. […] Or les forts sont ceux qui disposent de la force militaire ; ce sont les hobereaux, la classe sélectionnée pour le service des armes.‌

1382. (1883) Le roman naturaliste

La tentation était trop forte ; « il décrocha son carquois », et partit. […] Daudet a voulu faire trop fort, il a fait faux. […] Des descriptions et des peintures ne prouvent pas que l’on sache écrire : elles prouvent uniquement que l’on a des sensations fortes. […] Plus fort ! encore plus fort ! 

1383. (1880) Études critiques sur l’histoire de la littérature française. Première série pp. 1-336

Léon Gautier, par exemple, se portera fort de vous présenter dans la personne de Guibourc, femme de Guillaume d’Orange, une héroïne d’épopée qui laisse loin, bien loin derrière elle, toutes les Andromaque ou les Didon de l’antiquité ; à plus forte raison les Armide et les Clorinde. […] Mais pourquoi de ci, de là, jette-t-il fort imprudemment des réflexions qui donnent à penser que son « admiration » serait quelque peu banale et, si j’ose le dire, plus souvent convenue qu’éprouvée ? […] mais je ne sais si le monument de Pascal eût produit sur nous cette forte impression que produit l’ouvrage inachevé. […] Aussi bien, ces études de droit, qu’il faudrait faire tomber vers 1642, auraient-elles eu fort à souffrir des distractions de Molière. […] Les fables d’Arnault sont fort agréables ; — pour apprendre à sentir celles de La Fontaine.

1384. (1898) Ceux qu’on lit : 1896 pp. 3-361

J’en voudrais citer beaucoup, mais j’ai l’embarras du choix, ce qui est un état d’âme fort cruel. […] C’est là, en gros, le résumé de ce récit, charmant de tous points et dont je suis fort heureux de constater le succès. […] « Marbot, fort débrouillard à coup sûr, avait su éviter la disette qui nous accablait tous. […] La timidité du Roi et l’embarras de Marie-Antoinette rendirent les premières entrevues avec les princes russes fort tendues. […] Un éclair, suivi d’une forte détonation, annonce à la population du bourg que la jeune fille n’est plus vierge.

1385. (1913) Poètes et critiques

C’est d’abord un groupe de poésies très modernes et, à mon sens, très originales, d’un accent très âpre, mais très fort. […] Victor Giraud est remarquable à plus d’un titre, et tout particulièrement par sa cohésion, par sa forte unité. […] Il s’est efforcé, pendant assez de temps, d’une façon fort méritoire, de combler certaines lacunes de sa préparation initiale. […] les tourments de la pauvre hirondelle et son « engourdissement fort triste » commencent presque aussitôt. […] C’était, comme le dit dans sa forte simplicité le titre du drame norvégien, supporter « plus qu’homme ne peut ».

1386. (1870) De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés « De l’origine des espèces par sélection naturelle, ou Des lois de transformation des êtres organisés — Chapitre VI : Difficultés de la théorie »

Prenons un exemple fort simple. […] Enfin, son bec est droit et fort, et quoiqu’un peu moins fort et moins droit que chez l’espèce européenne commune, il peut cependant lui permettre de perforer le bois. […] Il y a ainsi quelque probabilité que certains degrés transitoires de perfection se soient transmis depuis les âges primitifs de la vie organique, sinon dans des conditions absolument identiques, du moins dans des conditions fort analogues. Parmi les vertébrés vivants, nous ne trouvons que fort peu de différence dans la structure de l’œil, bien que pourtant le poisson Amphioxus ait un œil extrêmement simple et sans cristallin. […] En second lieu, on peut quelquefois attribuer de l’importance à des caractères qui réellement n’en ont que fort peu, et qui doivent leur origine à des causes toutes secondaires, indépendantes de la sélection naturelle.

1387. (1912) Enquête sur le théâtre et le livre (Les Marges)

(Pour apprécier les hautes et fortes idées, il faut, en effet, se contraindre, se rassembler et se hausser.) […] Soumis pour une part aux suggestions de la publicité, de l’autre captivés outre mesure par la personnalité des acteurs, ils témoignent un éclectisme qui donne fort à penser sur leur discernement. […] Donc si la littérature dramatique peut faire impression plus forte, elle assure et révèle un moindre développement intellectuel. […] N’espérez pas qu’ils apprécieront vos efforts, qu’ils aimeront une œuvre saine, forte et belle. […] « À mon sens, il n’existe qu’un rapport fort éloigné entre le livre et le théâtre.

1388. (1890) L’avenir de la science « XXIII »

La religion, telle que je l’entends, est fort éloignée de ce que les philosophes appellent religion naturelle, sorte de théologie mesquine, sans poésie, sans action sur l’humanité. […] Il n’est pas de mot dans le langage philosophique qui ne puisse donner lieu à de fortes erreurs, si on l’entend ainsi dans un sens substantiel et grossier, au lieu de lui faire désigner des classes de phénomènes. […] Là est le secret de leur faiblesse dans l’œuvre de l’humanité ; elles sont moins fortes, mais aussi moins dangereuses. […] Cela est fort commode. […] Telle est donc l’explication de ce retour au catholicisme, qui a l’air d’être une si forte objection contre la philosophie.

1389. (1913) La Fontaine « VIII. Ses fables — conclusions. »

Parmi ce que de gens sur la terre nous sommes Il en est peu qui fort souvent Ne se plaisent d’entendre dire Qu’au livre du Destin les mortels peuvent lire. […] Voilà la hiérarchie ; voilà l’échelle ; et voilà comment La Fontaine plaide, déjà, voilà comment il expose, voilà le La Fontaine dialecticien, dialecticien infiniment exact et précis, infiniment habile aussi, d’une façon presque insensible, presque inconsciente, mais parfaitement forte, dans l’ordre qu’il donne à ses preuves. […] Mon fils, allez chez nos parents Les prier de la même chose. » L’épouvante est au nid plus forte que jamais. […] Ailleurs encore, et voilà le contre, il faut bien y venir  Voltaire y a insisté beaucoup  il s’alourdit sur deux accusations seulement, mais très fortes, très véhémentes même, et auxquelles il tenait puisqu’il les a répétées plusieurs fois, et que de volume en volume on voit reparaître, en mêmes termes quelquefois, la même théorie d’incriminations contre La Fontaine. […] Donc, les Anglais ont été tièdes à l’égard de La Fontaine pendant deux siècles ; pendant le dix-neuvième siècle, ils lui sont venus ; ils lui sont venus même très fort, et il est très curieux de voir, surtout dans les romans anglais, des allusions très fréquentes à La Fontaine, et même parfois des citations.

1390. (1922) Gustave Flaubert

Flaubert retrouvait Louise fort malheureuse. […] Elle n’en est, quand elle se produit, que plus forte et plus belle. […] Il paraît au premier abord fort simple. […] Il s’agit probablement de la lâcheté du sexe fort devant le sexe dit faible. […] Son esprit, excité, devint plus leste et plus fort.

1391. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « M. Daru. Histoire de la république de Venise. — II. (Suite.) » pp. 434-453

Dans ce rôle considérable où, avec l’initiative de moins sans doute, il entrait une part des fortes qualités solides des Sully et des Louvois, et quelque chose de leur rigidité aussi, de cette fermeté inflexible dans l’exécution, M.  […] Cela lui a fourni des scènes et des idées fort gaies. […] Il y notait cette espèce de réaction (je me trompe, le mot est trop fort), cet éloignement complet pour le genre de Beaumarchais qui avait été, au début, l’instinct naturel et l’originalité de Collin d’Harleville, le moins fait de tous les hommes pour goûter l’intrigue de Figaro. […] Nos amis en sont fort contents : je le suis aussi ; mais, hélas !

1392. (1870) Causeries du lundi. Tome XI (3e éd.) « Instruction générale sur l’exécution du plan d’études des lycées, adressée à MM. les recteurs, par M. Fortoul, ministre de l’Instruction publique » pp. 271-288

Avec une intelligence forte et un travail vigoureux, on pouvait sans doute tenir le grand chemin, parcourir la route entière des études classiques, et au plus vite, en toute hâte, se diriger encore à temps, si l’on en avait la volonté, vers les études spéciales, mathématiques et autres, qui ouvraient l’entrée des grandes écoles savantes ; mais la question alors était tout ou rien, et un faux pas au terme faisait échouer. […] Une longue et forte culture s’en est suivie, où tout n’a pas été parfaitement sage et sain sans doute, mais où, avec quelque hasard, il y a eu bien de la spontanéité féconde et du noble éclat. […] [NdA] C’est à propos de l’Académie de Philadelphie dont il était l’un des principaux fondateurs, et qui avait dévié de sa destination première en admettant dans une trop forte proportion l’enseignement du grec et du latin, que Franklin dans sa vieillesse exprimait de la sorte son opposition à l’envahissement prolongé des langues savantes et à la part disproportionnée qu’elles prenaient dans l’éducation de ceux qui devaient avoir, toute leur vie, autre chose à faire. […] Du latin au xixe  siècle, pour apprendre à construire des navires de guerre ou des places fortes !

1393. (1870) Causeries du lundi. Tome XII (3e éd.) « Le baron de Besenval » pp. 492-510

La littérature française lui doit un souvenir, même quand ce souvenir serait fort tempéré de réserves et relevé de quelque sévérité. […] « M. de Besenval, a dit le vicomte de Ségur, héritier et premier éditeur de ses Mémoires, joignait à la taille la plus imposante une figure pleine de charmes dans sa jeunesse, et de dignité dans un âge avancé. » Son organisation était forte et robuste, en même temps que fine et distinguée. […] Venu dans un temps « où la fatuité était fort à la mode, où la société était uniquement tournée de ce côté, et où le rôle qu’on y jouait dépendait de s’y faire remarquer par des bonnes fortunes », il s’y adonna. […] Demandez donc à de telles âmes qui, dès la tendre jeunesse, ont logé en elles un si faux idéal, une si misérable forme de bonheur, d’avoir une grande ambition, de se tourmenter pour un noble but, et eussent-elles reçu de la nature des facultés supérieures et fortes, de les tourner vers de généreux emplois.

1394. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Divers écrits de M. H. Taine — I » pp. 249-267

Ce qu’on ne saurait oublier en le lisant, c’est qu’il a été élève de l’École normale, qu’il s’y est formé dans le recueillement et la méditation, que sa première jeunesse, dont il est à peine sorti, a été forte, laborieuse, austère. […] De là les raisonnements, les abstractions, le système ; la poésie est en fort mauvaise compagnie. […] La réflexion solitaire, si forte qu’on la suppose, est faible contre cette multitude d’idées qui de tous côtés, à toute heure, par les lectures, les conversations, viennent l’assiéger… Tels que des flots dans un grand fleuve, nous avons chacun un petit mouvement, et nous faisons un peu de bruit dans le large courant qui nous emporte ; mais nous allons avec les autres, et nous n’avançons que poussés par eux. […] Les tons menaçants dont il s’habille conviennent au ciel libre, au paysage nu, à la chaleur puissante qui l’environne ; il est vivant comme une plante ; seulement il est d’un autre âge plus sévère et plus fort que celui où nous végétons.

1395. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Histoire de Louvois et de son administration politique et militaire, par M. Camille Rousset, professeur d’histoire au lycée Bonaparte. »

Par une conjecture toute contraire, et qui éloigne l’idée de disgrâce, cette mort, arrivée dans les circonstances les plus malencontreuses et au fort d’une guerre, fit dire de lui « qu’il aurait fallu ou qu’il ne fût point né, ou qu’il eût vécu plus longtemps », lui seul étant en état, par ses talents, de porter le poids d’une si grosse affaire qu’il avait préparée et suscitée. […] M. de Louvois dit l’autre jour tout haut à M. de Nogaret : « Monsieur, votre compagnie est en fort mauvais état. — Monsieur, dit-il, je ne le savais pas. — Il faut le savoir, dit M. de Louvois ; l’avez-vous vue ? […] C’est le duel éternel de tout ce qui finit et de ce qui succède, de ce qui se survit et de ce qui doit vivre ; cela s’est vu de tout temps, en grand, en petit, dans tous les genres et dans tous les ordres : César et, Pompée, Malherbe et le vieux Desportes, Descartes et Voët, Franklin et l’abbé Nollet… Le chevalier de Glerville sent désormais son maître dans celui qui fut longtemps son diacre, comme le disait plaisamment Vauban : « Il est fort chagrin contre moi, ajoutait celui-ci, quelque mine qu’il fasse ; c’est pourquoi il ne me pardonnera rien de ce qui lui aura semblé faute ; mais je loue Dieu de ce que lui et moi avons affaire à un ministre éclairé qui, en matière de fortification, ne prend point le change, et qui veut des raisons solides pour se laisser persuader et non pas des historiettes. » Une dernière rencontre a lieu entre les deux rivaux, au sujet des fortifications de Dunkerque ; elle est décisive. […] Le spirituel général Haxo, qu’on peut citer dans un article où il vient d’être tant question de Vauban, aimait fort à contredire, et quand il n’y avait plus moyen : « Nous sommes d’accord, disait-il à son interlocuteur ; eh bien !

1396. (1866) Nouveaux lundis. Tome VI « Théophile Gautier (Suite et fin.) »

En ce qui est d’un jugement direct, il ne fait pas comme nous en certains moments où les nerfs nous prennent et sont les plus forts : il n’éclate jamais. […] On a cru remarquer que cette forme a prévalu depuis et a fait école : l’alexandrin est fort négligé des débutants. […] Jeune, il a aimé à la passion l’époque de Louis XIII ; il l’a fort étudiée, et son volume des Grotesques (1844) renferme une suite de portraits originaux et singuliers de ce temps-là. Ces portraits, notamment ceux de Théophile, de Saint-Amant, de Cyrano, de Scarron, fort piquants de parti pris et d’exécution, peuvent offrir quelques inexactitudes en ce qui est de l’érudition et de la biographie.

1397. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Don Quichotte (suite et fin.) »

Ma santé n’est pas assez bonne pour entreprendre un si long voyage, sans compter qu’outre que je suis malade je suis fort dépourvu d’argent, et, empereur pour empereur, et monarque pour monarque, j’ai à Naples le grand comte de Lemos qui, sans me parler de tous ces jolis petits titres de collèges et de rectorats, pourvoit à ma subsistance et me fait plus de grâces que je n’ose moi-même en demander. »10 Il annonçait, à son noble patron, en finissant, la prochaine publication d’un ouvrage auquel il était en train de mettre la dernière main, son roman de Persilès et Sigismonde, « qui doit être, disait-il, ou le plus mauvais ou le meilleur livre qui ait jamais été composé dans notre langue, j’entends de ceux de pur amusement. […] Je l’embrassai, il m’offrit ses services, puis il piqua son âne et continua son voyage, chevauchant d’un air fier et me laissant fort triste et peu disposé à profiter de l’occasion qu’il m’avait donnée d’écrire des plaisanteries. — Adieu, mes joyeux amis ; je me meurs, et je désire vous voir bientôt tous contents dans l’autre vie. »11 C’est ainsi que pour ce charmant esprit tout servait de texte à gaieté et à raillerie sans amertume. […] J’admire comme, dans la bouche du plus grand fou de la terre, Cervantes a trouvé le moyen de se faire connaître l’homme le plus entendu et le plus grand connaisseur qu’on se puisse imaginer… Quevedo paraît un auteur fort ingénieux ; mais je l’estime plus d’avoir voulu brûler tous ses livres quand il lisait Don Quichotte, que de les avoir su faire. » Racine et Boileau lisaient Don Quichotte pour se divertir ; ils en parlent dans leurs lettres comme d’un sujet qui leur est familier et qui est entré dans la conversation des honnêtes gens. […] Semblables aux enfants, les peuples rirent et se rassurèrent… » Cela paraît assurément fort exagéré, quoique cette exagération, à propos d’un chef-d’œuvre de l’esprit, ne déplaise pas absolument.

1398. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « La reine Marie Leckzinska (suite et fin.) »

Elle faisait allusion à la lettre fort dure que le roi lui avait écrite le jour même de l’avènement de Fleury au ministère, et que cette Éminence en personne lui avait remise). Mais sur-le-champ elle lui montrait que pour Dieu elle souffrait ces tribulations, et l’attaquait sans cesse du côté de la religion, qui dominait en elle et qui y régnait absolument. » Toute cette appréciation est fort juste et dans la nuance précise. […] « Le roi (nous dit le Journal de Luynes) lui a répondu avec la même sécheresse : « Ce n’est pas la peine, je n’y serai presque pas. » Elle lui a demandé ensuite si au moins elle ne pourrait pas rester ici ; il lui a répondu sur le même ton : « Il faut partir trois ou quatre jours après moi. » — La reine est, comme l’on peut juger, fort affligée d’un traitement aussi dur. » Tous ces beaux sentiments, enfants de la maladie et de la peur, étaient dissipés et avec la santé étaient revenus les désirs, les habitudes, toutes les ivresses de la vie. […] Un jour, l’évêque de Bayeux (futur cardinal de Luynes) s’était endormi pendant la conversation chez Mme de Luynes devant la reine ; il ronflait presque aussi fort que Tintamarre, un des chiens de la duchesse.

1399. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Marie-Antoinette (suite.) »

Je ne peux pas dire qu’il me traite en dessous et en enfant, et qu’il ait de la défiance pour moi : au contraire ; il lui échappait l’autre jour un long discours devant moi et comme s’il parlait à lui-même sur les améliorations à introduire dans les finances et dans la justice ; il disait que je devais l’aider, que je devais être la bienfaisance du trône et le faire aimer, qu’il voulait être aimé ; mais il n’a pas énuméré ses moyens d’action, soit qu’il ne les ait pas encore combinés, soit qu’il les garde pour ses ministres ; il leur écrit beaucoup ; c’est au vrai un homme qui est tout en lui, qui a l’air d’être fort inquiet de la tâche qui lui est tombée tout à coup sur la tête, qui veut gouverner en père. […] Un mot de Louis XVI nous apprend que la lecture de Vert-Vert avait fort amusé la reine. […] Ce fut elle qui décida le remplacement de M. de Calonne par l’archevêque de Toulouse, Brienne, dont on s’était fort engoué dans sa société. […] Necker à M. de Brienne à la date où elle écrit cela, un homme intact, tout fort et tout fier de sa popularité, à un personnage usé et décrié, était une idée invraisemblable, une impossibilité, un caprice.

1400. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « Histoire de la Grèce, par M. Grote »

A plus forte raison en pleine zone héroïque et légendaire, en pleine veine homérique. […] Le juge Graham ici, et même tout Français que vous avez pu entendre, est lent en comparaison de lui, et ce qui est remarquable, c’est que, malgré cette précipitation, il parle fort distinctement. Il est heureux pour lui qu’il sache tant de choses ; car, du train dont il y va, un fonds médiocre serait épuisé en une demi-heure. » — Qu’on mette en regard ce profil de Villoison avec la figure de Wolf, le maître éminent, le grand professeur, dont chaque parole porte et pénètre, et qui dispose d’une érudition « toujours vraie, sobre et forte », ainsi que l’a définie M. Viguier (Biographie universelle). — Puisque j’en suis aux indications biographiques et à ces traits de physionomie qu’on dissimule avec soin dans les éloges académiques et officiels, je rappellerai encore que Villoison était gros et gras, qu’il était fort gourmand.

1401. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « Les fondateurs de l’astronomie moderne, par M. Joseph Bertrand de l’académie des sciences. »

Sans doute ils avaient près d’eux Bossuet, Fénelon, Du Guet, La Bruyère lui-même (chapitre Des Esprits forts), pour leur dispenser quelques-unes de ces vérités physiques à l’état et sous forme de preuves de l’existence de Dieu ; mais c’était là de la science morale toujours, plus encore que de la physique. […] Il est dans le vrai encore et dans la ligne de la science lorsque, rappelant combien les conditions de la vie ont varié sur cette terre depuis la première apparition des êtres organisés et des espèces vivantes, il ajoute qu’il n’y a pas lieu de les circonscrire, de les limiter à une seule sphère, et que cette différence de conditions et de formes qui a éclaté successivement (comme la géologie l’atteste) sur notre globe terrestre, peut varier et se diversifier à plus forte raison de globe à globe, de planète à planète. […] Non content de conjecturer qu’il y a des êtres vivants dans les planètes, il veut savoir que ce sont des hommes, des espèces d’humanités ; il veut en venir à deviner, à pénétrer le mode de penser et de sentir, sur quelques points essentiels, de ces humanités si diverses et sans doute fort disparates. […] Le mot n’est pas trop fort.

1402. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Pensées, essais, maximes, et correspondance de M. Joubert. (2 vol.) » pp. 159-178

« Le bon jugement en littérature, disait-il, est une faculté très lente, et qui n’atteint que fort tard le dernier point de son accroissement. » Arrivé à ce point de maturité, M.  […] Quoi qu’il en soit, cette enveloppe fragile et gracieuse, ce roseau sentant qui semblait s’abandonner au moindre souffle, renfermait une âme forte, ardente, capable d’un dévouement passionné. […] Jullien, fort instruit en littérature anglaise, Mme de Vintimille. […] Enfin, la troisième espèce d’esprits, ce sont ceux qui, plus puissants et moins délicats ou moins difficiles, vont produisant et se répandant sans trop se dégoûter d’eux-mêmes et de leurs œuvres ; et il est fort heureux qu’il en soit ainsi, car, autrement, le monde courrait risque d’être privé de bien des œuvres qui l’amusent et le charment, qui le consolent de celles, plus grandes, qui ne viendront pas.

1403. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Le père Lacordaire orateur. » pp. 221-240

Sa mère, de famille dijonnaise, fille d’un greffier au parlement de Bourgogne, était de ces personnes fortes et simples qui suffisent à tous les devoirs. […] Son imagination trop forte rapproche des faits qui diffèrent, que mille circonstances séparent et distinguent ; elle les rassemble à son foyer comme sous un verre ardent, jusqu’à ce qu’il y ait flamme. […] La seconde oraison funèbre, celle de M. de Janson, est fort supérieure, elle est simple et vraie. […] Il croissait sous la triple garde de ces fortes vertus ; il croissait comme un enfant de Sparte et de Rome, ou pour mieux dire encore, et pour dire plus vrai, il croissait comme un enfant chrétien, en qui la beauté du naturel et l’effusion de la Grâce divine forment une fête mystérieuse que le cœur qui l’a connue ne peut oublier jamais.

1404. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Le Livre des rois, par le poète persan Firdousi, publié et traduit par M. Jules Mohl. (3 vol. in-folio.) » pp. 332-350

Cela n’empêche pas qu’il ne nous semble fort singulier qu’on soit si célèbre quelque part et si inconnu chez nous, et nous serions tenté de dire à ce génie étranger, comme les Parisiens du temps de Montesquieu disaient à Usbek et à Rica dans les Lettres persanes : « Ah ! […] Cependant, vers le temps où ce Turc, violent d’ailleurs et ambitieux, s’intéressait si fort à ces choses de l’esprit, et avant qu’il fût encore monté sur le trône, un homme, doué de génie par la nature, s’était senti poussé de lui-même à ces hautes pensées par une vocation puissante. […] Sohrab choisit un cheval assez fort pour le porter, un cheval fort comme un éléphant ; il assemble une armée et se met en marche, non pour combattre son père, mais pour combattre et détrôner le souverain dont Roustem est le feudataire, et afin de mettre la race vaillante de Roustem à la place de ce roi déjà fainéant.

1405. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « La Mare au diable, La Petite Fadette, François le Champi, par George Sand. (1846-1850.) » pp. 351-370

La Grise, avec son fardeau, a fort à faire. […] puisque cela est, ô poète, convient-il donc, sur la foi de certains systèmes non éprouvés et que rien ne garantit, de pousser si fort et si violemment ces restes d’un passé déjà si ébranlé ? […] Ce Sylvinet, d’un bout à l’autre, est touchant ; c’est un être sacrifié, nature distinguée et fine, pas assez forte pour le bonheur, demandant beaucoup, voulant tout donner ; avec ces éléments-là se composent les âmes passionnées et sensibles. […] Mais il y a aussi des parties supérieures et peut-être plus fortes, plus poétiques en elle, et que je suis loin de méconnaître.

1406. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Monsieur de Balzac. » pp. 443-463

Il y croyait, et ce sentiment d’une ambition, du moins élevée, lui a fait tirer de son organisation forte et féconde tout ce qu’elle contenait de ressources et de productions en tout genre. […] Aujourd’hui, par suite de l’immense travail que l’écrivain s’impose et que la société lui impose à courte échéance, par suite de la nécessité où il est de frapper vite et fort, il n’a pas le temps d’être si platonique ni si délicat. […] Les Parents pauvres nous montrent ce talent vigoureux arrivé à sa plus forte maturité et se donnant toute carrière. […] Peut-être, sur la tombe d’un des plus féconds d’entre eux, du plus inventif assurément qu’elle ait produit, c’est l’heure de redire que cette littérature a fourni son école et fait son temps ; elle a donné ses talents les plus vigoureux, presque gigantesques ; tant bonne que mauvaise, on peut penser aujourd’hui que le plus fort de sa sève est épuisé.

1407. (1857) Causeries du lundi. Tome IV (3e éd.) « Nouveaux documents sur Montaigne, recueillis et publiés par M. le docteur Payen. (1850.) » pp. 76-96

Pourtant, si en littérature il est indigeste, dans les arts proprement dits, dans ceux de la main et du ciseau, même en France, le xvie  siècle est fort supérieur par la qualité du goût aux deux siècles suivants ; il n’est ni maigre ni massif, ni lourd ni contourné. […] C’est le siècle des contrastes, et des contrastes dans toute leur rudesse, siècle de philosophie déjà et de fanatisme, de scepticisme et de forte croyance. […] Si on voulait l’imiter, même en supposant qu’on le pût et qu’on y fût disposé par nature, si l’on voulait écrire avec cette rigueur, et cette exacte correspondance, et cette continuité diverse de figures et de traits, il faudrait à tout moment forcer notre langue à être plus forte et plus complète poétiquement qu’elle ne l’est d’ordinaire et dans l’usage. […] Son livre est un trésor d’observations morales et d’expérience ; à quelque page qu’on l’ouvre et dans quelque disposition d’esprit, on est assuré d’y trouver quelque pensée sage exprimée d’une manière vive et durable, qui se détache aussitôt et se grave, un beau sens dans un mot plein et frappant, dans une seule ligne forte, familière ou grande.

1408. (1865) Causeries du lundi. Tome VII (3e éd.) « L’abbé Barthélemy. — I. » pp. 186-205

Ôtez ce mot de grandeur, ôtez ces noms de Platon et d’Aristote qui sont de trop, il reste vrai que l’abbé Barthélemy avait la plus belle tête ; trop de maigreur, mais tous les avantages extérieurs qui préviennent, et des manières qui faisaient de ce jeune savant le plus naturel des gens du monde : « L’abbé Barthélemy est fort aimable et n’a d’antiquaire qu’une très grande érudition » ; c’est ce que dit Gibbon et ce que répètent tous ceux qui l’ont connu. […] Mais ce Muselli, comme presque tous les savants d’Italie, a grand désir de tenir par quelque lien à l’Académie des inscriptions de France, et Barthélemy prie M. de Caylus de négocier auprès de l’Académie en faveur dudit Muselli pour une place de correspondant, en s’arrangeant toutefois pour qu’on lui renvoie, à lui Barthélemy, la conclusion de l’affaire : Je passerai à Vérone, dit-il ; s’il me cède la médaille, je lui donnerai quelques espérances ; s’il me la refuse, je lui ferai peur de mon opposition à ses désirs ; le tout fort poliment. […] Elle semble quelquefois se rappeler ce qu’elle n’a jamais appris… » Mais j’aime mieux, pour donner de la duchesse de Choiseul une idée saillante, emprunter les portraits en miniature qu’en a laissés un pinceau moins élégant et moins peigné que celui de l’abbé Barthélemy, mais plus vif en images : Ma dernière passion, dit Horace Walpole, qui ne la connut que quelques années plus tard (en 1766), et, je crois, ma plus forte passion est la duchesse de Choiseul. […] Walpole renouvelle à tout propos ces portraits de la jolie duchesse, et, puisque j’en suis à ces échantillons divers de son pinceau, j’ajouterai celui-ci encore, comme le plus complet et le plus ravissant de tous : La duchesse de Choiseul n’est pas fort jolie, mais elle a de beaux yeux, et c’est un petit modèle en cire qui, pendant quelque temps, n’ayant pas eu la permission de parler, comme en étant incapable, a contracté une modestie dont elle ne s’est point guérie à la Cour, et une hésitation qui est compensée par le plus séduisant son de voix, et que fait oublier le tour d’expression le plus élégant et le plus propre.

1409. (1889) Émile Augier (dossier nécrologique du Gaulois) pp. 1-2

Elle goûtait fort, au début, ces divertissements scéniques où l’auteur, avec des petits airs indépendants, la flattait jusque dans ses ridicules et lui rendait, par ses complaisances, la pratique de la vertu si facile. […] D’intelligence forte et saine, ayant au plus haut degré la volonté du bien, il a mis son grand, son très grand talent, son impeccable probité littéraire au service des vertus de la classe moyenne. […] C’est ainsi que l’autre soir, à la reprise de Maître Guérin, à la Comédie-Française, l’outrance vertueuse du colonel, la candeur exagérée de l’inventeur Desroncerets, le désintéressement infatigable de sa fille, avaient fini par énerver le public et le rendre fort indulgent pour les habiletés juridiques du notaire indélicat. […] Et c’est ainsi que j’ai monté, au Gymnase, Madame Caverlet et le Mariage d’Olympe, simplement parce qu’on en avait fait au maître la demande… Les obsèques Voici la décision prise par les parents au sujet des obsèques : Dimanche, à deux heures et demie, à l’église de Croissy, service fort simple et pour lequel il ne sera pas fait d’invitations.

1410. (1860) Ceci n’est pas un livre « Une préface abandonnée » pp. 31-76

C’est là un sentiment fort élevé, et même entaché quelque peu de poésie. — Il s’agit de l’accommoder à la façon réaliste. […] Si l’on se donnait la peine d’y réfléchir une minute, on éviterait bien des querelles fort bruyantes et peu concluantes. […] Et je le trouve fort conséquent, quoi qu’on dise, d’aimer d’un amour égal Ingres et Delacroix : l’homme de style explique parfaitement le critique d’art. […] Et, dût-il s’en fâcher tout rouge, nous répéterons que la littérature contemporaine lui doit de fort poétiques pages : on n’est pas parfait.

1411. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Chapitre VI. Daniel Stern »

D’un autre côté, si nous disions Madame, nous serions fort embarrassé. […] L’originalité n’y est pas, l’originalité si rare chez toute femme, même chez Mme de Staël, mais l’aristocratie, une aristocratie native, plus forte que les fausses doctrines et les mauvaises habitudes de société, n’a pu en disparaître. […] Une seule chose peut l’en empêcher, c’est que la Chine est un Empire, et même un Empire d’un certain despotisme, et que des femmes comme Mme Stern, des femmes de cette virilité fière, doivent à la forte décence de leurs mœurs, de ne parler que des Républiques ! […] Mais la nature des choses est la plus forte.

1412. (1887) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (deuxième série). IX « Saint-Bonnet » pp. 1-28

En cela, ils ont obéi tous les deux à ces instincts dominateurs qui font la vocation chez les êtres assez forts pour en avoir une. […] Il avait, il est vrai, aussi une œuvre forte : le De Summo Pontifice de Bellarmin, mais cette œuvre, qui a sa grandeur, n’a pas le charme de beauté dans la plus pure clarté qu’a ce livre incroyable du Pape, où la transparence de la forme est égale à la transcendance du sujet ! […] Enfin, c’est que, comme tous les forts penseurs qui créent leur langue avec leurs idées, Saint-Bonnet a sa langue, réfléchie, exacte, marquée au coin axiomatique d’un esprit puissamment généralisateur. […] Le mot de Shakespeare, que Saint-Bonnet, — ce penseur par lui-même, — assez fort pour pouvoir se passer de lire (Malebranche ne lisait pas), n’a peut-être pas lu dans Shakespeare, a été redit par son génie et à la manière du plus religieux et du plus métaphysique des génies.

1413. (1917) Les diverses familles spirituelles de la France « Chapitre iii »

Il revenait du plus fort de l’action, car il ne peut pas souffrir de rester loin des combattants. […] Mais cette survie ne sera heureuse que s’il devient un homme de devoir, que s’il dompte l’instinct le plus fort qu’il y ait chez nous tous, l’égoïsme. […] Le tambour des marmites bat plus fort… « Attends une minute, pas maintenant !  […] Il prépare les siens au deuil : « Prie le bon Dieu bien fort, chère petite femme, pour que le grand déclanchement qui ne peut tarder beaucoup désormais soit couronné de succès… Dis-toi que la souffrance est une grâce qui nous est offerte par Dieu et un bienfait pour qui sait en profiter.

1414. (1906) Les idées égalitaires. Étude sociologique « Deuxième partie — Chapitre IV. L’unification des sociétés »

Mais, d’abord, de l’aveu de Tocqueville lui-même, si elle manque à leur fédération, on la retrouverait en chacun d’eux ; et d’ailleurs c’est surtout la centralisation « administrative » qui leur fait défaut : la centralisation « gouvernementale » y est aussi forte que dans bien des monarchies d’Europe208. […] Ils font profession de tenir tête aux forts et de protéger les faibles. […] Cette conclusion semble contredire brutalement une théorie sociologique fort connue, suivant laquelle l’évolution des sociétés les ferait passer du « type militaire » au « type industriel » et, du même coup, du despotisme à la démocratie. […] Il est invraisemblable, pour toutes les raisons que nous avons rappelées, qu’un pouvoir central fort veuille tolérer ces États partiels qui, accaparant leurs sujets, divisent la totalité des siens en groupes hétérogènes aussi fermés que compacts, et s’opposent à leur égalisation.

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